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  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°7

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (7)

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    Assis à côté de sa magnifique cheminée, Pierre poursuit son récit à propos de son parcours, de ses coups de coeur. Il règne un silence curieux dans la pièce. Comme si toutes les petites créatures s’étaient arrêtées pour écouter les paroles de leur ami et protecteur… C’était un moment important pour elles car nous allions enfin parler de l’époque où Pierre allait devenir Elficologue…
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    Richard Ely : Comment, avec ce passé de fantastique, d’aventurier, d’émissions radios sur le légendaire au sens large, comment en es-tu venu précisément aux fées, aux lutins, à la petite mythologie ?pierredubois0702
    Pierre Dubois : Eh bien, donc ORTF est devenu France 3, j’ai continué ces émissions, des feuilletons, quelques films, j’ai tâté à la télé, des dramatiques et j’ai eu un directeur, Célarié et un autre, Jean-Paul Gugain, qui était un breton. Il m’avait défendu. Quand tu fais de la radio, de la télé, forcément tu es écouté et comme je balançais parfois des choses, les gens écrivaient. Lui m’avait défendu et puis il est parti et je n’ai plus eu de protecteur. Donc je me suis retrouvé viré. Mais j’avais commencé à écrire, j’avais écris Bidochet le petit ogre, la botte secrète de Bidochet, Bidochet et les 55 plumes de l’indien, l’Almanach sorcier, le capitaine Trèfle, des bd pour Hachette, Casterman, j’étais déjà édité. J’avais fait un truc sur Vandewattyne, que j’avais mis en scène dans un journal pamphlétaire de Jean-Luc Porquet etpierredubois0703 Philippe Casoar, j’écrivais dedans. De mes articles sortis dans ce canard-là, ils ont en sorti un recueil, dans lequel il y avait cette histoire sur Jacques Vandewattyne, le grand sorcier du Pays des Collines. J’avais par ailleurs de plus en plus de renseignements sur les sorciers, les petits êtres, etc. Gugain, quand il a su que j’étais viré, il m’a proposé de travailler à Limoges, et là, j’ai rencontré d’autres lutins. J’avais déjà mes fées ardennaises, mes fées anglaises de par mes voyages, ça s’emmagasinait. J’avais commencé plus ou moins un grimoire aux lutins. Chaque fois qu’on me racontait une histoire de lutin, je la mettais de côté dans cette farde et après avoir fait quelques films à Limoges, Gugain est parti en Bretagne. J’ai quitté la maison ici et suis parti travailler en Bretagne. Là, j’ai eu comme directeur des programmes Michel Le Bris. J’aimais beaucoup ce qu’il écrivait et suis devenu très copain de Le Bris, j’allais souvent chez lui, on sortait ensemble.
    Richard Ely : Nous sommes en quelle année, là ? Tu connaissais déjà René Hausman ?
    Pierre Dubois : Oui, on est dans les années 80 et René, j’avais fait un film sur lui quand j’étais à Lille en tant qu’animalier, folkloriste, il jouait aussi de la cornemuse. Un vrai coup de foudre. C’est lui qui avait d’ailleurs illustré le Capitaine Trèfle et l’Almanach sorcier. Il a même habité ici pendant des mois. C’est ici qu’il a dessiné les contes de Perrault. C’était assez étonnant, René jouait de la cornemuse et dans le coin, déjà, j’avais assez mauvaise réputation. Le gars habillé en noir qui écrit des choses bizarres, on avait vu ma tête dans les journaux, j’étais un affreux sorcier. Mes gamines en ont d’ailleurs un peu souffert, mes filles, elles étaient pas trop invitées dans les jeudis, mercredis, les anniversaires. C’était les filles de l’ogre. Et Aline, ma femme, assez sombre de peau, brune, un peu indienne, hippie… On avait un bouc aussi. Y avait les amis, sympas, qui venaient et puis René avec sa cornemuse qui résonnait dans la campagne. C’était la maison de sorciers et puis y avait certainement des fantômes… les gens, ils en rajoutent, ils sont assez méchants. C’est pas toujours facile la campagne. Ça n’a pas changé d’ailleurs, ils ont ouvert récemment une médiathèque, tout le monde a été invité sauf moi. Laïyna a été fait quelque temps après, j’avais un copain, Philippe Vandooren, j’ai aussi eu comme ami Jean-Baptiste Baronian, qui avait d’ailleurs inventé des folios junior, des bouquins illustrés pour enfants et malheureusement personne n’a suivi point de vue capitaux. Et donc Philippe Vandooren, ami de Baronian, à l’époque rédacteur en chef de Spirou, il adorait ce que faisait René et aimait bien ce que je faisais également. Il a demandé de faire une bd pour Hausman, avec des fées, des sorcières, des animaux. Je lui ai écrit Laïyna.
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    Quand j’avais amassé les légendes de lutins dans ma farde, mon grimoire, j’avais l’idée de faire un bouquin avec des lutins. A l’époque, j’étais déjà agacé par l’arrivée des mangas, des trucs japonais avec des lutins et je me disais qu’on avait ça nous ! Les japonais s’inspiraient de nos histoires… C’était aussi l’époque épouvantable où la littérature pour enfants devait être de plus en plus facile. Des bouquins exprès pour eux, en tranches, de 7 à 8, de 8 à 9 ans et surtout éducatifs ! Qui parlaient de la vie réelle. On était à l’époque de « Papa divorce », « Mon meilleur ami s’appelle Boubala », « Mon premier vol de pétard », etc. En réaction, je me suis dit qu’il fallait à nouveau de la fantasy, du rêve…
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    Richard Ely : Oui, mais pourquoi le côté fées, lutins et pas fantômes, sorciers que tu appréciais tout autant ?
