Scénario : E. & R. Lebreton, etc. – Dessin : Istin, Michel, Peynet, etc. – Editions : Soleil
« Bretagne… Source intarissable de légendes, berceau du merveilleux! Bretagne, fief du petit peuple des collines, des sous-bois et des récifs, patrie des Korrigans! »
Venez retrouver Koc’h pour que, ce soir, il vous conte les secrets du vent, de la mer, de la lande et de la pierre… Attention, prononcez Korr comme Korrigan et non pas coque ou coche! En digne représentant du peuple des Tertres, Koc’h va vous mener dans une folle gavotte, pour vous conter, à sa manière, les récits qui ont forgé l’âme de la belle péninsule bretonne…
Les merveilles de la sirène des îles Glénan
Revenons au temps où la Bretagne s’appelle encore Armorique et où elle appartient aux celtes. Le jeune Tan, par amour pour la belle, douce et troublante Awen, fille du grand druide, s’est embarqué dans une pêche aux trésors enfouis… à 20.000 lieux sous les mers… Invité dans l’antre de Morgan, la fée du Loc’h, Tan essaye de s’emparer de quelques richesses mais il se laisse vite ensorceler par les charmes de la dame… Grâce au chant du héraut, l’oiseau sacré de Bélénos, Awen peut ressentir le danger et se rendre dans le palais de la fée des sept îles… Une somptueuse demeure protégée par un dragon répondant au petit nom de Nessie… ça vous dit quelque chose?
Soyez dignes des bienfaits des Korrigans ou alors ils feront preuve d’une certaine… ingéniosité… C’est par l’histoire des bossus de Quimper que Koc’h illustre cette notion de justice « poétique ». Nous sommes en juin 1830, la journée est ensoleillée, le père Cosker marie ses deux filles. Les frères bossus sont présents à la fête, en tant que musiciens : Kaour joue du biniou et Laouig, de la bombarde… une façon de leur assurer le boire et le manger. Sur le chemin du retour, la curiosité va pousser le plus brave des deux frères vers une fête célébrée par… des Korrigans. Et l’esprit dont il fait preuve ainsi que son talent vont y être récompensés… Par contre la jalousie du son frère grognon et surtout sa cupidité vont être fort punies… Vous voulez savoir ce qu’il advint du garnement ? Et bien, on dit qu’il finit par échouer à Paris, comme sonneur de cloches dans une célèbre cathédrale… Mais ça, c’est une autre histoire…
Quelle bonne idée de se réunir ainsi autour de ces facétieux lutins, les Korrigans, pour nous livrer ces quelques très beaux secrets ! Cet album dirigé par Jean-Luc Istin est l’œuvre de trois dessinateurs et deux scénaristes. Le principe est simple : un narrateur, Koc’h le Korrigan, nous conte trois histoires par tome. Ces récits sont développés sur un même thème et illustrés à chaque fois par un illustrateur différent. Et c’est une réelle richesse que de voir évoluer dans ces styles personnels les petits êtres de l’autre monde qui viennent hanter la péninsule de Bretagne. En un seul album, les auteurs nous ont déjà fait voyager, des îles Glénan à Erdeven et à Quimper. Tentez dès maintenant ce voyage fabuleux. Il va vous faire lever le voile sur ces secrets cachés qui ont forgé l’âme bretonne… Une dernière question : avez-vous compris ce qu’il faut entendre par trésors enfouis? Si non, attention, Koc’h vous réserve son sabot dans le derrière!
Petit portrait Les Korrigans sont laids et d’aspect grotesque. De petite taille, ils ont le pouvoir de s’enfler jusqu’à devenir monstrueux et sont dotés d’une force physique extraordinaire. C’est la nuit qu’ils sont le plus visibles, préférant rester cachés le jour (dans des buissons, des tertres ou des greniers). Les Korrigans ont une image de bandits, de voleurs, de vandales. Ils sont toujours prêts à jouer quelques mauvais tours et ont la réputation d’échanger les nouveaux-nés contre un horrible bébé korrigan. Parfois, ils sont simplement les gardiens des trésors des collines…
Pascal Moguérou contribue par ses illustrations a donner un visage aux Korrigans bretons
Le savez-vous?
