Arts féeriques

Les fées derrière le Grand Mur

Le jeune lutin s’approcha de sa mère, sa mine renfrognée laissait présager une question importante qui le taraudait.

Maman, qu’y a-t-il derrière le mur ?

La mère lutine tressaillit. Cette question, elle savait que tous les enfants la posaient un jour. Le jour où, vagabondant au fond de la forêt voisine, leurs petits pas trottinant les avaient menés au pied d’un vieux et large mur, une haie grise infranchissable marquant une frontière bâtie par les lutins depuis des lustres. Le sujet n’allait pas être facile à exposer et la mère eut un moment d’hésitation avant de lâcher, résignée, un long soupir. Elle invita son petit bonhomme à s’asseoir sur le banc à gauche de la porte de leur jolie chaumière et, se posant à ses côtés, se mit à lui conter l’épouvantable histoire des fées de l’autre côté du Grand Mur.

 » Il y a très très longtemps, le pays voisin du nôtre était peuplé de fées bienveillantes. Elles avaient la peau de la couleur du ciel et leur chevelure brillait comme de l’or. Chacune de leurs robes étaient tissées de fils de lune et des ailes multicolores leur permettait de voler. Elles passaient leur temps à faire naître les fleurs, à danser dans d’interminables rondes où notre peuple était souvent invité. Dotées d’une voix sans nulle autre pareille, leurs chants emportaient nos cœurs et faisaient trembler de bonheur nos âmes. C’étaient de magnifiques gardiennes de la Nature et leur pays était couvert d’autant de nuances de vert qu’il puisse en exister. Des animaux fabuleux, tels les cerfs blancs, les licornes et les paons arc-en-ciel arpentaient les sentes de paysages riches baignés dans un air des plus agréables qui sentait bon la rose et la pivoine. Un véritable paradis. Toutes les fées veillaient à l’équilibre de cette foisonnante nature en intervenant le moins possible. Elles jouissaient en retour des fruits saisonniers gorgés de pluie et de soleil, tous plus succulents les uns que les autres. Or, une fée se mit un jour à avoir un comportement étrange. Bien trop gourmande, elle se mit à manger plus que de raison, dénudant les arbres fruitiers de la plupart de leurs cerises, pommes et poires. Bien trop égoïste, elle se mit à cacher le reste des fruits et affamât ainsi les autres fées. Bien trop maligne, elle leur proposa alors de leur procurer des fruits en échange de quelques services. D’année en année, la fée se mit à construire un empire. Elle se constitua une armée de trolls des montagnes pour asservir de plus en plus les lutins et les autres fées du Royaume Enchanté. Bientôt, elle exigea le plus beau des palais et pour ce faire, ordonna d’abattre les arbres. Comme elle voulait des tours toujours plus hautes, il fallut couper toujours plus de bois. Les trolls firent appel aux gobelins des profondeurs pour amener le fer et des outils tranchants, détruisant plus encore le pays pour satisfaire leur reine. Ses vassaux se mirent à l’imiter de partout et bientôt le Royaume Enchanté fut complétement transformé. On y voyait plus que d’affreuses bâtisses grisâtres, la pierre ayant remplacé le bois qui n’existait plus. Des colonnes de fumée s’élevèrent dans les cieux formant d’épais nuages noirs cachant à jamais le soleil, l’ombre chassait les fleurs autant que les derniers sourires. Les habitants se mirent à transformer les matières, à créer des choses toujours plus inutiles et laides les unes que les autres. La folie s’empara de leurs esprits et chaque jour, une nouvelle idée destructrice naissait de leurs pensées dévastatrices engendrant des déchets artificiels que la nature ne pouvait absorber. Les animaux disparurent, les végétaux demeuraient nains et stériles. Les fées tombèrent malades les unes après les autres… Elles erraient sur les chemins bordant un désert de sable gris tels des squelettes. Même les puissants trolls et les ingénieux gobelins finirent par mourir de faim. C’est à cette époque que les derniers lutins se rassemblèrent pour bâtir le Grand Mur. Ils utilisèrent toute leur magie pour ériger le plus grand rempart qui puisse être. Dépassant les nuages, le Grand Mur enferma à jamais le Royaume Enchanté qu’on baptisa d’une nouveau nom des plus terribles : le Tristemonde. Depuis, plus personne ne sait ce que sont devenues les fées de l’autre côté, mais il faut bien l’avouer, aucun lutin n’a envie de savoir. Les années passèrent, puis les siècles et, de ce côté-ci du mur, la nature reprit ses droits. Notre pays est à présent couvert de feuilles et de fruits, les animaux courent librement entre les haies sauvages et nous jouissons de fruits délicieux à chaque saison. »

Son récit fini, la mère tourna le regard vers le petit lutin qui la fixait de ses grands yeux noyés de larmes. Il enfouit la tête dans le tablier de sa mère et éclata en sanglots. Comment était-il possible que les fées aient ainsi abimé tant de beauté ? Sa mère savait qu’il s’en remettrait, mais qu’il garderait une blessure à l’âme pour le reste de sa vie. Un mal nécessaire afin de taire sa curiosité. Une vérité cruelle qui avait de tous temps empêché les lutins d’ouvrir une brèche, d’inviter la noirceur du Tristemonde en ce lieu magique où les rivières coulent d’une eau cristalline, où les rires fusent et où l’air porte en lui des parfums de rose et de pivoine.

Richard Ely

Né en Belgique, j'ai passé toute mon enfance à Ellezelles, village sorcier. J'ai ensuite étudié les fées, elfes et lutins à l'université tout en croisant les chemins de Pierre Dubois, Claude Seignolle, Thomas Owen... En 2007, après avoir parcouru bien des forêts et des légendes, je crée Peuple Féerique. Spécialiste du folklore féerique, auteur d'encyclopédies, de livres, d'albums, je poursuis mon exploration de ce Petit Monde de Merveilles pour le partager avec vous.

2 réflexions sur “Les fées derrière le Grand Mur

  • Mahé Christiane

    Quelle triste histoire, j’espère que les fées de l’autre côté du mur ont pu réagir et créer un monde meilleur. L’appât du gain est souvent destructeur et les fées de cette histoire ont été victime de la folie d’une seule fée et d’êtres cupides.

    Répondre
  • Cette histoire change des récits où les fées sont généralement gentilles et liées à la Lumière.
    Mais elle est aussi très triste…

    Répondre

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