    Pierre Dubois : Parce que ça, je les réservais aux contes de crime que j’avais déjà dans la tête à l’époque. Je voulais faire des ghost stories. J’avais aussi écris sous d’autres noms, des pseudonymes, sous celui de Budy Matieson chez Fleuve Noir, des trucs plus violents. J’avais écris des histoires de fantômes pour Baronian dans Treize histoires de fantômes marins. Et donc j’avais envie de rêver. J’ai toujours été assez sombre, autour de moi il y avait toujours des drames, j’avais donc envie de m’écarter de la magie noire, la sorcellerie. L’ombre du croquemitaine me collait trop à la peau. Je cherchais chez moi les trouées de lumière, le roi des hurlutes, mes sentiers lumineux. Je me suis donc tourné vers les fées. Et puis y avait les filles, je leur racontais des histoires, j’étais brusquement papa. J’essayais de ne pas les entrainer avec moi dans une espèce d’errance sombre. Enfin, on essaye toujours, on réussit pas pour autant. Et donc là, on a fait le Grand Fabulaire du Petit Peuple ce qui a confirmé l’idée de Vandooren de faire Laïyna. Et au départ, pas question de faire un album, c’est passé dans un numéro de Noël. Et c’est un libraire de Mons qui a sorti la BD sous le nom d’Hausman uniquement d’ailleurs, j’existais pas. Ça a convaincu Dupuis de peut-être sortir cet ovni pour l’époque. Donc ils l’ont sorti. On a fait un deuxième tome et j’en ai fait un troisième qui là, n’a pas vu le jour. J’ai jamais trop su pourquoi mais ça a même mis en péril à un moment donné mes relations avec Dupuis… Un troisième album où elle se révélait vengeresse, son côté sorcière, ses pouvoirs, c’était une fille de la Nature, l’esprit féminin de la forêt. En gros, un chevalier la séduisait qui petit à petit voulait combattre le petit peuple, remplacer des arbres par des croix, Hausthar en mourrait… c’était un peu l’intrusion de l’Eglise… Quand Laïyna s’en rendait compte, il le tuait d’une façon très sauvage comme la forêt peut le faire. Est-ce que ça a choqué la maison sage Dupuis de l’époque ? Je ne sais pas.
    pierredubois0706Le Capitaine Trèfle galopant au-dessus du piano… en attendant la BD avec René bientôt…
    Richard Ely : Après Laïyna, c’est la bande dessinée et quelques années après, les encyclopédies chez Hoëbeke…
    Pierre Dubois : J’aurais voulu que le Grand Fabulaire continue dans Spirou et je pensais en faire un gros volume par la suite et puis tout s’est arrêté. Donc je voulais écrire les contes de crime et je ne trouvais pas d’éditeur parce que le fantastique, parce que le merveilleux, des histoires de fantômes n’intéressaient pas la littérature française. Il a fallu que Le Bris donne un grand coup de pied, avec les éditions Phébus, tout ce qu’il a pu écrire sur le sujet, grâce au festival Étonnants voyageurs pour que ça bouge un peu. Mais le fantastique pur, ça marche pas trop à moins que ce soit fabriqué, du Twilight, du Stephen King. Mais la littérature fantastique bien écrite, victorienne, féminine comme les sœurs Brontë, Mary Webb, Miss Oliphant [NDLR : Margaret], qui est une immense écrivain de ghost stories n’est même pas traduite en français ! C’est aberrant ! Il y a un éditeur qui, à cause du succès de Twilight, voulait en faire des petits, épuiser la veine jusqu’à l’écoeurement. On va faire fuir les fées si ça continue, cette surenchère à faire du pognon sur la féerie en ce moment, ça me fait gerber.
    Donc je voulais écrire les contes de crime et je ne trouvais pas d’éditeur et Hoëbeke était intéressé par ces contes de crime et c’est Caro de Caro et Genet qui aurait du illustrer, avec un dessin à la manière de Tenniel et avec Hoëbeke on a beaucoup parlé. Et j’ai parlé de l’idée de l’idée de faire une encyclopédie de lutins et il m’a dit qu’il fallait choisir. A l’époque dire lutins, tout le monde fuyait, ça faisait peur, personne n’en voulait. Quand est sorti les Fées de Brian Froud et les Gnomes chez Albin Michel, sorti sous « gnomes » alors que ce sont des Kabouters et pas des Gnomes. Et le succès de Fairies et des Gnomes a fait que Hoëbeke a dit pourquoi pas sans y croire vraiment. On a sorti les lutins et ça a fait un malheur. On a dit que c’était la Noël, et puis après la Noël on en parlait encore, Pivot a été intéressé et brusquement, comme c’était le premier français qui sortait dans cet esprit-là, ça a été un succès. Puis on a réédité et réédité et est venu le tome deux puis le trois.
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    Richard Ely : Au départ on partait sur deux tomes, le deuxième devant regrouper fées et elfes, puis c’est devenu trois et les elfes sont venus bien après, pourquoi ?
    Pierre Dubois : Parce que si tu veux les fées, l’histoire s’est imposée. Ma fille a disparu, décédée, elle est partie. Mélanie… Et donc cette rupture, cette cassure, les fées se sont imposées. Michel Le Bris en lisant les fées avait dit à un ami, c’est curieux, il écrit plus pareil. Et c’est vrai que les lutins étaient écrits de manière plus décontractée comme j’avais pu écrire le Capitaine Trèfle dans une écriture un peu enlevée et là brusquement quelque chose avait changé.