Si vous rencontrez quelqu’un dont le nom est Corricon ou Coricon, sachez que ce nom normand provient du breton “korrigan”. Il s’agit en effet du diminutif de corric, surnom qui désignait un homme petit et vif.
Le Grand Pouvoir du Chninkel est paru aux éditions Casterman
Un jour, un Miracle
Depuis la nuit des temps, Daar avait toujours été un monde en guerre. Une guerre incessante que se livraient les Trois Immortels : Barr-Find Main Noire, Jargoth Le Parfumé, Zembria La Cyclope. Brutes sans visage, cruels androgynes et féroces amazones, tous n’obéissaient qu’à une seule et même loi : Extermination. Mais qui donc avait permis une telle infamie, de quel néant venaient donc ces races supérieures qui contraignaient les peuples à une aussi atroce servitude… Horreur, folie sanglante, désolation… pour combien de temps encore ?
Jusqu’au jour où se produit un Miracle…
Une rencontre, des chef-d’œuvres
La rencontre entre Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski en 1976 est l’origine même de chefs d’œuvres incontestables en bande dessinée. Slave de naissance, Rosinski, qui ne parlait pas un mot de français à l’époque, était sensible à la culture germanique. De là est né le projet Thorgal (qui démarre en 1977), cette fabuleuse aventure chez les Vikings. Une aventure que tout le monde, un jour ou l’autre a dû suivre avec ravissement. Une aventure dans laquelle la mythologie et l’héroïsme ont une place de premier ordre. Récemment, nous pouvions encore redécouvrir ce grand duo de talent dans Western (Editions du Lombard, 2001). De nouveau, les auteurs ont mis leur savoir faire au service d’une œuvre de première catégorie, hymne à l’Ouest et à ses personnages de caractère. Mais revenons plusieurs années en arrière avec la sortie du Grand Pouvoir du Chninkel, en 1986.
Un mythe remanié
A la base, ce récit est née de l’envie de Rosinski de dessiner une histoire en noir et blanc. L’idée d’un récit isolé se déroulant dans un univers tolkenien a alors germé et pris la forme d’une version décalée du Nouveau Testament. Œuvre ambitieuse ? Certes, mais menée avec brio par Jean Van Hamme qui loin de s’aventurer dans une réécriture du nouveau testament, n’en a que préservé la trame. Dieu, créateur de l’univers et d’une multitude de peuples différents, est adulé aux quatre coins du monde. Les peuples primitifs lui vouent en effet une adoration sans bornes depuis des siècles et des siècles. Mais, un jour, cette adoration prend fin, les peuples se détournent du créateur. Voilà venu le temps de la punition, le temps d’expier la terrible faute des ancêtres irrespectueux. Les catastrophes s’enchaînent aussi épouvantables que le Déluge et plongent toute l’humanité dans la détresse pendant des générations. Seul le Sauveur, l’Elu pourrait rétablir la paix et racheter les fautes de ses ancêtres.
J’on, un Chninkel soumis à l’esclavage, est le Choisi de U’n, le maître créateur des mondes, pour sauver son monde de l’Apocalypse. A travers ce personnage, le culte divin est rétabli. Comme Jésus, il change l’eau en vin, marche sur de l’eau, guérit les malades, entraîne derrière lui des apôtres qui partout vont porter la Bonne Nouvelle et devient l’espoir de tout un peuple. Comme dans le culte divin, J’on le Chninkel est condamné par les siens mais pardonne : » au nom de U’n, je te pardonne… « . Est-ce là la fin du châtiment annoncé par le maître créateur… Oui car U’n, dans » Le Grand Pouvoir du Chninkel « , respecte sa promesse de ne pas détruire Daar… mais dans sa colère, il détruit tout ce qui y vivait. Car en vérité, U’n est un Dieu jaloux et rancunier, un maître cruel qui poussa son peuple vers le sacrilège et le reniement de son nom. Un Dieu qui, voulant être craint, assorti son culte de la terreur d’un nouveau châtiment ! Une théorie poussée à l’extrême par Jean Van Hamme pour nous conter l’histoire d’un éternel recommencement…
Des références explicites
On le sait, Jean Van Hamme a la capacité de combiner diverses sources pour donner naissance à des albums denses et truffés de points de ralliements, pré-acquis pour le lecteur érudit. En plus de cette référence explicite à la Bible, l’auteur nous rappelle donc l’univers fantastique de Tolkien qui rassemble bien des peuplades différentes et une faune diversifiée. Les peuples commandés par les Trois Immortels regroupent des personnages hétéroclites : d’abord les Chninkels esclaves, ces petits elfes attachants aux oreilles pointues et aux mains tremblantes face aux terribles maîtres sanguinaires, ensuite, les Chninkels libres dont la digne représentante (en dehors des grands sages, les nobles vénérables du peuple Chninkel) se nomme G’wel, une jeune fille fidèle et dévoué à J’on dans sa quête et enfin, les Tawals, des singes velus et sans cervelle dont la force colossale ne sert qu’à tuer. Les animaux sont encore d’une extrême originalité : des pesants Womochs cracheurs de feu, des Orphyx carnivores et des Traganes sauvages, trois espèces particulières de créatures qui ne sont autre que les montures des Immortels !
