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  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°6

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (6)

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    Dans cette nouvelle partie de la Grande Interview de l’Elficologue, nous retrouvons Pierre Dubois sur les bancs de son école d’Art non dénué de coquineries…
    Richard Ely : Tu as fait de la gravure ?
    Pierre Dubois : J’ai commencé en déco, plâtre puis en gravure. Parce que la gravure me permettait de raconter des histoires. Je dessinais à la plume, à l’encre. C’est pour ça que j’écris toujours à la main, je ne tape pas, moi j’écris à la main. J’écris presque comme je dessine et je dessine presque comme j’écris. Je me raconte des histoires en dessinant… J’étais pas un bon élève mais j’ai continué d’avancer dans ce que je voulais faire. Et ce Barriau l’avait bien compris. Un jour, il m’a demandé ce que je voulais qu’il m’apprenne. Je lui ai dit que je voulais apprendre à boire, parce qu’il buvait toujours du vin, et à « trouver le trou ». J’avais une petite amie plus âgée et j’étais empêtré… Je me débrouillais mal. Du coup, il m’enfermait avec cette jeune personne dans la réserve à plâtre pendant que les autres dessinaient. Pendant que les autres travaillaient, moi je m’escrimais à faire l’amour. C’est assez marrant qu’un prof te couvrait comme ça.
    Un jour, il m’a fait un tour. Disant qu’il n’avait pas la clé de la réserve à plâtre, il m’a proposé d’aller dans le bureau du directeur soi-disant absent. C’était Jules France. On a donc utilisé le bureau, la demoiselle avait ses pieds sur mes épaules et le directeur est arrivé. Et il a crié « Dubois, qu’est-ce tu fais là ? » Et comme j’avais un soulier tout près de moi je lui ai répondu : « Je lui remets son soulier ». Et il m’a dit de lui remettre son soulier huit jours dehors. J’ai donc été viré huit jours alors que finalement il aurait pu me virer. C’étaient les Beaux-Arts d’autrefois, y avait un esprit d’atelier. Ils m’avaient pris à la bonne finalement.
    Après les Beaux-Arts, j’ai donc fait ce service militaire puis rencontré Seignolle. Il ne m’a pas pris sous son aile. Je cherchais pas quelqu’un qui m’aide à trouver un éditeur mais il m’a écouté, a lu mes histoires, m’a présenté deux, trois gars, notamment la revue Vampirella, puis Eerie dans lesquelles il faisait des nouvelles que j’ai illustrées… Il faut reconnaître qu’il s’est toujours passé des trucs bizarres, c’est pour ça que je crois aux récits initiatiques des contes de fées car si tu suis ton chemin… Dans le Changeling par exemple, on dit toujours va où te conduisent tes pas. C’est un peu ça. Je vais pas te raconter toute ma vie, pas très drôle. Mais j’ai, à cause d’un tas de péripéties, de malheurs, de deuils, j’ai quitté Valenciennes, je suis parti. J’ai fait un tour de France, j’ai fais du collectage. Seignolle m’avait dit comment il avait fait du collectage chez les vieux, etc.
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    Richard Ely : C’est l’exemple de Seignolle qui t’a donné l’envie de faire pareil ? Mais au départ, c’était donc assez large, tu n’étais pas encore dans les fées et lutins…
    Pierre Dubois : Non, c’était le fantastique au sens large. Y avait des histoires de sorciers, meneurs de loups, fantômes, loups-garous mais bien entendu aussi de fées… J’étais très attiré par les histoires de fantômes d’autant que j’avais perdu quelqu’un de cher. La femme que je devais épouser a été tuée le jour de mon mariage dans un accident de voiture. Le jour du mariage en allant chercher sa robe de mariée, ça, ça te marque. J’avais besoin d’histoires, de savoir que la mort, la vie ne finissait pas. J’avais aussi fait un peu de protection de rapaces, j’habitais dans un petit village avec des oiseaux, des faucons et j’avais rencontré une jeune fille qui jouait joliment de la flûte, qui avait un côté fée sauvage, qui parlait aux oiseaux… J’ai commencé à faire du collectage et à écrire des histoires sur papier parchemin, illustré, tout à la plume d’oie.
    J’ai commencé à faire du collectage, à récupérer des histoires et à écrire des histoires. J’ai écris sur du papier parchemin illustré, écrit à la plume d’oie et j’ai essayé de trouver un éditeur et c’était Pauvert. J’ai décidé d’aller voir Pauvert. J’ai écris une histoire.. « Monsieur Pauvert, j’aimerais vous rencontrer pour écrire, vous lire une histoire »…
    Richard Ely : Et pourquoi Pauvert ?
    Pierre Dubois : Parce qu’à l’époque, y avait que lui et Losfeld pour éditer du fantastique, Sade, des bouquins bizarres, étranges. Losfeld faisait Midi Minuit fantastique. Pauvert avait sorti Alice au pays des merveilles avec des dessins de Tenniel, donc je me reconnaissais là-dedans. Evidemment il a du se dire : « qui est ce petit branleur qui veut me lire son histoire sur des dimensions de papier et deo gratias ». J’avais deux histoires. Et des nouvelles fantastiques. Comme il m’a répondu que « non, on ne donne pas de rendez-vous comme ça, envoyez nous votre manuscrit ». J’ai pris un carton à dessin, j’ai rassemblé du papier et j’ai dessiné un faux de son catalogue. Il avait un catalogue bien particulier en hauteur comme ça avec marqué Jean-Jacques Pauvert. Moi j’ai marqué Pierre Dubois et j’ai fait une espèce de fac-similé, une copie de son truc avec des gravures où je citais mon bouquin de 325 pages un truc comme ça. Autre ouvrage probable, beau carton toilé avec trois ficelles une au-dessus, une au milieu. Tu vois, je me fichais de sa gueule en même temps et finalement ça l’a amusé et il m’a donné rendez-vous. Et je lui ai amené mon bouquin qui était un grimoire en parchemin, avec des signets, des feuilles d’arbre dedans, des bouts de racine, de la mousse, des plumes. Il m’a demandé ce que c’était, s’il pouvait le garder. Moi j’ai refusé, mais je lui ai lu. Il m’a dit que c’était un jardin, avec de belles choses, de belles pousses mais aussi des orties, des broussailles, qu’on s’y perdait un peu. « Faudrait faire des sentiers, élaguer, tracer des sentiers sinon vos belles fleurs on risque pas de les voir. Revenez me voir plus tard ». Voilà ma première rencontre avec un éditeur. Après il y eut le service militaire, la rencontre avec Seignolle, puis le collectage des légendes…
    Entre-temps, j’étais retourné voir cette amie, j’avais un corbeau à l’époque sur l’épaule, qui s’appelait Nao. Et j’avais un copain, libraire sur Lille, Favreau, bouquiniste, qui m’aimait bien. Ses parents m’avaient acheté des dessins. Il m’a présenté un gars qui s’appelait Pierre Dupriez, il était auteur, producteur, il a écrit des choses. C’était un enthousiaste, un gars adorable, charmant, qui avait un beau poste aux PTT mais qui était passionné par le fantastique. Il avait un ton de voix formidable. Il adorait aussi la littérature populaire… Il venait sans arrêt chez ce bouquiniste où on trouvait encore des Harry Dickson en fascicules. Et je l’ai amusé avec ma cape noire, mon corbeau et tout ça. Et il a vu mes dessins qu’il a bien aimés. Et comme il connaissait Eerie, Creepy, Vampirella, Seignolle, qu’il avait vu mes dessins… il a fait une émission sur moi en radio. Et lors de cette émission, il y avait Catherine Clesse, réalisatrice de l’émission, elle avait mis en ondes cette émission. Et elle m’a demandé si dans le Nord il y avait suffisamment d’histoires pour faire une série d’émissions sur la sorcellerie, la magie, le folklore. Oui, j’ai dit qu’on pouvait même faire un an, et puis y avait la Belgique à côté avec ses géants, y a Mons et le dragon, le bouzouc à Berlaimont. Et je suis rentré à l’ORTF à l’époque et au lieu de faire un an, j’y suis resté trente ans.
