Catégorie : Interviews lutines

Petites rencontres en Féerie…

  • Nicolas Jarry – interview

    Nicolas Jarry
    Le faiseur de mondes

    Partagé entre l’écriture de romans et de bandes dessinées, Nicolas Jarry s’est très rapidement hissé parmi les scénaristes les plus prolifiques. Nous l’avions rencontré en 2000 au festival fantastique de Bruxelles, au moment même où sa route croisait celle de Jean-Luc Istin et où naissait sa destinée en BD. Nous le retrouvons aujourd’hui avec une dizaine de séries à son actif. Une belle occasion pour en faire le tour.

    Au moment où nos chemins se croisent à nouveau, Nicolas Jarry était accompagné de Reno, dessinateur de Valamon, série de capes et d’épées et, bien entendu, de fantasy.

    ValamonComment s’est faite votre rencontre pour ce projet Valamon..
    Nicolas Jarry: Thierry Joor m’a dit : « j’ai deux dessinateurs, le premier c’était Reno, le second Luigi Fettone. L’un a un style proche de Rosinski, l’autre de Marini ».
    Reno: Les comparaisons, déjà, ça met tout de suite à l’aise (rires)
    NJ: Je lui ai dit : « Ben ok, je suis partant, je te fais des scénarios. J’ai donc fait 3,4 pages de Valamon et Thierry a fait passer.
    R: Moi, j’ai lu le scénar. J’ai de suite commencé à faire des crobards, je les ai montrés à Thierry qui m’a dit qu’il y avait sûrement un truc à faire.
    NJ: Thierry a donc tout calé, tout pris en mains et nous avons commencé à bosser quand c’était ok.

    L’univers capes et d’épée, la fantasy, pour toi c’était un territoire connu ?
    Reno: Moi j’étais plus dans quelque chose d’alternatif. Pour moi la fantasy est quelque chose de plus soft, on peut y aller à petites touches, imaginer des choses… Mais je trouvais qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire…

    Et tu connaissais déjà les œuvres de Nicolas Jarry ?
    R: Pas du tout.
    NJ: A l’époque, je n’avais pas grand-chose. J’avais commencé les Brumes d’Asceltis et les Chroniques de Magon, c’est tout.

    C’est donc un projet qui…
    NJ: …a mis longtemps à démarrer, oui.
    R: Mea Culpa. En fait, j’ai mis beaucoup de temps car j’ai d’abord fait 3 tomes jeunesse chez Tchô dans un style SF humoristique. Il m’a donc fallu un temps d’adaptation.

    Et pour toi, l’histoire de Valamon existait depuis quelque temps ou non ?
    NJ: Non, il y avait une envie mais je ne l’avais pas écrite. Il y avait juste ce personnage, l’idée d’un cape et d’épées avec des dialogues un peu truculents. Le côté Le Bossu, quoi…

    Dans ce premier tome, trois choses m’ont frappé. La première c’est l’emprise du religieux dans le politique…
    NJ: Oui, ce qui m’a aussi donné l’envie d’écrire ça ce sont les Trois Mousquetaires, donc forcément le personnage emblématique du Cardinal Richelieu. Le religieux devait avoir un pouvoir. On verra dans la suite qu’il y a 3 pôles de pouvoir : l’Impératrice, ce «Richelieu» qui est le haut pontife et la chambre des chevaliers qui fait contrepoids. Le haut pontife s’appuie sur ces terres et cette religion par laquelle il a asservi tous les paysans et les culs-terreux. Le reste de l’Empire étant complètement tourné ver la mer, les habitants des terres sont méprisés par l’empire.

    Votre façon de travailler ?
    NJ: Très simple. Je lui ai fourni le scénario en entier et quatre ans après j’ai eu la fin (rires).
    R: Pour le prochain, ce sera optimisé dans tous les sens ! Faut dire qu’il m’a fallu 3 ans pour vraiment m’y mettre et 3 mois pour l’achever. Sinon, pour ma façon de bosser le dessin, j’utilise beaucoup l’ordinateur pour les décors, la lumière… mais je voulais un aspect naturel. Il fallait que ce soit un peu granuleux, corresponde à l’idée de l’époque où cela se passe… J’ai donc pas mal bossé sur cet aspect-là.

    Deuxième chose qui m’a particulièrement marqué, cette histoire d’albinos…
    NJ: C’est un peuple issu d’un petit archipel. Des hommes qui ne sont pas considérés comme tels mais comme des sauvages. En fait, on reste très classique presque historique tout en se permettant un visuel fantasy. On va rester sur des grandes thématiques. Ce n’est pas du racisme à l’époque, c’est une réalité, c’est comme ça que les Occidentaux voyaient les autres peuples.

    Cet aspect fait penser à tes chroniques d’un guerrier Sînamm, roman où il y avait déjà cet aspect tribal…
    NJ: Je crois que j’ai été très marqué par L’enfant des 7 mers de Sulitzer. Avec les Ibans, qui sont sur un navire, ce sont des sauvages à moitié barjots. Ici, il n’y a pas que ça, il y a aussi la problématique de l’esclavagisme. Mais oui, j’ai tendance à insérer des «sauvages» peut-être aussi pour agir comme un miroir. Montrer aussi la société, l’évolution de la société, c’est une bonne jauge.

    Pour travailler les oppositions aussi ?
    NJ: Oui, c’est ça, c’est un peu un miroir inversé. Un contraste de civilisations… C’est un élément qui dans Valamon casse cette situation un peu homogène. Ça apparaît dans le tome où tout a l’air logique, de couler de source. On ne se rend même pas compte que c’est de la fantasy. Et tout à coup apparaissent ces albinos. Et du coup, on remet tout en question.

