Étiquette : Richard Ely

  • Fées noires & Dames sombres – La Gorgone

    Fées noires & Dames sombres – La Gorgone

    La Gorgone

    Ses cheveux sont autant de serpents s’entrelaçant et prêts à vous mordre. Son regard à la pupille fendue vous captive et vous hypnotise pour vous changer doucement en pierre. Sa langue fourchue modifie chaque son sortant de sa bouche en une râpeuse mélodie qui vous attire en ses pièges. Malheur à l’imprudent qui se laisse prendre, nul ne le verra plus jamais si ce n’est sous sa forme de pierre, le visage tordu par la frayeur.

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    Franz von Stuck,

    C’est lors d’un voyage en Grèce que je l’ai vue. Le groupe avec qui j’étais parti s’était arrêté dans les ruines d’un ancien temple. Un de mes amis, archéologue, était occupé à nous expliquer l’histoire du site quand mon regard fut attiré par un trou béant sous un amoncellement de pierres, à quelques dizaines de mètres de là où nous nous tenions. Je m’éclipsais discrètement du groupe pour me diriger vers l’objet de ma curiosité. C’était l’entrée d’un autre temple, semblait-il, qui s’enfonçait, lui, dans la terre. La pierre de front était encore visible, sur celle-ci, on distinguait clairement la gravure d’un serpent. Je me remémorais les leçons de notre archéologue. Le serpent était considéré en Grèce comme un génie, une sorte de gardien des lieux, du foyer. Ce devait être là un temple où étaient célébrées les forces chthoniennes. Je m’y enfonçai.

     

    A la lueur de la torche que j’avais sortie de ma poche, je balayai les murs. Il y avait de nombreux signes gravés, certains au ras du sol faisaient preuve d’une écriture bien moins géométrique que les autres, comme si ces mots-là avaient été grattés de manière officieuse comme le sont ces phrases que laissent les amoureux sur les murs ou les prisonniers dans leurs cellules. Ce dernier exemple me donna le frisson. Et si cet édifice, qui descendait sous terre avait été une prison ? Au moment même où mon imagination m’entraînait vers cette idée, j’arrivai dans une grande salle qui terminait semble-t-il mon périple. Au centre, des pierres brisées laissaient penser qu’il y avait eu là un autel pour quelque sacrifice en l’honneur de celui ou celle à qui était dédié ce petit temple. Je m’apprêtai à faire demi-tour lorsque ma lampe porta sur une fissure dans le mur du fond. Je m’approchai et vis que les deux pans s’étaient écartés d’un demi-mètre. Le trou ainsi formé laissait entrevoir un second espace. Je grimpai sur les gravats obstruant en partie l’accès à cette seconde salle et passai la tête par l’orifice. Les murs étaient peints, des scènes de combat, des offrandes, des moments familiaux… Des tableaux très divers mais qui avaient tous un point en commun : partout, des serpents étaient représentés. C’était là sans doute une fameuse découverte, la brèche semblait récente. Je m’apprêtais à faire demi-tour pour aller chercher mon ami archéologue quand un léger sifflement attira mon attention sur la droite. Par réflexe, j’avais déjà pointé ma torche sur l’origine du bruit. Il y avait là quelqu’un. Une femme était assise. Elle tenait son visage entre ses mains et sanglotait. Sa chevelure était faite d’épaisses tresses ou de dreadlocks comme en portent souvent les jeunes. A travers ses mains, elle murmurait quelque chose. C’était du grec ancien. Mes rudiments en la matière me permirent de comprendre quelques mots. Elle disait « Fuir… Mort… Pierre… ». C’est alors que je vis la chevelure se mouvoir. Ce n’était pas des cheveux, c’était des dizaines de serpents entrelacés. Je me souvins des légendes sur les Gorgones et je sus à cet instant précis que ce n’était pas un temple, mais bel et bien une prison. Celle d’un être maudit et qui s’y morfondait depuis des millénaires. Je regagnai le groupe d’amis sans leur révéler ma découverte. J’espère toujours que la créature demeure au fond de son trou.

