Catégorie : Interviews lutines

Petites rencontres en Féerie…

  • Une première interview autour du livre Les Plantes des Fées et des autres esprits de la nature

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    Première interview autour du livre « Les Plantes des Fées et des autres esprits de  la nature » qui vient de paraître aux éditions Plume de Carotte. Véronique Barrau et Richard Ely répondent aux questions de Christian Le Sourd pour le site d’information des arts de l’Imaginaire Khimairaworld. Un joli échange qui nous en apprend un peu plus sur ces légendes qui relient les fées, elfes et lutins au monde du végétal et à la Nature.

    Vous pouvez lire cette interview sur le site de Khimairaworld

     

     

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    Le livre est disponible chez votre libraire, sur Amazon ou sur la Fnac

  • Interview de Claude Lecouteux, chercheur universitaire, spécialiste des fées, fantômes, elfes et nains.

    Rencontre avec Claude Lecouteux

    Qui ne connaît pas les travaux de Claude Lecouteux ? Cet universitaire, germaniste, médiéviste, a passé des années à traquer les nains, les elfes, les fées et nous a gratifié de nombreux ouvrages passionnants tels que Les Nains et les Elfes au Moyen Âge (Imago, 1988) ; Fées, Sorcières et Loups-garous : histoire du double au Moyen-Âge (Imago, 1992) ; Démons et Génies du terroir au Moyen-Âge ( Imago, 1995) ou encore Nos bons voisins les lutins – Nains, elfes, lutins, gnomes, kobolds et compagnie, une Anthologie (José Corti, 2010) pour ne citer que ceux-là. Pour qui cherche à en connaître davantage sur le monde des fées, lutins étroitement associé à celui des fantômes, les ouvrages de Claude Lecouteux représentent un véritable trésor, une source de premier ordre. C’est donc avec un immense plaisir et un vrai honneur que nous publions aujourd’hui ce petit échange autour de notre passion pour la féerie.

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    D’où vous est venue cette passion pour le folklore et les croyances ?

    De la lecture des livres de la collection Contes et légendes que publiait Nathan.

     

    A-t-il été facile d’inscrire ce type de recherches dans un parcours universitaire axé sur les langues et la littérature germaniques ?

    Non, car il n’y a pas de place pour ce type d’études. Mes recherches ont été reconnues par d’autres disciplines que la mienne, et sans mes étudiants, j’aurais sans doute jeté l’éponge. Heureusement aussi, nous sommes un petit groupe d’universitaires communiant dans la défense de ces sujets qui intéressent un large public. Nous échangeons idées et informations, conscients de transmettre un patrimoine qui mérite l’attention tant il est le reflet des préoccupations et des rêves humains.

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    Comment distingueriez-vous la féerie française de la féerie germanique ? Quel(s) point(s) vous semble(nt) a priori les plus grandes différences dans l’approche de la féerie par ces deux cultures ? Ou bien pensez-vous qu’il n’y en a pas ? Que l’on peut parler de légendes universelles, de croyances très semblables ?

    Le monde germanique ne connaît pas les fées ; celles qu’on y rencontre sont des emprunts au monde celtique et roman, favorisés par la légende du roi Arthur. Nous y trouvons d’autres personnages, comme les Pleurantes-des-bois ou les Vierges-au-bouclier, ces dernières étant les génies tutélaires d’un individu. La seconde différence majeure est représentée par les nains et les elfes, ces derniers ayant été repris par le monde roman, voyez Aubéron (Obéron), Alberîch outre-Rhin, Alfrigg en Scandinavie et Aelfric chez les Anglo-Saxons. Néanmoins, nous avons la même conception d’un monde peuplé d’êtres surnaturels ou fantastiques, bienveillants, malfaisants ou neutres, selon les circonstances et le comportement des humains. Ce sont eux qui alimentent les légendes, en fait des récits de croyance pour être exact, c’est-à-dire exprimant une réalité pour nos ancêtres. Ces croyances sont les mêmes dans tout l’espace européen et sans doute au-delà puisqu’on découvre d’étonnants parallèles dans les littératures médiévales japonaises et chinoises.

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    L’étude des elfes est passionnante. Comment expliquez-vous le passage des dieux qu’ils étaient à l’origine aux créatures lutinesques qu’ils désigneront durant le Moyen-Âge ?

    Par un processus naturel : lorsque la mythologie pure et dure s’efface peu à peu pour devenir uniquement un plaisir de mythographe, seuls survivent les éléments fondamentaux, les croyances. Or les dieux sont loin alors que les elfes faisaient partie du quotidien, comme en témoignent des rituels et, surtout, les noms propres. Puis, au fil des temps, les elfes ont été diabolisés et amalgamés aux nains, dont on connaît le caractère malveillant. De petites divinités, ils sont devenus des démons, mais non des diables !

     

    Êtes-vous d’accord ou pas de dire que le lutin français se rapproche bien plus de l’elfe allemand que du nain allemand ?

    Le lutin français est un curieux amalgame de traditions différentes et je ne le rapprocherais pas de l’elfe germanique qui n’est pas un farceur. Il faut étudier de façon stratigraphique chaque cas en particulier, alors se constatent d’étranges rapports entre lui et le cheval par exemple. Le lutin est protéiforme, ce que n’est pas l’elfe dans les temps anciens.

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    Vous êtes médiéviste, quel est l’apport majeur du Moyen-Âge dans l’évolution des croyances relatives aux fées et lutins ? Est-ce pour vous le moment clé de leur naissance, disons renaissance faisant suite aux petits dieux oubliés de l’Antiquité ?