    pierredubois0602La maison de Pierre, ferme labyrinthique où en chaque pièce des dizaines de lutins se jouent des milliers d’objets entassés…
    Richard Ely : Tu as donc vécu d’émissions radio et TV sur le légendaire ?
    Pierre Dubois : Sur le légendaire pendant trente ans, oui. C’est pour ça que quand on me demande si les fées existent, je dis oui, c’est clair !
    Si tu veux, j’ai fais des émissions de radio, de toutes les sortes mais pratiquement toujours sur le fantastique. J’ai eu une émission qui s’appelait Histoires pour les veillées où j’allais faire du collectage avec un magnétophone et un technicien. On allait dans les campagnes et comme j’étais d’une nature à accrocher facilement avec les gens je leur racontais quelques histoires et ils m’en racontaient d’autres. J’ai fait des tonnes d’émissions dans le genre avec Jeanne Devos par exemple, maintenant il y a un musée Jeanne Devos près de Bergue, à Wormhout ça a été une amie, elle habitait un vieux presbytère. C’est devenu un musée chez elle et quand j’y vais, ça me fait drôle parce que j’ai dormi là, j’ai mangé là, là où on vient voir cette cuisine à la flamande. J’ai fait des émissions là-dessus, elle m’avait emmené voir un château hanté, hanté par le Zylof de Steenbourg. J’ai rencontré des personnages étonnants, des auteurs bien sûr… Alors j’avais cette émission, je faisais les interviews mais les textes également. Après, j’ai fait des pièces radiophoniques, et après des émissions plus longues le soir dont une émission sur Jean Ray. C’est-à-dire que tous mes goûts littéraires, tous les gens que j’admirais, j’ai pu les rencontrer à partir de là, j’ai pu faire des émissions sur Paul Delvaux, André Delvaux, Félix Labissse, Vandewattyne, tout m’était ouvert. J’ai commencé à écrire de plus en plus et Catherine Clesse… En fait, j’avais une forme de complexe n’ayant pas été longtemps à l’école, j’avais du mal à me plier à certaines exigences et puis, surtout, je profitais de l’antenne pour balancer ce que j’avais envie de balancer sur les tyrans, les injustices. Catherine essayait de ménager tout ça, elle a été absolument adorable et elle m’a aidé aussi dans la mesure où elle m’a fait lire des bouquins, m’a fait écouter des choses, des musiciens, Stravinsky, Debussy, Ravel que j’aimais sans connaître. Et aussi, je faisais énormément de fautes d’orthographe et en radio ça ne se voyait pas. J’avais le vocabulaire, la musique mais je faisais des fautes d’orthographe et j’ai appris à écrire, j’ai fait des pièces radiophoniques, j’ai eu des prix. La maison que tu vois a été achetée grâce à mes pièces.
    pierredubois0603Le bureau: la pièce où les histoires naissent…
    Richard Ely: Ça veut dire quoi, elle corrigeait tes textes, te forçait à revoir la syntaxe, etc ?
    Pierre Dubois : Oui, elle me corrigeait et puis à force d’écrire, de lire, j’ai commencé à comprendre certaines manières décrire. Un peu comme Jean Ray aussi, certains tiquent sur quelque unes de ses phrases qui ne sont en bon français. Après tout, il était flamand ! Mais il avait sa manière d’écrire comme moi, j’ai forgé la mienne. Le mot autodidacte, moi je l’aime bien. Très souvent, tu as des profs de littérature qui ne savent pas écrire parce qu’ils voient partout des références, ils sont bétonnés, ils sont cloisonnés, c’est devenu un travail plus un plaisir. J’ai eu une amie comme ça, son père était mon prof d’anglais et il ne voyait pas d’un très bon œil que je sorte avec sa fille. Pour lui, j’étais un mauvais élève… Sa fille, c’était une universitaire… Encore aujourd’hui, je l’ai revue des années après, elle m’a dit « tiens il paraît que c’est bien ce que tu écris, j’ai une amie universitaire qui m’a dit que ton point de vue sur les fées était très correct, bien mieux que ce que d’autres peuvent écrire sur le sujet ». Merci ! Elle avait le droit du haut de sa chaire de me dire que c’était bien.
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    Richard Ely : On peut dire aussi que c’est en radio que tu as développé cette musicalité et cette richesse de vieux mots ?
