Claude Seignolle – Le folklore au service de l’Imaginaire
Claude Seignolle
S’il est un auteur français qui mérite bien sa place parmi les plus grands fantastiqueurs francophones, c’est bien Claude Seignolle. Revisitant les légendes anciennes ou les grandes figures du fantastique, l’auteur nous emmène dans son imaginaire avec la justesse de ses mots et le plaisir sans nul pareil d’une écriture profonde et vraie. Entre amour du terroir et réflexion sur l’homme, le fantastique de Seignolle a un goût particulier dont on ne se délassera jamais. Regards sur l’homme et ses œuvres…
Certes, certains trouveront étrange de parler ici d’un écrivain fantastique, mais Claude Seignolle a bel et bien sa place dans les mondes féeriques car il est l’un de ceux qui a récolté patiemment les contes et légendes de nos terroirs. Sans lui, le Petit Peuple et ses histoires auraient été perdus !
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L’homme et ses outils : la pelle et la plume
La lecture d’Une enfance sorcière, récit autobiographique de Claude Seignolle, nous en apprend beaucoup sur l’auteur et cette sorte de prédestination à l’amour du passé, de ses pierres et de ses légendes. Claude Seignolle est né le 25 juin 1917 très exactement à 15 h dans le Périgord à Périgueux. Très tôt, il se met en chasse de vieilles pierres et se découvre une véritable passion pour l’archéologie. Il explique lui-même cette passion par une sorte de » destin » auquel il n’aurait pu échapper. Il se dit en effet atteint du » lithos » qui, nous explique l’auteur, est vulgairement appelé le » microbe de la pierre « . Il entassera dans sa chambre diverses trouvailles : pierres préhistoriques, morceaux de vases, etc. Mais son père ayant décidé de monter à Paris, le jeune Seignolle se voit contraint d’abandonner sa Sologne et ses vieilles pierres…
Mais lorsque le destin vous tient, rien ne peut le contrer et c’est au sein du lycée Lakanal, à Paris, que Seignolle va faire une première rencontre importante en la personne de son professeur d’Histoire qui, apparemment lui-aussi atteint du lithocoque, lui conseille de préférer la pelle aux leçons, décelant dans le jeune garçon, un chasseur de pierres en devenir. A quatorze ans, alors que le conseil disciplinaire de son Lycée le renvoyait pour son attitude jugée trop passive vis-à-vis de l’enseignement dispensé, Claude Seignolle se faisait appeler, par esprit de taquinerie, « cher collègue » à la Sorbonne ! Plus précisément, la présence assidue de ce jeune homme intéressé aux séances de la Société préhistorique Française l’avait fait admettre comme honorable membre actif. Sa première arme, la pelle, allait le servir à déterrer des trésors enfouis depuis des siècles et les marchés aux puces parisiens allait voir venir à eux un terrible négociateur, toujours à l’affût d’une quelconque « trouvaille ».
Depuis, l’homme se partage entre l’amour des légendes (nombreux ouvrages concernant le folklore et les légendes de différentes régions de France, voir chez Omnibus. A noter également que Claude Seignolle est très certainement un des plus grands spécialistes du diable et de ses légendes en France, de son érudition, il a également retiré de nombreux ouvrages majeurs comme » Les Evangiles du Diable « ) et l’inspiration qu’il retire de son travail de recherche pour les contes fantastiques qui l’ont fait véritablement connaître des amateurs de l’étrange. Son premier roman, Le rond des sorciers, publié en 1959 allait amorcer une belle carrière de conteur et allait le faire entrer en contact avec de futurs grands amis de ce docteur es-diableries : Jean Ray, Thomas Owen…
Ici, c’est bien entendu à l’auteur de récits fantastiques que nous nous attacherons et dans la suite de cet article, nous vous proposons un petit tour d’horizon de ses œuvres en nous arrêtant aux thèmes essentiels.
Vampires des villes et Loups-Garous des campagnes
Si Claude Seignolle est très apprécié pour ses récits tirés de légendes campagnardes ou situés dans un univers paysan, on oublie souvent qu’il a également écrit de somptueuses histoires placées dans un univers urbain. N’oublions pas qu’il a vécu après tout, longtemps à Paris ! Dans le recueil La Nuit des Halles, Seignolle nous confronte avec une créature qui aime à se lover dans les pierres citadines : le vampire.
Qu’il prenne la forme de mains-vampires venues chercher la matière première de l’inspiration du peintre El Chupador (Le Chupador, in La Nuit des Halles) ou qu’il prenne l’apparence d’une jeune fille de quinze ans, condamnée à se nourrir de » clients » sur les trottoirs de Paris (Pauvre Sonia ! in La nuit des Halles), le vampire, créature qui ressent le besoin de se rapprocher de ses proies et donc de vivre là où celles-ci se concentrent est bien une figure incontournable de la ville. On notera également dans cet imaginaire urbain des morts prenant le taxi (Nuits), une prostituée-araignée (Un petit monstre à louer au quart d’heure) ou encore des murs fantômes (Et si c’était !)… Enfin, La Brume ne se lèvera plus est un court roman contant la recherche désespérée de son amour par un jeune déserteur. Si le récit est moins à catégoriser dans le genre fantastique que d’autres histoires de Seignolle, il n’en reste pas moins empreint d’une atmosphère surréaliste, onirique et étrange. Et que dire de ce vieil organiste qui se présente à la fin du récit sous les traits de l’ange noir du héros ?