    Le troisième point c’est quand le chevalier Armand brise son serment.
    NJ: Il y a ça et une petite image où on voit Fassendre aussi. Ces personnages sont liés à Valamon, je ne pouvais pas les abandonner comme ça. Armand a son histoire, elle ne prendra pas le pas, forcément, mais on va avoir plusieurs destinées qui vont se dérouler parallèlement à celle de Valamon. Il n’y aura pas de quête, mais plutôt des histoires humaines.
    Valamon est le personnage central, le héros ou l’anti-héros on va dire. Et à côté de ça, il y aura plusieurs destinées. On va découvrir dans le tome 2, un vieux chevalier qui a été à l’origine de pas mal de problèmes. On est dans l’historique, dans le capes et d’épées où les petits problèmes personnels se retrouvent au centre de drames se passant dans les hautes sphères. Des histoires d’amour, des trahisons, des complots…

    Petit saut vers Maxime Murène. On a appris la bonne nouvelle d’une suite. Ce n’était pas ton premier projet ?
    NJ: Si, Maxime Murène est mon premier scénario. Premier album signé mais pas premier album sorti. Cela a mis un peu de temps à sortir également. David (ndlr : David Nouhaud, le dessinateur du premier tome) partait un peu de zéro donc le temps de tout apprendre..

    Au départ c’était un one-shot ?

    NJ: Au départ, une série, mais David ayant beaucoup bossé sur le premier, il n’était pas très chaud pour une suite. On a décidé d’en faire un one-shot en gardant une ouverture vers une série. Moi, j’avais l’espoir de faire un deuxième tome, il y a matière pour des suites.

    Tu disais de Valamon qu’il était un anti-héros, ici c’est le cas à 100%.

    NJ: Pire que ça…. Il a quelque chose d’humain qui le rend sympathique mais c’est un vrai démon. C’est quelqu’un de fondamentalement amoral. Il a les défauts de l’être humain poussés à l’extrême.

    Et les murènes, un animal que tu apprécies ? On en croise également dans Valamon…
    NJ: Oui, la murène est un animal fétiche. Un animal qui attend dans les murailles avec sa mâchoire qui peut t’arracher un bras. Y a un côté «serpent des mers».

    Tu disais dans une précédente interview autour des chroniques de Magon, qu’Asmo était ton personnage préféré. Là encore, c’est le mauvais garçon…
    NJ: Rien ne me fait plus plaisir que lorsqu’un héros endosse le manteau de méchant. Au sens bad boy. Apparaît alors un côté incontrôlable très intéressant. Quand on est scénariste ce n’est pas le héros gentil mais celui qui se rebelle qui nous intéresse. Il nous surprend même en scénarisant.

    Par rapport aux lecteurs, tu ressens également une plus grande appréciation de héros bad boy ?
    NJ: Je pense que Maxime Murène ou Asmo n’ont pas rebuté les lecteurs. Tout le monde le dit, il y a quelque chose d’attirant en eux. L’important, c’est de les rendre humains. À partir de là, le lecteur peut s’identifier et lui trouver des excuses atténuantes. À partir du moment où tu le rends humain, tu peux faire ce que tu veux de ton personnage.

    Autre chose qu’on remarque souvent dans tes œuvres, ce sont les dialogues. Les dialogues dans Valamon, dans Maxime Murène sont parfaitement adaptés à l’histoire..
    NJ: IL y a deux chose que j’adore dans l’écriture d’un scénario. Primo, le packaging, c’est-à-dire l’univers dans lequel les héros vont évoluer, et les dialogues. Quand je sais que j’ai trois pages et donc un peu de latitude pour le développer, je ne fais pas de découpage, je fais un dialogue comme pour une scène de théâtre. Et seulement ensuite, je fais mon découpage. C’est vraiment le dialogue qui guide la scène.

    Tu travailles une BD à la fois ou toutes en même temps ?
    NJ: J’essaie de travailler une BD à la fois. Des fois, je stoppe une bd. J’en avance une autre, puis je termine la première. Histoire aussi de prendre un peu de recul. Valamon je l’ai faite en une fois parce que le scénario était tellement imbriqué, il y a 5 ou 6 personnages qui vivent des choses imbriquées… il fallait que j’arrive au bout pour voir si tout correspondait bien.

    Est-ce que tu dois te mettre dans une ambiance par univers, écouter une musique particulière ?
    NJ: Non. Le simple fait d’avoir les dessins me suffit. Avant de créer, je me documente pas mal. Après ça, je n’en ai plus besoin. La seule chose c’est qu’il me faut 2 ou 3 heures avant de vraiment me plonger dans l’univers. Une fois que j’y suis, c’est un peu en roue libre…

    Et d’où te viennent les idées ?
    NJ: Quand je travaille avec France (ndlr : France Richemond, co-scénariste de La Rose et la Croix, Le trône d’argile), c’est elle qui me donne la matière première et je scénarise. Sinon, les idées viennent en regardant un film ou autre chose mais ensuite je me base sur rien du tout.

    Le fait d’avoir travaillé avec l’historienne France Richemond, cela t’a aidé pour Valamon ?
    NJ: Effectivement, ça m’a structuré pour plusieurs choses. Le côté historique, je fais des romans avec elle et son côté plus rigoureux m’a apporté quelque chose. Elle a été prof d’Histoire et m’a dévoilé en quelque sorte les mécanismes sous-jacents à l’Histoire, des trucs qu’on apprend pas en cours. Tout ça apparaît beaucoup plus logique après. Elle m’a appris également à traiter les personnages psychologiquement, en évitant les archétypes. Avec les femmes, j’étais un peu trop dans l’archétype, trop «macho»…

    Les Brumes d’Asceltis

    Dirigeons-nous vers les Brumes d’Asceltis avec Jean-Luc Istin… On a toujours cette impression, tu m’avais contredit à l’époque, d’un Seigneur des Anneaux…
    NJ: Oui, c’est dû au côté très fantasy classique. C’est une série très classique, c’était l’objectif. Maintenant, rien n’est gratuit. Tous les éléments aperçus au fil des tomes amèneront dans le dernier à un final qui devrait assez surprendre le lecteur.