    Et quand j’ai eu terminé les fées, il y a eu comme un grand vide et je n’ai pas pu écrire les elfes tout de suite. Et tu remarqueras aussi que les elfes, c’est très sombre. Et la fin, l’épilogue est une manière d’adieu des elfes pour l’être humain, ils veulent véritablement pas en faire partie, une forme de rupture, de fuite, de retirement. C’est vrai qu’à partir de là tout a un peu changé. Par contre, j’ai pu écrire les Comptines assassines, les Contes de crimes, plus d’humour noir. Il y a un jeu là-dedans entre les fées et moi. Une espèce de connivence… Là, je suis un peu pressé à le faire, mais je suis en train de… Je fais un elféméride. Tout ce que j’ai emmagasiné depuis trente ans de télé, de radio… ça m’agace d’entendre les journalistes d’aujourd’hui, des journalisses… Tu entends toujours les mêmes discours politiques, les mêmes choses, le foot, des milliardaires en culottes courtes qui jouent à la baballe. J’ai envie d’éteindre tout ça. Il y a d’autres chemins qu’on nous dit dans les contes, d’autres vérités. J’ai un peu contribué au retour des fées, j’ai un peu l’idée que quand le matérialisme, le pouvoir, l’argent nous étouffent dans une inhumanité on a besoin de fées, de rêver. Et ici, ça recommence, ce débordement, cette bouffée d’air pur va se polluer par notre faute à nouveau, on va faire de l’argent, abîmer ce beau rêve, cette renaissance des fées, en faire du marketing, elles vont fuir à nouveau. C’est ce que je pressentais en faisant les elfes, j’étais un peu triste. Là, je fais cet elfemèride, trente ans de légendes, de contes. Bon, je fais beaucoup de digressions là mais c’est normal quand on parle de féerie, le chemin de féerie pour le trouver, faut se perdre. Le journaliste parle de l’instant présent comme si c’était essentiel et oublie que la nature continue de vivre. On s’éloigne de plus en plus de la nature, de nos sources, de ce qui nous rendait humain, ce qui rendait possible cette alliance avec la nature. On perd cela par cette espèce d’artifice, ce monde asphalté.
    Mon bouquin va faire 200 ou 300 pages alors qu’il y a trente ans dedans. Il va falloir choisir. Je l’ai donc écrit avec une espèce de résignation en me disant qu’on ne pourra pas tout mettre.
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    Richard Ely : A t’entendre, on sent comme un regret. Pourtant, si les encyclopédies, ton travail sur la féerie, ont connu un grand succès, cela a ouvert des portes. Maintenant, à chacun de choisir, soit emprunter le chemin commercial et proposer des fées, des lutins un peu vides de sens. Ou poursuivre l’exploration. Tu sembles regretter le succès de tes livres mais l’alternative aurait été l’insuccès et que les encyclopédie ne se soient vendues qu’à quelques exemplaires laissant la féerie dans l’ombre.
    Pierre Dubois : Oui, c’est vrai. En même temps, j’ai toujours été fasciné par les écrivains qui n’avaient pas de succès, les œuvres inconnues… Middleton [NDLR : Richard], qui a écrit un seul recueil de nouvelles et ne l’a même pas vu publié. Et c’est superbe.
    Petite interruption, Pierre s’en va quérir quelques vitamines liquides à base de houblon et de malt, pour se donner quelque force afin de poursuivre nos échanges…
    Pierre Dubois : J’adore Montague Rhodes James, c’était chez omnibus, j’adore les histoires de fantômes. C’est bizarre que chez nous on n’ait pas de collection de bouquins fantastiques, ils se cassent la figure régulièrement, c’est vraiment une tare chez nous. On préfère le fantastique frelaté, fabriqué que le vrai fantastique. Déjà en parlant de Montague Rhode James, il y a eut une époque où beaucoup d’auteurs anglais s’adonnaient à la ghost story, l’histoire de fantômes a toujours été pour les anglais le fin du fin, déjà la nouvelle, chez nous, il y a très peu d’auteurs qui font de la nouvelle. La nouvelle, c’est une gourmandise, une espèce d’histoire très courte, un petit bijou, on cisèle une histoire, il y aurait un mot de trop ça ne marcherait plus et toujours, des histoires à chute, ou des histoires sans chute où la fin est en suspend comme ça. A nous de rêver la suite, de trouver une porte ou de la refermer ou de rester comme saisis par la peur ou d’être troublé. Ces auteurs là très souvent étaient des fils de pasteur, pasteurs eux-mêmes, c’était de fins lettrés, et ils écrivaient quelquefois des biographies ou des bouquins très sérieux. Montague Rhode James, c’est très étonnant que ce personnage, donc c’est 1862-1936, il était principal du collège d’Etton en Angleterre, cet érudit brillant, orientaliste, médiéviste, il affirmait une passion pour les manuscrits anciens et l’archéologie. Il a écrit plein de bouquins scientifiques et une traduction du nouveau testament, c’est dire son sérieux. Et, à la fin de l’année, il réunissait ses amis, ça pouvait être des élèves, ça pouvait être des collègues, des amateurs de Ghost Stories, il les amenait dans la bibliothèque ou au bureau, il avait préparé le porto, le sherry, y avait des verres, y avait plein de bougies, les bougies brillaient comme ça dans son bureau et il accueillait ses hôtes, il les faisait s’asseoir, et il les éteignait une à une et il n’en gardait qu’une seule sur son bureau et il racontait son histoire de l’année, sa ghost story de l’année, son histoire de fantôme de l’année. Il offrait ça à la Noël. Et d’ailleurs autrefois, les histoires de Noël, c’était toujours des histoires de fantômes, la preuve, Scrooge, la fameuse histoire de Dickens, c’est une histoire de fantômes, on se faisait peur on se racontait des histoires de fantômes à la Noël. Peut-être parce que c’était la nuit la plus courte de l’année, le soleil allait réapparaître. Y avait presque un petit côté païen, de paganisme, un reste de sorcier rassemblant ses ouailles autour du feu, du foyer, autour de la lumière qui brusquement allait ressurgir de la nuit, au solstice. Et même Shakespeare dans la nuit des rois, ça commence par il était une fois un homme qui habitait près d’un cimetière, et c’est une histoire fantastique. Et Montague Rhode James, tout particulièrement raconte des histoires qui sont crédibles, qui peuvent lui être arrivées ou à un ami. C’est toujours un érudit, un célibataire endurci qui se promène dans la lande, ou qui va visiter une bibliothèque, qui cherche une crypte, qui cherche un monument, qui trouve un manuscrit… qui va tout doucement entrer dans un autre monde. Les histoires de fantômes de cette