    Sans le Moyen Âge, les êtres féériques n’auraient pas connu le succès dont ils jouissent. Les lais des XIIe et XIIIe siècles, la légende arthurienne et mille autres textes leur ont procuré la célébrité. On saisit leur naissance vers le Xe siècle, mais c’est essentiellement deux siècles plus tard que se fixe leur image. Leur rapport avec les petites divinités de l’Antiquité classique reste encore à étudier ; seuls nains et elfes sont souvent leurs avatars. Il faut bien sûr ajouter à cette population singulière de nombreux saints… qui n’ont jamais été canonisés !

     

    Quelle(s) différence(s) majeure(s) voyez-vous entre l’image de la fée telle que posée aujourd’hui par rapport à celle du Moyen-Âge ?

    La différence essentielle vient de l’influence des préraphaélites (Edmund Dulac, Sir Edward Burne-Jones, etc.) qui ont doté les fées d’ailes de papillon et les ont vêtues d’une aube à la façon des dames blanches. Puis, l’influence des films de Disney a parachevé la métamorphose de ces fées qui n’entretiennent plus qu’un lointain rapport avec celles d’antan. La fée d’aujourd’hui ne possède plus le profond et séduisant mystère qui naissait des non-dits et laissait place à l’imaginaire. En la portraitisant, en en faisant un stéréotype, on l’a dénaturée.

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    Vous avez publié plusieurs ouvrages sur les fantômes, les maisons hantées. J’ai beaucoup apprécié votre approche qui n’hésite pas à y mêler les créatures féeriques. Pensez-vous que de nos jours trop d’études dans ce domaine sont souvent excessivement compartimentées ?

    Oui, c’est hélas la rançon des études académiques. La pluridisciplinarité reste largement lettre morte, alors qu’étudier les êtres féériques doit mobiliser diverses approches et être transdisciplinaire. La mienne est simple : rassembler et analyser les témoignages, chercher les incohérences, les ruptures narratives, les motifs sans suite, tout ce qui indique qu’il ne faut pas prendre un texte au pied de la lettre car, au Moyen Âge, et même après, le christianisme et la subjectivité ont effacé les contours des croyances quand ils ne les ont pas éradiquées.

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    Quel regard portez-vous sur les œuvres d’imaginaire, les encyclopédies illustrées, les recueils de contes qui sont parus ces dernières années. Participent-ils aux croyances contemporaines ou ne sont-ils que purs loisirs ?

    L’imaginaire est comme la forme physique : il a besoin d’être entretenu, surtout lorsqu’il touche à tout un univers que tout un chacun juge irrationnel. En ce sens, les encyclopédies des fées ou des lutins de mon ami Pierre Dubois, richement illustrées par Claudine et Roland Sabatier, les recueils de contes et légendes, comme ceux de la collection « Merveilleux » chez José Corti, jouent un rôle important car ils assurent la pérennité des traditions. Ce sont bien plus que des loisirs car ils nous confrontent à une conception du monde, ils enchantent notre univers qui manque aujourd’hui cruellement de merveilles et de merveilleux. Tolkien l’a bien vu, et l’impact de ses romans est considérable.

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    Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Quels sont vos prochains ouvrages ?

    Je viens d’achever un dictionnaire des formules magiques qui paraîtra à la rentrée, et avec mon épouse nous avons fini la traduction, annotée et commentée, des Contes tyroliens d’Ignaz Vinzenz Zingerle. Prochain ouvrage, probablement sur la guérison et la protection magique, et, toujours en duo avec ma femme, un nouveau livre de contes. Il y a beaucoup de collectes du XIXe siècle inconnues en France et qui méritent de sortir de l’ombre.

     

    Y a-t-il un sujet lié à la féerie qui vous tienne particulièrement à cœur et que vous désiriez évoquer ici pour terminer ce jeu de questions-réponses ?

    Non, ne lassons pas le lecteur !

     

    Propos recueillis par Richard Ely et le Peuple féerique en mai 2014

     

    Pour en apprendre un peu plus sur Claude Lecouteux et son travail de recherche, n’hésitez pas à consulter sa page reprise ici.

     

  • René Hausman en interview sur RTL-TVI

    Je ne tairai jamais mon admiration pour l’illustrateur René Hausman. Ce dernier a bien des points communs avec Brian Froud. Son amour de la terre, de la nature et cette façon de dépeindre et peindre les fées, les lutins de mannière si véridique. Je trouve vraiment dommage que tant de jeunes passionnés de féerie passent à côté de son immense travail alors toute occasion de parler de lui est à saisir ! Voici une interview donnée à la chaîne belge RTL-TVI consernant une grande exposition rétrospective et autour de l’Elphéméride qu’il vient de faire publier aux éditions Hoëbeke aux côté de son ami de longue date, Pierre Dubois. Les deux compères nous préparent d’ailleurs la sortie d’une BD, adaptée du roman jeunesse « Capitaine Trèfle ».

     


    René Hausman

  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°9 et FIN

    La Grande Interview de l’Elficologue, suite et fin.

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    Voici venu, déjà, le temps où la rencontre se termine. Après les dernières paroles de l’Elficologue, nous vous invitons à lire les anecdotes de ses filles… Quant à nous, nous ne pouvons que remercier Pierre du temps passé à échanger autour de ses précieux livres, objets, souvenirs. Le Peuple féerique ne pouvait mieux rêver comme place donnée à l’un des trois sorciers à l’origine de notre propre rêverie…

    Richard Ely : Pour la dernière partie de cette interview, je te propose de changer de lieu et après le jardin et la cheminée, de nous rendre dans ton magnifique grenier…

    Nous quittons l’ombre mystérieuse de cette grande cheminée de briques, témoin de tant de contes et d’histoires qui ont résonné en cette pièce pour gravir les marches d’un escalier, traverser nombre de pièces aux parois décorées de tableaux, d’affiches, de bibliothèques croulant sous des ouvrages murmurant le nom de créatures de toutes sortes. Petit coup d’œil à la plus petite pièce de la maison, le bureau de l’Elficologue où tout s’est écrit. Quelques marches de plus et nous voilà dans cet incroyable grenier, qui tient plus d’une salle au trésor que d’une pièce d’oubli. Ici, tout est vivant, on y capte des regards, curieux de notre intrusion, on y touche des souvenirs. Pierre s’assoit dans un fauteuil de bois sculpté, magnifique. Derrière lui, une bibliothèque digne des plus belles abbaye… Il prend un livre entre ses mains. Le regarde attentivement. Et dans cette pause qui précède ses prochaines paroles, on décèle une grande admiration…

