La Fantasy au regard de ses « pères » : Fantastique et Science-fiction
Un article sur la Fantasy écrit il y a trois ans mais jamais publié…
La Fantasy au regard de ses « pères » : Fantastique et Science-fiction
Depuis que Peter Jackson a porté l’œuvre de Tolkien à l’écran, la fantasy explose de toutes parts. Il faut dire que la trilogie du Seigneur des Anneaux, œuvre puissante, avait déjà fédéré nombre de lecteurs depuis les années 60 où le genre fantasy commençait véritablement à marquer les esprits. Il aura fallu près de 40 ans pour que la fantasy conquière la France et les francophones, plus avides de capes et d’épées que d’armures et de haches, plus portés sur le renard que le dragon.
Mais la fantasy a bien frappé de ses pointes ces 40 années : Donjons et Dragons a permis l’apogée du jeu de rôle ; la bande dessinée a bercé nos regards d’enfants et ouverts nos esprits par trop cartésiens à un imaginaire débridé; la fin des années 90 a vu éclore des maisons d’édition modestes mais courageuses, semblables aux héros des romans qu’ils décidèrent de publier.
D’abord affaire de passionnés, la fantasy en France est finalement devenue l’affaire de professionnels en ce début de 21ème siècle. Chaque année qui passe voit son lot de grands éditeurs s’essayer en collection fantasy, des revues et magazines naître, des clubs et associations s’étoffer…
L’explosion de la fantasy correspond pleinement à celui d’autres explosions culturelles de ces dernières années (festivals celtiques, fêtes médiévales…). Ces succès ont pour point commun l’envie de se plonger dans des univers bien définis qui invitent à s’évader du réel, du quotidien tout en rassemblant, créant une communauté de personnes partageant la même passion.
Outre cette envie d’évasion et de rassemblement, le succès des légendes celtiques, du mode de vie médiéval ou de la littérature de fantasy repose essentiellement sur le besoin de revenir à des valeurs clairement définies. Face à une société permissive et consumériste, l’homme perd ses repères. Force est de constater qu’aujourd’hui, nous avons trop de choix, trop de possibilités, trop d’avenirs incertains. Et cette problématique sociale trouve quelque part une réponse apaisante dans le fait de revivre un temps supposé plus « simple », naturel et basé sur de grandes valeurs comme l’amour, le courage, l’amitié, la loyauté, le bien, le mal, la loi… La fantasy serait l’échappée parfaite pour qui recherche un modèle figé de valeurs, une littérature où l’ambiguïté n’a pas sa place, où le héros combat le vilain, où l’Amour est courtois et fidèle, où la Mort a son paradis…
L’habituelle rengaine critique n’a de cesse de mettre ces stéréotypes en avant mais en les dénigrant. La fantasy ne présenterait que des univers répétitifs avec son héros qui gagne à la fin grâce à son épée magique, son magicien merveilleux qui parle aux animaux, son horrible sorcier vêtu de noir et menaçant le monde de sa destruction…
Le succès de la fantasy reposerait-il uniquement sur ce schéma répétitif et rassurant? En partie oui, mais l’emploi de stéréotypes n’est pas l’apanage de la fantasy. Le roman policier, le fantastique et finalement, toute histoire puisent sans cesse dans le même fond, des mythologies aux contes d’aujourd’hui.
Pour comprendre plus avant ce qui fait le succès de la fantasy à notre époque précise, il nous faut revenir à ce qui a fait auparavant le succès du fantastique d’abord, de la science-fiction ensuite.
Fantasy et fantastique : du moi aux autres.
Le fantastique a pris son envol au 19ème siècle. Digne successeur du roman gothique, il tient du malaise de la société industrielle naissante mais surtout des grandes découvertes liées à l’homme en tant qu’individu. L’hypnose, la psychanalyse de Freud et autres recherches sur l’esprit ont procuré les meilleurs thèmes du fantastique qui s’est mis à explorer nos peurs et nos rêves.
La fantasy est au fantastique ce que la psychologie sociale est à la psychanalyse. Elle y puise en partie ses origines mais lui donne une toute autre dimension, bien plus large et plus complexe. La fantasy nous parle, au travers de ses héros, de nos questions en tant qu’individu. Mais un individu ancré, cette fois, dans une société. Nous ne sommes plus dans l’isolement du héros fantastique. Le vampire n’est plus ce monstre unique, enterré dans un coin reculé des Carpates, il vit en société en plein New-York.
La fantasy engloberait-elle le fantastique ?
On pourrait le penser constatant que :
– nos amis anglophones utilisent depuis toujours le terme fantasy aussi bien pour le merveilleux que pour le fantastique;
– les auteurs contemporains composent de plus en plus de récits où la psychologie des personnages est plus travaillée, où ils apparaissent plus ambigus et de plus en plus confrontés au doute ou à leurs peurs;
– des caractères typiquement fantastiques comme le vampire, la sorcière, le loup(-garou) font leur apparition dans des textes fantasy.