    Pierre Dubois : Oui, tout a fait, et j’écris tout haut. Je peux parfois passer une heure sur une phrase… J’ai emmagasiné une nombre infini de vieux mots, il y a en moi comme un humus dans lequel je vais puiser. Tu m’avais demandé d’amener trois objets, un des objets est ma maison. Parce qu’il y a plein d’objets dedans justement. J’ai besoin d’énormément d’objets autour de moi, des objets, des images. Si je me mets à écrire le changeling, ou les comptines assassines, si je prends Jack l’éventreur, je mets une musique adéquate, Gavin Bryars, que j’écoute en boucle jusque quand la magie commence et je mets tout autour des objets qui me rappellent Whitechapel, des photos du London Hospital, un sifflet de flic de l’époque victorienne. Je vais fumer du tabac… Si je reviens au Moyen-Âge, je vais regarder des films de Robin de bois, du seul film, La rose et la flèche de Lester avec Sean Connery et Hepburn, ou encore les Eroll Flynn, écouter de la musique moyenâgeuse, je vais me mettre une flèche devant les yeux, une corne, un olifant, je vais me mettre de la mousse, du feuillage, des choses comme ça… Tu as vu où j’écris, c’est vraiment un capharnaüm en plus je ne touche pas à la poussière, aux toiles d’araignée, c’est vraiment mon antre, là où j’alchimise. Et quand j’écris, j’ai justement l’impression que ce sont des formules magiques qui traduisent mon état d’esprit ou pour capter l’histoire. C’est pour ça que je n’envoie pas les écrits à mes éditeurs, ils n’auront jamais un texte tapé, ils auront un texte écrit à la main sur papier quadrillé. J’essaye d’écrire au mieux, il y a vraiment une magie à atteindre. Donc si tu veux, j’ai appris à écrire, je n’ai été influencé que par mes lectures et les auteurs que j’ai choisis. Un bouquin bien écrit est un livre qui me donne une belle musique. Comme les héros de mon enfance, les auteurs m’ont influencé. Comme dans un beau paysage, ton âme va s’élever… Alors évidemment un mec qui écrit de l’écriture blanche, ça le dérange pas de taper sur l’ordinateur, il est dans un bureau qui ressemble à un ordinateur, il vit dans une ville qui ressemble à un ordinateur. C’est vraiment pas mon truc.
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  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°5

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (5)

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    Après avoir évoqué les saveurs de la Belgique, proche de son Angleterre rêvée, Pierre Dubois emprunte un autre chemin, celui de son enfance, quelque peu arrachée à ses Ardennes chéries…
    Pierre Dubois : C’est vrai que petit, et ça c’est important, j’ai quitté les Ardennes… Les Ardennes pour moi, c’était cette grande forêt, une forêt de légendes aussi. Je croyais beaucoup à l’esprit des lieux…
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    Richard Ely : On te racontait les légendes ardennaises ?
    Pierre Dubois : J’en entendais parler… On m’a très peu raconté d’histoires, mon beau-frère un petit peu. J’avais des oncles et tantes qui me parlaient des quatre fils Aymon, des dames de Meuse… je suis parti je devais avoir cinq ans… J’avais perdu quelque chose que je retrouvais à Valenciennes dans le jardin. Mélangé aux images de films, d’illustrés, ce jardin est devenu ma forêt de Sherwood. C’est devenu mon univers, clos. Mais assez grand, y avait des arbres, je grimpais dans les arbres. Enfant, tu joues dans un carré d’herbes et à côté y a les laitues, ton père est en train de bêcher, de sarcler… Moi, je jouais autour de lui et je ne le voyais pas, il était comme estompé et je voyais le roi arthur. C’est ça le pouvoir de l’imagination, il n’y a rien de plus fort que ce pouvoir de l’imagination. Et quand elle fait alliance à la nature, au jardin, il y a une sorte d’alchimie parfaite où la nature se fait complice. Elle va te tendre des branches qui vont avoir la forme de voûtes, d’ogives, de mats de misaine, de choses comme ça… Et elle va t’offrir aussi des bâtons, des arcs, des lances, des épées.. J’ai retrouvé ça aussi en écoutant l’enfant et les sortilèges de Collette et Ravel avec un enfant qui est puni et qui va se réfugier dans le jardin et ce jardin devient la forêt primaire, la forêt des contes. Il y y avait ce plaisir de lire, perché dans un arbre, j’étais comme Peter Pan dans mon arbre, un enfant perdu… Finalement, je crois que c’est parce que Jean Ray avait rêvé son Angleterre et moi la mienne que ça a marché. C’est vrai qu’il y a des endroits que tu veux découvrir parce que tu as lu certains bouquins. Et quand tu arrives, tu es déçu. Et en Grande-Bretagne non. Tu rêves à une écosse de Rob Roy et tu trouves une écosse de Rob Roy. Tu rêves à un dartmoor sauvage où le chien des Baskerville a hanté les landes, tu le trouves. Tu lis Lorna Doone de Blackmore que j’avais adoré, tu trouves même l’église où elle s’est mariée et où on a tiré sur elle. Moonfleet, tu vas au bord de la fleet et tu vois la petite église où les butins des smugglers, leurs tonneaux de whiskey et de rhum sont cachés. L’auberge de la Jamaïque, j’ai cherché l’auberge de la Jamaïque, elle existe. Dans l’Exmoor. Sheerwood existe, l’arbre de Robin des bois existe. Tu n’es jamais déçu. Et donc, quand j’ai lu Jean Ray, ça a été vraiment une révélation et l’envie d’écrire, il m’a donné l’envie d’écrire des histoires fantastiques. J’avais déjà commencé à écrire parce que j’avais tellement peu de livres que je m’en fabriquais. Je découpais des illustrations, je les collais dans un cahier, un carnet, et j’écrivais des petites histoires en dessous…
    Richard Ely : Des histoires fantastiques ?
    Pierre Dubois : Un peu fantastique, un peu aventure.