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    Pierre Dubois : Alors par contre là, ici c’est, l’auteur qui n’a rien à voir avec le fantastique mais pourtant oui. C’est le Sage, le père noël, celui qui sait, le sachant, le grand-père qu’on rêve d’avoir, c’est Gaston Bachelard. Alors tous les Gaston Bachelard, j’ai vraiment, euh, j’ai… vraiment, évidemment il a écrit sur Lautréamont, aussi des bouquins un peu scientifiques mais ce que je trouve extraordinaire c’est les L’Eau et les rêves, La Terre et les rêveries de la volonté, la terre et les rêveries du repos, l’air et les songes, la psychanalyse du feu

    Richard Ely : Il y a une citation que tu répètes souvent de Bachelard…

    Pierre Dubois : Oui, c’est « les petits êtres fuyants et cachés oublient de fuir quand on les appelle par leur vrai nom », je ne sais plus duquel c’est issu (NDLR : La terre et les rêveries du repos). Mais ça, ça remonte à mon enfance, lorsque j’étais dans ma cuisine, mon arrière-cuisine et que brusquement, j’avais conscience des petits êtres, j’avais conscience qu’il y avait quelque chose d’autre, que j’étais pas seul, que la maison vivait, que le feu me parlait, que la pluie qui tombait sur les vitres me parlait. Quand tu sens ça quelquefois tu te sens très seul car t’as l’impression d’être un peu fou surtout que beaucoup te disent que t’es pas bien lorsque tu penses comme ça, tu te sens différent. Non seulement toi tu te sens différent mais ça ne te rassure pas parce que… si tu veux, étant différent, t’es rejeté, t’es vite moqué, donc t’oses pas dire ça, tu le dis à personne. Moi, il a fallu que je mette longtemps et j’ai lu Bachelard. J’ai découvert Bachelard tard et tout ce que je pressentais dans mon enfance, il le disait. Chaque fois que je lis Bachelard, j’ai une réponse à mes problèmes. C’est un peu comme une Bible, y en a qui lisent la Bible, ils tombent sur une, sur une page, ils ont une question, ils ouvrent le Livre et boum, ils y trouvent une réponse à leur problème.

    Richard Ely : Tu l’as rencontré Bachelard ?

    Pierre Dubois : Non, non, non, non… « Comment ne pas voir que la véritable filiation des images marche dans l’ordre inverse. C’est parce qu’il a la légèreté ailée qui pèse le monde. Volant, il dit à tous les êtres de la terre pourquoi ne voles tu pas ? Quel est donc le poids qui t’empêche de voler avec moi ? Qui t’oblige à rester inerte sur la terre ? Monte dans ma balance, je te dirais si à la rigueur tu peux être mon compagnon, mon disciple. Je serai ton avenir aérien… ». Voilà, à chaque fois, je trouve… Là, il parle des esprits élémentaires… « L’idée singulière que les esprits élémentaires qui vagabondent dans l’univers, qui vivent dans les matières, viennent se loger dans le corps des oiseaux, des poissons, des mammifères, selon la détermination de leur essence, ce sont eux qui agissent sur les esprits des animaux et font se mouvoir les animaux-machines, un sylphe rêveur se niche dans la machine d’un hibou, d’un chat-huant ou d’une chouette, et, au contraire, un sylphe de gaie humeur et qui aime à chanter la petite chanson s’insinue dans un rossignol, dans une fauvette ou dans un serin de canari ». T’as tout ça, si tu veux, l’idée fondamentale de vol avec le concept d’oiseau. C’est inépuisable, il y a toujours quelque chose… « Ecoutez, les esprits parlent, les liquides réponses de leur langue aérienne résonnent encore »… « Le silence de la nuit augmente la profondeur des cieux ». Tout est là. Il te raconte ce que tu pressens, ce que tu ressens profondément en toi et que tu n’arrives pas à exprimer et que tu as l’impression d’être seul à ressentir et lui vient te prendre par la main, tu prends telle page, tu vas trouver et c’est un livre… à l’école on devrait presque… On devrait lire des contes de fées et lire Bachelard à la place de l’instruction civique et s’arrêter sur… Il t’apprend à mieux vivre, à comprendre les choses à te comprendre toi, c’est un passeur, tout est beau. « la cosmogonie dont parle l’arbre donne une impression de noblesse ». Tu vois, je peux t’en trouver sans arrêt.

     

    Richard Ely : Et tu le lis comme ça ? En prenant une page au hasard ?