Et puis, il y a encore ce rapprochement entre ce monolithe noir et le symbole divin imaginé par Stanley Kubrick dans « 2001 l’Odyssée de L’Espace ».
La couleur
Et voilà que la couleur fait son apparition. La couleur… elle a suscité bien des critiques de la part des bédéphiles. N’y a-t-il derrière cette réédition couleur qu’un simple coup commercial, comme on semble le penser ? Il est vrai que la maison d’édition, Casterman, a connu pas mal de problèmes d’argent et aurait pu tenter de renflouer ses caisses avec ce grand succès. Mais cette réédition n’aurait pu se faire sans la volonté de ses auteurs. Pour beaucoup, la couleur alourdit les dessins, détruit l’ambiance créée par le noir et blanc et cette parution en trois tomes casse le rythme de l’histoire. Pour d’autres, plus positifs, c’est une façon de redécouvrir ce classique de la bande dessinée, de donner envie aux inconditionnels de la couleur ou aux plus jeunes de se plonger dans cet univers tolkienien pour suivre la quête de J’On le Chninkel. Avouons quand même que cette colorisation est des plus soignées et assez adaptée au récit. Cela on le doit à Graza elle-même, une coloriste familière aux univers de Rosinski puisque c’est aussi elle qui a réalisé les couleurs pour » Thorgal », les séries « Hans » et « La complainte des Landes perdues » ! Enfin, cette réédition couleur ne dénoncerait-elle pas aussi une nouvelle tendance à la réactualisation de « l’ancien ». C’est vrai qu’en bande dessinée, nos classiques se trouvent de plus en plus souvent « rajeunis » par ces rééditions couleurs. Citons un autre exemple récent : la nouvelle version couleur de Silence (Comès) parue aux éditions Casterman (encore) ! On pourrait se demander si nous ne perdons pas, à chaque « remaniement » d’un élément de l’histoire, un peu de la magie de l’œuvre, de son « aura »? Bref, les questions sont nombreuses et le débat est long et quoi qu’il en soit, « Le Grand pouvoir du Chninkel » de Rosinski et Van Hamme restera encore longtemps un album indispensable et incontournable pour tout amateur de BD !
Oyé ! Oyé ! Créatures de Fantasy ! Nains, hobbits, farfadets, trolls, gobelins, dryades, elfes, orques, gnomes, géants ou lutins…
Laissez-nous pénétrer vos contrées reculées, laissez-nous explorer ces mondes réenchantés…
Le XXème siècle, croulant sous le règne du progrès scientifique, étouffait… Une soif d’évasion allait s’en emparer… L’exode vers les mondes où renaissent les héros, en quête de mystère et d’aventure, enfin s’entamait…
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Nous sommes dans les années 80. Un certain Régis Loisel et un certain Serge Le Tendre commencent à faire parler d’eux en tant que précurseurs d’un nouveau genre fantastique en bande dessinée : la Fantasy.
Avec La Quête de l’Oiseau du Temps aux éditions Dargaud, ils se situent dans le parfait prolongement d’un bouleversement culturel : celui créé par le succès retentissant du Seigneur des Anneaux et du jeu de rôle Donjons & Dragons. Les éditions Delcourt commencent alors à publier des albums très ancrés dans cet imaginaire (ex. Légendes des Contrées Oubliées). Ce sont pourtant les éditions Soleil, créées en 1989 par Mourad Boudjellal qui, dans ce domaine de la Fantasy, vont se distinguer. Leur volonté de s’affirmer dans le genre est déjà portée par leur slogan : « Entrez dans la suprême dimension »… Et la série Lanfeust de Troy parvient véritablement à les propulser en tête du marché. La Fantasy s’imposait dans la bande dessinée.