    On sent au fil des tomes que cette série mûrit. Je n’étais pas convaincu au tome 1 mais au plus on avance, plus cela devient intéressant.
    NJ: Oui, c’est ma première série aussi. Même si Jean-Luc m’a beaucoup aidé, il a fallu du temps pour construire les personnages, l’histoire… J’ai eu le temps d’apprendre à connaître mes personnages, de les travailler, c’est pourquoi j’ai pu aller plus loin par la suite. C’est pour ça que je pense que le tome 4 apportera vraiment quelque chose de spécial. On va se rendre compte que ce n’était pas qu’une simple quête…

    C’était ton univers le plus difficile ?
    NJ: Non, au contraire, c’est un univers où justement je suis en roue libre, je me laisse aller. Et puis Jean-Luc en fait beaucoup derrière, il s’est beaucoup investi dedans.

    Jean-Luc Istin est crédité comme co-scénariste au tome 3 d’ailleurs…
    NJ: En fait, il y a eu un remaniement, une petite période de crise. C’est vrai que la fin, je ne l’avais pas sentie et Jean-Luc a repris les choses en main. Pour le tome 4, on a travaillé différemment. Je lui ai écrit un roman et il a carte blanche. Je lui ai donné les dialogues, la description et à lui de jouer.

    Le tome 4 devrait terminer la série mais y a-t-il une envie de replonger dans cet univers ?
    NJ: Avec Jean-Luc, je pense que ce sera fini car il a tellement de boulot. Peut-être que lui fera un jour un one-shot car il aime bien l’univers. De mon côté, j’ai sorti une histoire dans cet univers, les Exilés d’Asceltis, avec un italien, Deplano. Pas un remake, mais vraiment une autre histoire qui se passe 8000 avant. Je raconte l’histoire des Naabdirs.

    Chemin d’Avalon

    On passe au Chemin d’Avalon. Une imagerie assez enfantine mais un récit trash ? Une volonté d’accrocher un public plus jeune ?
    NJ: Non, du tout. Mais c’est vrai que le dessin et l’histoire… Du coup je ne sais pas comment aborder la série. Une imagerie plus light, plus jeune… Oui, il y avait un risque mais on avait envie de le faire. On va pas aller dans le trash mais je me suis fait plaisir. Après réflexion, les Chemins d’Avalon est plus une BD pour adultes.

    Les dessinateurs, tu les trouves comment ?
    NJ: Certains, c’est par internet tout simplement comme pour Tokyo Ghost. Sinon, c’est pas mal par copinage. Les dessinateurs vivent souvent par bande, ils ont un instinct grégaire très fort (rires). Quelqu’un me présente un dessinateur qui a fait une école avec lui ou qui est en colloc, et puis ça accroche ou pas au niveau du dessin mais aussi au niveau feeling humain avec le dessinateur…

    Avec Aves, qui sort en septembre prochain aux éditions Soleil, tu touches à la SF et au space opera. Une envie particulière de sortir du cadre « fantasy » sans toutefois s’en démarquer totalement puisqu’on y retrouve l’idée d’un enfant-élu, un thème finalement très fantasy, non ? Le space opera est-il pour toi la transcription d’une fantasy dans l’espace? Arleston l’a d’ailleurs démontré en amenant son Lanfeust dans les étoiles…
    NJ: De toute façon, le space op, c’est de la fantasy avec des vaisseaux. Les fondamentaux sans être identiques, sont très proches, surtout au niveau de la liberté de création (et même dans la narration). Seulement, le space op permet de donner une autre dimension à l’histoire, plus vaste, illimitée. J’aime aussi l’idée qu’on se positionne dans un futur possible, même si improbable. On est au-delà l’anticipation, mais on reste dans le «pourquoi pas».

    Quels sont tes projets?
    Boucler mes séries les unes après les autres et me remettre au roman ! Je suis en train de réécrire la trilogie du Loup de Deb pour une possible ressortie en fin d’année. Et accessoirement apprendre à bricoler.

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  • Gwendal Lemercier – interview

    Gwendal Lemercier
    Un dessinateur 100% légendes

    Gwendal Lemercier adéjà exercé son art dans les Contes de l’Ankou et les Contes des Hautes Terres. Il débute cette année 2007 de fort belle façon puisqu’il signe les magnifiques dessins de Dragons, un indispensable pour tous ceux qui se passionnent pour ces créatures. Mais la grande actualité de l’auteur est la sortie toute prochaine du premier tome des Arcanes d’Alya. L’occasion pour nous de vous dévoiler ses propos et quelques fragments de son art.

    Dragons

    Première actualité, ce magnifique livre sur les dragons. Un travail en collaboration avec Thierry Jigourel. Comment avez-vous procédé à sa réalisation?
    Le livre Dragons a commencé une fois le texte de Thierry abouti. On a fait un premier découpage texte/image de façon à faire ressortir les images fortes et pour conserver une limpidité au niveau de la narration. Le fait qu’on soit bretons tous les deux nous a permis de nous voir assez souvent; de faire des repérages au besoin. Ça a été le cas à Quimper et à Perros Guirrec. Même si le reste du temps, on collaborait par internet parce que la gestation d’un tel ouvrage se fait sur 8 mois. Il y a donc eu un temps en atelier assez long. Ce qui permettait de mettre au point un style qui nous convenait: un mélange encre/gouache et brou de noix pour vieillir un peu l’aspect de certaines illustrations. On gardait l’idée d’un journal tenu par ce journaliste du début du siècle.

