Étiquette : Richard Ely

  • Fées noires & Dames sombres – Bloody Mary

     

    Bloody Mary

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    © Pascal Izac

     

    On ne sait ce qui a poussé exactement Mary la Sanglante à vivre au fond des miroirs… Le meurtre de son enfant, un suicide, un décès en couches… Quoiqu’il en soit, il n’est jamais bon l’appeler par trois ou treize fois, la provoquer devant la glace polie et voir son reflet prendre les traits de la fée ensanglantée qui ne manquera pas de surgir à l’appel, au murmure ou au cri maintes fois prononcé.

     

     

    « Bloody Mary… ». Les mots venaient d’être formulés par Jenny. Elle n’était pas seule dans la pièce éclairée de deux bougies. Son amie Sarah se tenait à côté d’elle. Toutes deux avaient quatorze ans et s’amusaient à reproduire un bien étrange rituel. Les adolescentes avaient découvert la légende de Bloody Mary dans un récit d’épouvante, une nouvelle glissée dans un magazine de Weird Tales. Le genre de revues qu’elles lisaient en cachette et dont elles appréciaient beaucoup les histoires. Elles adoraient frissonner et mettre en scène les nouvelles lues chez l’une ou chez l’autre. Rejouant la venue d’un vampire, l’éveil d’un mort-vivant. Ce jour-là, elles avaient consciencieusement fermé les volets et tiré les rideaux. Les deux chandelles suffisaient à peine à y voir clair. Les filles se tenaient debout devant un grand miroir. Jenny lui faisait maintenant face. Un léger tremblement pouvait se deviner le long de ses bras pendants, les doigts triturant nerveusement sa robe, se pliant et se repliant pour en chasser la moiteur. Les yeux plongés dans le miroir, la jeune fille se décida enfin à prononcer une deuxième fois la formule, le nom de celle qu’elle invoquait…

     

    « Bloody Mary… ». Cette fois, la main de Jenny avait instinctivement recherché celle de Sarah. Il ne lui restait qu’une fois. Une seule fois prononcer le nom de la mauvaise fée qui se terrait au fond des miroirs pour la voir apparaître. Trembler devant son visage déchiré par de terribles souffrances, celle d’une mère assassine, d’une créature sans âme, condamnée à errer dans les limbes derrière ces vitres à observer le bonheur des autres tout en ressassant sa haine et son mépris. La prison de verre ne pouvait être brisée que par son nom, trois fois prononcé. Alors, elle sortait, toute colère et vengeance, ses griffes se plantaient dans votre cou, ses dents vous arrachaient le nez, les yeux et toute l’horreur se déversait en votre chambre. Mais tout cela n’était qu’un conte, une légende… Braver l’interdit était tentant. Qui peut y résister ? Certainement pas des jeunes gens de quatorze ans. L’âge de la déraison. Celui des découvertes, des jeux sans frontière ni tabou. Pousser les défis de plus en plus loin, sentir la joie troublante d’une liberté infinie, marcher sur un fil tendu, prêt à se rompre et connaître les délices du grand frisson. La main serrée dans celle de Sarah, Jenny jeta un dernier coup d’œil à son amie. Leurs regards se croisèrent et elles pouffèrent de rire… Nonchalamment, Jenny refit face au miroir et dans un demi-soupir, elle lâcha :

    « Bloody Mary… »

  • Fées noires & Dames sombres – La Sorcière

     

    La Sorcière

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    © Pascal Izac

     

    « Une sorcière est une fée que l’on a offensée », cette phrase que l’on doit à Katharine Briggs peut se lire sur les murs d’Ellezelles, village belge marqué par les bûchers. Nombreuses sont celles injustement condamnées qui reviennent chaque nuit hanter les chemins des campagnes. Fées ou fantômes, les sorcières sont avant tout les victimes de la jalousie, de l’incompréhension et de la haine des autres hommes. Du XIIe au XVIIIe siècle, chasse allait être donnée à ces suppôts du diable avec comme point culminant, toute l’horreur de l’Inquisition.

