Fées noires & Dames sombres – La Gorgone
La Gorgone
Ses cheveux sont autant de serpents s’entrelaçant et prêts à vous mordre. Son regard à la pupille fendue vous captive et vous hypnotise pour vous changer doucement en pierre. Sa langue fourchue modifie chaque son sortant de sa bouche en une râpeuse mélodie qui vous attire en ses pièges. Malheur à l’imprudent qui se laisse prendre, nul ne le verra plus jamais si ce n’est sous sa forme de pierre, le visage tordu par la frayeur.
C’est lors d’un voyage en Grèce que je l’ai vue. Le groupe avec qui j’étais parti s’était arrêté dans les ruines d’un ancien temple. Un de mes amis, archéologue, était occupé à nous expliquer l’histoire du site quand mon regard fut attiré par un trou béant sous un amoncellement de pierres, à quelques dizaines de mètres de là où nous nous tenions. Je m’éclipsais discrètement du groupe pour me diriger vers l’objet de ma curiosité. C’était l’entrée d’un autre temple, semblait-il, qui s’enfonçait, lui, dans la terre. La pierre de front était encore visible, sur celle-ci, on distinguait clairement la gravure d’un serpent. Je me remémorais les leçons de notre archéologue. Le serpent était considéré en Grèce comme un génie, une sorte de gardien des lieux, du foyer. Ce devait être là un temple où étaient célébrées les forces chthoniennes. Je m’y enfonçai.
A la lueur de la torche que j’avais sortie de ma poche, je balayai les murs. Il y avait de nombreux signes gravés, certains au ras du sol faisaient preuve d’une écriture bien moins géométrique que les autres, comme si ces mots-là avaient été grattés de manière officieuse comme le sont ces phrases que laissent les amoureux sur les murs ou les prisonniers dans leurs cellules. Ce dernier exemple me donna le frisson. Et si cet édifice, qui descendait sous terre avait été une prison ? Au moment même où mon imagination m’entraînait vers cette idée, j’arrivai dans une grande salle qui terminait semble-t-il mon périple. Au centre, des pierres brisées laissaient penser qu’il y avait eu là un autel pour quelque sacrifice en l’honneur de celui ou celle à qui était dédié ce petit temple. Je m’apprêtai à faire demi-tour lorsque ma lampe porta sur une fissure dans le mur du fond. Je m’approchai et vis que les deux pans s’étaient écartés d’un demi-mètre. Le trou ainsi formé laissait entrevoir un second espace. Je grimpai sur les gravats obstruant en partie l’accès à cette seconde salle et passai la tête par l’orifice. Les murs étaient peints, des scènes de combat, des offrandes, des moments familiaux… Des tableaux très divers mais qui avaient tous un point en commun : partout, des serpents étaient représentés. C’était là sans doute une fameuse découverte, la brèche semblait récente. Je m’apprêtais à faire demi-tour pour aller chercher mon ami archéologue quand un léger sifflement attira mon attention sur la droite. Par réflexe, j’avais déjà pointé ma torche sur l’origine du bruit. Il y avait là quelqu’un. Une femme était assise. Elle tenait son visage entre ses mains et sanglotait. Sa chevelure était faite d’épaisses tresses ou de dreadlocks comme en portent souvent les jeunes. A travers ses mains, elle murmurait quelque chose. C’était du grec ancien. Mes rudiments en la matière me permirent de comprendre quelques mots. Elle disait « Fuir… Mort… Pierre… ». C’est alors que je vis la chevelure se mouvoir. Ce n’était pas des cheveux, c’était des dizaines de serpents entrelacés. Je me souvins des légendes sur les Gorgones et je sus à cet instant précis que ce n’était pas un temple, mais bel et bien une prison. Celle d’un être maudit et qui s’y morfondait depuis des millénaires. Je regagnai le groupe d’amis sans leur révéler ma découverte. J’espère toujours que la créature demeure au fond de son trou.
Pfiouh, il a eu du bol, de pas être changé en pierre !
Bon, il n’a pas joué aux héros comme Persée, mais cette créature fait pitié, dans ce récit.
C’est triste…
Enfin, personne n’est mort, c’est l’essentiel.