Des légendes anciennes…
La mythologie des temps anciens est une source constante de la Fantasy. De là renaissent les monstres, ces créatures ni humaines ni naturelles, qui sont les véritables piliers du genre mais aussi les nobles héros d’antan et les preux chevaliers. Le danger est synonyme de défi, les terres grouillent de mystères, l’aventure mène à la quête et l’amour redevient courtois. Ainsi en va-t-il du Médiéval-Fantastique : il s’inspire directement des légendes et des faits historiques mais il n’hésite pas à puiser dans le registre du merveilleux pour faire émerger sorcières, fées ou dragons.
C’est la maison d’édition Delcourt qui enregistre la plus grande production d’albums faisant partie de cette catégorie. Ses collections Terres de Légendes et Conquistador proposent en effet un nombre considérable de séries qui sont animées par une volonté de s’accrocher aux mythologies ou aux faits historiques. Les auteurs se plongent dans les légendes anciennes et les cultures celtiques pour en ressortir des récits tantôt fidèles à leurs sources, tantôt s’en éloignant quelque peu dans une démarche imaginaire propre. Certains iront même jusqu’à entreprendre des recherches faisant preuve d’une véritable approche scientifique. Plusieurs bandes dessinées viennent exemplifier ce courant.
Prenez un héros brave et dévoué munis d’une épée et donnez-lui une quête impossible et vous y êtes : Arthur (éd. Delcourt), Rogon Le Leu (éd. Delcourt), Complainte des Landes Perdues (éd. Dargaud), Merlin (éd. Nucléa), Arthur Pendragon (éd. Nucléa),… Ainsi renaissent les légendes….
… A la conquête de terres nouvelles
Mais la Fantasy, c’est aussi cette création inépuisable de mondes « à part ». D’un coup de baguette magique, elle nous propulse de l’autre côté du miroir, à la découverte de contrées imaginaires (parfois dépeintes par la traditionnelle carte introductrice) peuplées de créatures « fantaisistes ». Ainsi en est-il de La Quête de l’Oiseau du Temps (éd. Dargaud). Loisel et Le Tendre nous ouvrent un territoire sans limite où se côtoient héros en quête d’aventures, peuples humanoïdes et créatures extraordinaires. Dans Les Lumières de L’Amalou (éd. Delcourt), Claire Wendling et Christophe Gibelin construisent un monde de légende où furets et transparents doivent apprendre à cohabiter en paix, pour le salut du grand chêne…. René Hausman et Pierre Dubois aussi créent leur propre univers avec Laïyna (éd. Dupuis). Dans Bilbo le Hobbit (éd. Glénat) ce sont les « Terres du Milieu » de J.R.R. Tolkien qui sont illustrées. Dans De Cape et de Crocs (éd. Delcourt)
La série du Dernier Loup d’Oz qui ne verra peut-être jamais la suite…
La Quête de l’Oiseau du Temps – La série légendaire de Loisel et Le Tendre
ou Le Dernier Loup d’Oz (éd. Delcourt), la Fantasy donne le premier rôle aux animaux. En plus de ces animaux souvent représentés, le personnage du sage ou du magicien sera récurrent. La magie est en effet un élément inconditionnel de la Fantasy. Elle opposera très souvent les forces du Bien aux forces du Mal qui lutteront pour le pouvoir… Dans un univers sombre (et loufoque) les Chroniques de La Lune Noire (éd. Dargaud) feront de la magie l’élément essentiel du récit.