époque-là parlent à ton inconscient, à tes peurs viscérales, enterrées bien au fond et qui ressurgissent pour le peu que… Y en a une qui dit par exemple « siffle et je viendrai » et là il trouve un sifflet en os avec un dessin runique un peu et il va siffler et là viendra un être fantastique. C’est toujours comme ça, c’est l’intrusion du fantastique, du merveilleux même mais un merveilleux teinté d’épouvante dans un monde de lettrés, de crédible. Ou alors, il rencontre quelqu’un qui lui en parle. Mais avec une telle sincérité et en plus y a pas d’esbroufe, on ne te fait pas d’effets pour te faire peur. Une porte s’ouvre et le fantôme apparaît. On t’emmène par la main dans un monde en te disant n’ayez pas trop peur, il y a des petites scènes assez conviviales où ils se retrouvent en fumant la pipe autour du feu, ils se promènent dans la campagne et le malaise vient d’une maison, d’une pièce supplémentaire qu’on ne connaissait pas, d’une boutique qui n’existait pas. Y a du Jean Ray un petit peu là-dedans, Jean Ray s’en est beaucoup inspiré.
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    Richard Ely : A la différence que chez Jean Ray on a du construit alors que chez James et d’autres on a du ressenti…
    Pierre Dubois : Oui, du vécu ! Je mettrais bien avec James, Sheridan Le Fanu qui pour moi, avec James, sont les deux meilleurs. Ça fait partie d’une tradition, les histoires de fantômes, ils y croient. C’est tout à fait normal de raconter ces histoires à ce moment-là. Je me suis baladé pas mal de fois en Angleterre. C’est incroyable le nombre d’histoires de fantômes qu’on peut te raconter. Par exemple, il y a un auteur de cette époque-là, c’est Baring-Gould, qui était pasteur. Il avait le château de Lew Trenchard dans le Dartmoor, château superbe, c’est vraiment le manoir des Baskerville pratiquement. Et il avait rencontré une jeunesse et il avait parié avec ses amis qu’il en ferait une lady. Il s’occuperait de son éducation après l’avoir épousée. Et il avait raconté ça à son ami Bernard Shaw qui a écrit Pygmalion qui est devenu par la suite My Fair Lady. Et c’est ce fameux personnage, le héros de Pygmalion. Il a écrit plein de bouquins, même des hymnes religieux, il a écrit sur les brigands du Dartmoor, sur le Devon, l’histoire du pays, aussi sur les mégalithes, et aussi sur les fantômes, les vampires, les loups-garous. Et il est tout à fait normal qu’il rentre lui-même dans une histoire de fantômes, on raconte que quand sa femme est morte toutes les fenêtres du premier étage ont explosé mystérieusement. On l’a portée en bière, mise dans la chapelle du château et j’y suis allé dans cette petite église anglaise… Elle était dans son cercueil, le bedeau affairé à préparer les fleurs pour l’enterrement et il l’a vu se lever et retomber. Et donc, je vais là avec des amis pour leur montrer ce château, et le propriétaire nous reçoit. Je l’interroge sur le fantôme de la dame et là il me dit qu’il n’y a pas de fantôme, y a pas un fantôme mais y en a deux ! Y a aussi celui de l’extérieur qu’on entend marcher dans le gravier. Et c’est ça James, c’est un état d’esprit d’amateurs de fantômes, qui se font plaisir à se raconter des histoires, à se faire peur. Aussi, ça rassure de se faire peur, on revient à l’idée du premier bivouac, avec la peur des fauves, de l’hiver et on se racontait des histoires pour exorciser ses peurs. La peur des fauves mais aussi d’êtres pires, ceux que créait notre imagination, les vampires, les loups-garous… Il faut lire MR James pour retrouver ce temps du fantastique, ce moment où la réalité glisse vers l’irréel, vers quelque chose de bizarre qu’on n’arrive pas à définir. Y a un malaise, on ne sait pas si on doit en avoir peur ou si c’est une protection. J’aime beaucoup ces histoires de fantômes en demi-teinte. Pour moi, c’est ça la véritable histoire de fantômes. Y a le fantôme, le spectre et le revenant, c’est trois personnes différentes. Le revenant, qu’on appelle aussi le retournant, c’est quelqu’un qui est mort, un cadavre, qui revient, en général dans la tradition populaire, demander des messes, il est mal à l’aise. Il revient chercher quelque chose. C’est un être vivant qui sort de la tombe, un non-mort en chair et en os même s’il est une charogne. C’est pour ça qu’on le représente avec son linceul. Puis, il y a le spectre qui lui est toujours menaçant. Lui, il vient pour se venger, pour hurler, il n’y a pas de spectre gentil. Et puis il y a le fantôme. Le fantôme ça peut être un chien, un parfum, une musique, le piano qui marche tout seul, c’est quelque chose qui est décalé et donc très crédible. Depuis le temps que je m’intéresse à cela, j’ai rencontré plein de gens qui avaient eu une relation avec l’occulte, qui avait rencontré des fantômes, avec quelque chose qu’ils n’avaient pas compris. Alors évidemment nous on a tendance à le rejeter. C’est idiot parce qu’on passe à côté de quelque chose d’important. Au contraire, on devrait affiner cette perception qu’on peut avoir quelquefois, avec l’au-delà, les présences. Ces présences qu’on a autour de nous. Y a un très joli bouquin qui s’appelle The Lovely Bones, un joli petit film aussi qui raconte l’histoire d’une petite fille qui a été assassinée et qui essaie d’aider son père qui ne va pas du tout bien. La petite a été violée et assassinée par un pédophile et lui veut trouver le coupable. Elle, elle essaye de le rassurer, de lui dire qu’elle est là. Et elle n’y parvient pas. De temps en temps y a quand même des choses qui passent entre eux. Là, c’est tout l’art des Ghost Stories de ce temps-là, de MR James.
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  • Orval, première partie – Servais, Editions Dupuis

