La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°8
La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (8)
Nous poursuivons la discussion indiscutablement tournée vers l’Angleterre et ses fantômes, lutins, fées… Pierre poursuit également la présentation des livres qui lui tiennent à cœur et ont marqué sa vie de lecteur boulimique à voir les milliers d’ouvrages entassés partout en sa demeure…
Richard Ely : Tu es très axé sur l’Angleterre apparemment, ça a commencé quand ?
Pierre Dubois : Dès que j’ai pu. A un moment donné, j’allais deux, trois fois par an. Là, ça fait un petit moment que je n’y suis plus allé mais j’y ai été très souvent. J’ai un copain qui est pareil que moi c’est Jean-Pierre Croquet qui a publié justement chez Hoëbeke un bouquin qui est bourré d’histoires de fantômes de grande qualité, y a rien à jeter, vraiment. Et donc avec Croquet on s’amuse à se raconter des histoires de fantômes et là on avait été à Londres et avec ce copain qui habite Londres, celui-ci nous a amené dans plusieurs lieux hantés et notamment dans un parc qui n’avait l’air de rien mais arrivé sous un arbre, il nous a révélé que l’on pouvait parfois entendre des cliquetis, on entend cliqueter des épées car il y avait eu un duel autrefois. Et… euh… tu m’avais demandé des objets également, il y a cette canne. Cette canne m’accompagne toujours quand je vais en Angleterre. C’est une canne irlandaise. Les irlandais n’avaient pas beaucoup d’argent avant. Ils vendaient des cannes, c’est un bout de bois goudronné et ferré. J’ai arpenté l’Irlande et l’Angleterre avec cette canne. Quand j’étais enfant, il fallait toujours que j’aie un bout de bois à la main et j’ai gardé ce bout de bois, c’est d’abord un bout de bois avant d’être une canne. J’ai gardé ce goût tout comme René Hausman. Quand on va se promener, il demande toujours si j’ai pris mon « bois », il a un « bois ». Avant, tout le monde avait son bout de bois, son bâton, sa canne. Ça servait aussi à faire partir les chiens, à se guider, à marcher , à repousser les vaches, à baisser les ronces pour marcher. On n’a plus de bâton, de canne aujourd’hui. J’ai arpenté le Dartmoor avec cette canne, à la rechercher du chien des Baskerville. Et avec cette canne , j’ai été à New Forest, un petit coin dans le sud de l’Angleterre. C’est avant tout une forêt comme son nom l’indique. C’était un pays de sorcières. Tu as de très jolis villages, des poneys qui sont dans la forêt et Alice Liddell y est enterrée, Alice au Pays des Merveilles, évidemment elle est devenue Alice Hargreaves. Et un peu plus loin, c’est Conan Doyle qui est enterré, dans un autre cimetière. C’était très tôt le matin, on était arrivé par le ferry vers 4h du mat et quand on est arrivé, tout était endormi. Tu arrivais dans les petites rues de Dickens, dans une gravure de Rackham… J’avais l’impression de rentrer dans une image et quelle image puisque j’allais rencontrer Alice. Et je repère le clocher de l’église, le clocher carré comme tous les clochers anglais. Je pousse la porte du cimetière et j’entends un tout petit cling cling cling cling… Un petit grelot. Arrive un petit chat blanc, tout mignon et je le suis. Est-ce que ce chat à l’habitude que les gens se rendent sur la tombe d’Alice ? Je ne sais pas, mais il m’a conduit directement à cette tombe. Je me suis recueilli un moment, j’ai déposé une rose. Puis le chat m’a accompagné jusqu’à la sortie mais n’a pas été plus loin. C’était très curieux, tu vois, j’étais troublé. Et le village commençait à s’ouvrir et comme j’avais faim, je me suis rendu dans le premier pub. Et là, y avait une grande cheminée et à côté en belles lettres gothiques, on racontait l’histoire du fantôme de Noël, de cette cheminée. L’histoire du propriétaire qui le jour de la Noël ayant bu plus que de raison n’avait pas été à la messe et avait été puni, le diable le jetant dans cette cheminée. Et tous les ans, il réapparaît à la Noël, à nouveau embrasé. Tu vois, c’est étonnant, tu vas en Angleterre pour essayer de trouver des histoires et tu es à peine arrivé et elles se présentent à toi… C’est un peu comme le disait Bram Stoker, tu traverses le pont et les fantômes viennent à ta rencontre.