    Pierre Dubois : Je les ai lus et relus et puis après… Tu lis énormément, tu lis beaucoup, je lis aussi utile pour alimenter mes bouquins sur les fées, les lutins… Et là je vais repiocher dedans et je suis à nouveau attiré. Et y a Yeats aussi que j’aime beaucoup. Il a parlé du Petit Peuple d’Irlande d’une manière très simple alors que lui c’était un intellectuel même sophistiqué, il avait une pensée aigue et sophistiquée. Il a essayé de retrouver la manière dont les paysans irlandais parlaient des fées. C’est vrai que lorsqu’on parle des fées, etc., est-ce qu’on les a vues, pas vues… Lui, il parle de ceux qui les voyaient. Et qui les voyaient parce que c’était normal de les voir. Le paysan allait, partait conduire ses chèvres ou ses moutons et rencontrait une femme belle, haute et pâle, il savait que c’était une fée. Il pouvait rencontrer un leprechaun avec qui partager le tabac. Par contre, y avait des choses à ne pas faire, c’était God speed ye, bienvenue à toi… À partir de là tout est possible. Il a réussi, Yeats, à parler des fées absolument normalement. Tout à fait simplement. C’est extrêmement écrit, c’est faussement simple mais il est très fort c’est un peu comme Giono qui veut écrire à la façon d’un paysan pour approcher la nature, la mettre en scène. Regain ou surtout son chef d’œuvre Le roi sans divertissement, tu vois qu’il est malin, il reprend des mots simples pour les retransfigurer. Yeats le fait aussi. « Que peut-être la mort sinon le début de la sagesse, du pouvoir et de la beauté ? Et la folie peut-être une sorte de mort. A mon avis il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un grand nombre de gens voient « dans chaque foyer des fées ». Un fou avec un vase brillant plein de sortilèges, de sagesse ou de rêves trop puissants pour l’esprit des mortels ». Et alors y a ce poème que je trouve magnifique : « Cœur épuisé, en un temps épuisé, Défais-toi des rets du mal et du bien, Reprends, Cœur, tes rires dans le soir gris, Reprends Cœur tes soupirs dans la rosée de l’aube, Ta Mère Irlande est toujours jeune, Rosée toujours brillante et soir gris, Quoique l’espoir te fuit et que l’amour pourrisse, brulant dans les feux d’une langue calomnieuse, Viens cœur dans l’amoncellement des collines. C’est là que la fraternité mystique, le soleil et la lune, la vallée et le bois, le fleuve et le ruisseau exécutent sa volonté. Et Dieu se tient là seul et fait sonner son cor. Et le temps et le monde s’enfuient toujours mais l’amour a moins de bienfaits que le soir gris et l’espoir moins de prix que la rosée de l’aube ». C’est magnifique, quoi. Et là, pareil, quand j’ai trop écrit et que j’ai l’impression d’avoir écrit une ragougnasse, que je peine sur ma phrase. Je me nettoie la tête avec un peu de Yeats. Va boire à la fontaine pour voir comment il écrit. C’était au temps de l’âge d’or où les bêtes parlaient ou tout du moins où on les entendait.

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    Tu m’avais demandé des objets. Y a donc la canne. Y a la pipe. Alors c’est terrible car j’ai plus le droit de fumer. Bon, on n’a plus le droit de fumer dans les lieux publics, moi je veux bien mais bon par contre on peut écouter le résultat du foot à fond la caisse ! Si ça pollue pas la tête, ça ! Maintenant dans un pub tu as automatiquement un grand écran avec un groupe imbécile avec la casquette en coin. La pipe, c’était aussi ma compagne. Tu es tout seul à écrire, avec tes rêveries, et tes mots. Barry avait d’ailleurs écrit un bouquin sur la pipe. Je pense comme lui, tu as l’impression de puiser… La pipe t’aide quand j’écris, tu vois, j’ai toujours eu des pipes, les Peterson, une pipe qui est bien tu l’as pas dans les yeux, j’aime beaucoup sa forme, c’était une compagne, c’était mon aide, y a un lutin, un brownie caché dedans. Quand je commençais à écrire, je mettais du tabac sur le bureau. Stevenson disait que quand il manquait d’inspiration, il mettait quelques petits cadeaux sur sa table et le lendemain matin, le travail était fait. Moi, je partageais mon tabac avec l’esprit des lieux, l’esprit du bureau, de mon bureau, tu vois y a des petits elfes, etc. Et fumer la pipe, y avait des volutes, je me racontais des trucs, et maintenant je peux plus. De temps en temps, je remets la pipe sans l’allumer par habitude, pour sentir le goût. Et là, y a un autre objet, c’est la boîte de tabac, qui est superbe, une boîte de tabac anglaise. Quand tu penses que des artistes ont fait une si belle boite. Ils ont mis tant de temps à recréer l’esprit de Dickens. Là tu vois, ça s’appelle Daily mail, Scottish Mixture. Et tu as un paysage anglais avec au fond les collines, le château. Et puis le cocher avec son tricorne et les autres, Monsieur Pickwick et tous ses amis, le Pickwick club accroché au porte bagage avec leurs pipes et leurs chapeaux haute forme. Et dans quelques temps, enfin pareille boîte, ça n’existe plus. On t’aurait mis une image de cancer. On devrait alors en mettre aussi sur les tableaux de Louis Garneret sur les abordages, attention la guerre tue, sur leurs bêtes hideuses voitures, les voitures tuent. Parce que là, la société de la voiture design, quand je vois ces imbéciles qui tournent des heures et des heures, 24h du Mans et tout le truc et qu’on me dit que ça fait marcher l’industrie de la voiture ! Alors quoi, là ça faisait marcher l’industrie du tabac. On a plus de liberté. Tu vois, j’ai tout plein d’objets autour de moi. Alors la boîte de tabac, tu as l’image, toute l’Angleterre qui se déroule et puis tu as le tabac. Tu déplisses le papier, tu sens le tabac, tu bourres ta pipe et c’est magique. Les gars qui fument là, je fume avec eux et on se raconte des histoires. Quand j’écrivais le Capitaine Trèfle, ça me racontait quelque chose ! Donc j’adore ces boites là, j’adore les boîtes avec ces images. Là par exemple, une belle boîte de bière anglaise avec ce chasseur à cour. Dans les comptines assassines, tu as une scène de chasse, c’est ça ! C’est lui ! Je fais collection de boîtes de bière anglaise, j’en ai plein. Et puis on dessinait sur les boîtes. Maintenant on dessine plus, les couvertures de bouquins, c’est des photos. Folio, terminé. Avant, en radio, tu avais des pièces radiophoniques, ça faisait vivre des comédiens. Tu avais des comédiens qui vivaient de ça, ils avaient un rôle à jouer chaque jour. Maintenant, supprimés les comédiens ! Les speakers, terminé aussi ! Et les dessinateurs, les peintres qui faisaient des couvertures, des illustrés, ces boites peintes, les affiches, terminé ! Où sont les caricaturistes à la Savignac ? Les affichistes, c’était un art. Tu as l’impression que le monde artistique s’écroule. Si c’est pas conceptuel, si c’est pas le FRAC, le fascisme réglementé de l’art conceptuel, c’est anodin. Regarde, les buvards étaient dessinés, les protèges cahiers. Les images étaient partout. Alors on dit qu’on est dans le monde de l’image aujourd’hui, mais c’est l’image artificielle, recomposée, qui n’a pas d’âme. Une image fabriquée par des ordinateurs, c’est la palette graphique avec personne derrière. Là, si tu veux, tu avais de vrais dessinateurs, tu as Calvo qui en avait fait, Alain Saint-Ogan, plein, plein et maintenant, terminé. Où est la main de l’homme ? Où est l’imaginaire ? Le vrai, le stylo, le crayon. Je trouve aberrant que maintenant on met de suite les enfants à l’ordinateur avant de leur donner un stylo pour raconter, un crayon pour dessiner. Le fameux dessine-moi un mouton de Saint-Ex, ça va être quoi ? Plus capable de dessiner un mouton… Au clair de la lune mon ami Pierrot, prête-moi quoi ? Un clavier ?
    Je veux pas jouer les anti-progrès, c’est pas ça, c’est bien le progrès mais pas si c’est au détriment de l’art, des autres moyens d’expression. Ça amène une forme de paresse d’appuyer sur un bouton. Les effets spéciaux si ça aide à mieux rendre un univers, pourquoi pas mais quand ce n’est plus qu’effets spéciaux, alors, là non, je ne suis plus d’accord. Ça ne sert à rien. Si ça ne sert pas l’histoire, s’il n’y a pas une histoire derrière avec quelqu’un qui aime, bouge, souffre, ça restera superficiel. Tu vois le dernier pirate, là, avec Johnny Depp, c’est tiré d’un jeu ! Ça me fait penser à Sergio Leone qui n’a conservé que les caricatures, les stéréotypes. Du beurre avec du beurre, ça n’a jamais donné de fromage.

