Étiquette : Richard Ely

  • Fées noires & Dames sombres – La Croquemitaine

    Fées noires & Dames sombres – La Croquemitaine

    La Croquemitaine

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    Croquemitaine, F. Goya

    Hurle ! Hurle ! Voici venir la Croquemitaine, celle qui dévore les enfants peu sages et fait naître les cauchemars. Ses habits de lambeaux noirs et poussiéreux effrayent tout autant que son visage de vieille sorcière. Elle se niche dans les recoins sombres, sous les lits, dans les caves et greniers…

     

    Depuis quelques nuits, le petit garçon âgé de cinq ans venait retrouver ses parents dans leur lit. Il tremblait de peur. C’était l’âge des terreurs nocturnes, de cette fameuse conscience de l’obscurité et des premiers rêves redoutés. Louis avait de plus en plus de mal au coucher. Il pleurait beaucoup. Ses parents devaient sans cesse remonter, le rassurer, lui relire une histoire, lui chanter une berceuse avant que la fatigue prenne le dessus sur l’angoisse et lui ferme enfin les paupières. Avant d’aller eux-mêmes se coucher, ses parents venaient remonter la couverture sur le corps endormi de leur petit Louis. A ce moment-là, le visage de l’enfant était des plus paisibles. En quittant la chambre, ils éteignaient la veilleuse qui colorait d’une lumière douce et chaude la pièce. Lorsque la porte se refermait, on entendait dans la nuit les pas des parents gagner leur propre chambre, mais également un autre bruit furtif. C’était un léger glissement, un mouvement presque imperceptible. L’ombre qui se mouvait dans la chambre de Louis prenait tout son temps. Elle aimait se poser à côté du lit et observer le visage de l’enfant à son tour, des heures durant. Elle se délectait de ses traits infantiles, de cette jeunesse première, si sensible, si fragile… Puis, sa main se posait sur le front du gamin. Le petit corps s’agitait, une sueur faisait son apparition, coulant le long de ses tempes, mouillant son oreiller. Ses petits sourcils fronçaient et les premiers gémissements se faisaient entendre dans la chambre. Tout cela faisait le délice de la Croquemitaine, pauvre créature des ombres qui hante les chambres d’enfants, les greniers abandonnés et les caves obscures. Cette mauvaise fée des recoins engendre de terribles peurs et, comble de son ignominie, ne s’attaque qu’aux esprits encore fragiles ou immatures, les jeunes enfants ayant de loin, sa préférence. Le petit Louis en prise avec d’affreux cauchemars finit par ouvrir les yeux. Son regard à moitié éveillé s’ouvrit sur le visage grimaçant de la fée. Il hurla et se jeta hors de son lit, ouvrant la porte et courant se réfugier dans la couche de ses parents. Son père n’en pouvait plus, il fallait que cela cesse ! Sa mère le prit dans ses bras, calma son angoisse et fit taire les tremblements. Louis s’endormit. Ici, il ne craignait plus rien.

    Le père percevait la respiration redevenue plus calme de son fils. Le petit s’était déjà rendormi. Lui, il avait plus de mal à retourner au sommeil. Il se leva pour aller boire un verre d’eau dans la cuisine. En remontant, il jeta machinalement un œil depuis la cage d’escalier vers la chambre de l’enfant. A travers la porte entrouverte, il vit deux yeux noirs qui l’observaient.

  • Fées noires & Dames sombres – La Dame Blanche

    Fées noires & Dames sombres – La Dame Blanche

    La Dame Blanche

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    © Pascal Izac

     

    Dessous ses habits d’un blanc éclatant, sa peau est diaphane. Toute goutte de sang a déserté depuis longtemps ses veines et artères. On la rencontre le plus souvent sous un arbre, au bord d’une route. Fantôme ou fée, les avis sont partagés. Elle est le souvenir d’une mort tragique ou annonciatrice de celle-ci. Si vous la prenez en stop, elle hurlera avant de disparaître, provoquant bien souvent votre propre accident mortel.

     

    Minuit. L’heure des fantômes. La route menant à la ville voisine était silencieuse. C’était un mardi et le mardi, personne n’empruntait ce chemin à minuit. Pourtant, au loin, dans les méandres que traçait cette route déserte au cœur de la campagne, deux phares indiquaient clairement qu’une voiture venait dans cette direction. La brume qui s’étale chaque matin sur les champs et les prés tissait de fins lambeaux que le véhicule accueillit sans que son conducteur prenne la peine d’activer les feux antibrouillard. Sa vision était claire, le chemin dégagé.