Ça c’est pour l’Angleterre mais tu as ça partout. Je suis allé avec Monge à la Réunion, nous sommes partis huit jours, là tu as le vaudou, Saint Expedit. Ils y croient à fond la caisse. On a été accueillis par un libraire de là-bas.. Saint Expedit, partout où tu vas, dans la montagne etc., tu as des caches creusées dans la roche, peinte en rouge et tu as une bougie avec une bouteille de rhum, un crucifix et tu fais ta prière à Saint Expédit qui expédie les autres dans l’au-delà. Alors moi je voulais allumer et le libraire me l’a interdit car c’était prendre le mal sur moi. Et aux carrefours, il faisait un tas de détours pour ne pas passer sur des sacs en plastique, dans ces sacs tu as des gris-gris, des poules, vouées au diable. Dans les cimetières, tu as ça aussi. Et pour te montrer combien c’est universel les histoires de fées, de sorcières eh bien, bon par chez toi tu as les chôrchiles bien sûr, mais dans les Ardennes belges vous avez la macrale, en Bretagne, y a la Markale, et là bas y avait une sorcière c’était la Mère Kale. Partout où tu vas, si tu cherches tu vas trouver des trucs. Mais l’Angleterre, l’Ecosse, les Cornouailles, ils ont une espèce d’enzyme mystique, quelque chose en plus. Est-ce que c’est le climat ou c’est parce qu’ils ont été élevés dans le légendaire ? Le fantastique y est très présent.
Le deuxième bouquin, c’est Laura Willows de Sylvia Townsend Warner. Elle a écrit plein de choses, de la poésie, des romans. 1893, fille d’un professeur… Elle va étudié à Vienne avec Shonberg… ça raconte l’histoire d’une vieille fille, un peu en retrait, une anglaise ordinaire, de condition bourgeoise, elle se marie pas. Son frère ainé s’inquiète, invite des bons partis mais ça l’intéresse pas. Et elle commence à dire des choses bizarre, elle entend que mardi c’est la pleine lune et elle parle de loups-garous, ça jette un froid dans l’assemblée. Et elle repousse tous les bons partis au grand dam du frère et un jour elle s’intéresse à un jeune homme parce qu’il est bègue. Puis elle décide de partir, elle va dans les Chiltern Hills, elle loue une petite maison, respire la nature, y est bien, elle va faire ses courses à la petite épicerie du coin… Elle y achète une grande brassée de branches sèches. C’est assez insidieux, elle rentre petit à petit dans la nature. Tout ce qui est naturel, sorcier, apparaît peu à peu… Elle se rend compte que les gens le soir sont partis ailleurs, petit à petit elle se sent devenir sorcière et un jour elle va dans la forêt et y rencontre le diable, Pan, ce que tu veux, sous la forme d’un chasseur vert. Et il lui dit qu’il sera toujours là pour elle et c’est fini. Je trouve ça extraordinaire. C’est un bouquin de littérature et tout doucement tu arrives au fantastique, tu arrives à quelque chose qui te dépasse, tu prends conscience que la nature est vivante, que tu es un élément de cette nature. Et que les religions d’avant, païennes, t’ouvraient à ça. Du grand dieu pan on en a fait le diable, c’était le premier dieu cornu. En Angleterre tu as beaucoup l’homme vert, sculpté un peu partout. Et cette auteure, qui était lesbienne, cultivée, à la fin de sa vie a écrit un bouquin sur les elfes. Et c’est pas de la fantasy, c’est réel, tu as l’impression qu’elle l’a vécu ! ça prouve un peu que le fantastique d’abord tu le vis, il est là en toi, pour peu que tu le révèles en toi, il est là. Ce bouquin est l’un de mes livres de chevet.
