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  • Fées noires & Dames sombres – La Gouivre

    Fées noires & Dames sombres – La Gouivre

    La Gouivre

    gouivre
    © Pascal Izac

     

    La Gouivre hante les montagnes de Grande-Bretagne. Elle y guette le voyageur imprudent, celui qui ose par défi ou par ignorance porter ses pas sur le territoire de la fée. Elle l’attend, debout, dans le silence, au bord du chemin. Quiconque s’en approche la verra soudain hurler ou s’abattre sur lui, lui causant au mieux une terrible frayeur, au pire le recul fatal qui le fera tomber dans un ravin.

     

    Le ciel était dégagé ce matin-là. Chose plutôt rare dans ce pays battu la plupart du temps par les pluies et le vent. La lumière conférait à la montagne un air de bienfaisance qui contrastait lui aussi avec sa sombre réputation. Un groupe de randonneurs escaladait le flanc Est, profitant de cette éclaircie pour se réchauffer durant leur périple. Ils en étaient à la moitié de l’ascension lorsque l’un d’entre eux aperçut une brèche dans la roche. C’était l’entrée d’une caverne. La première qu’il rencontrait depuis leur départ. Leur groupe était constitué de huit personnes dont deux étaient des spéléologues chevronnés. Ils faisaient partie d’un club gallois, une bande de passionnés de spéléologie qui s’était mis en tête d’effectuer un relevé complet des grottes de la région. Une fois par mois, les amis se retrouvaient au pied d’une montagne pour en explorer les cavités avec autant de curiosité que d’impatience. Chaque mission était pour eux un vrai moment hors du commun, un départ pour l’inconnu et chacune de leurs explorations s’était soldée par une découverte à leurs yeux toujours exceptionnelle que ce soit par la flore, les minerais ou, chose encore plus appréciée par le petit groupe, des traces de vie humaine datant de la Préhistoire.

    A l’intérieur de la caverne régnait un noir absolu. Les lampes frontales balayaient les parois à la recherche de tout détail insolite. La grotte était profonde. Les spéléologues s’avançaient prudemment, en cordée, afin d’éviter que l’un d’eux ne tombe dans un gouffre dissimulé parmi les rochers. Devant eux se présentèrent deux conduits, l’un était trop petit pour s’y tenir debout et le groupe choisit d’explorer l’autre, où il ne fallait que légèrement courber le dos pour y circuler.

    Au bout d’une heure d’exploration, le groupe tomba nez à nez avec une salle. Les lampes reflétaient une brillance caractéristique des parois humides, ce que les doigts des explorateurs en herbe confirmèrent aussitôt : de l’eau suintait de toutes partes, s’écoulant le long des parois, formant au fil des siècles les stalactites et stalagmites qui apparaissaient sous leurs yeux ébahis. De telles formations, plutôt rares en cette région, étaient toujours une découverte extraordinaire. Les hommes s’avancèrent plus avant pour en voir davantage quand l’un d’entre eux cria. Il venait de faire une toute autre découverte. A ses pieds gisait un tas d’os. Les restes de repas d’un grand carnivore. Les huit lampes pointèrent vers le tas. Il y avait là des morceaux de divers animaux, en grande quantité. Certainement la cache de loups, d’un ours peut-être ? Les os semblaient bien vieux… Ou alors un site néolithique ? Un des membres du groupe trouva ce qui semblait être un crâne humain. Cela confirmait la dernière hypothèse, un ossuaire ancien. Les sourires remplissaient les visages. Leur périple n’allait pas être vain. La gloire allait bientôt auréoler leur petit club… C’est alors que l’un d’eux poussa un autre genre de cri, un hurlement d’horreur cette fois. Il venait de poser le faisceau de sa lampe sur un bras. Un bras ensanglanté, dévoré, dont des lambeaux de vêtements couvraient encore en partie la chair déchiquetée. Celui qui avait commis ce meurtre, cette ignominie était encore là ! Le groupe déguerpit et dans leur précipitation, arrivés à la hauteur des entrées des deux couloirs, ils n’entendirent pas le léger gémissement, le frôlement d’une masse s’avançant vers eux depuis les profondeurs du second conduit. Ils ne virent pas en surgir, dans leur dos, la fée malfaisante, le regard tordu de folie, la bave s’écoulant entre ses dents pointues et éparses, les griffes acérées pointées en avant. La Gouivre avait faim et l’odeur des hommes l’avait réveillée.