Une franche rigolade…
La magie peut encore nous jouer des tours : avec Soleil, on joue la carte de l’humour ! Les mondes deviennent débridés et le ton plus léger. Lanfeust de Troy (éd. Soleil) est évidemment la référence de cette Fantasy « burlesque » où Arleston n’hésite pas à bousculer tous les canons du genre. Dans Le Chant d’Excalibur (éd. Soleil) qui met en scène un Merlin au nez rouge, il va même jusqu’à régler leur compte aux légendes celtiques et arthuriennes. Avec les éditions Soleil, la Fantasy devient délirante…
Héroïc-Fantasy et compagnie
Quelques stéréotypes : la quête initiatique, les héros courageux, les combats entre le Bien (la lumière) et le Mal (les ténèbres), les créatures non-humaines (fées, elfes, animaux anthropomorphes, monstres,…), magie, sorcellerie etc. Le héros de l’Héroïc-Fantasy sera généralement un jeune garçon désigné par la prophétie qui, pour réaliser sa mission, devra quitter sa banale existence (souvent à contrecoeur), dépasser les frontières, partir à la découverte de nouveaux continents. Il sera celui par rapport auquel le lecteur pourra s’identifier et surtout sortir grandi. Le héros (rarement parfait, ce sont ses défauts qui en font un personnage crédible) a tout à apprendre pour, au final, affronter le puissant méchant (qui a souvent plus de pouvoirs que tous les dieux réunis) et ramener la lumière sur Terre. Il sera membre d’un groupe, d’une joyeuse équipée : un mentor, toujours sage et expérimenté (Maître Nicolède dans Lanfeust de Troy), la/les charmeuse(s) qui pimente(nt) les relations au sein du groupe (Cixi & Cian), le vengeur masqué qui sème le trouble (Bulrog dans La Quête de L’Oiseau du Temps), le maladroit qui fera rire par ses mésaventures (l’élu dans La Quête de l’Oiseau du Temps ; Hébus dans Lanfeust de Troy ; Pröfy dans Trolls de Troy), etc. Et ce n’est que tous ensemble, avec leur savoir-faire réciproque, leur pouvoir spécifique, leurs connaissances complémentaires qu’ils parviendront au bout de la quête.
En conclusion…
Avec un genre tel que la Fantasy, les auteurs peuvent laisser libre cours à leur imagination pour nous transporter dans un ailleurs chargé de merveilleux et de magie. Les dessinateurs laissent exploser leur talent pour faire du spectaculaire et surprendre le lecteur, au détour d’un chemin rocailleux, d’une forêt enchantée ou d’un château haut perché. Qu’ils déterrent les légendes anciennes pour y retrouver les racines perdues ou qu’ils transcrivent leurs propres visions de mondes fabuleux, qu’ils jouent la carte du sérieux ou que l’humour vienne plutôt dominer la partie, les auteurs de BD n’ont pas fini d’explorer Faerie. La Fantasy alliée à la bande dessinée, un couple qui nous promet encore bien des voyages…
Petit parcours de la Fantasy en BD:
La Quête de l’Oiseau du Temps (Le Tendre, Loisel & Lidwine, éd. Dargaud) Le Grand Pouvoir du Chninkel (Rosinsky & Van Hamme, éd. Casterman) Les Chroniques de la Lune Noire (Froideval, Ledroit & Pontet, éd. Dargaud) De Cape et de Crocs (Ayroles & Masbou, éd. Delcourt) Les Lumières de l’Amalou (Gibelin & Wendling, éd. Delcourt) Légendes des Contrées Oubliées (Chevalier & Ségur, éd. Delcourt) La Geste des Chevaliers-Dragons (Ange & Varanda, éd. Vents d’Ouest) Lanfeust de Troy (Mourier, Arleston & Tarquin, éd. Soleil) Trolls de Troy (Arleston & Mourier, éd. Soleil) Le Chant d’Excalibur (Arleston & Hübsh, éd. Soleil) Laïyna (Hausman & Dubois, éd. Dupuis) Korrigans (Mosdi & Civiello, éd. Delcourt) Thorgal (Rosinski & Van Hamme, éd. Le Lombard) Complainte des Landes Perdues (Rosinski & Dufaux, éd. Dargaud) Bilbo le Hobbit (Dixon & Wenzel, éd. Glénat) L’épée de Cristal (Crisse, éd. Vents d’Ouest) Atalante (Crisse, éd. Soleil)
Rogon le Leu (Convard & Chabert, éd. Delcourt)
Il y a des hommes pour qui le monde de Féerie ne demeure pas invisible. Ces humains, touchés par la grâce des fées, ont l’insigne honneur de pouvoir vivre aussi bien au milieu de leurs congénères que s’échapper de temps à autre pour festoyer avec le Petit Peuple. Très souvent, ces élus des elfes, sont reconnaissables à leur attrait particulier pour les bonnes choses de la vie. Ils ne rechignent pas devant une bonne bière bien mousseuse ou encore quelque rôtisserie lors de fêtes populaires… Mais on les reconnaît également à leur don particulier: celui de porte-parole des êtres des bois, amoureux de la Nature et véritable artiste dans l’âme. Partons à la rencontre d’un des plus talentueux de ces personnages incontournables de la scène féerique…
La Nature mène à Féerie…
C’est à Verviers en 1936 que naît René Hausman. Déjà tout petit, il se passionne pour l’illustration en découvrant les portraits d’animaux sur les chromos distribués avec des chocolats. Coup de foudre pour le futur illustrateur, qui se met à copier et recopier ces petits animaux, apprenant par là les premiers rudiments du dessin en parfait autodidacte.