Mais rejoignons vite la véritable richesse à retirer des œuvres de Claude Seignolle. C’est bien dans les légendes du terroir que nous pénétrons avec plaisir en compagnie de ce merveilleux conteur. Commençons notre exploration avec une bête disparue de bien des contrées mais qui a laissé un souvenir vivace dans les villages : le loup. Avec Le Gâloup, Claude seignolle nous invite à pénétrer les pensées de la bête. Récit à deux voix, l’œuvre montre toute la force de l’animal, tantôt chasseur, tantôt proie… un régal ! Mais mieux encore, c’est avec le roman Marie-la-Louve que l’on découvre toute la force de l’écriture de Seignolle. L’histoire est celle de la jeune Marie amoureuse de Martin au déplaisir des parents de ce dernier. La rumeur qui entoure Marie n’est pas non plus sans venir renforcer la méfiance des parents de Martin. On raconte que lorsqu’elle n’était encore que bébé, un homme étrange était venu, au cœur de l’hiver, demander nourriture pour lui et ses bêtes. Les parents de Marie, découvrant avec horreur que les bêtes en question étaient des loups, se rappelèrent aussitôt la légende du Meneur de loups ! Pas question de lui déplaire. Une fois le repas pris, le meneur demanda à les remercier et transmis à Marie le don de guérir les morsures de loups tant que lui serait en vie… Et l’histoire de se construire autour de la légende, de nous faire frémir pour l’amour et les drames de Marie et Martin, de nous confronter à la dureté et la folie des hommes. A bien y réfléchir, le livre nous pose la question suivante : quelle morsure est-elle la plus dangereuse, celle du loup ou celle de l’homme qui colporte mensonge et infamie ?
Du loup, on en trouvera encore dans La morsure de Satan, où une fois de plus les croyances des gens joueront un mauvais tour…
Dans les campagnes revisitées par Seignolle on ne trouve pas que des loups, il y a également des malédictions comme dans Un viol , où un seigneur mort depuis longtemps se venge de ce satané bûcheron qui lui a fendu le crâne en portant le malheur à jamais autour de cette profession. Il y a aussi d’étranges objets comme cette statue que l’on retrouve en un lieu damné et qui augmentera la méchanceté de Jeanne, qui porte bien son surnom de La Malvenue.
Mais, au fond, toutes ces choses étranges qui se déroulent dans les campagnes, n’ont-elles pas une source commune ? Qu’ils soient malédictions, êtres damnés, monstres assoiffés de sang, sorcières et jeteurs de sorts n’ont-ils pas le même maître ?
Diable et sorciers
Et oui. Dans l’univers de Claude Seignolle, le diable a une place de choix. Le Mauvais, le Cornu, en sabots ou en pèlerine, il se déplace là où il est attendu ou là où on l’attend le moins… Mais toujours pour y apporter le mal et la désolation. Il récompense ceux qui le servent et châtie impitoyablement ceux qui tentent de lui nuire.
Mais à quoi ressemble-t-il cet être que l’on craint tant et si fort ? Qu’il nous soit permis ici de répondre à cette question par les descriptions que nous en fait Seignolle dans diverses histoires.
» Malgré la dureté de ses traits ravinant sa peau, il y a de la jeunesse dans ses lèvres, ce qui donne à imaginer qu’il ne doit pas avoir dépasser la quarantaine…peut-être moins mais pas plus… Son visage osseux évoque un masque ocré fendu de deux ovales allongés vers les temps, dans lesquels ses yeux verts ont une fixité animale. Sa tête, toute en hauteur, trop étroite, dépare un aussi grand corps et fait penser à un fruit non venu à terme, resté sur l’arbre, puis contrarié par quelque gelée. Le nez fort, pilier d’un front court barré par une chevelure noire, luisante, tranche ce masque et l’aide à pourfendre toutes les volontés qui tenteraient de s’opposer à la sienne. Il ne saurait en être autrement avec un tel soc d’autorité. Ses pommettes saillent, remontant les joues, les creusant aussi « . Ainsi est décrit Roc, le nouveau forgeron dans Le Diable en sabots. Ajoutons à ce portrait qu’il éprouvera de l’amour pour une femme mais lui avouera qu’il n’est pas bon. Une histoire qui met une fois de plus en avant la cruauté des hommes amenée par leurs croyances.