    Jean-Claude Servais est un auteur bien connu du Petit Peuple pour ses albums où nature sauvage, fées et déesses sont rendues de façon magnifique. L’auteur dresse ici le portrait de l’abbaye d’Orval. Une oeuvre à la fois historique et romantique puisque nous suivons le destin de héros, de leurs mésaventures amoureuses sur fond de tragédie religieuse. Un exercice rondement mené par l’auteur, voisin de ce Val d’Or où une noble Dame s’est vu rapporter l’anneau perdu par un des habitants de l’étang, d’où l’intriguante et réussie couverture de ce premier des deux tomes que comptera cette histoire. Si l’intérêt est plus historique que féerique, on a vraiment apprécié de retrouver le trait de Jean-Claude Servais et sa touche « sauvageonne » au travers de cette mystérieuse jeune femme accompagnée d’un loup… Pour les amoureux d’Histoire, de légendes et de Nature…

  • Mélusine, n°17: Sang pour sang – Clarke, Gilson, Dupuis

    Mélusine, n°17
    Sang pour sang
    Dessins de Clarke
    Scénario de Gilson
    Editions Dupuis
    Album cartonné – 48 pages en couleurs
    Prix: 9.45 EUR – 18.20 CHF

    Présentation éditeur:
    Entretien loupé avec un vampire
    Monsieur ne peut plus supporter Madame. Monsieur a besoin de calme. Monsieur veut être seul… enfin seul, le sera-t-il vraiment ? Son oncle, Faësturno est sur le chemin pour lui rendre visite ! Ce vampire, attiré par le sang frais, suit Mélusine jusque chez elle, mais à l’instar de Cancrelune, se prend le mur et s’écrase, suivi de près par la dit-Cancrelune qui l’écrase ! Autant dire que le vampire qu’il est n’a plus l’étoffe d’un grand. Mélusine est alors chargée avec l’aide de Mélisande, sa cousine, et de Cancrelune, de remettre l’oncle de Monsieur en état !
    Succession de situations cocasses à travers ce nouveau personnage méchant, très méchant, très, très méchant, mais sans danger !

    Notre avis:
    Un 17e tome marqué par les vampires ! Notre délicieuse Mélusine est une fois de plus confrontée à d’étranges phénomènes, ici en l’occurrence, la venue mouvementée de l’oncle Faësturno – anagramme de Nosferatu – qui est accueilli comme il se doit par la maladroite Cancrelune. Le pauvre vampire passera par mille états, brûlé, multiplié, réincarné, rapetissé et bien évidemment, impossible de trouver la bonne formule ! Clarke et Gilson continuent de nous offrir ce petit monde bien plus sympathique qu’effrayant. Si vous avez envie de vous délasser sans vous prendre la tête, voilà une petit bulle d’oxygène, un petit moment rafraîchissant dans un monde bien trop souvent oppressif et dépassé. Une BD qui sent bon le transat au soleil. Enfin, pas trop conseillé le soleil pour un vampire…

  • Rencontre avec René Hausman

    René Hausman avec son Grand Fabulaire du Petit Peuple paru dans le magazine Spirou, ses bandes dessinées (Laïyna, Trois Cheveux blancs, Le Prince écureuil, Camp-Volant, etc.), ses livres illustrés et ses nombreuses peintures et illustrations de la Nature et du Petit Peuple est une figure incontournable de la scène féerique. Inspirateur de nombreux talents actuels, précurseur de l’illustration féerique franco-belge, le Peuple féerique ne pouvait que croiser la route de ce Grand Monsieur, amateur de légendes et devenu légende lui-même. Petit échange téléphonique un matin de mars 2009…

    Avec votre complice Pierre Dubois, vous plongez les lecteurs de Spirou dans un Grand fabulaire du Petit Peuple. Plus tard vous publierez avec Dubois les aventures de Laïyna. Vous nous ferez vivre des légendes pour les albums avec Yann. Vous nous plongez dans le monde des légendes encore avec votre dernier album, Camp-Volant. Le fantastique, le Petit peuple et vous, c’est donc une longue histoire ?

