Interview de Claude Lecouteux, chercheur universitaire, spécialiste des fées, fantômes, elfes et nains.
Rencontre avec Claude Lecouteux
Qui ne connaît pas les travaux de Claude Lecouteux ? Cet universitaire, germaniste, médiéviste, a passé des années à traquer les nains, les elfes, les fées et nous a gratifié de nombreux ouvrages passionnants tels que Les Nains et les Elfes au Moyen Âge (Imago, 1988) ; Fées, Sorcières et Loups-garous : histoire du double au Moyen-Âge (Imago, 1992) ; Démons et Génies du terroir au Moyen-Âge ( Imago, 1995) ou encore Nos bons voisins les lutins – Nains, elfes, lutins, gnomes, kobolds et compagnie, une Anthologie (José Corti, 2010) pour ne citer que ceux-là. Pour qui cherche à en connaître davantage sur le monde des fées, lutins étroitement associé à celui des fantômes, les ouvrages de Claude Lecouteux représentent un véritable trésor, une source de premier ordre. C’est donc avec un immense plaisir et un vrai honneur que nous publions aujourd’hui ce petit échange autour de notre passion pour la féerie.
D’où vous est venue cette passion pour le folklore et les croyances ?
De la lecture des livres de la collection Contes et légendes que publiait Nathan.
A-t-il été facile d’inscrire ce type de recherches dans un parcours universitaire axé sur les langues et la littérature germaniques ?
Non, car il n’y a pas de place pour ce type d’études. Mes recherches ont été reconnues par d’autres disciplines que la mienne, et sans mes étudiants, j’aurais sans doute jeté l’éponge. Heureusement aussi, nous sommes un petit groupe d’universitaires communiant dans la défense de ces sujets qui intéressent un large public. Nous échangeons idées et informations, conscients de transmettre un patrimoine qui mérite l’attention tant il est le reflet des préoccupations et des rêves humains.
Comment distingueriez-vous la féerie française de la féerie germanique ? Quel(s) point(s) vous semble(nt) a priori les plus grandes différences dans l’approche de la féerie par ces deux cultures ? Ou bien pensez-vous qu’il n’y en a pas ? Que l’on peut parler de légendes universelles, de croyances très semblables ?
Le monde germanique ne connaît pas les fées ; celles qu’on y rencontre sont des emprunts au monde celtique et roman, favorisés par la légende du roi Arthur. Nous y trouvons d’autres personnages, comme les Pleurantes-des-bois ou les Vierges-au-bouclier, ces dernières étant les génies tutélaires d’un individu. La seconde différence majeure est représentée par les nains et les elfes, ces derniers ayant été repris par le monde roman, voyez Aubéron (Obéron), Alberîch outre-Rhin, Alfrigg en Scandinavie et Aelfric chez les Anglo-Saxons. Néanmoins, nous avons la même conception d’un monde peuplé d’êtres surnaturels ou fantastiques, bienveillants, malfaisants ou neutres, selon les circonstances et le comportement des humains. Ce sont eux qui alimentent les légendes, en fait des récits de croyance pour être exact, c’est-à-dire exprimant une réalité pour nos ancêtres. Ces croyances sont les mêmes dans tout l’espace européen et sans doute au-delà puisqu’on découvre d’étonnants parallèles dans les littératures médiévales japonaises et chinoises.
L’étude des elfes est passionnante. Comment expliquez-vous le passage des dieux qu’ils étaient à l’origine aux créatures lutinesques qu’ils désigneront durant le Moyen-Âge ?
Par un processus naturel : lorsque la mythologie pure et dure s’efface peu à peu pour devenir uniquement un plaisir de mythographe, seuls survivent les éléments fondamentaux, les croyances. Or les dieux sont loin alors que les elfes faisaient partie du quotidien, comme en témoignent des rituels et, surtout, les noms propres. Puis, au fil des temps, les elfes ont été diabolisés et amalgamés aux nains, dont on connaît le caractère malveillant. De petites divinités, ils sont devenus des démons, mais non des diables !
Êtes-vous d’accord ou pas de dire que le lutin français se rapproche bien plus de l’elfe allemand que du nain allemand ?
Le lutin français est un curieux amalgame de traditions différentes et je ne le rapprocherais pas de l’elfe germanique qui n’est pas un farceur. Il faut étudier de façon stratigraphique chaque cas en particulier, alors se constatent d’étranges rapports entre lui et le cheval par exemple. Le lutin est protéiforme, ce que n’est pas l’elfe dans les temps anciens.