    Et c’est sur ces paroles, que j’ai quitté l’antre de l’elficologue, les mots se bousculant en mon esprit, ma mémoire visuelle a jamais remplie des merveilles qui se cachent entre les murs de cette vieille ferme décidément bien hantée…
    Pour prolonger le voyage, j’ai laissé la parole aux filles de Pierre, Charlotte et Capucine pour deux anecdotes reproduites ci-dessous…

    Richard Ely, des jours d’été 2010.

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    Souvenirs, souvenirs…

    « Enfant, mes vacances de Pâques rimaient avec Dartmoor et Devon et la cueillette des œufs se révélait à chaque fois pleine de découvertes. Certes, il m’arrivait de trouver des douceurs en chocolat durant mes pérégrinations dans les petits sentiers égarés anglais mais mon père (je l’ai su plus tard) me réservait bien d’autres surprises. Nous allions à la recherche des Pixies et il me demandait de leur déposer de petites offrandes ou des courriers entre deux rochers qui ressemblaient à s’y m’éprendre à des boites aux
    lettres de lutins. Il sollicitait ma sœur pour qu’elle confectionne des petits vêtements en feutrine. J’ai donc eu la chance incroyable de découvrir un petit bonnet orné de perles de toutes les couleurs, une veste brodée et un soulier égaré. Il m’avait aussi glissé une toute petite tabatière remplie de son fameux” Kentucky Bird” enivrant au creux d’un vieil arbre croulant. Etant tellement nourrie de croyance magique, à un âge où le rêve créateur est à portée de main, que par la force des choses, j’ai passé toute ma primaire à parler aux lutins à la récréation. » – Charlotte Dubois

    « J’ai passé toute mon adolescence avec mon père et j’ai eu la chance de partager avec lui des moments de complicité shopping. Eh oui, nous allions tous les deux chiner dans les friperies ou au “kilo shop” qui a à l’époque fourmillait de merveilles à dentelles noires, redingotes, chapeaux à voilettes , des manteaux “Beattles”, bottines de Mary Poppins et tout un tas de trouvailles qui me paraient à la manière de Lydia dans Beetlejuice… Que de bons souvenirs entre un père et sa fille avec un soupçon d’originalité en plus peut-être? » – Capucine Dubois

     

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  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°8

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (8)

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    Nous poursuivons la discussion indiscutablement tournée vers l’Angleterre et ses fantômes, lutins, fées… Pierre poursuit également la présentation des livres qui lui tiennent à cœur et ont marqué sa vie de lecteur boulimique à voir les milliers d’ouvrages entassés partout en sa demeure…

    Richard Ely : Tu es très axé sur l’Angleterre apparemment, ça a commencé quand ?