  • Fées noires & Dames sombres – La Succube

    Fées noires & Dames sombres – La Succube

    La Succube

    rubia
    © Pascal Izac

     

    Fille de Lilith, la Succube se glisse subrepticement sous les draps de l’homme endormi pour lui susurrer d’étranges pensées érotiques durant son sommeil. Séductrice, elle s’approche du pauvre mortel, drapée dans sa cape rouge conférant encore plus de pâleur à sa peau des plus blanches. D’une beauté sans égale, elle finit par vous attirer, entrouvrant son manteau pour vous pousser vers l’objet de tous les péchés. Votre corps serré contre le sien, elle aspire la vie en vous étreignant. Votre peau délicate se couvre de rides, vos cheveux blanchissent, vos dents se déchaussent… Il ne restera très bientôt de vous qu’un cadavre de vieil homme décharné.

     

    C’était un homme pieux le Firmin. Il ne manquait jamais l’office du matin. Ni les vêpres. On aurait dit qu’il passait son temps à l’église. C’est qu’il avait une chose à se faire pardonner le Firmin. Une de ces choses qu’on ne peut révéler en confesse. Il se savait damné, mais rien n’aurait pu l’empêcher de poursuivre sur la voie du péché. Ni les prières prononcées, ni les remords et regrets. Encore moins les coups qu’il se portait, afin de se punir de ce qui le rongeait.

    Il habitait la petite maison à la sortie du village, près de la forêt. Une simple masure pourvue d’une grange attenante. C’est dans l’annexe que cela se passait. Chaque nuit, il attendait son murmure, sa voix chuchotée à travers les murs et qui lançait l’inévitable invitation « Viens… »

    Alors, il sortait de chez lui, jetait un regard inquiet dans la rue. D’un côté, puis de l’autre. Il fermait la porte à clef et, muni d’une chandelle, ouvrait celle de la grange. La créature l’attendait, allongée sur la paille. La faible lueur projetée de la chandelle laissait deviner un corps nu, sulfureux. L’homme posa la bougie à côté de la Succube. Car tel était son secret : cette divine créature qui venait le visiter chaque soir depuis des mois ne pouvait être que l’engeance d’un démon. Sauvage, elle s’était donnée au Firmin qui n’avait jamais connu une telle extase. A un point tel que ses mains gardaient perpétuellement la mémoire des courbes de nuit caressées, que ses narines ne se désemplissaient plus du charnel parfum de la fée. Chaque nuit, il vivait un autre temps, et chaque matin, il pleurait. Non de honte d’avoir succombé au péché mais de joie, de cette incompréhension de pouvoir toucher, jouir d’une telle beauté lui qui possédait un visage ridé, une bouche sans dent et le corps amaigri d’un homme à l’âge passé. Il ne comprenait pas pourquoi elle l’avait choisi et cette incompréhension le torturait bien plus que la culpabilité. Il cherchait une réponse, c’est pourquoi il venait chaque jour aux messes sans oser aborder le sujet de ses occupations nocturnes avec le curé.

    Cette nuit-là fut encore plus magique. La créature paraissait insatiable. Son étreinte épuisait le pauvre homme. Malgré le fait de sentir ses forces le quitter, il ne pouvait refuser les avances de la dame. De peur qu’elle ne disparaisse, il caressait et caressait encore ce corps brûlant. Tout à son étreinte, il ne vit pas le feu se propager depuis le bout de chandelle posé sur la paille. Le couple enlacé faisait l’amour au cœur des flammes qui se reflétaient dans le regard de la Succube. Brusquement, elle poussa le vieil homme dans le brasier. Il hurla et de son pauvre corps meurtri, épuisé, une ombre jaillit que la Succube accueillit en son sein. Puis, elle disparut, emportant avec elle l’âme damnée du pauvre Firmin.

  • Fées noires & Dames sombres – Gwaernardel

    Fées noires & Dames sombres – Gwaernardel

    Gwaernardel

    gwaenardel
    © Pascal Izac

     

    Sur la fantomatique île de Man, hantée par tant de créatures issues des temps anciens, nul homme ne redoute rencontre plus maléfique que celle de Gwaenardel. Sa promesse n’est que mort, son désir qu’issue fatale. Elle vous capte d’un regard, décèle en vous l’esprit avide de gloire qu’elle s’empressera de nourrir tout en vidant vos veines de leur sang. Un seul de ses baisers vaut-il votre existence entière ? Ceux qui y ont goûté ne sont malheureusement plus là pour l’affirmer.