    Vous avez également voulu donner à cette œuvre un aspect vieux grimoire…
    La maquette est calquée sur le thème du livre… Le côté parcheminé permet de conserver l’atmosphère des illustrations tout en aérant et mettant en valeur le texte. Le style vieux grimoire nous correspondait bien sachant qu’on touche au fantastique tout au long du livre.

    Les dragons, un thème qui vous fascine depuis longtemps ?
    Personnellement je suis attaché a ce thème. C’est un animal fantastique très intéressant à dessiner et à mettre en situation. Il incarne très bien l’univers fantasy dont je m’inspire en tant qu’illustrateur.

    On vous sait breton, le fait d’avoir grandi et de vivre sur une terre de légendes est-il à l’origine de cette passion pour l’Imaginaire ?
    Je pense que le fait d’être breton permet d’avoir une prédilection pour l’imaginaire à cause des paysages riches et variés qui racontent toutes sortes d’histoires. C’est vrai que le folklore est lui-même très riche. Le fait d’avoir une attirance pour l’océan y est également pour beaucoup. On voyage toujours en rêve, en contemplations.

    Vous avez déjà pu approcher le légendaire via une collaboration sur les Contes des Hautes Terres aux éditions Delcourt et la collection Soleil Celtic…
    J’ai connu Guillaume Sorel et Matthieu Gallié pour collaborer sur les Contes des Hautes Terres. Ça touche aussi au légendaire mais davantage dans Algernon Woodcock. De la même façon, j’ai partagé ces thèmes de l’imaginaire breton avec Jean-Luc Istin. On s’est retrouvés sur la série du collectif de l’Ankou chez Soleil Celtic. C’est avant tout grâce à cette passion pour la Bretagne et ses légendes que ces rencontres ont été possibles.

    Si Dragons est plus un univers illustré, votre autre actualité est la sortie d’une série BD, les Arcanes d’Alya. Alors première question, parlez-nous de la technique suivie pour le dessin et la colorisation…
    Pour servir cette série, on a opté pour un traitement en noir et blanc avec une colorisation à l’ordi. Mais certaines pages sont en couleurs directes : encres et gouaches pour illustrer la légende d’Alya ainsi que ses rêves, ce qui est indépendant de l’aventure de notre héroïne.

    AlyaLes Arcanes d’Alya nous conte les aventures d’une jeune femme. Pourquoi une héroïne plutôt qu’un héros ?
    Le choix de l’héroïne est venu naturellement quand Jean-Luc (ndlr : Istin) a vu mes dessins. Puis, l’idée de travailler sur des jumelles s’est faite avec François Debois. On a de fait une relation spéciale à explorer entre l’héroïne et sa soeur.

    Vous avez opté pour un univers Dark Fantasy et vous nous entraînez au travers de la mort et des enfers. À partir de quoi avez-vous travaillé pour la représentation des enfers ?
    C’est vrai qu’on utilise un univers très particulier pour visiter la dark fantasy. Certains endroits neutres sont stylés dans un mélange médiéval/Art Nouveau et j’utilise l’architecture gothique et romane pour traiter différents endroits de nos enfers. Ces styles d’architecture permettent de situer les différentes parties de l’univers qu’on visite. Pour la porte des enfers, par exemple, j’ai travaillé d’après Rodin. Pour le reste, je me nourris beaucoup de photos sur l’architecture gothique et l’Art Nouveau.

    On remarque à la fois un travail sur les corps et un somptueux travail sur l’architecture. Est-ce votre côté illustrateur qui vous a poussé à donner autant de détails sur certaines images ?
    Oui, je pense que ça fait partie des envies et des plaisirs de l’illustrateur…
    Le détail permet de bien visiter l’univers que l’on met en place et pour un premier tome, c’était important pour moi de bien m’inspirer, notamment des décors, pour avancer dans l’histoire.

    Avez-vous d’autres projets ?
    Essentiellement un travail d’illustration sur l’univers de cette série et bien sûr la suite dans un tome 2 en cours de réalisation.

    DRAGONS –Jigourel & Lemercier, Soleil.
    Il fut un temps où les dragons n’étaient pas les créatures maléfiques qu’ils sont devenus lorsque le pays tomba sous la coupe des légions de Sauroctones. Il fut un temps où les armées d’Arthur et d’Uther gagnaient des batailles sous leur protection et leur bienveillance. Mais Mélar, jeune journaliste au Quimpérois, le sait-il ? Grâce à l’aide précieuse d’un vieux «draconologue» breton et de l’un de ses amis Irlandais, il parviendra à résoudre l’énigme et à comprendre la présence et le langage de ces êtres immémoriaux.

    LES ARCANES D’ALYA
    T1: La chasseresse écarlate – Debois & Lemercier, Soleil.
    Brynn est une chasseresse pour le compte de Dame Mort. Elle est chargée de trouver les âmes qui peupleront son monde. Mais Brynn va se rebeller contre sa reine pour sauver l’âme de sa soeur jumelle, Aileen, avec qui elle a toujours partagé une relation fusionnelle. Cette révolte la mènera au coeur des enfers et aux tréfonds de ses souvenirs les plus douloureux…

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  • Edouard Brasey – interview

    Edouard Brasey

    Il était une fois le Merveilleux…

    Après Pierre Dubois, nous poursuivons nos rencontres avec les amis du petit Peuple et de l’Imaginaire. Cette fois-ci, c’est le conteur et auteur Edouard Brasey qui nous entretient des univers féeriques. Lui qui vient d’entamer un projet bien ambitieux sous la forme de l’Encyclopédie du Merveilleux aux éditions Le Pré aux Clercs.