    Pierre Dubois : Dès que j’ai pu. A un moment donné, j’allais deux, trois fois par an. Là, ça fait un petit moment que je n’y suis plus allé mais j’y ai été très souvent. J’ai un copain qui est pareil que moi c’est Jean-Pierre Croquet qui a publié justement chez Hoëbeke un bouquin qui est bourré d’histoires de fantômes de grande qualité, y a rien à jeter, vraiment. Et donc avec Croquet on s’amuse à se raconter des histoires de fantômes et là on avait été à Londres et avec ce copain qui habite Londres, celui-ci nous a amené dans plusieurs lieux hantés et notamment dans un parc qui n’avait l’air de rien mais arrivé sous un arbre, il nous a révélé que l’on pouvait parfois entendre des cliquetis, on entend cliqueter des épées car il y avait eu un duel autrefois. Et… euh… tu m’avais demandé des objets également, il y a cette canne. Cette canne m’accompagne toujours quand je vais en Angleterre. C’est une canne irlandaise. Les irlandais n’avaient pas beaucoup d’argent avant. Ils vendaient des cannes, c’est un bout de bois goudronné et ferré. J’ai arpenté l’Irlande et l’Angleterre avec cette canne. Quand j’étais enfant, il fallait toujours que j’aie un bout de bois à la main et j’ai gardé ce bout de bois, c’est d’abord un bout de bois avant d’être une canne. J’ai gardé ce goût tout comme René Hausman. Quand on va se promener, il demande toujours si j’ai pris mon « bois », il a un « bois ». Avant, tout le monde avait son bout de bois, son bâton, sa canne. Ça servait aussi à faire partir les chiens, à se guider, à marcher , à repousser les vaches, à baisser les ronces pour marcher. On n’a plus de bâton, de canne aujourd’hui. J’ai arpenté le Dartmoor avec cette canne, à la rechercher du chien des Baskerville. Et avec cette canne , j’ai été à New Forest, un petit coin dans le sud de l’Angleterre. C’est avant tout une forêt comme son nom l’indique. C’était un pays de sorcières. Tu as de très jolis villages, des poneys qui sont dans la forêt et Alice Liddell y est enterrée, Alice au Pays des Merveilles, évidemment elle est devenue Alice Hargreaves. Et un peu plus loin, c’est Conan Doyle qui est enterré, dans un autre cimetière. C’était très tôt le matin, on était arrivé par le ferry vers 4h du mat et quand on est arrivé, tout était endormi. Tu arrivais dans les petites rues de Dickens, dans une gravure de Rackham… J’avais l’impression de rentrer dans une image et quelle image puisque j’allais rencontrer Alice. Et je repère le clocher de l’église, le clocher carré comme tous les clochers anglais. Je pousse la porte du cimetière et j’entends un tout petit cling cling cling cling… Un petit grelot. Arrive un petit chat blanc, tout mignon et je le suis. Est-ce que ce chat à l’habitude que les gens se rendent sur la tombe d’Alice ? Je ne sais pas, mais il m’a conduit directement à cette tombe. Je me suis recueilli un moment, j’ai déposé une rose. Puis le chat m’a accompagné jusqu’à la sortie mais n’a pas été plus loin. C’était très curieux, tu vois, j’étais troublé. Et le village commençait à s’ouvrir et comme j’avais faim, je me suis rendu dans le premier pub. Et là, y avait une grande cheminée et à côté en belles lettres gothiques, on racontait l’histoire du fantôme de Noël, de cette cheminée. L’histoire du propriétaire qui le jour de la Noël ayant bu plus que de raison n’avait pas été à la messe et avait été puni, le diable le jetant dans cette cheminée. Et tous les ans, il réapparaît à la Noël, à nouveau embrasé. Tu vois, c’est étonnant, tu vas en Angleterre pour essayer de trouver des histoires et tu es à peine arrivé et elles se présentent à toi… C’est un peu comme le disait Bram Stoker, tu traverses le pont et les fantômes viennent à ta rencontre.

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    Ça c’est pour l’Angleterre mais tu as ça partout. Je suis allé avec Monge à la Réunion, nous sommes partis huit jours, là tu as le vaudou, Saint Expedit. Ils y croient à fond la caisse. On a été accueillis par un libraire de là-bas.. Saint Expedit, partout où tu vas, dans la montagne etc., tu as des caches creusées dans la roche, peinte en rouge et tu as une bougie avec une bouteille de rhum, un crucifix et tu fais ta prière à Saint Expédit qui expédie les autres dans l’au-delà. Alors moi je voulais allumer et le libraire me l’a interdit car c’était prendre le mal sur moi. Et aux carrefours, il faisait un tas de détours pour ne pas passer sur des sacs en plastique, dans ces sacs tu as des gris-gris, des poules, vouées au diable. Dans les cimetières, tu as ça aussi. Et pour te montrer combien c’est universel les histoires de fées, de sorcières eh bien, bon par chez toi tu as les chôrchiles bien sûr, mais dans les Ardennes belges vous avez la macrale, en Bretagne, y a la Markale, et là bas y avait une sorcière c’était la Mère Kale. Partout où tu vas, si tu cherches tu vas trouver des trucs. Mais l’Angleterre, l’Ecosse, les Cornouailles, ils ont une espèce d’enzyme mystique, quelque chose en plus. Est-ce que c’est le climat ou c’est parce qu’ils ont été élevés dans le légendaire ? Le fantastique y est très présent.

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    Le deuxième bouquin, c’est Laura Willows de Sylvia Townsend Warner. Elle a écrit plein de choses, de la poésie, des romans. 1893, fille d’un professeur… Elle va étudié à Vienne avec Shonberg… ça raconte l’histoire d’une vieille fille, un peu en retrait, une anglaise ordinaire, de condition bourgeoise, elle se marie pas. Son frère ainé s’inquiète, invite des bons partis mais ça l’intéresse pas. Et elle commence à dire des choses bizarre, elle entend que mardi c’est la pleine lune et elle parle de loups-garous, ça jette un froid dans l’assemblée. Et elle repousse tous les bons partis au grand dam du frère et un jour elle s’intéresse à un jeune homme parce qu’il est bègue. Puis elle décide de partir, elle va dans les Chiltern Hills, elle loue une petite maison, respire la nature, y est bien, elle va faire ses courses à la petite épicerie du coin… Elle y achète une grande brassée de branches sèches. C’est assez insidieux, elle rentre petit à petit dans la nature. Tout ce qui est naturel, sorcier, apparaît peu à peu… Elle se rend compte que les gens le soir sont partis ailleurs, petit à petit elle se sent devenir sorcière et un jour elle va dans la forêt et y rencontre le diable, Pan, ce que tu veux, sous la forme d’un chasseur vert. Et il lui dit qu’il sera toujours là pour elle et c’est fini. Je trouve ça extraordinaire. C’est un bouquin de littérature et tout doucement tu arrives au fantastique, tu arrives à quelque chose qui te dépasse, tu prends conscience que la nature est vivante, que tu es un élément de cette nature. Et que les religions d’avant, païennes, t’ouvraient à ça. Du grand dieu pan on en a fait le diable, c’était le premier dieu cornu. En Angleterre tu as beaucoup l’homme vert, sculpté un peu partout. Et cette auteure, qui était lesbienne, cultivée, à la fin de sa vie a écrit un bouquin sur les elfes. Et c’est pas de la fantasy, c’est réel, tu as l’impression qu’elle l’a vécu ! ça prouve un peu que le fantastique d’abord tu le vis, il est là en toi, pour peu que tu le révèles en toi, il est là. Ce bouquin est l’un de mes livres de chevet.