    A cause des virages incessants que comportait ce bout du voyage, la voiture ralentit sa course. Il valait mieux faire preuve de prudence que de terminer dans l’un des larges fossés bordant l’asphalte. Au volant, un homme aux tempes grisonnantes. Il était vêtu d’un costume qui ne lui allait pas. Trop grand, trop large, il dessinait aux épaules des plis qui témoignaient d’un manque de goût ou tout simplement que le port du costume-cravate chez cet individu était occasionnel. C’était le cas. David revêtait rarement ce genre d’habit de cérémonie. Sauf lorsqu’une affaire importante l’exigeait. Ce soir-là, il avait fêté la signature l’après-midi d’un emprunt qui permettrait à sa ferme de prendre un nouvel envol. La torture du costume avait porté ses fruits et la signature avait mérité un bon repas au restaurant. Voilà pourquoi il revenait si tard de la ville et roulait seul sur cette route de campagne.

    A hauteur d’une boulaie, il ralentit encore. Il venait d’apercevoir sur le bas-côté une femme qui lui faisait signe. Elle était blanche. Aussi bien de par ses habits que par la couleur de son teint. Il s’arrêta. Elle monta à l’arrière. Machinalement, il redémarra. Tout en roulant, il posait des questions. Où allait-elle comme ça en pleine nuit ? D’où venait-elle ? Il ne semblait pas la connaître et pourtant, il connaissait tous les gens de la région. A ces questions, la femme ne répondait pas. Elle fixait la route, droit devant elle, muette. David commença à trouver la présence dérangeante. Inquiétante, même. Jetant un œil dans le rétroviseur, il tentait d’observer sa passagère, mais parvenait avec difficulté à saisir ses traits. Tout en gardant les mains sur le volant, il se retourna. La fée hurla, poussa un cri puissant. David porta les mains aux oreilles tout en faisant face à nouveau à la route, une seconde avant que la voiture ne heurte un chêne tombé en travers.

    Il apprit plus tard, alors qu’il était en convalescence que les pompiers n’avaient trouvé que lui dans la voiture. Nulle trace de cette Dame Blanche, étrange passagère d’un soir dont le cri l’avait averti du danger, lui semblait-il. A sa sortie de l’hôpital, il lui fallut encore trois semaines avant de pouvoir conduire à nouveau. Un soir, il se força à prendre la route de l’accident. Sur les lieux même du crash, une Dame Blanche l’attendait. Cette fois, elle ne le manquerait pas.

  • Fées noires & Dames sombres – La Gouivre

    Fées noires & Dames sombres – La Gouivre

    La Gouivre

    gouivre
    © Pascal Izac

     

    La Gouivre hante les montagnes de Grande-Bretagne. Elle y guette le voyageur imprudent, celui qui ose par défi ou par ignorance porter ses pas sur le territoire de la fée. Elle l’attend, debout, dans le silence, au bord du chemin. Quiconque s’en approche la verra soudain hurler ou s’abattre sur lui, lui causant au mieux une terrible frayeur, au pire le recul fatal qui le fera tomber dans un ravin.

     

    Le ciel était dégagé ce matin-là. Chose plutôt rare dans ce pays battu la plupart du temps par les pluies et le vent. La lumière conférait à la montagne un air de bienfaisance qui contrastait lui aussi avec sa sombre réputation. Un groupe de randonneurs escaladait le flanc Est, profitant de cette éclaircie pour se réchauffer durant leur périple. Ils en étaient à la moitié de l’ascension lorsque l’un d’entre eux aperçut une brèche dans la roche. C’était l’entrée d’une caverne. La première qu’il rencontrait depuis leur départ. Leur groupe était constitué de huit personnes dont deux étaient des spéléologues chevronnés. Ils faisaient partie d’un club gallois, une bande de passionnés de spéléologie qui s’était mis en tête d’effectuer un relevé complet des grottes de la région. Une fois par mois, les amis se retrouvaient au pied d’une montagne pour en explorer les cavités avec autant de curiosité que d’impatience. Chaque mission était pour eux un vrai moment hors du commun, un départ pour l’inconnu et chacune de leurs explorations s’était soldée par une découverte à leurs yeux toujours exceptionnelle que ce soit par la flore, les minerais ou, chose encore plus appréciée par le petit groupe, des traces de vie humaine datant de la Préhistoire.

    A l’intérieur de la caverne régnait un noir absolu. Les lampes frontales balayaient les parois à la recherche de tout détail insolite. La grotte était profonde. Les spéléologues s’avançaient prudemment, en cordée, afin d’éviter que l’un d’eux ne tombe dans un gouffre dissimulé parmi les rochers. Devant eux se présentèrent deux conduits, l’un était trop petit pour s’y tenir debout et le groupe choisit d’explorer l’autre, où il ne fallait que légèrement courber le dos pour y circuler.

