Étiquette : Pascal Izac

  • Fées noires & Dames sombres – La Groac’h

    La Groac’h

    groach
    © Pascal Izac

    Fée bretonne des eaux, la Groac’h vit dans de sombres cavernes maritimes. Elle apparait sous de multiples formes. Tantôt jeune et belle afin de séduire les hommes et les transformer en poissons, tantôt vieille, laide, pourvue d’une bouche énorme ornée de dents de morse pour éloigner à jamais tout curieux de son précieux territoire.

     

    A chaque fois que le vieux Paul descendait sur la plage, on pouvait être sûr qu’il en revenait avec un objet curieux, un galet percé ou un bouquet d’algues aussi invraisemblable qu’indéniablement joli à sa façon. Cela durait depuis tant d’années que nul ne s’étonnait plus de ces présents amassés sur la plage et qui manifestement lui étaient destinés. Cela commença en réalité bien tôt. Le vieux gardien de phare aujourd’hui retraité venait d’entrer en fonction, il y a plus d’un demi-siècle maintenant. La première fois, il s’était endormi sur la plage. Quand il s’était réveillé, il avait trouvé posé à côté de lui, un collier de coquillages. Sur la plage, il n’y avait pas la moindre trace de pas mis à part les siens. Il avait pensé à un tour joué par quelque garnement et n’y avait attaché que peu d’importance jusqu’à ce que les jours suivants, à chaque descente sur la plage, il ne trouve un cadeau. Cela variait d’une dent de phoque à un panier de poissons. Il y eut même une fois, un petit caillou d’or qui permit au jeune homme d’alors de s’acheter une maison. C’est pourquoi il ne se passait plus une semaine sans que Paul ne se rende à la plage. On avait bien tenté d’apercevoir qui lui offrait toutes ces choses, un farfelu avait même eu l’idée de poser une caméra et de filmer Paul sur la plage sans que le défilement du film enregistré ne puisse faire comprendre comment l’homme avait reçu cette petite clochette dorée dont le tintement rendait un son que personne ne pouvait décrire. Il y avait là quelque chose de magique ou de sorcier ! Les langues allèrent bon train. Un enfant prétendait avoir croisé sur cette même plage, une magnifique jeune-femme toute de rouge vêtue. Un autre, une vieille édentée un peu folle habillée de noir. Les pêcheurs qui longeaient le rivage de ce côté parlaient d’un morse ou d’un phoque au comportement bizarre tandis que les anciens du village évoquaient les fées. Qu’importe ! Jean descendit chaque semaine sur cette plage enchantée pour y venir quérir l’objet insolite. Un jeu qui durait maintenant depuis cinquante ans. Sans que jamais personne n’en comprenne le sens ni n’en devine le coupable donateur.

    Mais voilà que le Jean, cette semaine ne passa pas devant l’estaminet qui bordait le chemin menant aux galets. Les uns après les autres, les villageois jetaient un œil inquiet vers le sable, étonnés de n’y point voir arriver leur ancien gardien de phare. N’y tenant plus, une délégation se rendit au domicile du vieux Jean. On découvrit son corps raide, couché dans son lit. Dans la main droite, une jolie pierre bleue, un cristal comme on en trouvait parfois, rejetés par la mer. Un morceau de verre poli par les vagues. Et sur son visage, la trace d’un sourire… On décida de mettre le corps de Jean dans le vieux cimetière, près de la plage qu’il aimait temps. Quant à son âme, il se murmure qu’elle fut emmenée par une Groac’h, cette vieille fée qui des années durant, s’était entichée du brave Jean.

     

  • Fées noires & Dames sombres – Jenny Dents vertes

    Jenny Dents vertes

    jenny
    © Pascal Izac

     

    La Dame croquemitaine associée aux eaux tumultueuses anglaises, Jenny aux dents vertes, porte différents noms suivant les régions. Jinny dans le Lancashire, Wicked Jenny dans le Shropshire. Cette fée aquatique dont la chevelure couverte d’algues est aussi verte que sa peau et ses dents représente un réel danger pour les plus jeunes autant que pour les plus âgés. Pour l’éviter, un seul mot d’ordre : tenez-vous éloigné des berges !

