Étiquette : fées noires

  • Fées noires & Dames sombres – Jenny Dents vertes

    Jenny Dents vertes

    jenny
    © Pascal Izac

     

    La Dame croquemitaine associée aux eaux tumultueuses anglaises, Jenny aux dents vertes, porte différents noms suivant les régions. Jinny dans le Lancashire, Wicked Jenny dans le Shropshire. Cette fée aquatique dont la chevelure couverte d’algues est aussi verte que sa peau et ses dents représente un réel danger pour les plus jeunes autant que pour les plus âgés. Pour l’éviter, un seul mot d’ordre : tenez-vous éloigné des berges !

     

    Le petit John n’était pas des plus obéissants. Il passait son temps à braver l’interdit. Du haut de ses six ans, rien ne semblait lui faire peur. Ni les punitions répétées, ni les menaces et encore moins toutes ces légendes et superstitions sensées le tenir à l’écart des endroits dangereux. C’est ainsi qu’un jour, malgré les mises en garde de sa nannie, il se mit en tête de quitter l’enceinte bienveillante du jardin familial pour aller se promener du côté de la rivière. Pourtant, sa grand-mère lui avait conté la mésaventure de ces jeunes imprudents qui avaient rencontré sur le chemin de la rivière, la mauvaise fée Jenny Greenteeth. Celle-ci se dissimulait dans les roseaux, attendant patiemment qu’un petit effronté comme l’était Johnny, vienne à s’approcher. Alors, la fée bondissait de sa cachette et de ses griffes acérées s’emparait du garnement pour l’emporter au fond des eaux. Mais John n’avait pas peur de ces sornettes. Des sorcières, il n’en avait jamais rencontrées. Des fées, ça n’existait pas et encore moins des vertes aux dents pointues. C’était encore des menaces en l’air, des histoires pour les petits enfants craintifs.

    Le garçon était arrivé près de la rivière. Il scrutait avec attention les berges ne sachant pas vraiment ce qu’il y cherchait. Les paroles de la grand-mère lui revenaient sans cesse dans la tête. L’assurance qui l’avait toujours accompagnée jusque-là faiblissait. Brusquement, il crut percevoir un mouvement de ce côté-ci de la rivière. A travers l’amas de roseaux, deux yeux le fixaient. Deux boules noires encadrées par une filasse verte. Un peu plus bas se dessinait une bouche, une bouche énorme de laquelle pointaient des crocs acérés. Il voyait maintenant, caché dans les végétaux, le corps spongieux et difforme de la mauvaise fée. C’était elle, Jenny ! Elle attendait qu’il s’approche encore un peu pour se saisir de lui. L’enfant tressaillit et, d’un coup, fit volte-face, s’engouffrant dans le chemin qui menait à sa demeure, fuyant à toutes jambes ce monstre tapi dans l’ombre de la berge qui en voulait à sa jeune vie. Ce soir-là, Johnny ne dit rien. Pas un mot. Et jamais depuis, on eut à répéter une seule menace.

  • Fées noires & Dames sombres – Leannán sí

    La leannán sí

    leanan
    © Pascal Izac

     

    Qui rencontre une leannán sí ne peut qu’être séduit par cette ténébreuse beauté. Si elle vous emprisonne le cœur, en retour, elle libère l’esprit. Muse parfaite, sa présence à vos côtés pousse à la créativité. Attirée par le poète naissant, le jeune peintre ou l’artiste en ses débuts, elle offre gloire et inspiration à ceux-ci en échange de leur vie. L’immortalité de l’œuvre n’a de pendant que la brièveté du souffle de son créateur.