Et dans le Gâloup, le maître apparaît à la bête et nous apporte une description plus fidèle à l’imaginaire universel : » Là, gigantesque, sort de terre un être à facettes multicolores… Être d’or, d’argent et de puissance, mi-homme avec ses hautes jambes gainées d’étoffes arlequinées et ses longs bras perdus dans un vaste pourpoint cramoisi ; mi-bête avec sa queue aux poils hirsutes, ses sabots de corne et sa face de chèvre mécréante « .
Mais le diable se manifeste dans les récits de Claude Seignolle surtout au travers de ses serviteurs : sorciers et sorcières ! Et méfiez-vous bien de ces gens-là ! Ne soyez pas tel ce boucher ambulant, qui assassinait et découpait de riches personnes et revendait leur viande sous forme de boudins et autres quartiers aux gens de la région et qui, refusant de donner un cœur de mouton à un homme que l’on disait sorcier se verra en très mauvaise posture (Il ne faut jamais)… Ou tel cette femme qui voulant sauver sa vieille cousine alla chercher le secours d’un sorcier. Celui-ci donna au cerisier du jardin le mal dont souffrait la femme. Mais apprenez que jamais sorcier ne fait de bonne action sans qu’il y ait plus mauvaise en retour… Et la joie de l’homme retrouvant son aimée en parfaite santé ne dura que le temps d’abattre ce vieux cerisier pourrissant…(Une santé de cerisier).
Nous terminerons sur les derniers mots de Claude Seignolle contenus dans le document qui ouvre Histoires vénéneuses, recueil paru chez Marabout en 1976. Document intitulée De qui venait ce sang ? L’auteur nous confie que la passion pour le diable et ses sorciers provient très certainement d’une expérience vécue, enfant, lorsqu’il était parti à la recherche de trésors archéologiques et que, surpris par un orage, il avait trouvé refuge dans une grange. Là, il fut témoin d’un rite étrange. Un vieux berger, acceptant la présence du jeune homme, reçu une femme et son enfant malade. Certes, l’homme fut quelque peu sorcier car pour guérir l’enfant (ou l’offrir à son maître ?) il éventra un coq que la mère avait apporté, éclaboussant l’enfant de son sang. Durant ce rite, le jeune Seignolle fut également souillé du sang de la volaille et cette expérience le marqua tant que l’auteur semble y trouver là l’origine de son écriture : » En vérité, de Qui venait ce sang qui me marqua comme d’un don, mais d’une plaie et me lia aux forces obscures car, de ce jour-là de cet instant-là s’épanouit à jamais ma fascination pour l’enfer sournois qui couve sous l’humus de nos campagnes ? Mon âme en fut toute changée. Je commençais à voir clairement l’au-delà et à sentir les plus secrètes faims des êtres. Commença mon aventure pourpre. Commencèrent mes livres noirs « .
Octobre 2000
On signalera ci-après une succincte bibliographie et les traces de l’univers de Claude Seignolle au cinéma et dans la bande dessinée :
Bibliographie
Marie la Louve, Les Quatre-Vents, 1947 (aussi en Presses Pocket)
La Malvenue, Maisonneuve, 1952 (aussi chez Marabout n°215 et Presse Pocket)
Le diable en sabots, Le Terrain Vague, 1959 (aussi chez Presses Pocket)
La brume ne se lèvera plus, Le Terrain Vague, 1959 (aussi chez Marabout n°419)
La Nuit des Halles, Morgan, 1965 (aussi chez Presses Pocket)
Les Evangiles du Diable, Maisonneuve, 1964 (aussi chez Omnibus)
Contes sorciers, Marabout, bibliothèque fantastique, n°465
Histoires maléfiques, Marabout, bibliothèque fantastique, n°230
Contes macabres, Marabout, bibliothèque fantastique, n°244
Récits cruels, Marabout, bibliothèque fantastique, n°282
Les Loups verts, Marabout, bibliothèque fantastique, n°353
Histoires vénéneuses, Marabout, bibliothèque fantastique, n°419
Contes, récits et légendes des pays de France : Nord, Flandres, Artois, Picardie, Champagne, Lorraine, Alsace, Bourgogne, Franche-Comté, Paris, Omnibus, 1997.
Cinéma
Le Faucheur, Court métrage, N/B, Alain Gassener, 1969
Désirée la Sangsue, Court métrage, couleur, Jean-Claude Boussard, 1971
Celui qui avait toujours froid, Court métrage, couleur, Atahualpa Lichy, 1972
Pauvre Sonia, Court métrage, couleur, Dominique Maillet, 1975
Le Miroir, Court métrage, couleur, Dominique Maillet, 1976
Marie la Louve, Téléfilm, couleur, Daniel Wronecki, FR3, 1991
Bande dessinée
La Malvenue, Bruno Loisel, Anvers, Loempia, 1988
Le Gâloup, Bruno Loisel, Anvers, Loempia, 1990
Le meneur de loups, Editions Mille regards, 1996