     

  • Fées noires & Dames sombres – La Glésine

    Fées noires & Dames sombres – La Glésine

    La Glésine

    Si la Glésine séduit de prime abord, c’est parce qu’il est difficile de deviner sous sa belle et ample robe, cette moitié de corps caprin qui l’associe à l’étrangeté monstrueuse des siens. C’est donc en parfaite insouciance que l’homme qui la croise accepte de danser avec elle, de tourner et tourner encore jusqu’à l’ivresse. Son corps ainsi abandonné aux joies d’une telle beauté ne réagira même plus lorsque la Glésine plongera ses crocs dans la nuque offerte. Si elle est avide de jeunes et robustes mâles, la fée se montre plutôt bienveillante envers les démunis, les enfants et les paysans qu’elle aide volontiers.

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    Eugène Grasset

    Tout mène à croire que la Glésine qui habitait près d’un torrent du côté du bois des fées avait un caractère qui tantôt la rendait sympathique, tantôt épouvantable. Les gens des environs avaient pris l’habitude de poser leur regard sur les pieds des jeunes inconnues qu’ils croisaient le soir sur les chemins. Ses sabots de chèvre la trahissaient et lorsqu’il la rencontrait, le paysan prenait ses jambes à son cou, se réfugiant dans le premier bistrot venu pour y conter sa mésaventure, noyant ce souvenir dans une douzaine de chopines bienvenues. C’est que, voyez-vous, la Glésine avait cette fâcheuse habitude de vous inviter à danser. Lorsqu’un homme lui plaisait, elle proposait quelques pas de danse, une ronde gracile, une valse entraînante que peu d’hommes lui refusaient. La Glésine était charmante, du moins de ses hanches à la tête, car ses jambes qu’elle dissimulait dans de belles et amples robes n’étaient que deux maigres pattes de chèvre. Elle présentait un visage d’ange, deux lèvres douces, des yeux profonds, une peau claire et une chevelure défaite parfumée de l’odeur sauvage des bords de rivière. Celui qui acceptait son invitation, était emporté dans une danse sans fin, mené plus que menant, tournant encore et encore jusqu’à ne plus pouvoir regarder le paysage alentour. Les yeux se contentant alors du spectacle ravissant de ce visage enchanteur. Le corps pressé contre celui de la fée, l’homme pouvait deviner une poitrine généreuse et ses mains posées sur les hanches lui renvoyaient la promesse d’une suite qui lui faisait battre le cœur. C’était l’effet recherché. Lorsque le cœur du cavalier battait à tout rompre, lorsque ses veines se gonflaient de désir, la Glésine plongeait le visage dans son cou et d’une morsure puissante, crevait l’artère et vidait le malheureux de son sang. Voilà l’affreuse vérité, la Glésine était aussi fée que vampire. Elle se nourrissait d’un sang enrichi d’envie, de passion.

    Mais cette redoutable créature pouvait tout aussi bien se montrer aimable. Son amour pour les bêtes la poussait souvent à garder les troupeaux. Le berger s’éloignait alors pour la laisser faire craignant plus pour sa vie que pour celles de ses moutons. Plusieurs enfants perdus dans les bois furent ramenés sur la route de leur village par la même fée qui était tant redouté par leurs pères. C’est ainsi qu’elle est la Glésine. Tantôt accomplissant de petits gestes qui la rendaient bien sympathique, tantôt entraînant un homme vers une mort affreuse, dévoilant la part épouvantable de son être.

  • Fées noires & Dames sombres – Gianes

    Fées noires & Dames sombres – Gianes

    Gianes

    Les Gianes vivent cachées dans les sites nuragiques de Sardaigne. Malheur à celui qui les dérangerait en leurs étranges cavités. Une main de fer s’abattrait sur eux, les punissant de leur malsaine curiosité. Au fil du temps, ces fées dangereuses se sont transformées en jolies petites danseuses de sous la lune…