Alors là, aussi, une anglaise, j’aime beaucoup la littérature féminine. En même temps c’est un peu asexué. Maintenant on a besoin de filles terrorisées courant dépoitraillées, etc. Mais le vrai fantastique, c’est autre chose. J’avais vu en Irlande, pour parler de paganisme, à côté d’un lough, une énorme pâtisserie, un château incroyable avec des fioritures partout et c’était un collège de jeunes filles perdu dans la lande avec des forêts de rhododendrons tout autour. Et j’avais visité cet établissement, y avait des bannières, les photos de toutes les filles ayant côtoyé cet établissement, Et tu voyais qu’elles jouaient en fin d’année le Songe d’une nuit d’été, du Shakespeare, du Keats, et tu imaginais cette vie de jeunes filles ensemble dans ces couloirs sombres et tous ces règlements et en face, la colline sauvage où le vent hurlait, tu penses à Sarn de Mary Webb ou aux brownies, des esprits de la lande qui doivent les appeler la nuit, le berger de la nuit qui leur joue la flûte pour les amener au sabbat. C’était évident que derrière le visage lisse des jeunes filles sur les photos, se cachait le grand dieu pan…
Et là, y a une auteur, regarde qu’est-ce qu’elle est belle, c’est Kathleen Raine. C’est une poétesse. Elle est morte il n’y a pas si longtemps. Intelligente, belle… Elle a écrit « Adieu prairies heureuses » où elle raconte son enfance en Écosse. C’est magnifique. Elle dit qu’elle a un moment conscience qu’il se passe quelque chose, elle se rend compte que la lande est vivante. « Reconnaître les fleurs sacrées des fleurs profanes. Avoir le sens instinctif de leur nature, de leur symbolique intrinsèque, de leur signature. Ces facultés, je les dois à mon éducation presbytérienne, elles ne m’ont jamais quittées ». Là c’est l’impression que j’ai eu de nombreuses fois en allant dans les cimetières anglais, dans les petites églises anglaises. J’avais toujours dit que quand je serai grand, je serai, je le ferai peut-être encore on ne sait jamais, je serai pasteur fou dans le Yorkshire ou le Devonshire. Tu arrives dans ces petites églises, tu traverses le cimetière, le cimetière n’est pas un parking, c’est un enclos, un jardin, c’est vert. T’as des buis, des bancs, des oiseaux, des écureuils. T’as les choucas. Dans Le Devon, j’ai vu des poneys entrer dans le cimetière et mettre bas. C’est vraiment le symbole de la survie, de la résurrection. Ici quand t’es dans le cimetière c’est bétonné, c’est propre. Propre chez nous, ça veut dire les pelouses rasées, tu peux pas marcher dedans. Terrasson disait que la jardin à la française c’était pousse toi que je m’y mette. Le parc anglais, il commence dans la pelouse avec des aménagements et puis, il est pas fermé il continue dans la campagne, dans le sauvage comme leur vision du monde fantastique. On partage, la frontière est lâche. Pareil avec le cimetière, nous on dirait un parking, du gravier et des tombes carrossées. J’ai vu un jour la tombe d’un enfant, une tombe abandonnée sur laquelle, par la grâce d’une fée sans doute, des coquelicots s’étaient mis à pousser. Eh bien, le lendemain, on avait passé du désherbant dessus ! Nous, faut que ça fasse propre, sans âme. En Angleterre, tu traverses le cimetière et bien souvent sur la porte des églises de campagne il est marqué « Faites attention de bien fermer la porte car des oiseaux pourraient rentrer derrière vous », se retrouver prisonnier…
Quand tu rentres dans ces petites églises, tu as l’impression qu’elles sont habitées, un ange, une fée… J’ai vu des trucs assez étonnant comme ce pasteur du siècle dernier qui, en Cornouailles, s’adressait en chaire à sa femme et laissait ses animaux venir à la messe le dimanche, c’était presque des rites païens par moments. C’était au bord de la mer, il dialoguait avec les pixies, récitait des poèmes, avait érigé une cabane en flanc de rocher. Dans le cimetière, t’as une figure de proue, il récitait des vers habillé en sirène ! Y a que là que tu peux trouver des choses comme ça. Et dans ces recoins, dans le village à côté, c’est souvent les femmes qui en parle le mieux car elles sont plus proches de la nature que nous. Je déteste la compétition, être meilleur que l’autre. On devrait apprendre aux enfants d’être meilleur qu’eux mêmes, se dépasser soi mais pas l’autre ! Les femmes sont encore dans le senti, le ressenti et Katlheen Raine c’est magnifique, beau. Elles se souvient qu’elles ont été fées, sorcières, c’est la même chose, mères, vieilles déesses. Donc à côté du village de ce pasteur, y a un village de naufrageurs, de contrebandiers, complétement encaissé, et tu as un hôtel hanté, les lustres et tout ont été payé par Thomas Hardi, qui a écrit Tess d’Urberville, etc. Et tu as un musée de la sorcellerie, on y raconte l’histoire de la sorcellerie, tu as la cage où on noyait la sorcière, et puis, en passant par la Blavatsky, Alisteir Crowley, tu arrives aujourd’hui, les bâtons, les robes, et je vois les photos de cérémonie, de sabbat avec une fille assez belle nue avec d’autres nues, avec des couronnes de fleurs. Et je me dis que je connais cette fille, je me demande où je l’ai vue, dans un bouquin ou quoi… Entretemps mes amis viennent me rechercher et demande à la caissière si je suis encore là. Elle dit à mes amis qu’il ne reste plus que moi là-dedans. Et elle dit à mes amis que si je suis intéressé et veux plus de renseignements je peux lui demander. Donc je sors avec mes amis et jette un coup d’œil à la caissière et là je remarque que la fille, c’était elle ! C’est pour ça que j’avais l’impression de l’avoir reconnue, c’était la caissière du musée !