     

     

    La galerie d’art n’avait jamais connu autant d’affluence. La foule se pressait pour découvrir les œuvres exposées ce jour. Il faut dire que la part de mystère qui les entourait avait fait couler beaucoup d’encre dans la presse. Un homme avait découvert les tableaux dans une vieille maison qu’il venait d’acquérir en vente publique. L’ancien propriétaire n’avait pas d’héritier. C’était un homme solitaire, qui parlait peu et qui avait toujours habité seul, d’après les habitants du village. La découverte des toiles avait été une véritable surprise pour le nouveau propriétaire. Il ne s’y connaissait pas vraiment en peinture, mais ce qu’il avait devant les yeux était si envoûtant qu’il se douta immédiatement de la valeur des tableaux. Il en embarqua un et choisit de le montrer à une galerie d’art de la ville voisine. Le directeur de la galerie n’avait jamais rien vu de tel. Il appela un de ses confrères et une heure plus tard les deux experts parlaient en gesticulant et d’une voix forte de la merveilleuse beauté qui se dégageait d’un tel chef d’œuvre. D’autres experts furent appelés encore et une galerie se porta acquéreuse de l’ensemble des tableaux à un prix qui permettait au propriétaire des lieux de jouir d’une existence tranquille pour le reste de sa vie. La collection fut alors soumise aux plus grandes analyses, on vit passer des reproductions dans les magazines spécialisés d’abord, dans les médias de masse ensuite, tellement l’émerveillement devant ces portraits provoquait de sentiments. Car chaque tableau représentait toujours la même femme, insaisissable, trouble, mais dont les traits dessinés reflétaient l’image de la beauté la plus pure qui soit. On se mit à rechercher l’histoire du peintre. On ne trouva trace de lui que dans sa prime jeunesse. Des études artistiques, son installation dans la campagne irlandaise. Un long voyage en Ecosse, dans les îles anglaises et puis, à vingt ans à peine, une vie de reclus. Mais le point le plus intrigant de son histoire était qu’il n’y avait nulle trace d’un modèle. Qui était la femme représentée dans les portraits ? Etait-elle née de son imagination ? La maîtrise parfaite du modèle ne semblait pas épouser cette piste. Une muse secrète, une femme entraperçue au village ? Les explications les plus farfelues allèrent bon train. C’était le souvenir d’une mère défunte, d’une sœur ? Un fantôme ou une fée qui lui rendait visite ? Jamais on ne put percer le mystère. A voir les visages des visiteurs de l’exposition d’aujourd’hui, une chose semble certaine, la femme des portraits possédait un pouvoir d’attraction sans nul autre pareil.

     

     

  • Fées noires & Dames sombres – Bloody Mary

     

    Bloody Mary

    bloody_mary
    © Pascal Izac

     

    On ne sait ce qui a poussé exactement Mary la Sanglante à vivre au fond des miroirs… Le meurtre de son enfant, un suicide, un décès en couches… Quoiqu’il en soit, il n’est jamais bon l’appeler par trois ou treize fois, la provoquer devant la glace polie et voir son reflet prendre les traits de la fée ensanglantée qui ne manquera pas de surgir à l’appel, au murmure ou au cri maintes fois prononcé.

     

     

    « Bloody Mary… ». Les mots venaient d’être formulés par Jenny. Elle n’était pas seule dans la pièce éclairée de deux bougies. Son amie Sarah se tenait à côté d’elle. Toutes deux avaient quatorze ans et s’amusaient à reproduire un bien étrange rituel. Les adolescentes avaient découvert la légende de Bloody Mary dans un récit d’épouvante, une nouvelle glissée dans un magazine de Weird Tales. Le genre de revues qu’elles lisaient en cachette et dont elles appréciaient beaucoup les histoires. Elles adoraient frissonner et mettre en scène les nouvelles lues chez l’une ou chez l’autre. Rejouant la venue d’un vampire, l’éveil d’un mort-vivant. Ce jour-là, elles avaient consciencieusement fermé les volets et tiré les rideaux. Les deux chandelles suffisaient à peine à y voir clair. Les filles se tenaient debout devant un grand miroir. Jenny lui faisait maintenant face. Un léger tremblement pouvait se deviner le long de ses bras pendants, les doigts triturant nerveusement sa robe, se pliant et se repliant pour en chasser la moiteur. Les yeux plongés dans le miroir, la jeune fille se décida enfin à prononcer une deuxième fois la formule, le nom de celle qu’elle invoquait…

     