    Né le 25 mars 1954 à Marseille, Edouard Brasey effectuera d’abord des études en politique et en droit pour opter pour les sciences-économiques lors de son passage à l’ESSEC en 1977. Tout cela le mène à travailler dans un cabinet d’audit américain, puis, très vite, à devenir journaliste économique et enfin journaliste littéraire pour le magazine Lire. C’était sans compter sur les fées qui allaient lui suggérer d’emprunter un autre chemin. Titulaire d’un DEA en études cinématographiques en 1984, et fort de son expérience de journaliste, Edouard Brasey passe à l’écriture d’essais divers et se révèle dans une autre passion : l’art de conter. Si le conte le mène à rencontrer le public lors de nombreux spectacles, la plume l’entraîne dans le tourbillon de Faerie avec une première Enquête sur l’existence des fées et des esprits de la nature (Filipachi 1996, J’ai Lu 1998). Mais on le connaît surtout pour la collection l’Univers féerique chez Pygmalion ainsi que pour Le guide du Chasseur de fées (Le Pré aux Clercs, 2005). Et voilà que cette même année allait aboutir, avec la parution en octobre 2005, à l’Encyclopédie du Merveilleux.

     

    Peuples de la lumière

    Peuples de la LumièreLe premier volume de cette encyclopédie parue aux éditions Le Pré aux Clercs porte sur les peuples de la lumière. Anges, fées, elfes, nains, djinns et nymphes se partagent les nombreuses pages bien documentées, parsemées d’anecdotes. A ce premier tome feront suite des volumes consacrés à un bestiaire féerique, aux peuples de l’ombre , aux héros, aux lieux de légendes, aux objets. Un sixième et dernier tome prévu devrait faire la part belle aux auteurs de l’Imaginaire. Une œuvre colossale qui garnira bientôt toutes les bibliothèques des passionnés de merveilleux, de fantasy et de féerie.

    La magie de Sandrine Gestin

    Cerise sur le gâteau, un soin particulier a été apporté à la maquette et aux illustrations. Sur des pages imitant le parchemin, une très jolie iconographie mêlant tableaux de maître et esquisses diverses. Le livre a également bénéficié du talent de Sandrine Gestin, reconnue aujourd’hui comme l’une des meilleures illustratrices de l’Imaginaire avec une prédilection pour les êtres de lumière. Autant dire que l’accord pour ce premier volume est parfait.

    La parole au conteur

    Laissons maintenant l’auteur de cette ravissante encyclopédie répondre aux quelques questions que nous avons voulu lui poser…

    Comment est née votre passion pour l’Imaginaire ?
    Edouard Brasey : Je crois que j’ai toujours considéré l’Imaginaire non pas comme un refuge ou une évasion, mais comme l’intégralité du Réel, dont ce que nous nommons « réel » n’est qu’une petite succursale, celle où nous vivons… La présence de l’invisible me semble une réalité incontestable, une nécessité. Il y a quelques années, un journaliste sceptique avait demandé à Jeanne Moreau, alors qu’elle avait joué le rôle d’une fée dans un film, si elle croyait à l’existence des fées. Elle répondit, superbe: « J’y crois plus qu’à la vôtre… »

    Sur votre site, on propose un voyage conté en Afrique du Nord. Une terre particulièrement riche en contes ?
    Oui, bien sûr. Dans le désert, on raconte encore comme il y a deux mille ans. J’ai raconté dans le désert blanc d’Egypte au coucher du soleil, pour un groupe de Français, mais les chameliers égyptiens écoutaient. Même s’ils ne comprenaient pas notre langue, ils m’ont remercié à la fin et m’ont qualifié du terme de « vieil homme ». Ce qui pour eux voulait dire: « le sage », celui qui a suffisamment vécu pour raconter des histoires. C’était un beau compliment qui m’a beaucoup touché…

    Après plusieurs ouvrages sur les créatures féeriques chez Pygmalion, voilà que les éditions du Pré aux Clercs vous confie un projet plutôt ambitieux: une véritable Encyclopédie du Merveilleux. En quelques mots comment définissez-vous ce terme « Merveilleux » ? On pense de prime abord aux fées mais un des tomes portera sur les ombres dont le vampire… A prendre dans un sens très large dans ce cas ?
    Je définis le Merveilleux comme la présence permanente du miraculeux et du magique dans notre vie,

    Le Bestiaire fantastiquecontrairement au fantastique qui suppose l’ingérence d’un surnaturel inquiétant dans le réel. Cela dit, vous avez raison de souligner que je vais consacrer un tome de l’Encyclopédie du Merveilleux à des créatures liées plutôt au fantastique! Mais au-delà des genres, l’idée est en effet de brosser un inventaire le plus complet et exhaustif possible de ce que l’on appelle l’Imaginaire: les êtres de Féerie, les vampires et démons, les trésors et objets magiques, les lieux imaginaires et îles enchantées, les héros et personnages, les créateurs… Cela n’a jamais été fait, en France du moins. Et cela manquait cruellement…

    Le terme « encyclopédie » fait de suite penser à celles de Pierre Dubois ou encore aux ouvrages universitaires de Claude Lecouteux. En quoi la vôtre est-elle semblable ou différente ?
    Je connais bien Pierre Dubois, qui est un ami, ainsi que Claude Lecouteux. Ce dernier est un pur universitaire. Celui-là est un poète, qui prend beaucoup de libertés avec ses sources documentaires en brodant à sa manière. Disons que je me situe modestement à mi-chemin, en essayant de concilier la rigueur de la recherche et le sérieux de la documentation avec une volonté de lisibilité, de clarté, voire d’humour. Je m’adresse à un public curieux de Fantasy ou de mythologie et qui désire savoir d’où viennent toutes ces croyances, à quelles sources elles s’alimentent… Tout en se divertissant.