Vous êtes médiéviste, quel est l’apport majeur du Moyen-Âge dans l’évolution des croyances relatives aux fées et lutins ? Est-ce pour vous le moment clé de leur naissance, disons renaissance faisant suite aux petits dieux oubliés de l’Antiquité ?
Sans le Moyen Âge, les êtres féériques n’auraient pas connu le succès dont ils jouissent. Les lais des XIIe et XIIIe siècles, la légende arthurienne et mille autres textes leur ont procuré la célébrité. On saisit leur naissance vers le Xe siècle, mais c’est essentiellement deux siècles plus tard que se fixe leur image. Leur rapport avec les petites divinités de l’Antiquité classique reste encore à étudier ; seuls nains et elfes sont souvent leurs avatars. Il faut bien sûr ajouter à cette population singulière de nombreux saints… qui n’ont jamais été canonisés !
Quelle(s) différence(s) majeure(s) voyez-vous entre l’image de la fée telle que posée aujourd’hui par rapport à celle du Moyen-Âge ?
La différence essentielle vient de l’influence des préraphaélites (Edmund Dulac, Sir Edward Burne-Jones, etc.) qui ont doté les fées d’ailes de papillon et les ont vêtues d’une aube à la façon des dames blanches. Puis, l’influence des films de Disney a parachevé la métamorphose de ces fées qui n’entretiennent plus qu’un lointain rapport avec celles d’antan. La fée d’aujourd’hui ne possède plus le profond et séduisant mystère qui naissait des non-dits et laissait place à l’imaginaire. En la portraitisant, en en faisant un stéréotype, on l’a dénaturée.
Vous avez publié plusieurs ouvrages sur les fantômes, les maisons hantées. J’ai beaucoup apprécié votre approche qui n’hésite pas à y mêler les créatures féeriques. Pensez-vous que de nos jours trop d’études dans ce domaine sont souvent excessivement compartimentées ?
Oui, c’est hélas la rançon des études académiques. La pluridisciplinarité reste largement lettre morte, alors qu’étudier les êtres féériques doit mobiliser diverses approches et être transdisciplinaire. La mienne est simple : rassembler et analyser les témoignages, chercher les incohérences, les ruptures narratives, les motifs sans suite, tout ce qui indique qu’il ne faut pas prendre un texte au pied de la lettre car, au Moyen Âge, et même après, le christianisme et la subjectivité ont effacé les contours des croyances quand ils ne les ont pas éradiquées.
Quel regard portez-vous sur les œuvres d’imaginaire, les encyclopédies illustrées, les recueils de contes qui sont parus ces dernières années. Participent-ils aux croyances contemporaines ou ne sont-ils que purs loisirs ?
L’imaginaire est comme la forme physique : il a besoin d’être entretenu, surtout lorsqu’il touche à tout un univers que tout un chacun juge irrationnel. En ce sens, les encyclopédies des fées ou des lutins de mon ami Pierre Dubois, richement illustrées par Claudine et Roland Sabatier, les recueils de contes et légendes, comme ceux de la collection « Merveilleux » chez José Corti, jouent un rôle important car ils assurent la pérennité des traditions. Ce sont bien plus que des loisirs car ils nous confrontent à une conception du monde, ils enchantent notre univers qui manque aujourd’hui cruellement de merveilles et de merveilleux. Tolkien l’a bien vu, et l’impact de ses romans est considérable.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Quels sont vos prochains ouvrages ?
Je viens d’achever un dictionnaire des formules magiques qui paraîtra à la rentrée, et avec mon épouse nous avons fini la traduction, annotée et commentée, des Contes tyroliens d’Ignaz Vinzenz Zingerle. Prochain ouvrage, probablement sur la guérison et la protection magique, et, toujours en duo avec ma femme, un nouveau livre de contes. Il y a beaucoup de collectes du XIXe siècle inconnues en France et qui méritent de sortir de l’ombre.
Y a-t-il un sujet lié à la féerie qui vous tienne particulièrement à cœur et que vous désiriez évoquer ici pour terminer ce jeu de questions-réponses ?
Non, ne lassons pas le lecteur !
Propos recueillis par Richard Ely et le Peuple féerique en mai 2014
Pour en apprendre un peu plus sur Claude Lecouteux et son travail de recherche, n’hésitez pas à consulter sa page reprise ici.