    « Bloody Mary… ». Cette fois, la main de Jenny avait instinctivement recherché celle de Sarah. Il ne lui restait qu’une fois. Une seule fois prononcer le nom de la mauvaise fée qui se terrait au fond des miroirs pour la voir apparaître. Trembler devant son visage déchiré par de terribles souffrances, celle d’une mère assassine, d’une créature sans âme, condamnée à errer dans les limbes derrière ces vitres à observer le bonheur des autres tout en ressassant sa haine et son mépris. La prison de verre ne pouvait être brisée que par son nom, trois fois prononcé. Alors, elle sortait, toute colère et vengeance, ses griffes se plantaient dans votre cou, ses dents vous arrachaient le nez, les yeux et toute l’horreur se déversait en votre chambre. Mais tout cela n’était qu’un conte, une légende… Braver l’interdit était tentant. Qui peut y résister ? Certainement pas des jeunes gens de quatorze ans. L’âge de la déraison. Celui des découvertes, des jeux sans frontière ni tabou. Pousser les défis de plus en plus loin, sentir la joie troublante d’une liberté infinie, marcher sur un fil tendu, prêt à se rompre et connaître les délices du grand frisson. La main serrée dans celle de Sarah, Jenny jeta un dernier coup d’œil à son amie. Leurs regards se croisèrent et elles pouffèrent de rire… Nonchalamment, Jenny refit face au miroir et dans un demi-soupir, elle lâcha :

    « Bloody Mary… »

  • Fées noires & Dames sombres – La Lavandière de nuit

    La Lavandière de nuit

    lamina
    © Pascal Izac

     

    Penchée sur un linge tâché de sang, la Lavandière, vêtue dune épaisse robe noire, bat en gémissant lhabit du futur défunt quelle tient entre ses mains usées. Celle-ci hante un ancien lavoir et de ses yeux s’écoulent deux filets de larmes rejoignant leau depuis longtemps croupie. Malheur à celui qui croise le regard de cette femme endeuillée, cest bien souvent sa propre mort quelle augure et son linceul quelle tient au bout des bras !

     

    La lune caressait le paysage de ses rayons de lumière pâle conférant aux arbres des allures de silhouettes fantomatiques. Sur le chemin qui menait au village de P., un homme marchait. Il revenait d’une soirée bien arrosée où l’on avait fêté le demi-siècle d’un ami de toujours. Lui, il dépasserait ce cap d’ici deux mois. Il s’imaginait déjà ce jour, ses amis, et les heures de rigolade débridée. Sifflotant, il avançait le cœur joyeux quand son regard fut attiré par une ombre dans les fourrés. Machinalement, l’homme quitta le chemin pour s’approcher, attisé par une curiosité de poivrot, titubant entre les buissons, trébuchant sur les pierres d’un sentier improvisé bien moins sécurisant que la route du village. Au bout de quelques minutes de marche hasardeuse, il déboucha sur une clairière ouvrant sur un étang. L’ombre était posée sur la berge. Plissant les yeux, il devina plus qu’il ne vit une femme, drapée dans des vêtements sombres et qui battait l’eau de manière régulière en murmurant un chant ancien. L’homme avait déjà entendu cette mélodie. C’était un chant de pleureuses, du temps où un groupe de femmes gémissantes accompagnait les cortèges funèbres.