     

    Rien ne la distinguait des autres jeunes filles du village si ce n’est la couleur orangée de sa chevelure. Et peut-être son air sauvage. Emelyne aimait passer des heures dans les champs, y récolter les herbes qui guérissent, y observer les sauts joyeux des chevreuils au petit matin et les vols des chouettes le soir tombant. Au fil des ans, son intérêt pour les beautés de la nature n’allait pas en diminuant. A seize ans à peine, elle connaissait le nom de toutes les fleurs et les trajets de toutes les abeilles. Elle passait de longs moments dans les bois, s’endormant dans l’air frais sous les ramures, se gavant de myrtilles et de mûres. La rumeur disait qu’elle détenait le secret des fées, qu’elle les côtoyait lors de ses échappées. A vingt ans, elle ouvrit un petit commerce de feuilles et de fleurs séchées. Des sirops de sureau pour soigner les maux de gorge. Des herbes à infuser pour faire partir la fièvre. Elle fut bientôt connue dans toute la région pour les soins qu’elle apportait aussi bien aux hommes qu’aux bêtes.

    Cet été-là, il avait beaucoup plu. Le blé et le froment s’étaient courbés sous le poids de l’humidité et les hommes avaient eu bien du mal à récolter les grains pour les moudre et en tirer la précieuse farine. Mais ce ne fut pas là le pire des malheurs qui s’abattirent sur le village. Un mal étrange suivit les premiers pains. Les gens furent frappés de folie et d’hallucinations. Certains ressentaient un feu intérieur les brûler, une chaleur insupportable qui leur rongeait les membres. Au bout de quelques jours, les cadavres s’amoncelèrent et on en vint à crier à la malédiction. Le curé, débordé par tant de souffrance en appela à l’évêque.

    Une semaine plus tard, des cavaliers noirs entraient au village suivis par un inquisiteur. Car ce mal étrange ne pouvait venir que d’un suppôt de Satan. On murmura un nom. Doucement d’abord puis, de plus en plus fort. Celle qui détenait le pouvoir de guérir possédait certainement celui de tuer. Et puis, ces cheveux roux, un signe, sans nul doute.

    Un matin, la fille fut enlevée, conduite au tribunal, rouée de coups. Elle finit par avouer, en sanglots, avoir pactisé avec le diable. Sorcière ! On éleva un bûcher. Les flammes lui léchèrent le corps et elle jeta dans un dernier cri : « Sœurs, sœurs ! Que vengeance soit faite ! ». C’est alors qu’un sinistre craquement se fit entendre : l’amas de bûches enflammées s’était effondré engloutissant le corps de la jeune femme.

    L’étrange mal disparut avec l’hiver. L’année suivante, tout le monde parlait encore de cette sorcière rousse, cette maudite engeance. On frissonnait de l’avoir laissée toucher son enfant. On s’effrayait qu’elle ait posé la main sur la meilleure jument. Puis, on l’oublia.

    Jusqu’au soir où, bien des années plus tard, dans la brume naissante de ce pré, à la lisière de la forêt, une femme qui rentrait chez elle aperçut une ombre surgir de terre. Elle vit distinctement la couronne de cheveux de feu qui entourait un faciès plein de haine et des yeux luisant comme des braises. La sorcière était revenue et le village allait payer l’offense faite aux fées…

  • Sur la trace des Pixies du Dartmoor : le Wistman’s wood

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    C’est par une belle journée ensoleillée que je m’élançai une fois de plus sur la piste des Pixies du Devon. Mon choix s’était naturellement porté sur un incontournable du Dartmoor : le Wistman’s wood. Un bois étrange où des chênes nains ont été depuis toujours les gardiens d’un territoire hanté. Au bout d’une petite heure de marche, j’aperçus au loin ce qu’il reste aujourd’hui de cette forêt mythique. J’en avais des frissons tellement je savais ce lieu empreint de magie ancienne…

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    Et je ne fus point déçu. A l’entrée du bois, un cordon noué à l’un des troncs distordus me confirma que c’était bien ici un lieu de prière aux fées, aux Pixies comme ils les nomment là-bas. Mais attention, je savais aussi qu’il ne fallait pas les offenser au risque d’être pixie-led et me condamner à errer pour l’éternité dans ce lieu…

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    Je déposai donc moi aussi une petite ofrande, mon droit de passage sous les frondaisons enchantées de cette forêt magique où les pierres se mêlent aux racines…