    Au bout d’une heure d’exploration, le groupe tomba nez à nez avec une salle. Les lampes reflétaient une brillance caractéristique des parois humides, ce que les doigts des explorateurs en herbe confirmèrent aussitôt : de l’eau suintait de toutes partes, s’écoulant le long des parois, formant au fil des siècles les stalactites et stalagmites qui apparaissaient sous leurs yeux ébahis. De telles formations, plutôt rares en cette région, étaient toujours une découverte extraordinaire. Les hommes s’avancèrent plus avant pour en voir davantage quand l’un d’entre eux cria. Il venait de faire une toute autre découverte. A ses pieds gisait un tas d’os. Les restes de repas d’un grand carnivore. Les huit lampes pointèrent vers le tas. Il y avait là des morceaux de divers animaux, en grande quantité. Certainement la cache de loups, d’un ours peut-être ? Les os semblaient bien vieux… Ou alors un site néolithique ? Un des membres du groupe trouva ce qui semblait être un crâne humain. Cela confirmait la dernière hypothèse, un ossuaire ancien. Les sourires remplissaient les visages. Leur périple n’allait pas être vain. La gloire allait bientôt auréoler leur petit club… C’est alors que l’un d’eux poussa un autre genre de cri, un hurlement d’horreur cette fois. Il venait de poser le faisceau de sa lampe sur un bras. Un bras ensanglanté, dévoré, dont des lambeaux de vêtements couvraient encore en partie la chair déchiquetée. Celui qui avait commis ce meurtre, cette ignominie était encore là ! Le groupe déguerpit et dans leur précipitation, arrivés à la hauteur des entrées des deux couloirs, ils n’entendirent pas le léger gémissement, le frôlement d’une masse s’avançant vers eux depuis les profondeurs du second conduit. Ils ne virent pas en surgir, dans leur dos, la fée malfaisante, le regard tordu de folie, la bave s’écoulant entre ses dents pointues et éparses, les griffes acérées pointées en avant. La Gouivre avait faim et l’odeur des hommes l’avait réveillée.

  • Fées noires & Dames sombres – La Succube

    Fées noires & Dames sombres – La Succube

    La Succube

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    © Pascal Izac

     

    Fille de Lilith, la Succube se glisse subrepticement sous les draps de l’homme endormi pour lui susurrer d’étranges pensées érotiques durant son sommeil. Séductrice, elle s’approche du pauvre mortel, drapée dans sa cape rouge conférant encore plus de pâleur à sa peau des plus blanches. D’une beauté sans égale, elle finit par vous attirer, entrouvrant son manteau pour vous pousser vers l’objet de tous les péchés. Votre corps serré contre le sien, elle aspire la vie en vous étreignant. Votre peau délicate se couvre de rides, vos cheveux blanchissent, vos dents se déchaussent… Il ne restera très bientôt de vous qu’un cadavre de vieil homme décharné.

     

    C’était un homme pieux le Firmin. Il ne manquait jamais l’office du matin. Ni les vêpres. On aurait dit qu’il passait son temps à l’église. C’est qu’il avait une chose à se faire pardonner le Firmin. Une de ces choses qu’on ne peut révéler en confesse. Il se savait damné, mais rien n’aurait pu l’empêcher de poursuivre sur la voie du péché. Ni les prières prononcées, ni les remords et regrets. Encore moins les coups qu’il se portait, afin de se punir de ce qui le rongeait.

    Il habitait la petite maison à la sortie du village, près de la forêt. Une simple masure pourvue d’une grange attenante. C’est dans l’annexe que cela se passait. Chaque nuit, il attendait son murmure, sa voix chuchotée à travers les murs et qui lançait l’inévitable invitation « Viens… »

    Alors, il sortait de chez lui, jetait un regard inquiet dans la rue. D’un côté, puis de l’autre. Il fermait la porte à clef et, muni d’une chandelle, ouvrait celle de la grange. La créature l’attendait, allongée sur la paille. La faible lueur projetée de la chandelle laissait deviner un corps nu, sulfureux. L’homme posa la bougie à côté de la Succube. Car tel était son secret : cette divine créature qui venait le visiter chaque soir depuis des mois ne pouvait être que l’engeance d’un démon. Sauvage, elle s’était donnée au Firmin qui n’avait jamais connu une telle extase. A un point tel que ses mains gardaient perpétuellement la mémoire des courbes de nuit caressées, que ses narines ne se désemplissaient plus du charnel parfum de la fée. Chaque nuit, il vivait un autre temps, et chaque matin, il pleurait. Non de honte d’avoir succombé au péché mais de joie, de cette incompréhension de pouvoir toucher, jouir d’une telle beauté lui qui possédait un visage ridé, une bouche sans dent et le corps amaigri d’un homme à l’âge passé. Il ne comprenait pas pourquoi elle l’avait choisi et cette incompréhension le torturait bien plus que la culpabilité. Il cherchait une réponse, c’est pourquoi il venait chaque jour aux messes sans oser aborder le sujet de ses occupations nocturnes avec le curé.