Notre avis est que cette confusion provient principalement du fait que nombre de récits fantastiques n’en sont pas vraiment. Pour qu’il y ait récit fantastique, l’élément fantastique doit appartenir à l’impossible et tenu pour impossible. Il y a rupture du réel. Ceci provoque nécessairement la peur, seul sentiment face à l’impossible. Notons de plus que le héros sera souvent mais pas toujours seul puisque l’inconcevable est renforcé par le fait de ne pas pouvoir partager ce moment avec d’autres. Enfin, la raison du héros face à cet étrange impossible mènera probablement à la folie ou la mort. L’absence de témoin rend douteux la véracité de la chose. Au fond, le héros était peut-être fou ou a-t-il simplement rêvé ?
Partant de là, il faut bien reconnaître que le fantastique n’est pas la fantasy et vice-versa.
La fantasy répond aux besoins actuels, à cette idée d’individu au sein d’une société. Plus que le rapport au « moi » et au « ça », concepts freudiens bien connus et utilisés dans le fantastique, c’est le rapport à l’autre et aux autres qui nous préoccupe aujourd’hui. La fantasy est affaire de races, clans, classes, rapports de force, de pouvoir, relations amoureuses, familiales, d’amitié…
Fantasy et science-fiction : une question de projection
Au 20ème siècle, voilà que les interrogations de l’homme, en plein boum industriel, se tournent du côté des grandes avancées technologiques. L’homme crée la fusée et il se met à rêver de voyages intergalactiques. La radio permet une information de plus en plus rapide et la guerre froide devient une menace extra-terrestre. L’avancée technologique fascine et effraie et de ce double sentiment naîtront des milliers de récits de science-fiction. Nous ne sommes plus dans une interrogation sur l’individu mais déjà sur la société. Une société dont les peurs naissent d’une avancée trop rapide pour être assimilée par tous et qui tantôt rêvera de l’immortalité, tantôt enfantera de nouveaux monstres.
La fantasy, nous l’avons vu, opère un retour à des valeurs essentielles par rapport à une société où l’homme ne sait plus où et à quoi s’accrocher. Les grandes peurs d’aujourd’hui tournent autour de cette perte de repères. Ce n’est plus une crainte du futur mais bien une peur du présent. Il semble normal dans ce cas de fuir, de s’évader dans une vision améliorée du passé (on en revient au succès des fêtes médiévales, celtiques…). La fantasy propose un univers nostalgique d’un temps passé qui n’a jamais existé. Si la science-fiction projetait dans le futur la société du moment donné, on peut dire que la fantasy projette dans un passé imaginaire, la même société du moment donné.
Autre grande préoccupation d’aujourd’hui, l’environnement. Posons le raisonnement suivant : ce qui a abîmé la nature, c’est la pollution. Ce qui est la cause de la disparition des arbres en Amazonie, c’est l’industrie. Nous n’irons pas jusqu’à prétendre que la fantasy est le genre écologique par définition, mais l’absence d’industrie et cet amour constant pour la Nature et ses forces laissent songeur… La science-fiction traite de la même thématique, souvent avec une approche différente qui montre le résultat de cette négligence vis-à-vis de la nature : visions apocalyptiques, mondes dévastés, abominations scientifiques…
Dans sa dimension sociologique, la fantasy partage avec la science-fiction de nombreuses préoccupations. Et si on évoque la science-fantasy qui intègre dans ses récits les technologies et les sciences, on y entrevoit encore plus d’affinités.
Les dérives génétiques, les inventions mises au service de la guerre, la rencontre avec d’autres races trouvent autant leur place dans la SF que dans la fantasy.
Deux éléments demeurent néanmoins pour nous permettre de distinguer les deux genres. La fantasy reste proche de questions centrées sur les sciences sociales (sociologie, psychologie, poltique) tandis que la SF s’oriente plus souvent du côté des sciences dures (physique, chimie, génétique, mathématiques…). L’un n’empêchant pas l’autre.
Le second élément est affaire de regard. La science-fiction est le regard d’aujourd’hui sur demain. La fantasy est le regard d’aujourd’hui sur autrefois.
La fantasy navigue entre un monde parallèle au nôtre et une nostalgie d’un il était une fois…
En devenant plus complexe, en se répartissant elle-même en branches particulières (dark, urban, science, high, heroic…), la fantasy devient un univers aux mille facettes, d’une richesse qui parviendra peut-être à dépasser les valeurs et réflexions véhiculées par le fantastique et la science-fiction.
La fantasy est l’histoire d’un homme parmi les hommes.
La fantasy est ici et maintenant.
Voilà pourquoi le genre connaît actuellement tant de succès. Un dernier conseil : poursuivez l’exploration de ces mondes fabuleux qui ne sont finalement que le nôtre.
Christophe Van De Ponseele, le 07/02/2006
« La science-fiction est le regard d’aujourd’hui sur demain. La fantasy est le regard d’aujourd’hui sur autrefois. »
Je pense que cela résume tout. 😀