     

    Alors là, aussi, une anglaise, j’aime beaucoup la littérature féminine. En même temps c’est un peu asexué. Maintenant on a besoin de filles terrorisées courant dépoitraillées, etc. Mais le vrai fantastique, c’est autre chose. J’avais vu en Irlande, pour parler de paganisme, à côté d’un lough, une énorme pâtisserie, un château incroyable avec des fioritures partout et c’était un collège de jeunes filles perdu dans la lande avec des forêts de rhododendrons tout autour. Et j’avais visité cet établissement, y avait des bannières, les photos de toutes les filles ayant côtoyé cet établissement, Et tu voyais qu’elles jouaient en fin d’année le Songe d’une nuit d’été, du Shakespeare, du Keats, et tu imaginais cette vie de jeunes filles ensemble dans ces couloirs sombres et tous ces règlements et en face, la colline sauvage où le vent hurlait, tu penses à Sarn de Mary Webb ou aux brownies, des esprits de la lande qui doivent les appeler la nuit, le berger de la nuit qui leur joue la flûte pour les amener au sabbat. C’était évident que derrière le visage lisse des jeunes filles sur les photos, se cachait le grand dieu pan…

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    Et là, y a une auteur, regarde qu’est-ce qu’elle est belle, c’est Kathleen Raine. C’est une poétesse. Elle est morte il n’y a pas si longtemps. Intelligente, belle… Elle a écrit « Adieu prairies heureuses » où elle raconte son enfance en Écosse. C’est magnifique. Elle dit qu’elle a un moment conscience qu’il se passe quelque chose, elle se rend compte que la lande est vivante. « Reconnaître les fleurs sacrées des fleurs profanes. Avoir le sens instinctif de leur nature, de leur symbolique intrinsèque, de leur signature. Ces facultés, je les dois à mon éducation presbytérienne, elles ne m’ont jamais quittées ». Là c’est l’impression que j’ai eu de nombreuses fois en allant dans les cimetières anglais, dans les petites églises anglaises. J’avais toujours dit que quand je serai grand, je serai, je le ferai peut-être encore on ne sait jamais, je serai pasteur fou dans le Yorkshire ou le Devonshire. Tu arrives dans ces petites églises, tu traverses le cimetière, le cimetière n’est pas un parking, c’est un enclos, un jardin, c’est vert. T’as des buis, des bancs, des oiseaux, des écureuils. T’as les choucas. Dans Le Devon, j’ai vu des poneys entrer dans le cimetière et mettre bas. C’est vraiment le symbole de la survie, de la résurrection. Ici quand t’es dans le cimetière c’est bétonné, c’est propre. Propre chez nous, ça veut dire les pelouses rasées, tu peux pas marcher dedans. Terrasson disait que la jardin à la française c’était pousse toi que je m’y mette. Le parc anglais, il commence dans la pelouse avec des aménagements et puis, il est pas fermé il continue dans la campagne, dans le sauvage comme leur vision du monde fantastique. On partage, la frontière est lâche. Pareil avec le cimetière, nous on dirait un parking, du gravier et des tombes carrossées. J’ai vu un jour la tombe d’un enfant, une tombe abandonnée sur laquelle, par la grâce d’une fée sans doute, des coquelicots s’étaient mis à pousser. Eh bien, le lendemain, on avait passé du désherbant dessus ! Nous, faut que ça fasse propre, sans âme. En Angleterre, tu traverses le cimetière et bien souvent sur la porte des églises de campagne il est marqué « Faites attention de bien fermer la porte car des oiseaux pourraient rentrer derrière vous », se retrouver prisonnier…

    Quand tu rentres dans ces petites églises, tu as l’impression qu’elles sont habitées, un ange, une fée… J’ai vu des trucs assez étonnant comme ce pasteur du siècle dernier qui, en Cornouailles, s’adressait en chaire à sa femme et laissait ses animaux venir à la messe le dimanche, c’était presque des rites païens par moments. C’était au bord de la mer, il dialoguait avec les pixies, récitait des poèmes, avait érigé une cabane en flanc de rocher. Dans le cimetière, t’as une figure de proue, il récitait des vers habillé en sirène ! Y a que là que tu peux trouver des choses comme ça. Et dans ces recoins, dans le village à côté, c’est souvent les femmes qui en parle le mieux car elles sont plus proches de la nature que nous. Je déteste la compétition, être meilleur que l’autre. On devrait apprendre aux enfants d’être meilleur qu’eux mêmes, se dépasser soi mais pas l’autre ! Les femmes sont encore dans le senti, le ressenti et Katlheen Raine c’est magnifique, beau. Elles se souvient qu’elles ont été fées, sorcières, c’est la même chose, mères, vieilles déesses. Donc à côté du village de ce pasteur, y a un village de naufrageurs, de contrebandiers, complétement encaissé, et tu as un hôtel hanté, les lustres et tout ont été payé par Thomas Hardi, qui a écrit Tess d’Urberville, etc. Et tu as un musée de la sorcellerie, on y raconte l’histoire de la sorcellerie, tu as la cage où on noyait la sorcière, et puis, en passant par la Blavatsky, Alisteir Crowley, tu arrives aujourd’hui, les bâtons, les robes, et je vois les photos de cérémonie, de sabbat avec une fille assez belle nue avec d’autres nues, avec des couronnes de fleurs. Et je me dis que je connais cette fille, je me demande où je l’ai vue, dans un bouquin ou quoi… Entretemps mes amis viennent me rechercher et demande à la caissière si je suis encore là. Elle dit à mes amis qu’il ne reste plus que moi là-dedans. Et elle dit à mes amis que si je suis intéressé et veux plus de renseignements je peux lui demander. Donc je sors avec mes amis et jette un coup d’œil à la caissière et là je remarque que la fille, c’était elle ! C’est pour ça que j’avais l’impression de l’avoir reconnue, c’était la caissière du musée !