    Richard Ely : Parce que Jean Ray, ça touche beaucoup à l’horreur, à l’épouvante, au terrifiant…
    Pierre Dubois : Ah mais moi, je ne me suis jamais senti terrifié avec Jean Ray, je m’y sentais même bien. Ça dépend de quel côté tu te mets. C’est un peu comme des contes de fées. Si tu te conduis mal avec les fantômes, les fantômes t’emportent. Et le conte, le récit initiatique, c’est un peu ça aussi. Le conte t’apprend comment gérer tes peurs, combattre les ogres, les dragons. Si tu fais alliance avec la nature, avec les animaux, si tu gardes une forme de cœur loyal, tu gardes ton innocence jusqu’au bout, tu seras récompensé sinon tu es bouffé. Et le récit fantastique, c’est un peu ça… Donc, j’ai pas eu peur. J’étais inquiet parce que c’est inquiétant, mais j’ai pas eu peur, j’y ai pris beaucoup de plaisir. Après, il y a eut Harry Dickson, Cric-Croc le mort en habit. Harry Dickson allait plus loin que Sherlock Holmes. Sherlock Holmes, c’est le personnage qui est intéressant. Il y a quelques histoires qui sont très bien, l’atmosphère est prenante, mais les enquêtes, il y a un côté pour que tout rentre dans l’ordre, y a pas de mystère. Alors que chez Harry Dickson, il y a le personnage, l’enquête et ce petit frisson en plus… La bande de l’araignée, des titres absolument extraordinaires, le lit du diable, rue de la tête perdue et, à l’école, je ne trouvais pas ça. C’est-à-dire qu’enfant j’ai cru, comme je ne savais pas lire et que je regardais les images, j’ai cru qu’en arrivant à l’école on allait m’ouvrir la clé de la littérature, mais je me suis vite rendu compte que les instits ne nous racontaient pas d’histoires mais nous enfilaient les dates les unes après les autres, tout était dépoétisé au possible. Donc, je m’en suis désintéressé petit à petit, j’ai décroché. Et dès que tu décroches de l’école, quand on te demande ce que tu veux faire plus tard et que tu dis écrivain, t’es foutu. Si tu dis ingénieur, c’est bien. Pompier, c’est normal. Mais écrivain, t’es foutu. « Allez l’écrivain, au tableau. Eh bien c’est pas terrible pour un écrivain… ». Alors, je me suis mis aux rédactions, je me suis appliqué mais bien souvent, j’avais des bulles car trop d’imagination, hors sujet. Je m’appliquais aux dessins aussi. Je me préparais tout seul au métier d’écrivain, d’artiste, d’illustrateur…
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    Après Ray, il y a eut Seignolle. Tu me demandais si on me racontait des histoires quand j’étais petit. Eh bien, mon parrain me parlait souvent de la bande à Moneuse. Moneuse étant un bandit de grand chemin qui avait semé la terreur du côté de Bavay, Mons… Il avait laissé une trace de brûleur de pied, de chauffeur du nord… Les grilles que tu vois dans les fermes, ça s’appelle des moneuses, parce qu’on grillageait ses fenêtres contre ses attaques. Il m’avait parlé de Moneuse qui se cachait dans une grotte, une caverne, au caillou qui bique. Et il me parlait d’une Dame blanche mais on ne savait pas si c’était une fée ou un fantôme, il y avait un mystère tout autour. A chaque fois que je demandais, il me disait « ou c’est une bête ! ». C’était assez effrayant. J’y suis allé avec un copain et on n’a pas vu de rocher, de Dame Blanche par contre je me suis tapé une angine blanche. Et c’est là que ma mère m’a offert la Malvenue et Marie la louve de Seignolle. Là, il parle aussi de dame blanche. Jean Ray et Seignolle étaient alors pour moi des maîtres absolus, deux êtres mythiques que je ne pensais pas rencontrer. Tu vois, aujourd’hui, il y a des salons, des dédicaces où tu peux espérer rencontrer tes auteurs, discuter avec eux, là, non. Je vais donc, bien des années après au service militaire à Epernay, dans la Champagne… J’y ai fait de la déco, je faisais des peintures, du coup j’ai pas fait les classes. Comme je les ai pas faites, ils m’ont envoyé à Epernay où j’ai fait de la peinture et un ciné-club. De l’endroit où je dormais, je voyais une sorte de ruine. A ma première perm, je m’y rends à travers les vignes et ce n’était pas du tout une ruine mais une église. Une église vide d’où se dégageait une ambiance particulière, une belle lumière filtrée par les vitraux, il y avait des corbeaux aussi qui criaient dans les grands arbres. Un petit cimetière tout autour. Alors je redescends et là une voiture s’arrête et me raccompagne à la caserne. C’était un paysan, un vigneron. Et là, il me dit « Tu sais, tu reviens du domaine de la Dame Blanche. Chavaux, c’est le domaine de la Dame Blanche ! ». Du coup, je l’interroge mais l’homme n’en savait pas plus. Il me renseigne alors sur une dame à la bibliothèque d’Epernay qui elle, pourrait répondre à mes questions. Donc, à la perm suivante, je me rends à cette bibliothèque où il y avait tous les recueils de contes, de folklore, tout Féval, Sébillot, Anatole Le Braz, Van Gennep, les fondateurs du folklore… C’était la bibliothèque dont je rêvais enfant ! Je demande donc à voir la conservatrice qui voyant arriver un militaire se met à sourire. Et en fait, cette dame était la fille d’Arnold Van Gennep ! Au fil de la conversation, elle me dit que je lui fais penser à un jeune homme qui était venu voir son père, il s’intéressait aussi aux fées, aux Dames Blanches. « Vous le connaissez peut-être », me dit-elle, « parce que maintenant il écrit ». C’était Claude Seignolle. Là, je lui dis toute mon admiration pour Seignolle et elle me propose de lui écrire une lettre de sa part. Et j’ai écris à Seignolle. J’avais écrit une nouvelle sur lui, j’avais fait beaucoup d’illustrations à partir de ses textes… Il m’a invité chez lui, rue Vaneau à Paris et je me suis retrouvé en face du grand sorcier que j’appelais le Croseignollesque. Pour moi, c’était vraiment le sachant, le diable, c’était Bas-de-Cuir, un personnage légendaire. Adolescent, j’avais eu une adolescence très difficile, très compliquée, je m’habillais tout en noir, la négation. J’étais un hurlut…
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    Richard Ely : Pourquoi ce choix vestimentaire, t’être toujours habillé de noir ?
    Pierre Dubois : Je ne sais pas. Il y a eu comme une cassure adolescent. Et je me suis toujours depuis habillé en noir à tel point que dans une autre couleur, je me sens mal. Est-ce dû aux héros justiciers de mon enfance ? Je ne sais pas… A l’époque, c’était bizarre. « Croâ, croâ ! » Les gens criaient au corbeau. Il n’y avait absolument pas la mode des gothiques. Peut-être aussi un peu de provocation… Et donc, j’en reviens aux hurluts, je m’étais créé un monde de fées, de lutins. Les hurluts en ardennais sont les éclairs de chaleur. Lorsque le ciel est orageux, y a pas de tonnerre, mais des éclairs de chaleur. C’était des éclairs dans la nuit et moi je vivais une sorte de nuit perpétuelle. Quand tu es adolescent, tu as le mal de vivre et en plus, j’avais été viré de l’école, je rentrais pas dans les trucs, je voulais pas être dessinateur industriel comme mon père, je voulais pas faire de comptabilité, je savais ce que je voulais faire mais personne n’était d’accord. A tel point que mes parents m’ont envoyé chez un psy qui m’a demandé ce que je voulais faire et je lui avais répondu tueur à gage. Tout simplement car tuer mon prochain et être payé pour, c’était le pied, t’étais rejeté ! Et ce psy a été génial. Il s’appelait Baudouin, je l’ai appelé Saint-Baudouin, on est devenus amis par la suite. C’est pour ça que je passe tant de temps avec les jeunes qui viennent me voir, car je me revois enfant, rejeté par tout le monde, par les adultes… parce que tu veux être écrivain, parce que tu veux dessiner… Ce psy m’a conseillé de rentrer aux Beaux-Arts. Il m’a acheté une nouvelle et les illustrations. Il me l’a acheté pour prouver à mes parents que je pouvais vivre de ma plume et de mes dessins. Il s’est suicidé beaucoup plus tard et ça été pour moi un crève-cœur. J’avais 14, 15 ans lorsqu’il a été voir le directeur des écoles académiques de Valenciennes pour que j’y rentre. Et j’ai donc fait les Beaux-Arts à Valenciennes. J’ai eu des profs qui étaient des maîtres notamment Barriau, prix de Rome de gravure (NDLR : nous n’avons pu retrouver ce nom associé au Prix de Rome, si vous le pouvez, faites-nous signe !) et Betremieux, un très bon peintre que j’aimais beaucoup. Dubuisson aussi… J’avais une grande admiration pour ce Barriau.
    pierredubois0504La vieille bâtisse plonge son regard sur le jardin…
    pierredubois0506… où l’elficologue se promène suivi de quelque fée, quelque lutin !