    Ben oui, comme je l’explique dans l’avant-propos de Camp-Volant, l’origine de cette attirance envers le monde des légendes est due à ma grand-mère. Elle qui, lorsque j’étais petit, me contait tant d’histoires merveilleuses ou fantastiques, les légendes ou, parfois, des faits avérés qui se sont passés dans les forêts ardennaises, berceau de mon enfance. Quand j’étais petit, j’adorais qu’on m’offre des livres d’images, des bandes dessinées mais aussi des livres illustrés. Et c’est vrai que mes deux sujets de prédilection c’était d’une part, les animaux et puis d’autre part, les contes, les légendes et ce genre de choses un peu fantastiques. Il faut dire aussi que je suis un vrai belge dans le sens où ma grand-mère était ardennaise, mon père issu de la frontière allemande, et son patois à lui était ce qu’on appelle pompeusement un « francique carolingien » et plus communément le plattdeutsch, le « plat allemand » et ça ressemble au limbourgeois. De là, des connivences déjà avec tout un imaginaire germanique. Les deux ensemble, ça a donné un univers plutôt porté vers le fantastique et les légendes.

    Comment expliquez-vous que vos albums BD revêtent souvent un côté cru et cruel ?

    Tout simplement parce que dans les contes, c’est comme ça. On pense généralement que ce sont des histoires destinées aux enfants mais moi, je ne le crois pas. Ils ont une vertu initiatique, Pierre Dubois vous l’expliquerait mieux que moi. C’est un monde symbolique, pensez au Petit Chaperon rouge, une espèce de cheminement au travers de la forêt et de la nuit… Bettelheim et sa psychanalyse des contes de fées l’explique très clairement. Ce passage à l’âge adulte… Je pense qu’on ne peut pas édulcorer ça. Cela doit être montré tel quel. Barbe Bleue égorgeant ses femmes, l’ogre dévorant les enfants… Il n’y a aucune raison de faire de ces contes des histoires à l’eau de rose, ce qu’ils ne sont pas. Les deux contes faits avec Yann sont particulièrement crus et cruels, j’ai d’ailleurs eu des critiques à ce propos mais tant pis… Là, nous nous sommes donnés à fond dans le côté terriblement réaliste et méchant, finalement, de la vie.

    Vous adorez la Nature et les animaux que vous dessinez avec une force extraordinaire. D’où vous vient cette attirance pour la Nature ?

    Je suis trop farfelu pour être devenu un naturaliste, pas assez sérieux. Quoique adolescent, j’ai collectionné très sérieusement les insectes. Je me prenais alors pour un entomologiste. Mais en fait, ce que j’ai surtout bien aimé est la représentation graphique des animaux dans les images les représentants. J’étais également en contact direct avec les animaux ayant vécu mon enfance à la campagne. D’ailleurs une excellente école, rien ne remplace l’observation directe. J’adorais collectionner les chromos de chocolat. Les autres enfants se passionnaient pour les voitures mais moi pas du tout. Moi les bagnoles, ça m’a jamais, jamais branché. Moi c’était les animaux. Je possède encore d’ailleurs des albums d’images de l’époque que j’ai gardés ou retrouvés.

    La Nature recèle bien des secrets. Ce côté mystérieux vous l’appréciez beaucoup également…

    J’ai connu des chasseurs notamment qui m’ont raconté plein d’histoires… Il ne faut d’ailleurs pas croire que les chasseurs sont mauvais. Ce sont des gens qui vivent avec la Nature. Bien entendu, y a les braconniers infâmes mais il y a surtout de véritables connaisseurs de la Nature et de ses secrets…

    Trouvez-vous que les gens reviennent aujourd’hui à la Nature ?

    Oh je pense que oui, certainement. D’une manière ou d’une autre. Il y a beaucoup de balades qui se font dans la nature, y a un respect général plus poussé qu’il y a un certain moment. Les gens nourrissent avec intelligence les petits oiseaux l’hiver. On respecte mieux les sentiers forestiers, les pistes de ski. Y a un progrès mais beaucoup reste à faire.

    La féerie, c’est un moyen également de se rapprocher de la Nature ?

    Je vous avoue que ce n’est pas vraiment dans ce sens-là que les lutins m’intéressent. Bien sûr, ils sont intimement liés à la nature mais il y a autre chose… J’ai un jour croisé la route d’Haroun Tazieff, le volcanologue. Et lui s’étonnait beaucoup qu’on s’intéresse aux légendes, aux mythes, aux fées alors que la Nature est tellement merveilleuse et extraordinaire en soi. Il avait peut-être raison…enfin, je confesse une perversion pour mon goût que j’ai des fées, des lutins, des sorcières, des dragons…

    Vous avez illustré de très nombreux livres. Notamment La Grande Tambouille des fées et La Grande Tambouille des Lutins aux éditions féeriques Au Bord des Continents. On y trouve quelques recettes originales en fin de livre. L’art culinaire, c’est quelque chose que vous appréciez également ?