    Tu te dis que dans ce petit patelin, il y a encore un culte au Grand Dieu Pan ! La nuit ils font des hymnes à la nature, des incantations ; c’est ça que j’aime beaucoup. J’aimerais bien le raconter un jour, faire un bouquin sur mes voyages…

    Alors là, c’est un bouquin de John Galsworthy,  la saga des Forsyte, j’ai jamais lu cette saga mais j’ai lu quelques pages. Et un jour, je suis tombé sur quelques pages où il décrit un champ de coquelicots. Et là encore tu as un hymne à la nature que seuls les anglais peuvent dire, comprendre. Ça se voit d’ailleurs dans les boutiques, même si c’est quelquefois un peu cucul, transformé en bon savon joliment présenté, en mug à fleurs, Cicely Mary Barker, Beatrix Potter, on a l’impression que plus elles se sont penchées sur les fleurs pour les dessiner, plus elles ont vu ce qui se passait à l’intérieur, elles ont brusquement eu la vision de la petite fée, de la déva. Il s’est passé quelque chose. Tu parlais de Findhorn tout à l’heure, je suis persuadé qu’à force de vivre dans la nature, de faire des hymnes à la nature, tu ne peux que faire pousser des légumes qui sont… euh, tu es complétement intégré dans la nature et puis l’Ecosse…

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    Enfin, bon, donc Galsworthy, a écrit la saga des Forsyte. Un jour je vais à Pêle-Mêle à Bruxelles et là dans un tas à dix centimes, dix centimes de l’époque en plus, je trouve « Sous le pommier en fleurs » de Galsworthy. Je sais pas pourquoi, je me sens attiré, obligé de l’acheter. Je le prends, je le lis pas. Et puis un jour, je le lis : « Le jour de leur noces d’argent, Ashforth et sa femme faisaient une excursion en automobile autour de la lande avec l’intention de terminer cette journée de fête en passant la nuit à Torkay ». Donc je vois ce truc, Torkay. Dans le Devon, c’est au bord de la mer et la lande, c’est le Dartmoor ! Ce couple décide de s’arrêter dans la lande et elle fait de l’aquarelle et lui se promène. Ils découvrent une tombe le long de la route. Pour moi, c’est notre rapport avec la féerie. Hier avec les victoriens, aujourd’hui avec la féerie. 9a raconte l’histoire d’un gars avec sa femme. L’homme va voir la tombe, marche dans la lande et se rappelle que jeune homme, avec un copain, il avait traversé cette lande et ils arrivent, fatigués, près d’une petite ferme et là y a un verger avec un pommier en fleur et sous le pommier, une fée, une jolie paysanne. C’est Titania, Flore. L’homme est subjugué. Ils restent un moment à manger et à boire. Et le jeune homme le lendemain reste là et tombe éperdument amoureux de cette fille. Il lui promet une bague de fiançailles et part à Torkay acheter la bague et la robe et brusquement un cab passe et c’est son copain avec sa sœur et une maie de sa sœur. Cette femme est de son monde, lettrée. Il suit ses amis un peu plus loin et au retour il voit une fille mal entichée qui se faufile maladroitement entre les cabs et il reconnaît la fille de la ferme. Lui se cache. Il ne retournera pas et épousera la sœur du copain. Des années après il arrive près de cette ferme, il y voit un vieillard et lui demande des nouvelles de cette fille. Il apprend que sa fille s’est suicidée, pendue au pommier. Et ça, c’est nous qui passons à côté de la vraie fée. Touché par la grâce, il passe à côté. Donc je lis ce bouquin, et ça me dit quelque chose. Ça c’est Jay. Effectivement dans le Dartmoor, tu as une tombe à un carrefour, Jay’s grave. Kitty Jay, c’était une servante de ferme, qui après a travaillé dans un pub fin XIXe siècle. Elle avait été séduite par le fils d’un fermier qui l’a mis enceinte et elle s’est pendue. Et on l’a enterrée à ce croisement de chemins. Alors pourquoi on enterrait les suicidés aux carrefours, parce que leur âme, fantôme ne pouvait pas aller se venger comme il y a quatre chemins, ils ne peuvent pas choisir, leur âme tourne en rond. Et on aperçoit parfois l’ombre de Kitty Jay. Et aussi parce que cela forme une croix, le carrefour leur donne un semblant de croix qui par ailleurs leur est refusée. Les Pixies, dit-on, viennent fleurir la tombe régulièrement. Et cette tombe-là, même en hiver est toujours fleurie alors qu’il n’y a pas d’habitation dans le coin ! Donc c’était la même histoire pratiquement et en faisant des recherches en bibliothèque, je me suis rendu compte que Galsworthy avait habité Widecombe-in-the-Moor, donc il connaissait l’histoire. J’ai pleuré chez tous les éditeurs pour rééditer cet ouvrage et personne n’en veut. J’ai presque réussi à convaincre Gindre de la Clef d’Argent de le sortir…

     

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