  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°4

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (4)

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    Toujours installés sous le seringat, le « jasmin des poètes » tout en fleurs et en parfum, sur la petite terrasse au pied de la magnifique ferme de Pierre Dubois, l’échange se poursuit autour de Jean Ray et des premières lectures fantastiques. Pendant que Pierre évoque ses souvenirs de jeunesse, des murmures et gazouillis nous parviennent depuis ce territoire de verdure abandonné aux fées, couloirs de verdure où les petits êtres s’amusent à observer l’homme qui, au fil du temps, est devenu leur ami, leur porte-parole…

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    Richard Ely : Tu connaissais la vie de Jean Ray, sa légende ?
    Pierre Dubois : Non, je ne connaissais pas sa vie. Sa légende, oui. Je lisais les préfaces. Il y avait Henri Vernes qui écrivait Bob Morane, il avait son messager, son annonceur. Je dois d’ailleurs beaucoup à Henri Vernes quelque part…
    Richard Ely : Tu les a croisés ?
    Pierre Dubois : Je n’ai pas croisé Jean Ray. Il est mort avant que je puisse le rencontrer mais j’ai rencontré sa fille. J’ai fait des émissions sur lui. J’ai rencontré Marcel Thiry, qui était un écrivain fantastique et qui l’avait édité dans les Cahiers de la Biloque. J’ai rencontré le Père De Kesel des éditions Presto films qui était à l’abbaye d’Averbode et qui m’a parlé de Jean Ray, des parents de Jean Ray, et puis sa fille… Je suis allé chez lui mais ça c’est par la suite. Au départ, j’ai cru comme tout le monde à la légende qu’il s’était forgée par lui-même et qu’Henri Vernes avait d’ailleurs magnifié en parlant de piraterie. Il n’était pas loin quand même, Jean Ray était un pirate, un pirate en chambre mais un pirate quand même. C’était encore plus extraordinaire de nous avoir fait croire à toutes ces histoires ! Il s’est fait une légende et je trouve ça étonnant.
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    Richard Ely : Est-ce que cela t’a donné une certaine vision de l’Angleterre ?
    Pierre Dubois : Oui, j’ai découvert l’Angleterre mythique, l’Angleterre à laquelle on rêve parce que lui-même rêvait son angleterre. Remarque que lorsque tu vas à Gand ou Bruges, tu as l’impression d’être à York par certains moments, dans certaines rues de Londres, c’est la même brique, une brique un peu sombre, un peu fumée et les trottoirs… Après j’ai découvert Whitechapel, il y a plus de trente ans, presque quarante ans maintenant. Javais une vingtaine d’années, Whitechapel ressemblait encore à Whitechapel. Maintenant, c’est transformé. Y a des quartiers de Londres complètement défigurés par les architectes. Quand tu penses que Big Ben était la plus haute tour et que maintenant y a une espèce de grand suppositoire hideux, sans âme, qui déforme complètement les docks, c’est triste. Mais il subsiste encore des petits coins où l’âme de Londres est perceptible. J’ai un ami qui vit à Londres et qui m’emmène dans des endroits comme ça. Le pub où le Capitaine Bligh et Fletcher Christian se cuitaient la tronche avant de monter sur le Bounty, des endroits où Nelson venait rencontrer sa maîtresse, où Dickens venait régulièrement, où Sax Rohmer, l’auteur de Fu Manchu, Mac Orlan ont vécu,… Mon ami connaît les endroits et tu n’es pas déçu car tu vois le Londres qu’a connu Jack l’éventreur, et Conan Doyle, tout y est. Tu débouches dans une rue et tu sens qu’Oliver Twist, Fagin et Sikes, l’affreux Bill Sikes, sont passés par là. Y a des fantômes, tu grattes un petit peu et tu les trouves, même pas besoin de gratter, un petit brouillard et puis ça y est.
    pierredubois0406La mystérieuse Whitechapel de Londres…
    pierredubois0407Du vieux Londres au vieux Bruges…
    pierredubois0408Gand, ville de Jean Ray… L’entendre évoquée par Pierre me ramène à cette belle cité où j’ai moi-même vu le jour…
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    Richard Ely : Tous ces classiques que tu cites, tu les as lus en anglais ?
    Pierre Dubois : Non, en français, je ne maîtrise pas suffisamment l’anglais pour retrouver toute la saveur, la substance. Je veux bien faire confiance au traducteur à ce moment-là qui lui connaît bien la langue pour aller au plus près.