    N’est-ce pas un peu paradoxal pour un conteur d’écrire des encyclopédies ? Pour un inventeur d’histoires de choisir des définitions précises ? Les dictionnaires et encyclopédies ne sont-ils pas des outils qui limitent l’imaginaire ?
    Au contraire! Car les sources auxquelles je me réfère sont vivantes: il s’agit de la tradition des légendes, des contes, des mythes, du folklore, que l’on trouve dans les livres, bien sûr, mais qui viennent avant tout de la tradition orale… Conter le monde féerique ou l’inventorier dans une encyclopédie correspond pour moi à deux aspects indispensables et complémentaires…

    Peut-on espérer un ancrage actuel dans un des tomes de cette encyclopédie, une sorte d’état des lieux d’aujourd’hui ?
    Oui, bien sûr. Nous avons prévu un tome sur les créateurs d’hier et d’aujourd’hui. Il y aura Tolkien, bien sûr, mais aussi les auteurs contemporains et les illustrateurs.

    L’illustration et la maquette sont très réussies… Sandrine Gestin fut véritablement un choix judicieux. Une volonté de proposer un bel objet ?
    Je connaissais Sandrine pour l’avoir rencontrée il y a quelques années au Salon du Livre de Figeac consacré au Fantastique. J’ai proposé son nom à l’éditeur, nous l’avons contactée et elle a accepté avec enthousiasme. Elle a notamment créé tous les croquis, une façon de dire: ce sont des êtres invisibles, on n’a pas le temps de les peindre, ils ne posent pas assez longtemps! Oui, nous avons voulu reproduire l’esprit des ouvrages médiévaux somptueusement enluminés. D’où le choix également du papier couleur de parchemin…

    On parle d’un succès pour l’imaginaire féerique ces dernières années en France. Comment expliquez-vous cette arrivée tardive et assez timide alors que ce n’est pas le cas dans la culture anglophone, par exemple ?
    Nous avons beaucoup de retard par rapport aux Anglo-Saxons, qui baignent véritablement dans cette culture. Nous autres Latins à culture cartésienne avons plus de difficultés avec le monde de Féerie. Pourtant, il s’agit de nos racines culturelles! Mais je crois qu’à présent le pli est pris, et on peut parler des fées et des elfes sans passer pour un illuminé…

    Vous qui êtes conteur et auteur, pensez-vous que l’Imaginaire doit être d’abord lu ou d’abord vécu ?
    C’est la même chose. On peut le lire et en rêver, ou le vivre et se reporter ensuite à des livres. C’est à chacun de suivre son propre chemin…

    Quels sont vos propres ouvrages de référence ?
    Parmi les collecteurs de légendes et mythes, Sébillot, Seignolle, tous les folkloristes du XIXe siècle, mais aussi Katrine Briggs, qui a publié de nombreuses encyclopédies de la Féerie en anglais. Parmi les romanciers, Arthur Machen, Charles Nodier, Anatole France…

    Pour terminer, votre plus beau souvenir de Faerie ?
    Alors que je faisais mes recherches sur la Féerie pour mon premier livre sur le sujet, Enquête sur l’existence des fées et des esprits de la nature, publié en 1996 (réedité chez J’ai Lu), j’allais souvent à la Bibliothèque Nationale de la rue de Richelieu à Paris. A plusieurs reprises, à des heures et des places très différentes, je sentais un fort parfum de lis. Ce ne pouvait pas être une voisine trop parfumée ni un système de diffusion d’odeurs inexistant dans cette vieille salle boisée surmontée d’une coupole. Alors je me suis dit qu’il s’agissait du parfum de la fée de la Bibliothèque Nationale, qui venait ainsi m’encourager… C’est un parfum délicieux, que je n’ai plus senti nulle part depuis, mais qui, étrangement, ressemble sans doute au parfum de lis qui, selon les témoignages, accompagne les apparitions mariales…

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  • Pierre Dubois l'elficologue

    Pierre Dubois

    L’elficologue

    Lencyclopédie des fées de Pierre Dubois
    L'encyclopédie des fées de Pierre Dubois

    Né en 1945 dans les Ardennes, Pierre Dubois partage sa vie entre ses demeures du Nord et de Bretagne. Cela, lorsqu’il ne se promène pas de l’autre côté du miroir. Car l’homme est ami des fées et nous rapporte nombre de récits et anecdotes sur le Petit Peuple. Que ce soit au travers de ses célèbres encyclopédies ou au travers de ses bandes dessinées (Laïyna, les Lutins, Red Caps, le Grimoire du Petit Peuple…), l’auteur nous enchante au fil de ses publications. Petites questions au Maître elficologue…

    Pierre Dubois, d’où vous vient cette passion pour le Petit Peuple et la féerie ?

    Elle me vient, je crois, de l’enfance contemplative, l’enfance solitaire. C’est très souvent lorsque l’enfant se retrouve seul, comme Nils Holgersson qui fera une bêtise et sera puni par un Tomte… Enfant, je jouais dans la buanderie, endroit intermédiaire entre le jardin et la cuisine. Il y avait ce poêle qui ronflait et, par souci d’économie d’électricité, on levait le couvercle, ce qui donnait une lumière particulière, proche de celles des cavernes. Ce feu crépitait et dansait sur le plafond comme une espèce de lanterne magique. Moi, j’y voyais des nains forgeant des épées, des trolls, des fées… Et puis il y avait le reflet de l’eau qui amenait le jardin… Une lézarde sur le mur me donnait l’idée qu’elle menait quelque part. Moi, je venais des Ardennes, grande forêt de légendes. Mes parents m’avaient entraîné dans le Nord et du coup, il y avait cette absence de forêt. J’étais perdu de forêt. Cette forêt, je l’ai retrouvée dans le jardin. Et à force de jouer dans le jardin, seul, tour à tour chevalier, Robin des Bois… Tout est né de là.