    J’ai aussi illustré pas mal de livres de recettes d’un ami restaurateur. J’aime beaucoup cuisiner aussi. Je crois qu’à part le dessin c’est mon occupation préférée.

    La musique ne vous est pas étrangère non plus, on se souvient du groupe les Peleteux…

    Oui, de la musique traditionnelle. Encore une fois on ne quitte pas vraiment le créneau, cela avait beaucoup à voir avec quelque chose de proche de la Nature. Ce qu’on appellait à l’époque nos racines… Là aussi, on voit ce genre de choses revenir, on appelle ça aujourd’hui la musique du monde… Chaque région, chaque pays possède une grande richesse. Notez que la France pour moi est le territoire le plus riche à ce niveau mais dans le même temps le plus ignorant de sa propre richesse folklorique, c’est étrange comme constat. La Wallonie est également une terre riche en traditions. On en revient mais pas de la même façon qu’il y a trente ans…

    En 1957, on pouvait lire vos aventures de Saki et Zunie, en 2003, celles des Chasseurs de l’Aube… Vous abordez là, la Préhistoire. Un temps où l’homme vivait en parfaite symbiose avec la nature. Vous auriez aimé vivre ce temps-là ?

    Ecoutez, moi je suis très content de mon époque. Ça nous permet de survoler, même si c’est de manière artificielle les autres époques. Je pense que ça ne devait pas être drôle, la Préhistoire. Mais je pense que nos ancêtres lointains devaient avoir une vie psychique très riche. Ce n’était pas des « sauvages », ça, j’en suis persuadé. Mais de là à souhaiter vivre à cette époque-là, non. Déjà vivre il y a soixante ans, c’était dur, rien qu’au niveau des maladies devenues bénignes maintenant…

    Je me souviens avoir bu un délicieux café dans une brasserie vervietoise nommée L’ogre de barbarie. Elle était décorée de vos œuvres. Les expositions, les décorations de lieux, c’est quelque chose qui vous attire, c’est important pour vous ce type d’échange avec le public ?

    Oui, bien sûr. Pour moi c’est très important. Des expositions et des rétrospective, j’en ai fait mais de voir mes œuvres dans de tels lieux, rien ne peut me faire plus plaisir. Vous savez, quand mes œuvres sont vendues à des amateurs, elles disparaissent dans leurs collections alors que dans un lieu public, chaque jour de nouvelles personnes peuvent les découvrir. Pour moi, c’est très important et très agréable. On a commencé ça il y a une vingtaine d’années et de temps à autre j’en propose une nouvelle.

    Vous avez créé récemment, avec votre épouse Nathalie Troquette, les éditions Luzabelle. On y parle de l’édition en intégrale du Grand Fabulaire du Petit Peuple. Peut-on avoir plus de détails ? Y aura-t-il des inédits ? Une date de parution ?

    D’abord, on aimerait bien ne pas se confiner à mes propres œuvres uniquement et proposer d’autres artistes, faire découvrir d’autres talents. Mais bien entendu il faut rentabiliser quelque chose avant de grandir, on commence donc doucement.

    Cela dit la reproduction des affiches du Grand Bestiaire paru autrefois chez Dupuis n’a jamais été aussi bien réalisée. Donc dans le même temps, je me fais plaisir.

    Pour le Grand Fabulaire, c’est vraiment le projet, le grand projet. Rien n’est encore vraiment lancé. Il n’y aura pas d’inédits mais de nouveaux textes écrits par Pierre Dubois, les précédents ayant servis à son Encyclopédie des lutins dessinée par Roland Sabatier.

    Quelle est votre créature féerique préférée et pourquoi ?

    Le gnome. C’est une émanation de la Nature plus fruste et plus rugueuse que la fée. Le nain, le gnome qui sort de la terre, des racines…

    Vous êtes plus illustrateur que dessinateur BD ?

    Absolument ! Illustrateur d’abord, oui. D’ailleurs, mes BD se font en sélection directe, je serai bien malheureux de devoir travailler avec des bleus ou avec un coloriste. Ce serait vraiment la mort dans l’âme…

    Vos projets ?

    Je termine une bande dessinée avec Rodrigue, l’auteur des Tambouilles. Elle paraîtra au Lombard dans la collection Signé. Il s’agit un peu d’une extrapolation sur le Chat botté. Il y a 54 pages et j’en ai fait 40, ça devrait donc sortir cette année.

    Propos recueilis par le Peuple féerique en mars 2009

    En savoir plus sur René Hausman…

    Le site des éditions Luzabelle

    Le site René Hausman

    Le reportage de France 5 :

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  • Mélusine, jolie sorcière aux philtres d’humour !