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    C’est alors que je remarquai un mouvement furtif derrière moi. Je me retournai et aperçu l’ombre d’un robin, un rouge-gorge ! Les légendes racontent que les lutins ont la faculté de se métamorphoser en animaux sauvages et le rouge-gorge est l’une de leurs apparences favorites. Voilà le signe que j’attendais et là aussi, je n’allais pas être déçu…

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    Je me mis à me promener dans ce lieu magique, admirant cet entrelacs de branches tordues, grimpant sur les roches, caressant lichens et mousses, respirant le doux parfum de ce lieu traversé par les druides, les fantômes et les fées. Je me rappelai les légendes de ces gros chiens noirs aux yeux de feu, de cette chasse impitoyable donnée à celui qui s’y aventurait de nuit, aux dates sombres l’hiver naissant…

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    Mais pour le moment, tout y était joie et clarté même s’il planait cet aura de mystère enchanteur. Je prélevai un peu de mousse que j’emporterai en ma demeure, un liant pour me rappeler ce moment…
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    Et je m’enfonçai toujours plus loin dans cet amas presque infranchissable où une légère brise porta à mes oreilles le murmure des temps passés. Un souffle des fées, instant magique qui me restera toujours…
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    Et puis, je déposai en ce lieu un exemplaire de Merveilles et Légendes des Forêts Enchantées (Richard Ely, Séverine Pineaux, Amandine Labarre, aux éditions Au Bord des Continents) ouvert sur la nouvelle L’Elue des Pixies. Une des histoires que comprend cet ouvrage et qui se déroule ici même, dans ce bois.
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    Et revoilà mon ami le rouge-gorge. Il s’approche, vraiment tout près, à peine un mètre. Nos regards se croisent et dans un silence absolu, je demeure là, près de lui. Une minute, une heure, plusieurs ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Le Wistman’s wood se joue du temps et des hommes. Il est territoire de fées, de Pixies.

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    J’abandonne là mon exemplaire, que les petits êtres s’en régalent à leur aise. Après tout, ce livre leur appartient. Ils m’ont soufflé les histoires. Juste retour des choses. Ce sera ma prière aux fées.

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  • Fées noires & Dames sombres – La Lavandière de nuit

    La Lavandière de nuit

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    © Pascal Izac

     

    Penchée sur un linge tâché de sang, la Lavandière, vêtue dune épaisse robe noire, bat en gémissant lhabit du futur défunt quelle tient entre ses mains usées. Celle-ci hante un ancien lavoir et de ses yeux s’écoulent deux filets de larmes rejoignant leau depuis longtemps croupie. Malheur à celui qui croise le regard de cette femme endeuillée, cest bien souvent sa propre mort quelle augure et son linceul quelle tient au bout des bras !

     

    La lune caressait le paysage de ses rayons de lumière pâle conférant aux arbres des allures de silhouettes fantomatiques. Sur le chemin qui menait au village de P., un homme marchait. Il revenait d’une soirée bien arrosée où l’on avait fêté le demi-siècle d’un ami de toujours. Lui, il dépasserait ce cap d’ici deux mois. Il s’imaginait déjà ce jour, ses amis, et les heures de rigolade débridée. Sifflotant, il avançait le cœur joyeux quand son regard fut attiré par une ombre dans les fourrés. Machinalement, l’homme quitta le chemin pour s’approcher, attisé par une curiosité de poivrot, titubant entre les buissons, trébuchant sur les pierres d’un sentier improvisé bien moins sécurisant que la route du village. Au bout de quelques minutes de marche hasardeuse, il déboucha sur une clairière ouvrant sur un étang. L’ombre était posée sur la berge. Plissant les yeux, il devina plus qu’il ne vit une femme, drapée dans des vêtements sombres et qui battait l’eau de manière régulière en murmurant un chant ancien. L’homme avait déjà entendu cette mélodie. C’était un chant de pleureuses, du temps où un groupe de femmes gémissantes accompagnait les cortèges funèbres.