    Aujourd’hui, on assiste à un retour aux fées… Comment l’expliquer ?

    La mythologie est avant tout universelle. C’est l’explication de la création du monde. Nous conservons donc cette grande mythologie en nous. La petite mythologie, les fées, les nains, ce sont ces grands dieux qu’on a un peu pervertis. Pan ou Cernunnos sont devenus le diable. Toute la culture des fées a été, en même temps que les forêts, déboisée. On a désacralisé la Nature pour essayer de la domestiquer. Mais les fées sont rebelles. Des folkloristes comme les frères Grimm, Andersen, un auteur comme Tolkien, ont puisé dans ces mythologies. Mais il y a toujours eu cette mainmise du pouvoir afin de tuer cet émotionnel, cet imaginaire. Pour qu’on rentre tous dans « Metropolis ». Et il y a toujours eu un réflexe. Alors qu’on croyait les ailes des fées rognées, les jeunes, par l’intermédiaire des mangas, de la BD, des films, des fanzines, du jeu de rôle, de la musique prennent en main leur destin. Un festival comme aujourd’hui (NDLR: Trolls & Légendes, Mons) est extrêmement positif, rayonnant, du fait qu’on voit plein de gens costumés, des personnes qui jouent encore…

    Un retour à la terre ou à la poésie ?

    L’un ne va pas sans l’autre. Mais il ne faudrait pas que ce soit une mode. La vraie magie, le vrai merveilleux, tu dois le porter en dedans. Cette espèce de débauche du contenant ne doit pas faire oublier le contenu. J’ai un peu peur parfois que les effets spéciaux ne remplacent la magie, remplacent la petit musique des fées, de l’âme. Le passage des fées, celui d’Alice, du petit Arthur, est un chemin éthéré, fragile. Il faut faire très attention.

    Parlons de vos encyclopédies. Elles sont très complètes. Mais en même temps on y perçoit des incrustations personnelles. Pour vous, c’est important de ne pas être trop sérieux. De ne pas ranger les fées dans des tiroirs fermés à clés ?

    C’est bien pour ça que, dans la préface de l’encyclopédie, je dis: « voilà, c’est fait et en même temps, toutes les portes sont ouvertes ». Il faut toujours laisser une part aux fées. Autrefois, lorsqu’on labourait un champ, on laissait un coin pour que les fées puissent s’ébattre. Si tu es exaucé, c’est qu’ils ont accepté, il y a eu alliance. Quand j’ai écrit mes bouquins, je me suis mis du côté des fées. Dans toutes les préfaces, je le dis. Maintenant, le mot encyclopédie ne me plaisait pas non plus. Je préférais Grimoirie. Ma démarche est née parce que je voyais des gamins chercher de manière anarchique des infos sur les fées. J’ai voulu tout reprendre à zéro et donner des pistes à peu près sûres. Rêvez avec, amusez-vous, voilà tout au moins des bases, voici le Brownie, voilà les Selkies, le Sotê… J’ai eu envie de revenir aux sources.

    La dernière encyclopédie parue est celle des elfes. Vous les qualifiez d’êtres fuyants…

    Une phrase de Bachelard que j’apprécie beaucoup dit « Les petits êtres fuyant et cachés oublient de fuir lorsqu’on les appellent par leurs vrais noms ». Ces petits êtres fuient l’homme. Ce que disent les elfes, c’est si vous jetez des immondices dans l’eau, vous empoisonnez les Dracs, les Sirènes, les Morganes, tout le peuple de la mer mais nous vous empoisonnerons. Si vous construisez tout en haut des cimes, sur les épaules des trolls, ce sera trop lourd et il y aura des avalanches. Il y a une forme d’écologie dans ce message. Il faut garder cette espèce de jardin secret.

    En même temps, qu’est ce qui distingue les membres du petit Peuple regroupés dans la famille des elfes, de la famille des fées ou de celle des lutins ?

    Cette répartition ne vient pas de moi. Moi, je désirais un seul Grimoire. J’avais commencé à écrire mes bouquins sur du parchemin à la plume d’oie. C’est sorti en 93 mais j’ai commencé en 67 et j’avais déjà collecté pas mal de choses auparavant. Je cherchais un éditeur, personne n’était intéressé jusqu’au jour où quelqu’un me contacte avec une vague idée de faire un bouquin sur les fées alors que moi je voulais faire quelque chose d’énorme, pratiquement vendu avec les toiles d’araignée et la poussière dessus. Finalement Hoëbeke a pris le risque mais en scindant l’œuvre en trois. Dans la première encyclopédie, tout ce qui est petit, chtonien… Et cela s’est vendu à 80.000, 90.000 exemplaires, traduit même en japonais ! On a donc fait le suivant. Celui sur les fées, la femme, la sorcière, symbole de sagesse, de la Nature… Tout ce qui est féminin me fascine. C’est aussi l’époque où je venais de perdre ma fille de dix-sept ans… Pour moi, l’encyclopédie des fées m’a échappée, ce n’est pas moi qui l’ai écrite, on me l’a soufflée. Elle a été écrite plus facilement mais aussi plus douloureusement que la première. La troisième, les elfes, c’est la partie obscure et sauvage, les êtres insaisissables et fuyants. Les elfes ont le droit de nous décocher des flèches vengeresses. Les elfes sont vraiment, pour moi, la part la plus sombre, sauvage et vengeresse.