Alors qu’il servait sous les drapeaux, Hausman collabore au journal Le Moustique, puis rencontre Raymond Macherot, le papa de Chlorophylle. De cette rencontre naîtra pour Hausman, une envie de faire de la BD. A 21 ans, il crée les personnages de Saki et Zunie, petits êtres préhistoriques, qui orneront les pages du journal Spirou dès 1958. Zunie deviendra très vite une figure populaire, disparaîtra quelques années pour revenir en force dans les années ’80 (aux éditions Chlorophylle) et, enfin, dans les années 1998, sortira même un « album solo » : Zunie: enfin seule (chez Noir Dessin Productions).
A côté des histoires de Saki et Zunie, René Hausman s’amusera de quelques histoires bien coquines pour le magazine Fluide Glacial (voir notes). Il réalisera également, et principalement, pour Dupuis, des centaines d’illustrations d’animaux. Préférant même l’illustration à la bande dessinée (son truc à lui, c’est « faire des livres »), il fera bénéficier de son talent les contes de Perrault, les Fables de La Fontaine, le roman de Renard, et autres bestiaires fantastiques.
Sa passion pour les animaux, la nature et les contes le mettra tout naturellement sur le chemin de Pierre Dubois, elficologue de son état. Les deux compères relateront dans les pages de Spirou des descriptions minutieuses des créatures de la forêt. L’un usant de sa plume et l’autre de ses pinceaux, nos deux artistes revenaient de leurs voyages en Faerie avec toujours plus de détails, de découvertes de peuples curieux et de créatures étranges. Ces portraits étaient rassemblés sous le titre générique du Grand Fabulaire du Petit Peuple.
Laïyna : la révélation
La complicité de Pierre Dubois et René Hausman les mènera en 1985, a créer le personnage de Laïyna . Deux tomes paraîtront : La forteresse de pierre et Le crépuscule des elfes. En 2001 sortira des presses Dupuis l’intégrale revêtant le doux nom de l’héroïne: Laïyna. Ce récit nous plonge au coeur de la destinée du Petit Peuple troublée par la venue en leur monde d’une petite fille orpheline. Recueillie par les êtres de Féerie, Laïyna grandira en recueillant sagesse et savoir de ces êtres merveilleux. Mais l’appel du monde humain est irrésistible et la jeune fille se frottera à la haine et à la stupidité des hommes…
La série qui propulsa Hausman sur le devant e la scène avec son grand complice Pierre Dubois. En 1993, Hausman fait à nouveau parler de lui en tant que dessinateur BD lorsqu’ il réalise un autre album intitulé Les trois cheveux blancs, sur un scénario amer de Yann. Un conte cruel qui part du souhait d’une belle princesse de conserver à jamais sa beauté. Trois cheveux blancs sont pour elle intolérables et elle ira jusqu’à se soumettre à la Bête pour conserver sa jeunesse, au détriment de son honneur… et de sa vie… Mais avant de disparaître elle fera naître un enfant maudit…
C’est très certainement avec cet album que la popularité acquise avec Laïyna s’ancre fermement chez les passionnés d’imaginaire et les amateurs de bande dessinée. Quelques années passent et Hausman remet le couvert en compagnie de Yann pour nous émerveiller une fois de plus en 1998 avec Le prince des écureuils. Cette fois le héros de l’histoire est un petit écureuil qui se prendra de passion pour une naine… Mais qu’on ne s’y trompe pas, l’histoire est loin d’être toute rose…
Lorsque Beauté rime avec Cruauté…
Les Trois cheveux blancs
