Croyances

Ce soir, je me permets d’être nostalgique…

A force de voyager dans des contrées encore bien marquées par la féerie telle que nous l’avons connue chez nous il y a plus de vingt ans maintenant, les retours se font de plus en plus nostalgiques. Je ne sais pas vous, mais moi je croise rarement des artisans sculptant ou dessinant fées, elfes et lutins, proposant sur les étals des échoppes nomades des figurines, des objets que nous avions pour habitude de saisir pour en décorer les étagères de nos bibliothèques… Ces mêmes bibliothèques où s’étalaient des dizaines d’ouvrages nous contant les secrets de Féerie. D’un Merveilleux où les fées pouvaient se montrer aussi bienveillantes que cruelles, où le lutin au chapeau rouge tirait souvent la couleur de celui-ci du sang versé, où les elfes laissaient transparaître leur caractère divinement agraire. Une féerie vraie, brute, attachée à la terre, n’omettant pas de dire le sauvage sans jugement aucun.

Depuis une dizaine d’années, les retours de contrées où les aubépines se tissent de prières me renvoient l’image édulcorée de nos propres croyances. Là, on chante les fées, ici on les « mesure ». Là, on conte en veillées, ici on psychanalyse. Là, la glaise prend encore les traits d’hominidés placés sur le seuil, dans des maisons miniatures rappelant les lares antiques. Ici, tout est en résine et plastique, importé de la lointaine Asie nous inondant de vulgaires copies alors qu’elle-même fourmille de petits esprits respectables et respectés.

Là, on se soucie des autres, on y voit trois générations dans la même chaumière et un petit pot de crème dans un coin de la cuisine. Ici, on entend que le son de ses propres pensées, on nous répète sans cesse de se « self-développer », au détriment des autres sans doute. De tous les « Autres », oubliant les fées et toute leur altérité, modelant une nouvelle image à notre convenance, des sortes de poupées gentilles malléables à merci, des reflets d’âmes intérieures où l’âme elle-même se dénature…

Alors oui, ce soir, je me permets d’être nostalgique. J’ai tant connu de soirées magiques, traversé tant de lieux où se respiraient les parfums des fées… Il y a vingt ans encore, rien n’était caché, tout s’étalait sur les marchés, dans les festivals, entre les mots échangés avec auteurs et artistes… Dans les gestes des anciens des campagnes s’apprenaient et se transmettaient tant de merveilles. Cette nostalgie se fait salvatrice lorsqu’elle épouse la plume pour ne rien oublier. En elle se cache l’espoir qu’un jour, d’autres sauront déchiffrer à nouveau cette féerie ancrée dans la terre, dessinée sur l’écorce des arbres, portée par les vents, les tempêtes et les bourrasques. Et, fort heureusement, dans les mots des quelques ouvrages que de pauvres revenants s’évertuent à écrire pour ne pas oublier. Pour ne rien oublier de cette féerie brute qui ne nous fait point rêver, mais au contraire, nous éveille au monde.

Richard Ely

Né en Belgique, j'ai passé toute mon enfance à Ellezelles, village sorcier. J'ai ensuite étudié les fées, elfes et lutins à l'université tout en croisant les chemins de Pierre Dubois, Claude Seignolle, Thomas Owen... En 2007, après avoir parcouru bien des forêts et des légendes, je crée Peuple Féerique. Spécialiste du folklore féerique, auteur d'encyclopédies, de livres, d'albums, je poursuis mon exploration de ce Petit Monde de Merveilles pour le partager avec vous.

8 réflexions sur “Ce soir, je me permets d’être nostalgique…

  • Mahé Christiane

    Bonjour M. Ely, je viens de lire votre « lettre » sur votre nostalgie. Je suis d’accord, on ne trouve pas ou plus d’objets créés, façonnés des artistes. Moi même, que je regarde, il est toujours indiqué que cela est fabriqué en Asie. Cela est bien dommage et triste.
    Il y a peu ou plus de place à la magie de l’artisan, de la magie elle-même.
    Il y a encore heureusement des personnes comme vous qui écrivent des livres des récits pour nous conter la vie des êtres féeriques. Il y a encore quelques artisans qui créent de la magie de leurs propres mains, fort heureusement. Certes, ils sont peu nombreux ou méconnus.
    Je veux croire que la magie va perdurer, surtout en ces temps difficiles. Je continue à croire au Peuple féerique.

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    • Hélas… mais ne désespérons pas, de jeunes talents s’y mettront sans nul doute. C’est un peu le creux de la vague…

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  • Cher Monsieur Ely,

    Je suis depuis des années vos pérégrinations en terres de féeries, vous vous inscrivez dans la longue chaîne des veilleurs de grimoires et arpenteurs de mémoires. Tant que vous serez là pour maintenir la flamme, l’espérance est permise. Nous avions, il y a quelques années de cela, presque vingt ! réalisé avec la peintre Wary Waltz un petit ouvrage dédié aux fées et à la transformation de la femme. Notre projet s’est endormi, il est resté dans un carton où les ailes des fées se sont repliées, ainsi que le texte composé de mots rimés.
    N’hésitez à me communiquer des contacts d’artisans, j’ai des amis qui tiennent une toute petite boutique de féerie, ils seront surement preneurs avec grand bonheur.
    Bien à vous
    Marie

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  • DICALE Françoise

    Cher Richard,
    Votre lettre nostalgique m’a profondément émue.
    Je me sens plus que nostalgique, triste même, comme si l’Ancien Peuple s’était à nouveau retiré.
    Pourquoi le mériterions-nous ? Plus les gens parlent de climat et d’écologie moins je les sens réceptifs à la Nature et ses Mythes et Mystères. Tout est devenu politique, enjeux financiers.
    Je dis souvent à un proche, combien parmi tous ces gens qui se « battent » pour ces causes, remercient et rendent grâce à la beauté qui nous entoure.
    Oui, je suis triste et pourtant que de présences dans les nuages, les pierres, les feuilles.
    Merci, pour vos articles emplis de poésie, vos voyages dans des lieux enchantés.
    C’est pour cela que votre nostalgie m’a vraiment touchée.
    Fraternellement;
    Françoise

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    • La nostalgie est l’espoir d’un temps à venir… Espérons donc que cela nous revienne !

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  • Micheline Ouellette

    Je garde toujours chez moi mes jardins féérique.je crée des fées , tout est féerique chez moi,je fait aussi la photographie féerique, car je crée aussi des robes de fées, ici les fées vivent.

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  • Bonjour Richard,
    Je comprends et partage votre nostalgie.
    J’habite Sallertaine, un village d’artisans, et je m’évertue de soutenir ces derniers autant que possible. Le village comporte même une boutique dédiée aux farfadets, que j’aime énormément.
    Mais lorsque je quitte Sallertaine, que ce soit pour aller dans d’autres villes proches ou même à Paris, je constate la différence entre cet endroit et le reste du monde.
    La magie semble s’effacer, petit à petit… Je m’efforce de la préserver à travers mes romans et en priant pour qu’un jour, les elfes, les fées et autres créatures magiques illuminent de nouveau notre quotidien à travers le monde.

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