    Parlons bande dessinée maintenant… De Laÿna aux récents Grimoire du Petit Peuple, en passant par Les Lutins et Red Caps, on note une certaine noirceur dans les récits…

    C’est la première fois qu’on me le dit et c’est totalement vrai. C’est une lutte de chaque jour, l’idée qu’il faut réenchanter à cause de cette trahison que le mortel porte en lui. Il a la possibilité chaque jour de changer les choses et il fait l’inverse…

    En même temps, vous placez souvent le Petit Peuple en arrière-plan dans vos histoires, il reste caché et toujours présent…

    Et bien cette idée, ni les éditeurs, ni même mes dessinateurs ne l’ont réellement compris. J’ai eu l’impression d’être lâché par mes dessinateurs sauf Sfar. Lui, il a complètement saisi la chose. On le ressent dans Petrus Barbygère. Là, c’est bien moi, Pierre le Barbu ! Tous mes héros qui font alliance perdent, c’est une fatalité, une blessure. Et cette blessure, je la porte en moi. Mes bandes dessinées ne sont pas au premier degré, je suis un peu en décalage. Il y a beaucoup d’écrit par exemple. Moi, ce sont les images d’Epinal que j’apprécie, je désire une BD pleine de merveilleux mais aussi de sang, de crimes et d’aventure !

    Avec le Grimoire du Petit Peuple, vous renouez avec cette envie de travailler avec de nombreux dessinateurs. On soulignera d’ailleurs que vous n’avez jamais hésité à prendre sous votre aile de jeunes talents. Les choisissez-vous, viennent-ils à vous ?

    Pour le Grimoire, je ne choisis pas les dessinateurs, c’est l’éditeur qui s’en occupe. Mais je demande des jeunes, ça oui. Je veux voir leur carton à dessins, voir ce qu’ils ont dans la tête. J’aime voir ce que font les autres mais je demande seulement qu’ils respectent les idées, les époques, les lieux avec leurs caractéristiques, faune et flore.. Il faut toujours bien se documenter.

    Pourtant, l’apport personnel de sa vision du Petit peuple aide à ne pas fixer son image…

    Bien sûr ! J’aime bien que chacun apporte sa propre vision. Ils doivent continuer à fuir… Là, je ne suis absolument pas directif. Je fais confiance au dessinateur. Mon histoire même a peu d’importance, ils peuvent enlever des séquences. C’est seulement quand ça nuit à l’histoire que cela m’embête.

    L’année passée est sorti le Jardin Féerique de Cicely Mary Barker…

    Elle aussi a eu une enfance solitaire. Seule, malade, bloquée dans sa chambre, elle va s’évader par le dessin. Son père va lui offrir des cours par correspondance…Mary va habiller en fleurs les enfants de la nurserie de sa soeur et va les dessiner. Ce qui est extraordinaire, c’est quelle semblera ne pas vieillir. Et alors qu’elle deviendra aveugle, elle continuera à distinguer les fleurs, les jacinthes.. et ça, pour moi, c’est le regard des fées sur elle.

    Vous avez aussi inspiré à Loisel son Peter Pan, du moins l’idée de mêler Jack l’éventreur au héro de Barrie…

    Ma passion pour les criminels, les pirates c’est le côté obscur. La Nature a également ce côté obscur… J’ai écrit un bouquin sur Jack l’éventreur et me suis toujours interrogé sur la relation entre Peter Pan et le tueur de Whitechapel. Peter Pan est habile à la dague. Clochette, une parfaite complice pour surveiller les alentours. Venant de Kensington Garden pour se rendre à la maison des parents de Wendy, il passe nécessairement par Whitechapel. Et à ce moment-là, les seules femmes que tu peux rencontrer sont justement des prostituées. Restait le mobile… Peter Pan cherche dans le ventre de la femme la mère, il veut une explication. C’est encore un enfant. Pourquoi les filles, les femmes l’abandonnent? Pourquoi Wendy préfère vieillir que de rester à ses côtés ? Je racontais cela à Loisel venu en ami dîner chez moi, en Bretagne. Il travaillait sur Peter Pan et désirait explorer la face sombre. Il avait vu le dessin animé de Walt Disney et avait été frappé par le côté faune de Peter. Il m’a demandé s’il pouvait reprendre mon idée et ce qu’il en a fait me plaît énormément. Tu y rencontres un personnage sombre, qui se perd. Et c’est là qu’on rejoint le monde des fées. Car pour trouver le passage, il faut se perdre.

    Vous dites dans une de vos interviews avoir été tristement épaté par les universitaires…

    Car ils épluchent sans rêver, ils décortiquent mais oublient d’y poser le regard. Il manque un écrivain derrière le savant. Maintenant, ils font un travail de fourmi, qui m’épate et je suis totalement pour qu’on étudie les fées à l’université !

    Il est important de se réenchanter, de retrouver le sens du merveilleux. L’enfant naît ouvert aux rêves, aux fées. Mais ces croyances seront arrêtées, on arrachera les ailes des fées à un moment donné, vers six, sept ans… Or, l’enfant lui-même devenu père lorsque sa progéniture lui demandera de dessiner une fée, il ne pourra que reproduire celle de ce souvenir arrêté. Il y a un manque émotionnel. Quand un enfant veut faire de la musique, c’est en option à son Bac. Notre planète ne pourra être sauvée qu’à la condition de réenchanter notre regard.

    Enfin, pour rencontrer les fées, vous conseillez de les lire ou de les vivre ?

    De les vivre. Franchir le pont, le miroir… Mais aussi de les lire, les lire à la base. Si on veut s’approcher des fées, il faut lire les contes, ou les entendre et les écouter. Il faut retourner à la base, au révérend Kirk. Il faut d’abord vivre pour lire, vivre ça t’oblige à faire ces fameux trois pas, à réciter cet Abracadabra.

Suivez les fées !

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