    Et donc cette Angleterre rêvée est belge en même temps. J’avais d’ailleurs une réelle fascination pour la Belgique. Quand j’étais enfant, j’avais donc des parents en Belgique. Je vivais en France. Je suis ardennais, né dans les Ardennes. Après, on est parti à Valenciennes et c’était une ville proche de la Belgique. Il y avait Quiévrain. On allait régulièrement chez des parents en Belgique et c’était un pays qui me fascinait. Déjà, il y avait la frontière, ça m’a toujours intrigué les frontières. D’autant plus que c’était une frontière dangereuse car il y avait des douaniers et qu’on ramenait des choses qu’il fallait pas. Le tabac, le café à l’époque, c’était interdit. C’était impressionnant pour un enfant, ces personnages avec des capes, ces gendarmes avec des grands chapeaux, des espèces de haute forme qui les faisaient paraître encore plus grands, et en plus ils étaient en noir. On franchissait la frontière et là, brusquement, il y avait un déballage publicitaire que je ne trouvais pas en France, y avait Jaffa, le tabac Jaffa, on y voyait un homme avec sa pipe, ça me faisait penser à Sherlock Holmes ou à un dragon qui fumait… y avait un dragon cuirassé qui fumait la pipe, j’adorais. Mes oncles fumaient aussi des cigares avec des bagues en papier, ils avaient des belles boîtes et ces cigares sentaient bon, y avait des décorations toutes dorées… Puis, il y avait aussi les affiches de cinéma que tu voyais un peu partout, peintes à la main. Ce n’était pas du tout comme aujourd’hui, une pauvre photographie du comédien principal. Qu’est-ce qu’on a perdu quand il n’y a plus eu d’artistes pour peindre les affiches de cinéma ! Moi, j’ai des souvenirs de véritables tableaux, de flamboyance extraordinaire où tu voyais Robin des bois, ou Errol Flynn dans Capitaine Blood, dans A l’abordage avec Maureen O’Hara, la rapière à la main… c’était des rêves, aujourd’hui, je ne sais plus quel film, sur Peter Pan, sur l’histoire de Barry. Il y a quelques temps on aurait vu Peter Pan surgir de la tête de Barry, ici tu n’as que la photo de Johnny Depp, on dirait un photo de carte d’identité ! Où est le rêve là-dedans, c’est épouvantable ! Donc moi, je découvrais toutes ces images et l’image a été également fondatrice pour moi. C’était autant de miroirs pour Alice au pays des merveilles. Chaque affiche, chaque image je rentrais dedans. Je rentrais dans les boîtes de tabac de mes oncles, dans les affiches… Ma vieille tante était marchande de parapluies et avait des affichettes sur sa vitrine qui annonçait des films comme le Prisonnier de Zenda, La Perle noire, Scaramouche, Ivanhoé, les Chevaliers de la Table Ronde, tu imagines ! Et quelquefois déjà aussi un peu érotique, tu étais tout jeune et il y avait ce côté interdit, enfant non admis, c’était écrit. Tu imaginais un tas de choses, la créature, la belle indienne ou la belle espagnole, la flibustière des antilles avec sa gorge dénudée, l’épaule dénudée, qui maniait le pistolet, c’était ambigu. Les westerns avec les filles avec des fouets, les squaws, c’était magnifique. Je découvrais la Belgique, le côté « anglais » de la Belgique à travers ces produits que nous n’avions pas en France. Les bonbons, les cuberdons, et certaines boutiques ressemblaient à des gravures anglaises où les bonbons étaient dans des bocaux. Où ça sentait bon quand tu entrais et toute cette Angleterre que je rêvais au travers d’images, je la retrouvais un peu en Belgique. Et puis la Belgique était flamboyante, ça paraît tout bête mais les boites aux lettres y était rouges avec un blason dessus. Tous ces petits détails, ça paraît insignifiant mais ça fait rêver un enfant. ça va révéler des choses en toi, te marquer, ça va affiner tes goûts, tes besoins, tes amours, tes rêveries… Et puis, tu avais des images de Londres, tu avais Guinness, Guinness is good for you. Y avait le whisky, Tintin, Spirou, toute cette bande dessinée qu’il n’y avait pas en France. Quand je retournais en France, je retournai dans un monde moins excitant, il y avait une espèce de paradis perdu, y avait un goût de paradis, de jardin et je me réfugiais dans mon jardin et je revivais tout.
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    La Belgique de l’enfance rêvée de Pierre… avec ses boîtes aux lettres rouges, ses gendarmes et douaniers, ses magasins de bonbons, les publicités pour le tabac, la bière, la guinness…
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  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°3

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (3)

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    Pierre Dubois : Mon vrai coup de Trafalgar, ma grande admiration, ce qui a illuminé mon goût pour le fantastique, c’est le jour où, j’étais déjà un peu plus grand, ma mère n’avait pas trouvé de Bob Morane à m’ramener et elle avait vu le dernier Marabout et c’était un Jean Ray. Et j’ai fait connaissance avec Jean Ray la première fois en lisant les 25 meilleures histoires noires et fantastiques en Marabout. Le poids du bouquin, je l’ai encore dans les mains, j’ai encore sous les yeux la couverture. Et, ce qui est d’autant plus curieux, soudainement, j’en ai une souvenance terrible… J’étais enfant, mes parents étaient partis en course, m’avaient laissé tout seul, et il faisait sombre, noir dans cette petite cuisine et ils m’avaient laissé la radio et j’avais trafiqué la radio et j’étais tombé sur la RTB ou je ne sais quelle chaîne et il y avait un comédien qui lisait un texte terrible : l’histoire de quelqu’un qui rentrait chez lui et l’horloge qui d’habitude faisait « tu es là, je suis bien contente. Tu es là, je suis bien contente »… Cette fois-là le type rentre et il n’entend pas l’horloge qui d’habitude l’accueille et en fait il s’est trompé de maison. Il est un intrus dans la maison. C’était une nouvelle de Jean Ray, je savais pas mais cette histoire-là m’avait frappée, était restée ancrée dans ma mémoire, et quand j’ai lu ce bouquin, j’ai retrouvé cette histoire qui m’avait fait fantasmer, m’avait fait peur dans mon enfance. Je retrouve Jean Ray et pour moi Jean Ray a été une révélation. Quelque temps, quelques années après, est sorti Malpertuis en même temps que les Derniers contes de Canterbury, c’est l’exemplaire que j’ai conservé, avec cette couverture où tu revois la fameuse cotte d’armes de cette taverne… Là, elle est pas battue par les vents dans les landes mais elle est quand même dans une ville , Canterbury ! J’y suis allé d’ailleurs, une ville dévorée par les ombres… Et en même temps, il y a eu Malpertuis, les deux d’un coup, ça a été un véritable bonheur. Après, j’ai découvert Seignolle, avec la Malvenue, Marie la louve
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    Richard Ely : Tu as quel âge à cette époque ?
    Pierre Dubois : Je devais avoir quatorze ans. Et là, ça a été… Tu vois, je le renifle encore ce vieux papier, ce vieux papier jaunâtre… J’ai adoré son style. Les Noces de Mademoiselle Bonvoisin, Irish Stew, le Docteur Canivet raconte. Il y avait des noms incroyables. Imprononçables…
    Richard Ely : Est-ce qu’avant Jean Ray, le côté « histoires d’épouvante, ghost stories », c’était quelque chose que tu connaissais ou étais-tu limité aux aventuriers, aux pirates…
    Pierre Dubois : Il y a eu le Chien des Baskerville de Conan Doyle. Là aussi un bouquin-clé. La preuve est que je suis aller par la suite dans le Dartmoor chercher les traces de ce qui avait inspiré Conan Doyle pour le chien des Baskerville. Ça a été aussi une révélation, le personnage de Sherlock Holmes, étonnant… Il y a donc eu de suite ce goût pour l’Angleterre, la lande, le Dartmoor, les docks de Londres. Côté bande dessinée, il y avait la Marque jaune aussi qui donnait l’envie d’être à Londres, puis il y a Dickens, Oliver Twist. Et puis Hyde et Jekyll, j’avais lu aussi Hyde et Jekyll, de Stevenson. Donc je savais que les histoires de fantômes étaient très ancrées en Angleterre.