Tu te dis que dans ce petit patelin, il y a encore un culte au Grand Dieu Pan ! La nuit ils font des hymnes à la nature, des incantations ; c’est ça que j’aime beaucoup. J’aimerais bien le raconter un jour, faire un bouquin sur mes voyages…
Alors là, c’est un bouquin de John Galsworthy, la saga des Forsyte, j’ai jamais lu cette saga mais j’ai lu quelques pages. Et un jour, je suis tombé sur quelques pages où il décrit un champ de coquelicots. Et là encore tu as un hymne à la nature que seuls les anglais peuvent dire, comprendre. Ça se voit d’ailleurs dans les boutiques, même si c’est quelquefois un peu cucul, transformé en bon savon joliment présenté, en mug à fleurs, Cicely Mary Barker, Beatrix Potter, on a l’impression que plus elles se sont penchées sur les fleurs pour les dessiner, plus elles ont vu ce qui se passait à l’intérieur, elles ont brusquement eu la vision de la petite fée, de la déva. Il s’est passé quelque chose. Tu parlais de Findhorn tout à l’heure, je suis persuadé qu’à force de vivre dans la nature, de faire des hymnes à la nature, tu ne peux que faire pousser des légumes qui sont… euh, tu es complétement intégré dans la nature et puis l’Ecosse…
Enfin, bon, donc Galsworthy, a écrit la saga des Forsyte. Un jour je vais à Pêle-Mêle à Bruxelles et là dans un tas à dix centimes, dix centimes de l’époque en plus, je trouve « Sous le pommier en fleurs » de Galsworthy. Je sais pas pourquoi, je me sens attiré, obligé de l’acheter. Je le prends, je le lis pas. Et puis un jour, je le lis : « Le jour de leur noces d’argent, Ashforth et sa femme faisaient une excursion en automobile autour de la lande avec l’intention de terminer cette journée de fête en passant la nuit à Torkay ». Donc je vois ce truc, Torkay. Dans le Devon, c’est au bord de la mer et la lande, c’est le Dartmoor ! Ce couple décide de s’arrêter dans la lande et elle fait de l’aquarelle et lui se promène. Ils découvrent une tombe le long de la route. Pour moi, c’est notre rapport avec la féerie. Hier avec les victoriens, aujourd’hui avec la féerie. 9a raconte l’histoire d’un gars avec sa femme. L’homme va voir la tombe, marche dans la lande et se rappelle que jeune homme, avec un copain, il avait traversé cette lande et ils arrivent, fatigués, près d’une petite ferme et là y a un verger avec un pommier en fleur et sous le pommier, une fée, une jolie paysanne. C’est Titania, Flore. L’homme est subjugué. Ils restent un moment à manger et à boire. Et le jeune homme le lendemain reste là et tombe éperdument amoureux de cette fille. Il lui promet une bague de fiançailles et part à Torkay acheter la bague et la robe et brusquement un cab passe et c’est son copain avec sa sœur et une maie de sa sœur. Cette femme est de son monde, lettrée. Il suit ses amis un peu plus loin et au retour il voit une fille mal entichée qui se faufile maladroitement entre les cabs et il reconnaît la fille de la ferme. Lui se cache. Il ne retournera pas et épousera la sœur du copain. Des années après il arrive près de cette ferme, il y voit un vieillard et lui demande des nouvelles de cette fille. Il apprend que sa fille s’est suicidée, pendue au pommier. Et ça, c’est nous qui passons à côté de la vraie fée. Touché par la grâce, il passe à côté. Donc je lis ce bouquin, et ça me dit quelque chose. Ça c’est Jay. Effectivement dans le Dartmoor, tu as une tombe à un carrefour, Jay’s grave. Kitty Jay, c’était une servante de ferme, qui après a travaillé dans un pub fin XIXe siècle. Elle avait été séduite par le fils d’un fermier qui l’a mis enceinte et elle s’est pendue. Et on l’a enterrée à ce croisement de chemins. Alors pourquoi on enterrait les suicidés aux carrefours, parce que leur âme, fantôme ne pouvait pas aller se venger comme il y a quatre chemins, ils ne peuvent pas choisir, leur âme tourne en rond. Et on aperçoit parfois l’ombre de Kitty Jay. Et aussi parce que cela forme une croix, le carrefour leur donne un semblant de croix qui par ailleurs leur est refusée. Les Pixies, dit-on, viennent fleurir la tombe régulièrement. Et cette tombe-là, même en hiver est toujours fleurie alors qu’il n’y a pas d’habitation dans le coin ! Donc c’était la même histoire pratiquement et en faisant des recherches en bibliothèque, je me suis rendu compte que Galsworthy avait habité Widecombe-in-the-Moor, donc il connaissait l’histoire. J’ai pleuré chez tous les éditeurs pour rééditer cet ouvrage et personne n’en veut. J’ai presque réussi à convaincre Gindre de la Clef d’Argent de le sortir…