    Cette nuit-là fut encore plus magique. La créature paraissait insatiable. Son étreinte épuisait le pauvre homme. Malgré le fait de sentir ses forces le quitter, il ne pouvait refuser les avances de la dame. De peur qu’elle ne disparaisse, il caressait et caressait encore ce corps brûlant. Tout à son étreinte, il ne vit pas le feu se propager depuis le bout de chandelle posé sur la paille. Le couple enlacé faisait l’amour au cœur des flammes qui se reflétaient dans le regard de la Succube. Brusquement, elle poussa le vieil homme dans le brasier. Il hurla et de son pauvre corps meurtri, épuisé, une ombre jaillit que la Succube accueillit en son sein. Puis, elle disparut, emportant avec elle l’âme damnée du pauvre Firmin.

  • Fées noires & Dames sombres – Gwaernardel

    Fées noires & Dames sombres – Gwaernardel

    Gwaernardel

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    © Pascal Izac

     

    Sur la fantomatique île de Man, hantée par tant de créatures issues des temps anciens, nul homme ne redoute rencontre plus maléfique que celle de Gwaenardel. Sa promesse n’est que mort, son désir qu’issue fatale. Elle vous capte d’un regard, décèle en vous l’esprit avide de gloire qu’elle s’empressera de nourrir tout en vidant vos veines de leur sang. Un seul de ses baisers vaut-il votre existence entière ? Ceux qui y ont goûté ne sont malheureusement plus là pour l’affirmer.

     

    Au fur et à mesure qu’il connaissait le succès, le poète dépérissait. Tout avait commencé un soir d’été, sur l’île de Man. Le poète fit la connaissance d’une fée. Elle était belle, de cette beauté du diable qui vous sépare de votre raison à l’instant. Il lui avait chanté des vers, maladroits, hésitants. Elle avait ri, d’un rire qui restait gravé en votre esprit comme s’il avait été de feu. Elle s’était approchée du poète, l’avait embrassé et son souffle pénétrant dans le corps de l’homme lui avait dévoilé une autre dimension. A partir de cette nuit, ses rêves ne furent que beauté et lorsqu’il ouvrait les yeux, le paysage s’offrait à lui dans sa plus grande pureté. Il posa avec une aisance invraisemblable les mots justes sur chaque objet qu’il décrivait. Il envoya un premier manuscrit et l’éditeur avoua plus tard avoir pleuré en le lisant. Les œuvres se succédèrent alors à un rythme effréné et le poète connut le succès, chose rare dans son art, de son vivant. On le réclama de toutes parts, les écoles programmaient ses textes en classe, les libraires se battaient pour le recevoir, les bibliothèques se l’arrachaient pour pouvoir l’écouter déclamer ses vers puissants, précis, aiguisés comme les plus fines lames, vous transperçant le cœur, y gravant l’amour et la beauté, la mort et la tristesse comme personne ne l’avait fait auparavant. Mais à chacune de ses apparitions, l’homme semblait vieillir, se racornir, se vider de sa vie. Au fur et à mesure que le verbe gagnait en puissance, son apparence déclinait. Et toujours, entre chaque voyage, chaque invitation, le poète insistait pour regagner l’île de Man où, secrètement, il retrouvait sa muse. Elle était la source de son inspiration, celle par qui lui venait toute idée. Il ne concevait aucunement écrire un mot sans la voir, la toucher, la chérir. Ses voyages l’épuisaient, ses créations le vidaient. Il vint un jour où, gris, pâle et d’une maigreur extrême, le poète eut tout le mal du monde à se traîner aux pieds de sa fée. Le voyant si affaibli, la Gwaenardel partit d’un rire. Mais ce dernier avait une toute autre saveur que le premier qui avait surgi de sa bouche et l’avait enivré d’amour pour elle. Non, celui-ci était sec. Il portait en lui de la moquerie, une aigreur abjecte. Ce rire le frappa en plein cœur. Avant de s’écrouler sur le sol, il ressentit une douleur immense dans le bras gauche. Au lieu de lui porter secours, la fée détourna le regard. Un fin sourire naissait sur ses lèvres alors qu’un jeune homme se dirigeait vers elle. Il avait l’allure d’un poète.

Suivez les fées !

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