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    Richard Ely : Et donc Jean Ray pour toi, c’est…
    Pierre Dubois : Jean Ray c’est un écrivain qui comme pour Gaston Bachelard, j’ai envie d’y revenir régulièrement. Je prends plaisir à lire et à relire, je le savoure comme un bon whisky, un bon vin, ou un paysage que tu as aimé et que tu retrouves intact et qui s’enrichit aussi par l’âge que tu as pris. Tu ne le vois plus de la même manière. Alors quelquefois, tu peux être un peu déçu et puis tu reviens un mois ou deux après et il est là, il t’accueille à nouveau et il te rassure. C’est bien d’avoir des repères comme ça, des îles, des îlots, des endroits où tu t’installes. Et puis, selon la saison aussi, y a des bouquins que je vais lire l’été, comme les bouquins de piraterie. Par contre, il y en a d’autres, les histoires de fantômes, dès que l’automne arrive, j’ai envie de retrouver le fauteuil, la pipe et le coin du feu. J’ai une cheminée maintenant, là aussi, enfant, il me manquait une cheminée. Il y avait le feu, le poêle, mais quand il n’y a plus eu le poêle, je disais toujours que plus tard, j’aurais une cheminée… L’âtre… Quand je lisais que les héros rentraient d’une chevauchée à travers la lande, à travers les bois menaçants, qu’ils étaient complètement trempés par les trombes d’eau, glacés par les vents froids et qu’ils arrivaient dans la taverne, ceux-ci se mettaient toujours le derrière au feu, ils enlevaient leurs tricornes et remontaient les basques de leurs habits, et se chauffaient les fesses. Je ressentais cela, vraiment… Je crois que le goût du whisky me vient de la littérature, le fumet, l’idée de fumer la pipe me vient des récits, le goût du couteau, du poignard me vient de l’île au trésor, du coutelas… C’était pas un poignard, il sortait son coutelas ! C’était l’époque bénie des beaux mots. On peut souvent me dire que j’emploie des mots un peu inusités, un peu vieillots, précieux etc., mais c’est le goût de ce que j’ai lu. Y avait des bouquins qui me tombaient des mains, je trouvais cela mal écrit. Je déteste l’écriture blanche, l’écriture scénario. Stephen King m’emmerde prodigieusement, c’est plat, y a rien. C’est écrit à la machine, pire maintenant, dis-moi le mot…
    Richard Ely : Au clavier d’ordinateur ?
    Pierre Dubois : Oui, c’est ça et ça m’emmerde. On le sent, il fait un scénar, il est entrain de ramener des images de film, il boucle son chapitre en se disant que le lecteur va de suite aller au suivant. Non, je préfère un bouquin qui traîne, qu’à la fin du chapitre on se dise justement : « Mais qu’est-ce qu’il a raconté, où va-t-il nous emmener ? Il nous perd… ». Des digressions, le bouquin ne va pas dans la direction qu’on désire. C’est pour ça que j’aimais beaucoup les bouquins picaresques, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire Tom Jones de Fielding, Smollett, tous ces romans où on entraîne un héros et on le perd. Chez Dickens aussi tu as ça, tu commences sur un personnage puis tu passes à un autre. En fait, tu suis la vie. Il y a quelque chose d’une réalité. Tu ne sens pas le scénario derrière, tu ignores même s’il y en a un finalement… Ce genre de scénar qui te dit qu’on va faire trois cents pages, que ça va rentrer dans telle collection. Non, il écrit parce qu’il se raconte, il ne prend pas le lecteur pour un nœud-nœud. Il raconte comme une confidence. Comme au coin du feu. Et puis, il y en a qui somnolent, qui reprennent après. On peut s’arrêter cinq minutes pour boire un coup. Discuter de la pluie et du beau temps et puis on recommence. Et c’est ce que j’ai trouvé avec Jean Ray. Et ce vocabulaire….Quand j’étais enfant, on parlait de cabestan, on parlait de miséricorde, du mat d’artimon. On perd cette valeur. Je sais bien car j’ai écrit pour des jeunes… A un moment donné, mon éditeur me disait qu’il fallait simplifier, ne pas écrire mat d’artimon c’était trop difficile. Mais les dictionnaires, ça existe ! Et les enfants, si on appauvrit sans cesse le vocabulaire, ça va être encore pire. Là, c’était autant de mots magiques, c’était des acadabras, c’était des mots qui faisaient rêver et comme tu connaissais pas la signification, tu allais chercher dans le dictionnaire ou tu imaginais une signification mais ça t’ouvrait des portes. Ce mot quand tu le disais tout haut ou dans ta tête, résonnait longtemps. Il t’amenait un petit peu comme par ricochets, il t’amenait à rêver davantage. Il faisait vivre la phrase encore plus. Tu as Daniel Boulanger aussi qui a écrit des nouvelles ciselées comme ça.
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    pierredubois0305L’impressionnante cheminée dont rêvait Pierre enfant devenue réalité en sa demeure…
  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°2

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (2)

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    Richard Ely : Tu avais du fantastique chez toi ?
    Pierre Dubois : Quand j’étais petit, non. Mes premiers livres c’était la Bibliothèque verte, rouge et or. Là où j’ai commencé à mendier, à essayer d’avoir de bonnes notes à l’école pour être récompensé et avoir des livres. Je me souviens de mes premiers livres que je rangeais soigneusement en rêvant de la bibliothèque que je pourrais avoir plus tard, je rêvais de beaucoup de livres. Je mettais les rouge et or les uns à côté des autres et c’est vrai que les rouge et or avaient une belle tenue, de belles illustrations, de beaux papiers. Le dos avait une apparence de vieux cuir et j’en étais très fier. Alors c’était d’abord des Fenimore Cooper, Gustave Aimard, les trappeurs de l’Arkansas… Et puis, il y a eu la Bibliothèque verte avec la découverte de l’île au trésor de Stevenson. Non seulement il y avait une histoire de pirates, de l’aventure, des galions, etc. mais il y avait aussi un côté fantastique, y avait Pew l’aveugle, les chiens noirs qui venaient rôder autour de la taverne qui allait m’amener plus tard à l’auberge de la Jamaïque, au décor d’auberges bizarres, à Mac Orlan. J’allais découvrir Mac Orlan. C’est là que j’ai découvert pour la première fois cette lande déserte avec la menace d’une taverne environnée par des ombres, des bandits qui avaient donné la marque noire au capitaine qui rôdait avec un aveugle… Et puis, on parlait d’un pirate avec une jambe unique, on ne savait pas encore que ça allait être Long John Silver. « Si tu vois un pirate à la jambe unique tu m’avertis mon gars » disait le capitaine à Jim Hawkins. ça a été mes premiers frissons, pas seulement du roman d’aventures mais aussi du fantastique. J’aimais les histoires fantastiques, j’avais lu Arthur Gordon Pym. Ce bouquin ne finissait pas. On me reproche parfois de faire des fins un peu bizarres, c’est peut-être à cause de mes premières lectures. Même dans l’île au trésor, il n’y a pas vraiment de fin. Le pirate s’en va, il n’est pas puni. Il se sauve, Jim Hawkins le laisse partir sur le canot. J’aimais bien ces fins qui n’en étaient pas. Ces fins qui disparaissaient, j’avais lu L’Homme des vallées perdues. Pareil, Shane, le héros s’en va. On ne sait pas s’il est mortellement blessé ou pas. J’aimais bien ces fins en suspens. Au bord d’une frontière… Et j’ai lu Bob Morane. Là aussi ce que j’aimais dans Bob Morane c’est qu’il y avait toujours une petite intrusion. C’était de la pure aventure , l’époque bénie des couvertures de Joubert, bibliothèque Marabout Junior, Bibliothèque verte, rouge et or, Idéal bibliothèque, le monde perdu de Conan Doyle, La guerre du feu, Capitaine Corcoran. Par contre je n’aimais pas Jules Verne, c’était trop scientifique, trop scientiste. Ça m’enquiquinait ces héros terre à terre.