    Il s’approcha de la femme, la salua mais ne reçut point de réponse. Armé du sot courage que vous confère l’alcool, il s’avança encore et toucha l’épaule de la dame. Elle se redressa lentement. Fixant d’abord le sol, elle releva lentement la tête pour faire face à l’homme. Son visage était d’une blancheur maladive, ses yeux d’un noir profond, creusés comme le sont ceux d’un être marqué par une terrible tristesse. Sans un mot, la dame leva les bras, tenant au bout de ceux-ci un linge blanc trempé. Par reflexe, l’homme s’en saisit et se mit à le tordre. De l’eau s’écoula du linge et mouilla le sol au pied du soulard qui s’en amusait. Quelques secondes plus tard, un liquide plus épais, plus poisseux se répandit à son tour et l’homme s’en effraya : ce n’était plus de l’eau mais du sang qui suintait du linge. La peur qui le saisit alors le dessoûla aussi net. Mais il était trop tard, il avait entre les mains le linceul d’une Lavandière, l’une de ces fées maudites que l’on croise la nuit le long des anciens lavoirs et des étangs. S’il avait eu un brin de conscience cette nuit-là, il aurait fui, couru pour rejoindre son village. Son sort était scellé. Il avait accepté le linge maudit, l’avait tordu. Peu importe s’il parvenait maintenant à rejoindre sa demeure ou s’il se laissait conduire par la fée vers l’eau froide. Quoi qu’il fasse, il le savait, il ne fêterait jamais son demi-siècle.

  • Fées noires & Dames sombres – La Teugghia

    La Teugghia

    teugghia
    © Pascal Izac

    La Teugghia fut autrefois rejetée par les fées d’Italie à cause de sa méchanceté. Un trait de caractère qui se lit sur la moitié gauche ravagée, racornie, vieillie de son visage ou se devine à ses habits qui affichent également pour partie lambeaux et déchirures alors que la moitié droite rayonne de beauté. Celle du Val d’Aoste est célèbre pour commettre ses rapines avec une horde d’orchons, créatures malingres et malfaisantes qu’on prétend être de ses enfants.

     

    L’histoire se passe tout au nord de l’Italie, au pied des Alpes naissantes, là où courent les forêts de sapins depuis les sommets des montagnes jusqu’à engloutir les vallées. Plusieurs cavernes étaient hantées du peuple des fées. L’une d’elle faisait beaucoup parler les conteurs, les anciennes et les paysans. Cette fée, qu’on nomme là-bas la Teugghia, avait une progéniture un peu particulière. Les Orchons, ses enfants, ressemblaient à des êtres velus, grognant plus qu’ils ne parlaient et qui s’infiltraient de nuit dans les habitations pour y commettre de nombreux larcins. Ils y volaient principalement de la nourriture, du pain et du lait qu’ils rapportaient à leur mère aimante. Pour les faire fuir, les villageois disposaient un peu partout des plantes de fenouil. Leur odeur repoussait les créatures et si par malheur ils ingurgitaient du pain préparé avec quelques graines de fenouil, la mort les saisissait quelques heures plus tard.

     

    Un jour, un homme qui descendait la montagne vit la Teugghia près de l’une des grottes. La fée était occupée à fendre des bûches. Se gardant bien de présenter sa face vieille et laide, elle fit signe à l’homme de venir l’aider. Elle lui parlait en se tenant de profil, ne laissant apercevoir d’elle que le côté jeune et beau. Elle voulait que le paysan fende toutes ses bûches et le gratifia d’un demi-sourire, lui promettant une bien belle récompense si celui-ci se mettait au travail. L’homme n’était pas dupe. Il avait reconnu la mauvaise fée. Il prétexta que sans cognée, il ne pouvait effectuer la tâche demandée. « Si cela ne tient qu’à cela ! », répondit la fée tout en joignant les deux mains juste au-dessus de la première bûche, « Cogne donc là-dessus, paysan, et n’aies pas peur de frapper. Cela suffira à fendre le bois ! ». L’homme se saisit de la masse posée tout à côté, l’éleva dans les airs et la rabattit de toute la force qu’il possédait. Le choc fut violent et les mains jointes de la Teugghia traversèrent la bûche pour aller s’enfoncer dans le tronc qui servait d’enclume. Elle se retrouva les mains bien coincées et l’homme éclata d’un rire gras. « Te voilà bien attraper la fée », s’écria-t-il. Et sans demander son reste, il partit rejoindre le village et y raconter comment il s’était joué d’une Teugghia. On entendit des jours et des nuits durant les cris de la fée le maudissant, appelant ses fils pour venir l’aider. Mais les Orchons qui étaient aussi bêtes que laids eurent toutes les peines du monde à tirer leur mère de cette misère.

Suivez les fées !

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