    En bande dessinée, la sorcière la plus connue est loin d’être la plus méchante. Créée en 1992 par Clarke et Gilson, Mélusine ravit ses lecteurs depuis 12 albums et 450 gags ! Après avoir publié dans les pages du magazine Spirou plusieurs récits avec Gilson, Clarke donne naissance à la mignonne petite sorcière rousse qui trouvera rapidement le chemin d’une série rien qu’à elle. D’un naturel jovial, cette jeune fille au pair chez un vampire se liera d’amitié avec une foule de personnages étranges qui viendront enrichir ses albums. Khimaira a posé quelques questions au papa dessinateur de cette jouvencelle ensorcelante…

    D’où est parti le projet Mélusine ?
    Clarke : Je suis arrivé chez Dupuis avec un projet de série sur un moulin hanté contenant tout ce que le cinéma fantastique et d’horreur compte de personnages emblématiques. Un chasseur de fantôme tournait en permanence autour de ce moulin et essayait d’exorciser les occupants. Le rédacteur en chef de l’époque n’a pas été très convaincu et a proposé à Gilson (présent ce jour-là à la rédaction) de travailler avec moi sur ce sujet. En deux heures, on avait posé toutes les bases de la série Mélusine…

    Mélusine a un nom emprunt aux légendes… Pourtant on ne peut pas dire que votre personnage soit proche de la femme mi-serpent… Pourquoi avoir choisi ce nom dans ce cas?
    C : C’est assez idiot. Dans la première page, où elle se présente, j’avais laissé la bulle vide. On cherchait un nom qui fasse moyenâgeux sans être trop éloigné de nous. Puis Gilson est venu avec « Mélusine » qui est le nom de la fille d’une copine commune. J’ai vérifié si le nom n’était pas trop long pour rentrer dans l’espace que j’avais laissé dans la bulle et voilà !

    Et son aspect physique ? Comment l’avez-vous conçu ?
    C : Ça a demandé beaucoup d’essais. Au départ, elle devait avoir les cheveux blancs, je crois. C’est une copine (une autre) qui m’a suggéré de la faire rousse. Le vert est venu naturellement à partir de là.

    Dans votre bio, on apprend que vous adoriez dessiner des monstres lors de votre rencontre avec Gilson. D’où vous vient ce goût prononcé pour les monstres ?
    C : J’adore les films d’horreur des années 50. Le côté système D et naïf de ces trucs me fait glousser de plaisir. Et puis ce qui est agréable avec les monstres, c’est qu’on peut partir de n’importe quoi. On peut dessiner ce qu’on veut tant que ça reste effrayant…

    Le monde de Mélusine, s’il est fait de monstres et de sortilèges, reste très gentil. Par ce choix visiez-vous particulièrement un jeune public féru de monstres en tous genres?

    C : Non, le sujet principal, ça reste tout de même une jeune fille « moderne » dans un environnement inquiétant ou, en tout cas, particulier. Au début, nous avions même l’intention de la faire sortir de temps en temps dans le monde moderne (boîtes, shopping, …) mais on a préféré s’en tenir à cette Transylvanie imaginaire. Ceci dit, il faut quand même aimer les monstres pour lire la série, même si ceux-ci ne sont souvent pas très effrayants…

    Comme Harry Potter, Mélusine va à l’école, ici l’école des Maléfices… La sorcellerie s’apprend-elle sur les bancs d’une école ?
    C : Harry Potter, ça nous a fait un drôle d’effet… La série existait déjà depuis un certain temps quand on a vu débouler ces romans où le sujet abordé était tout de même fort proche ! Mais Harry Potter est beaucoup plus ancré dans le monde moderne tandis que Mélusine fonctionne surtout sur des codes de films d’horreur dans les Carpates. Sinon, dans la mesure où il s’agissait d’une jeune sorcière, il nous a semblé tout naturel qu’elle soit toujours aux études.

    Est-ce que le fait d’avoir autant de personnages secondaires (Cancrelune, Winston, Mélisande et autres habitants du château…) sont là comme sources pour de nouveaux gags?
    C : Bien Sûr. Mais cela vient aussi du fait que, dans un univers pareil, les pistes à exploiter sont extraordinairement nombreuses. Et il faut aussi ne pas trop se cantonner sur un seul chemin au risque de voir la série s’appauvrir.

    Wilson fait référence à la créature de Frankenstein, le vampire qui emploie Mélusine rappelle Bela Lugosi, mais pour les autres personnages, ont-il également des références, peut-être des gens que vous avez connus, on pense au professeur de magie, un mauvais souvenir d’école ?
    C : Il y a souvent des ‘private jokes’ pour tous les personnages. Le professeur (dont le nom ‘Haaselblatt’ est celui des premiers appareils photos utilisés sur la lune par les astronautes) est une réminiscence d’un personnage que j’avais créé pour une série qui n’a jamais vu le jour. Boris Karloff, Bela Lugosi, et d’autres sont effectivement dans la série, sous divers déguisements. Le prêtre exorciste, lui, vient d’une caricature de Léopold II en missionnaire dans un quotidien du début du siècle… Comme quoi…

    Dans la série, on rencontre deux autres sorcières. Cancrelune est des plus maladroites alors que la tante de Mélusine correspond plus à l’idée, du moins physique, que l’on se fait d’une sorcière… Les trois « sorcières-types » ?
    C : La « sorcière-type » est évidemment la tante Adrazelle (nom que j’ai trouvé en adaptant Azraël, le chat de Gargamel dans les Schtroumpfs). Mélusine, en jeune fille moderne, avait besoin d’une camarade de classe. Par contraste, nous avons trouvé la maladroite Cancrelune (nom à tiroir : une cancre toujours dans la lune)…

    Comment voyez-vous l’avenir de Mélusine ?
    C : Comme une autoroute pavée de centaines de milliers d’albums.

    Croyez-vous aux sorcières ?
    C : Je crois aux sorcières « historiques », c’est-à-dire à ces sages-femmes qui ont été victimes de l’Eglise au Moyen-âge. Elles représentaient les dernières croyances populaires, le paganisme qu’il fallait à tout prix éliminer pour resserrer l’unité religieuse… Une époque formidable, à ce qu’on dit.

    Propos recueillis pour Khimaira en avril 2005.

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