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    Toutes les fées sombres portent en elles l’espoir d’un peu de lumière. Ainsi, les Gianes de Sardaigne étaient autrefois bien plus grandes et terrifiantes qu’aujourd’hui. Elles pourchassaient les promeneurs solitaires de leurs griffes de fer et se montraient vieilles et laides afin de repousser les gens trop curieux. Une image bien différente de ces petites demoiselles qui viennent danser de nuit autour des anciennes tombes, de ces cavités creusées dans la roche et qui portent leur trace jusque dans leur nom : les Domos de Gianas, les maisons des fées. On raconte qu’un paysan sarde s’était laissé conduire jusqu’à leurs rondes. Qu’au fil de leurs sabbats, il était parvenu à les amadouer. Il avait supporté leurs piques et leurs moqueries et était resté en apparence insensible au charme certain de ces petites demoiselles. Car, en réalité, l’homme avait un plan secret. Il connaissait les légendes du pays qui contaient les merveilleux trésors que gardaient les fées. Des coffres remplis d’or, de pierres précieuses dont il souhaitait s’emparer. Au bout d’une année, les fées le laissèrent aller et venir au milieu d’elles sans plus se méfier. Evoquant leur trésor, le paysan parvint par sa duplicité à convaincre les Gianes de l’emmener à la cache secrète de leurs coffres. Par moult détours et nombreux raccourcis, les fées entrainèrent leur ami jusqu’à un rocher magique qui à leur voix s’entrouvrit. Un escalier de roche mena la troupe dans les tréfonds de la terre, dans une salle immense où étaient amassés des centaines de coffres. L’homme n’étant pas parvenu à retenir le chemin qui menait à cet endroit se dit que, tant pis, il n’aurait point de mal à se repérer lors de la sortie. Il comptait bien profiter de cet instant pour s’emplir les poches d’une partie du précieux trésor. Il ouvrit un premier coffre malgré les protestations des fées. Un second fut forcé de la même façon, se souciant encore moins des cris des fées et de leurs sermons. Enfin, un troisième mais là, point d’or ou de colliers. A la place, devant le paysan effrayé, se tenait un monstre baveux et deux grosses pattes qui aussitôt se saisirent du malheureux pour le tirer à l’intérieur de la boîte. Le couvercle refermé, les fées s’en retournèrent à leurs danses, souriantes et apaisées. Leur trésor possédait un autre gardien, autrement plus efficace. Alors pourquoi seraient-elles demeurées méchantes ?

  • Fées noires & Dames sombres – L’Empuse

    Fées noires & Dames sombres – L’Empuse

    L’Empuse

    L’Empuse est terrifiante. On la dit gardienne des enfers, monstrueuse créature, bœuf, mulet ou encore chien mal fichu d’une patte d’âne et d’une autre d’airain. Mais c’est sous l’apparence d’une magnifique jeune femme aux traits aguicheurs qu’elle se fait nettement plus dangereuse. Difficile de résister au désir de l’approcher et si facile de tomber dans son piège et de finir par elle dévoré !

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    Carl Schmidt-Helmbrechts

    La journée avait été particulièrement chaude. Et la chaleur ne semblait pas vouloir quitter l’air de ce soir d’été. Le jeune homme qui habitait l’appartement du premier avait tout le mal du monde à trouver le sommeil. Sa transpiration lui collait à la peau et le contact d’avec le matelas lui était insupportable. Il se leva pour aller boire un verre d’eau à la cuisine, passa par la salle de bains pour se rafraîchir avant de regagner la chambre et d’ouvrir tout grand la fenêtre. Il s’allongea à nouveau. Une très légère brise balayait maintenant la pièce et cela suffit à endormir le jeune homme, étendu de tout son long sur le lit dépourvu de draps.

    Deux heures plus tard, seules les étoiles furent témoin de la chose qui rampait dans le jardin. Celle-ci se traîna jusqu’au pied de l’immeuble, grimpa le long du mur pour se glisser dans la chambre à la fenêtre ouverte. L’ombre regardait le corps nu du jeune homme. Elle prit tout son temps pour s’en approcher, le frôler avant de le couvrir complètement. Au contact de cette masse sulfureuse, le jeune homme entrouvrit les yeux. Il devait rêver, une sublime femme l’enlaçait, l’embrassait, le couvrait de ses caresses chaudes et tant agréable qu’il se laissa aller dans ce rêve aussi délicieux que sensuel. Le jeu de la créature et de l’homme devint de plus en plus vif, entraîné dans ce corps à corps, l’état d’éveil de l’amant lui criait maintenant que tout cela était vrai. Il eut un moment de lucidité, tentant de repousser la fée qui se tenait au-dessus de lui. Il ouvrit grand les yeux, vit le visage de celle-ci changer de forme, passant d’une femme en pleine extase à un ricanement animal. La créature aboyait, hurlait, reniflait, en proie à un délire qui finit par effrayer son amant. Poussant de toutes ses forces, il parvint à se dégager de l’étreinte mortelle de la dame. La créature se débattait seule sur le lit. Elle avait les membres couverts de poils, et l’une de ses jambes se terminait par un sabot. Par réflexe, le jeune homme se mit à l’insulter, à l’exhorter de quitter sa chambre. Voyant que les mots avaient une certaine emprise sur l’Empuse, il s’encouragea encore et encore à la couvrir d’injures. Portant ses mains aux oreilles, la fée recula jusqu’à la fenêtre et se jeta dans la nuit. Le jeune homme alluma les lampes, ferma la fenêtre. Il vit que du sang s’écoulait le long de ses bras. Il se rendit à la salle de bain où le miroir lui renvoya l’image d’un corps meurtri, battu, couvert de coups et de morsures. Affaibli, il tomba évanouit sur les carreaux de la pièce. Dans le silence de cette nuit d’été, on ne percevait plus qu’un léger bruit grinçant. Des ongles grattaient à la fenêtre.