     

    Au fur et à mesure qu’il connaissait le succès, le poète dépérissait. Tout avait commencé un soir d’été, sur l’île de Man. Le poète fit la connaissance d’une fée. Elle était belle, de cette beauté du diable qui vous sépare de votre raison à l’instant. Il lui avait chanté des vers, maladroits, hésitants. Elle avait ri, d’un rire qui restait gravé en votre esprit comme s’il avait été de feu. Elle s’était approchée du poète, l’avait embrassé et son souffle pénétrant dans le corps de l’homme lui avait dévoilé une autre dimension. A partir de cette nuit, ses rêves ne furent que beauté et lorsqu’il ouvrait les yeux, le paysage s’offrait à lui dans sa plus grande pureté. Il posa avec une aisance invraisemblable les mots justes sur chaque objet qu’il décrivait. Il envoya un premier manuscrit et l’éditeur avoua plus tard avoir pleuré en le lisant. Les œuvres se succédèrent alors à un rythme effréné et le poète connut le succès, chose rare dans son art, de son vivant. On le réclama de toutes parts, les écoles programmaient ses textes en classe, les libraires se battaient pour le recevoir, les bibliothèques se l’arrachaient pour pouvoir l’écouter déclamer ses vers puissants, précis, aiguisés comme les plus fines lames, vous transperçant le cœur, y gravant l’amour et la beauté, la mort et la tristesse comme personne ne l’avait fait auparavant. Mais à chacune de ses apparitions, l’homme semblait vieillir, se racornir, se vider de sa vie. Au fur et à mesure que le verbe gagnait en puissance, son apparence déclinait. Et toujours, entre chaque voyage, chaque invitation, le poète insistait pour regagner l’île de Man où, secrètement, il retrouvait sa muse. Elle était la source de son inspiration, celle par qui lui venait toute idée. Il ne concevait aucunement écrire un mot sans la voir, la toucher, la chérir. Ses voyages l’épuisaient, ses créations le vidaient. Il vint un jour où, gris, pâle et d’une maigreur extrême, le poète eut tout le mal du monde à se traîner aux pieds de sa fée. Le voyant si affaibli, la Gwaenardel partit d’un rire. Mais ce dernier avait une toute autre saveur que le premier qui avait surgi de sa bouche et l’avait enivré d’amour pour elle. Non, celui-ci était sec. Il portait en lui de la moquerie, une aigreur abjecte. Ce rire le frappa en plein cœur. Avant de s’écrouler sur le sol, il ressentit une douleur immense dans le bras gauche. Au lieu de lui porter secours, la fée détourna le regard. Un fin sourire naissait sur ses lèvres alors qu’un jeune homme se dirigeait vers elle. Il avait l’allure d’un poète.

  • Fées noires & Dames sombres – La dame verte de Caerphilly

    La dame verte de Caerphilly

    dame_verte
    © Pascal Izac

     

    C’est sous la forme de lierre grimpant qu’apparaissent les traits de la Dame verte de Caerphilly. Nombreux sont les témoins qui ont aperçu au travers du feuillage serré les yeux fascinants de la fée, la silhouette de ses formes. Elle, autrefois belle et aimante grande Dame, trop aimante sans doute, ce qui provoqua sa chute et la malédiction de son époux.

     

    Pour qui découvre pour la première fois le château de Caerphilly, celui-ci ne peut que s’étonner de cette tour qui penche et menace à tout moment de s’effondrer. A côté de cette curiosité due à l’attaque des troupes de Cromwell, la forteresse bâtie par Gilbert de Clare tient toujours debout. Mais il existe une autre curiosité bien plus étrange qui se murmure de bouche à oreille dans le pays. On y raconte que la belle Alice d’Angoulême serait revenue de son exil ou de sa mort pour hanter les lieux…

    C’est au retour de la visite de ce château qu’Edouard V., l’un de mes amis les plus chers, me rapporta l’étrange phénomène dont il fut le témoin. Il était venu au château de Caerphilly accompagné de quelques connaissances tout aussi férues d’histoire anglaise qu’il l’était. Le plus important château médiéval d’Angleterre, après celui de Windsor, ne pouvait qu’attirer la curiosité de mon ami Edouard qui y vit là une belle occasion de revoir ses connaissances de cette période anglaise riche en batailles et changements. Avant sa visite, il était déjà bien au courant de la légende mettant en scène ce fantôme féminin qui rôdait dans les parages de la place forte. Cette petite histoire des plus croustillantes l’avait même poussé à en parler ouvertement avec leur guide qui se limita à en retracer l’essentiel. Une histoire d’amour, une infidélité et la rivalité entre deux hommes que tout opposait. L’un, fabuleux guerrier au corps robuste et doté d’une maladresse de sentiments commun à la plupart des gens brusques. L’autre, un dandy aimant, doué pour les caresses et les compliments, choses devant lesquelles les dames finissent toujours par succomber, bien plus que devant bravoure et coups d’épées. Quoiqu’en disent les romans d’aventure, la rose sera toujours plus agréable que la sueur, le doux mot poétique pourfendra toujours plus de cœurs. Mais la force unie à la colère frappent souvent et le malheur toujours se répand. Voilà la mie veuve de son amant, poursuivie des sbires d’un mari trompé. Les siècles ont passé, la jouvencelle rampe, dit-on, le long des murs de Caerphilly, Dame verte, fantôme gris.