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    Richard Ely : Et tu y avais accès facilement ?
    Pierre Dubois : Par le biais des bibliothèques, j’étais inscrit dans les bibliothèques.
    Richard Ely : Tu avais quel âge à cette époque ?
    Pierre Dubois : De 7 ans à 14, 15 ans… J’ai toujours été un lecteur. Evidemment c’était presque de la lecture de contrebande. Mes parents, Mon père quand il me voyait avec un livre entre les mains, déjà dans ma petite enfance, c’était : « Qu’est-ce que tu fais encore avec un livre ? Toujours la tête dans les livres, tu vas t’abîmer les yeux ! C’est du bourrage de crâne, je vais te donner du vrai travail, ! Est-ce que tu as fini tes devoirs ? ». La lecture, c’était vraiment de la contrebande. Et même pour avoir de nouveaux livres, j’en échangeais en classe avec des copains. Mes parents n’aimaient pas ça non plus. Le livre à une certaine époque, surtout chez des gens simples, ce n’était pas pour eux. Quand tu t’intéresses à ce que j’ai fait, à faire du collectage, des histoires de sorcellerie, des choses comme ça, dans les campagnes, quelqu’un qui avait des livres chez lui, était vu de manière un peu bizarre. Il avait des mauvais livres. C’était des livres, il devait y avoir des choses pas très nettes dedans. On en était encore au 19e où l’Eglise et l’Etat ne voulaient pas que les gens pensent. L’éducation, ce n’était pas pour les pauvres. Mes parents avaient certainement encore ça en tête. Y avait certainement une réminiscence, une mémoire où le livre n’était pas normal, où on avait pas accès aux livres. Chez moi, il y a eu ce besoin et au travers des livres, il y avait ces personnages flamboyants qui se révoltaient. Robin des bois… Pour moi, c’était mes héros, mes exemples… Des exemples à suivre, je me suis fait une culture parallèle avec mes lectures. L’école m’ennuyait vraiment.
    J’avais aussi les livres de ma sœur, de ma grande sœur, qui allait à l’école et donc qui avait des livres d’Histoire, des livres de Français, et je les lisais, les relisais. Lorsque j’étais malade par exemple, j’adorais être malade quelque part parce que quand j’étais malade ma mère m’installait dans la buanderie, elle faisait la cuisine, et moi j’étais dans le coin près du poêle, et je lisais et je rêvassais, c’est un truc que je raconte souvent mais qui a été quand-même déterminant C’est cette buanderie qui ressemblait à une cabane, à une grotte, à la cabane que tu te fais quand tu es enfant avec ce feu qui ronflait, qui parlait avec la bouilloire, qui chantonnait, sur le feu et puis la lumière, on n’allumait pas l’électricité tout de suite, donc c’était la lueur du poêle, on soulevait le couvercle du poêle et le poêle lançait au plafond une lumière rougeâtre et selon que respirait le feu, il lançait des images différents, t’avais des jeux d’ombres et je m’imaginais en voyant ces ombres au plafond, les tas d’histoires que je venais de lire et que je prolongeais. Ce que j’aimais aussi à cette époque-là, c’est que tu avais des illustrés, ma mère m’en ramenait en cachette et là, tu n’avais donc pas le début de l’histoire et tu n’avais pas la fin. T’avais deux planches, donc t’étais obligé d’imaginer le début, tu n’avais qu’une bride, un fragment et j’ai toujours aimé les fragments… C’était des dessins pas toujours très bien faits. Si, tu avais des grands, Giffey par exemple qui dessinait Buffalo Bill et c’était marrant parce que ma sœur avait des livres d’Histoire illustrés aussi par Giffey et je reconnaissais le style, le trait de Buffalo Bill dans la tête de Colbert ou de Louis XIV. Et Calamity Jane dans la tête de la Marquise de Montespan ou je ne sais pas quoi… Et donc je pouvais me faire toute une mythologie, j’étais à côté de la fenêtre et à côté de ça, il y avait le jardin, et la pluie qui tombait sur les vitres, tout ça me chantait des histoires, je sentais des présences, je sentais qu’il y avait quelque chose.
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    J’étais en plus un enfant solitaire. Ma mère partait faire des courses et je restais tout seul. Et tout ça vivait et ma mère me ramenait quelquefois un livre et je puisais dedans et ça a été vraiment fondateur. Tous mes héros et ceux à qui j’ai voulu ressembler, à Long John Silver, Robin des Bois, tous ces personnages frondeurs qui se battaient contre les injustices, contre le pouvoir, c’était des pirates, ils étaient libres. Ils recherchaient toujours quelque chose, comme les héros des contes… J’aimais bien aussi les contes. Les contes de Grimm. Par contre, je n’aimais pas trop Perrault, je trouvais ça un peu trop pommadé, et puis alors cette morale toujours à la fin, que je retrouvais dans Lafontaine, ça me dérangeait, ça me rappelait trop la classe. Faites ceci, pas cela. Il y avait un côté moralisateur. J’aimais les fées sauvages pas les fées de Perrault. Les vraies fées de la Nature.
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    Il en rêvait petit, voici un coin infime de la gigantesque maison-bibliothèque de Pierre Dubois…
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    On n’y trouve pas que des fées… voici une collection autour de Jack l’éventreur !
Suivez les fées !

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