  • Fées noires & Dames sombres – La Wyvern

    Fées noires & Dames sombres – La Wyvern

    La Wyvern

    Qu’on s’attarde sur l’escarboucle incrustée en son front ou la beauté de son visage, la Wyvern qu’on appelle par ailleurs la Vouivre ne laisse pas indifférent l’homme qui la croise. Sous la forme d’un serpent ou d’un dragon, elle se glisse dans les eaux, son royaume, en ne s’éloignant jamais beaucoup du fabuleux trésor qu’elle garde précieusement. Elle se montre toujours dangereuse même et surtout pour celui qui l’approchera dans les lueurs d’un soir, le pauvre sombrant d’amour, rendu fou de passion pour cette créature qui retrouvera très vite sa première nature.

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    © Alexe

     

    Un kayak descendait la rivière. A son bord, un jeune homme s’entraînait pour une compétition prochaine. Un week-end par mois, il prenait sa voiture, le kayak solidement attaché sur le toit et partait pour s’exercer sur différentes rivières. Cela le changeait du parcours qu’il empruntait les autres week-ends, celui qu’il connaissait par cœur et finissait par ne l’intéresser que pour les détails techniques. Alors que naviguer sur une nouvelle rivière, c’était mêler au sport qu’il aimait la découverte d’autres rives, d’autres paysages défilant, une faune et une flore qui l’avaient contaminé bien jeune et l’avaient amené à pratiquer ce sport. Il venait de descendre quelques kilomètres quand le soleil le décida à s’octroyer une pause. Il vit un amas rocheux sur la rive droite où il pourrait accoster et se sécher tout en déjeunant. Il souleva le kayak hors de l’eau pour le déposer sur une petite plage de galets. Récupérant le sac caché à ses pieds, il se dirigea vers un haut rocher. De là, il posait un regard sur la rivière et le pays environnant. La nature était riche de couleurs et de spectacles divers, surtout lorsqu’on la découvrait en solitaire. Il profita quelques minutes du chant des oiseaux et de l’onde en apparence calme qui s’écoulait devant lui. Puis, il plongea la main dans le sac à dos pour en sortir son déjeuner et sa gourde. Lorsqu’il eut terminé son repas, il s’allongea sur le rocher fixant les quelques nuages blancs qui traversaient le ciel. Il perçut soudain un murmure qui n’avait rien en commun avec les mélodies de l’avifaune. C’était un chant porté par une voix extraordinaire, douce, d’une fragilité cristalline qui lui figea immédiatement l’esprit tandis qu’elle lui envolait le cœur. Il se glissa doucement le long de la roche et, arrivé en son bord, vit en contrebas, une femme, nue, se baignant dans une cavité rocheuse alimentée par l’eau de la rivière. Quelque chose brillait à ses côtés. Mais pour l’instant, le jeune sportif ne pouvait détacher son regard de cette sublime beauté à la voix enchanteresse. Osant l’impensable, il se leva et descendit de son rocher pour s’approcher de la belle. Celle-ci avait interrompu son chant et fixait maintenant le jeune homme se dirigeant vers elle. Lui, au fur et à mesure de son avancée, commença à mieux percevoir l’objet qui brillait sur le rebord de cette baignoire sauvage. C’était un rubis, un énorme rubis. Il se souvint alors des légendes qui hantent les rivières. Celles contant l’existence d’une créature ancienne, d’un dragon au front orné d’une pierre précieuse rouge comme le feu et qui parfois, prend les traits d’une femme. S’arrêtant, il observa le front de la baigneuse et y perçut une cicatrice infime. Baissant les yeux vers les épaules découvertes de la fée, il y vit alors s’y dessiner sur les bras, de minuscules écailles…

     

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