Ce qui caractérise les oeuvres de René Hausman c’est ce sentiment étrange qui nous émerveille tout en nous laissant un arrière-goût amer. Les histoires nous plongent dans des mondes féeriques, un pays de rêve, un conte de fée. La couleur directe (Hausman colorise directement ses planches) donne un cachet de grande valeur aux réalisations et le dessin sublime nos regards. Malgré tout, il y a quelque chose de triste, de perdu, de nauséeux. Une injustice, un cri étouffé, un malaise. On sait que l’humour a quelque chose de léger alors que la tristesse est un gouffre. C’est cette tristesse que le dessin d’Hausman explore. Le côté sombre de nos âmes. Un côté sombre qui est d’autant plus mis en valeur que les personnages d’Hausman nous apparaissent d’une fragilité étonnante. La cruauté des puissants envers les faibles en est renforcée. C’est toute notre culture des contes à la Grimm qui reçoit une claque puissante. Ici les fées sont frivoles, les lutins luttent pour leur survie. Ici, il n’y a pas de miracles à la Disney. Les héros meurent, le sang coule, discrètement, mais il se répand vraiment. Parce qu’il sait rester vrai tout en nous emmenant dans l’Imaginaire, René Hausman a su toucher nos âmes de passionnés.
Des héroïnes au physique particulier
Autre point commun dans les bandes dessinées d’Hausman cette façon de se représenter l’idéal féminin qui est loin des canons de beauté « à l’américaine ».
Ici pas de grande blonde pulpeuse mais plutôt de petites brunes un peu potelées. Et lorsqu’on sait que la sensualité réside dans la chair, ces petites héroïnes pourraient bien pousser à quelque péché! La sensualité et un certain érotisme ne sont donc pas absents. Discrets chez Laïyna, ces aspects se font particulièrement présents dans Les trois cheveux blancs (Le sexe étant même une trame primordiale à l’histoire!).
Et pourquoi surtout des brunes? Sans entrer dans les goûts personnels de René Hausman (mais il y a de ça, sans doute), l’auteur s’est inspiré, pour Laïyna, d’un personnage de La Source d’Ingmar Bergman. Il s’agit de la servante de l’héroïne. Cette jeune femme brune, enceinte et sorcière… Le rapprochement physique est certain, Laïyna a tout de cette “sauvageonne”.
On ne saurait trop recommander aux passionnés des mondes féeriques de compter au nombre de leurs trésors les albums dessinés par Hausman. C’est un style unique auquel on prend très vite goût. Bien entendu, il faut vous mettre en garde. Entre les bandes dessinées et les illustrations, il n’y a qu’un pas. Vous vous retrouverez rapidement ensorcelés, courant d’expositions à festivals, de magasins spécialisés à brocantes, à la recherche éperdue de quelque ex-libris, sérigraphie ou affiche signée Hausman. Comme si ce joueur de Cornemuse (voir notes) avait composé une mélodie insolite, charme magique pour vous envoûter et mener votre âme à rechercher toute entrée vers un royaume invisible et pourtant si présent…
– pour ceux que les coquineries intéressent, la période Fluide Glacial d’Hausman se retrouve dans un album intitulé: « Allez couché, sale bête! », aux éditions Dupuis, 1991.
– René Hausman est un artiste pluridisciplinaire comme on les aime ! Illustrateur, sculpteur, il est également musicien. A son actif un disque paru chez Alpha en 1974 : Les Pêleteus.
– René Hausman a décoré un restaurant à Verviers (Belgique), situé rue Pont-Saint-Laurent. A l’Ogre de Barbarie, on y mange bien (surtout les moules !) et on se délecte du décor…
– Un site où vous pourrez découvrir de nombreuses oeuvres d’Hausman :
http://www.ifrance.com/bdeuro/hausman/
– Enfin, pour ceux qui aiment à remonter les courants, René Hausman a pour maîtres à penser : Calvo (surtout!), Rabier, Pellos Gus Bofa et Trnka