    Il s’approcha de la femme, la salua mais ne reçut point de réponse. Armé du sot courage que vous confère l’alcool, il s’avança encore et toucha l’épaule de la dame. Elle se redressa lentement. Fixant d’abord le sol, elle releva lentement la tête pour faire face à l’homme. Son visage était d’une blancheur maladive, ses yeux d’un noir profond, creusés comme le sont ceux d’un être marqué par une terrible tristesse. Sans un mot, la dame leva les bras, tenant au bout de ceux-ci un linge blanc trempé. Par reflexe, l’homme s’en saisit et se mit à le tordre. De l’eau s’écoula du linge et mouilla le sol au pied du soulard qui s’en amusait. Quelques secondes plus tard, un liquide plus épais, plus poisseux se répandit à son tour et l’homme s’en effraya : ce n’était plus de l’eau mais du sang qui suintait du linge. La peur qui le saisit alors le dessoûla aussi net. Mais il était trop tard, il avait entre les mains le linceul d’une Lavandière, l’une de ces fées maudites que l’on croise la nuit le long des anciens lavoirs et des étangs. S’il avait eu un brin de conscience cette nuit-là, il aurait fui, couru pour rejoindre son village. Son sort était scellé. Il avait accepté le linge maudit, l’avait tordu. Peu importe s’il parvenait maintenant à rejoindre sa demeure ou s’il se laissait conduire par la fée vers l’eau froide. Quoi qu’il fasse, il le savait, il ne fêterait jamais son demi-siècle.

  • Fées noires & Dames sombres – La Teugghia

    La Teugghia

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    © Pascal Izac

    La Teugghia fut autrefois rejetée par les fées d’Italie à cause de sa méchanceté. Un trait de caractère qui se lit sur la moitié gauche ravagée, racornie, vieillie de son visage ou se devine à ses habits qui affichent également pour partie lambeaux et déchirures alors que la moitié droite rayonne de beauté. Celle du Val d’Aoste est célèbre pour commettre ses rapines avec une horde d’orchons, créatures malingres et malfaisantes qu’on prétend être de ses enfants.

     

    L’histoire se passe tout au nord de l’Italie, au pied des Alpes naissantes, là où courent les forêts de sapins depuis les sommets des montagnes jusqu’à engloutir les vallées. Plusieurs cavernes étaient hantées du peuple des fées. L’une d’elle faisait beaucoup parler les conteurs, les anciennes et les paysans. Cette fée, qu’on nomme là-bas la Teugghia, avait une progéniture un peu particulière. Les Orchons, ses enfants, ressemblaient à des êtres velus, grognant plus qu’ils ne parlaient et qui s’infiltraient de nuit dans les habitations pour y commettre de nombreux larcins. Ils y volaient principalement de la nourriture, du pain et du lait qu’ils rapportaient à leur mère aimante. Pour les faire fuir, les villageois disposaient un peu partout des plantes de fenouil. Leur odeur repoussait les créatures et si par malheur ils ingurgitaient du pain préparé avec quelques graines de fenouil, la mort les saisissait quelques heures plus tard.

     

    Un jour, un homme qui descendait la montagne vit la Teugghia près de l’une des grottes. La fée était occupée à fendre des bûches. Se gardant bien de présenter sa face vieille et laide, elle fit signe à l’homme de venir l’aider. Elle lui parlait en se tenant de profil, ne laissant apercevoir d’elle que le côté jeune et beau. Elle voulait que le paysan fende toutes ses bûches et le gratifia d’un demi-sourire, lui promettant une bien belle récompense si celui-ci se mettait au travail. L’homme n’était pas dupe. Il avait reconnu la mauvaise fée. Il prétexta que sans cognée, il ne pouvait effectuer la tâche demandée. « Si cela ne tient qu’à cela ! », répondit la fée tout en joignant les deux mains juste au-dessus de la première bûche, « Cogne donc là-dessus, paysan, et n’aies pas peur de frapper. Cela suffira à fendre le bois ! ». L’homme se saisit de la masse posée tout à côté, l’éleva dans les airs et la rabattit de toute la force qu’il possédait. Le choc fut violent et les mains jointes de la Teugghia traversèrent la bûche pour aller s’enfoncer dans le tronc qui servait d’enclume. Elle se retrouva les mains bien coincées et l’homme éclata d’un rire gras. « Te voilà bien attraper la fée », s’écria-t-il. Et sans demander son reste, il partit rejoindre le village et y raconter comment il s’était joué d’une Teugghia. On entendit des jours et des nuits durant les cris de la fée le maudissant, appelant ses fils pour venir l’aider. Mais les Orchons qui étaient aussi bêtes que laids eurent toutes les peines du monde à tirer leur mère de cette misère.

Suivez les fées !

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