    Le récit du guide avait presque endormi mon cher Edouard quand il se décida à quitter discrètement la compagnie de celui-ci pour s’aventurer le long des remparts. C’est là, qu’au détour d’une muraille, il vit aussi distinctement que je vous vois, un tissu de lierre trembler. La chose n’eut été pour le moins peu étonnante s’il n’y avait eu ce soir-là aucun vent. Se rapprochant au plus près, tentant d’apercevoir quel animal, oiseau ou gardien s’amusait à secouer ainsi le végétal, Edouard aperçut dans l’entrelacement des branches, la forme d’un corps. Se matérialisa devant ses yeux, la fameuse Dame verte de Caerphilly tentant à maintes reprises de se saisir de mon ami, faisant jaillir les traits d’un beau visage plaqué de feuilles et de brindilles. C’était comme si l’être essayait de sortir du lierre, pour prendre forme humaine. L’hallucination ne dura que quelques minutes, mais marqua durablement l’esprit de mon ami qui eut toutes les peines du monde à dormir cette nuit-là et bien des nuits suivantes.

  • Fées noires & Dames sombres – La Groac’h

    La Groac’h

    groach
    © Pascal Izac

    Fée bretonne des eaux, la Groac’h vit dans de sombres cavernes maritimes. Elle apparait sous de multiples formes. Tantôt jeune et belle afin de séduire les hommes et les transformer en poissons, tantôt vieille, laide, pourvue d’une bouche énorme ornée de dents de morse pour éloigner à jamais tout curieux de son précieux territoire.

     

    A chaque fois que le vieux Paul descendait sur la plage, on pouvait être sûr qu’il en revenait avec un objet curieux, un galet percé ou un bouquet d’algues aussi invraisemblable qu’indéniablement joli à sa façon. Cela durait depuis tant d’années que nul ne s’étonnait plus de ces présents amassés sur la plage et qui manifestement lui étaient destinés. Cela commença en réalité bien tôt. Le vieux gardien de phare aujourd’hui retraité venait d’entrer en fonction, il y a plus d’un demi-siècle maintenant. La première fois, il s’était endormi sur la plage. Quand il s’était réveillé, il avait trouvé posé à côté de lui, un collier de coquillages. Sur la plage, il n’y avait pas la moindre trace de pas mis à part les siens. Il avait pensé à un tour joué par quelque garnement et n’y avait attaché que peu d’importance jusqu’à ce que les jours suivants, à chaque descente sur la plage, il ne trouve un cadeau. Cela variait d’une dent de phoque à un panier de poissons. Il y eut même une fois, un petit caillou d’or qui permit au jeune homme d’alors de s’acheter une maison. C’est pourquoi il ne se passait plus une semaine sans que Paul ne se rende à la plage. On avait bien tenté d’apercevoir qui lui offrait toutes ces choses, un farfelu avait même eu l’idée de poser une caméra et de filmer Paul sur la plage sans que le défilement du film enregistré ne puisse faire comprendre comment l’homme avait reçu cette petite clochette dorée dont le tintement rendait un son que personne ne pouvait décrire. Il y avait là quelque chose de magique ou de sorcier ! Les langues allèrent bon train. Un enfant prétendait avoir croisé sur cette même plage, une magnifique jeune-femme toute de rouge vêtue. Un autre, une vieille édentée un peu folle habillée de noir. Les pêcheurs qui longeaient le rivage de ce côté parlaient d’un morse ou d’un phoque au comportement bizarre tandis que les anciens du village évoquaient les fées. Qu’importe ! Jean descendit chaque semaine sur cette plage enchantée pour y venir quérir l’objet insolite. Un jeu qui durait maintenant depuis cinquante ans. Sans que jamais personne n’en comprenne le sens ni n’en devine le coupable donateur.

    Mais voilà que le Jean, cette semaine ne passa pas devant l’estaminet qui bordait le chemin menant aux galets. Les uns après les autres, les villageois jetaient un œil inquiet vers le sable, étonnés de n’y point voir arriver leur ancien gardien de phare. N’y tenant plus, une délégation se rendit au domicile du vieux Jean. On découvrit son corps raide, couché dans son lit. Dans la main droite, une jolie pierre bleue, un cristal comme on en trouvait parfois, rejetés par la mer. Un morceau de verre poli par les vagues. Et sur son visage, la trace d’un sourire… On décida de mettre le corps de Jean dans le vieux cimetière, près de la plage qu’il aimait temps. Quant à son âme, il se murmure qu’elle fut emmenée par une Groac’h, cette vieille fée qui des années durant, s’était entichée du brave Jean.

     

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