     

    Le petit John n’était pas des plus obéissants. Il passait son temps à braver l’interdit. Du haut de ses six ans, rien ne semblait lui faire peur. Ni les punitions répétées, ni les menaces et encore moins toutes ces légendes et superstitions sensées le tenir à l’écart des endroits dangereux. C’est ainsi qu’un jour, malgré les mises en garde de sa nannie, il se mit en tête de quitter l’enceinte bienveillante du jardin familial pour aller se promener du côté de la rivière. Pourtant, sa grand-mère lui avait conté la mésaventure de ces jeunes imprudents qui avaient rencontré sur le chemin de la rivière, la mauvaise fée Jenny Greenteeth. Celle-ci se dissimulait dans les roseaux, attendant patiemment qu’un petit effronté comme l’était Johnny, vienne à s’approcher. Alors, la fée bondissait de sa cachette et de ses griffes acérées s’emparait du garnement pour l’emporter au fond des eaux. Mais John n’avait pas peur de ces sornettes. Des sorcières, il n’en avait jamais rencontrées. Des fées, ça n’existait pas et encore moins des vertes aux dents pointues. C’était encore des menaces en l’air, des histoires pour les petits enfants craintifs.

    Le garçon était arrivé près de la rivière. Il scrutait avec attention les berges ne sachant pas vraiment ce qu’il y cherchait. Les paroles de la grand-mère lui revenaient sans cesse dans la tête. L’assurance qui l’avait toujours accompagnée jusque-là faiblissait. Brusquement, il crut percevoir un mouvement de ce côté-ci de la rivière. A travers l’amas de roseaux, deux yeux le fixaient. Deux boules noires encadrées par une filasse verte. Un peu plus bas se dessinait une bouche, une bouche énorme de laquelle pointaient des crocs acérés. Il voyait maintenant, caché dans les végétaux, le corps spongieux et difforme de la mauvaise fée. C’était elle, Jenny ! Elle attendait qu’il s’approche encore un peu pour se saisir de lui. L’enfant tressaillit et, d’un coup, fit volte-face, s’engouffrant dans le chemin qui menait à sa demeure, fuyant à toutes jambes ce monstre tapi dans l’ombre de la berge qui en voulait à sa jeune vie. Ce soir-là, Johnny ne dit rien. Pas un mot. Et jamais depuis, on eut à répéter une seule menace.

  • Fées noires & Dames sombres – Leannán sí

    La leannán sí

    leanan
    © Pascal Izac

     

    Qui rencontre une leannán sí ne peut qu’être séduit par cette ténébreuse beauté. Si elle vous emprisonne le cœur, en retour, elle libère l’esprit. Muse parfaite, sa présence à vos côtés pousse à la créativité. Attirée par le poète naissant, le jeune peintre ou l’artiste en ses débuts, elle offre gloire et inspiration à ceux-ci en échange de leur vie. L’immortalité de l’œuvre n’a de pendant que la brièveté du souffle de son créateur.

     

     

    La galerie d’art n’avait jamais connu autant d’affluence. La foule se pressait pour découvrir les œuvres exposées ce jour. Il faut dire que la part de mystère qui les entourait avait fait couler beaucoup d’encre dans la presse. Un homme avait découvert les tableaux dans une vieille maison qu’il venait d’acquérir en vente publique. L’ancien propriétaire n’avait pas d’héritier. C’était un homme solitaire, qui parlait peu et qui avait toujours habité seul, d’après les habitants du village. La découverte des toiles avait été une véritable surprise pour le nouveau propriétaire. Il ne s’y connaissait pas vraiment en peinture, mais ce qu’il avait devant les yeux était si envoûtant qu’il se douta immédiatement de la valeur des tableaux. Il en embarqua un et choisit de le montrer à une galerie d’art de la ville voisine. Le directeur de la galerie n’avait jamais rien vu de tel. Il appela un de ses confrères et une heure plus tard les deux experts parlaient en gesticulant et d’une voix forte de la merveilleuse beauté qui se dégageait d’un tel chef d’œuvre. D’autres experts furent appelés encore et une galerie se porta acquéreuse de l’ensemble des tableaux à un prix qui permettait au propriétaire des lieux de jouir d’une existence tranquille pour le reste de sa vie. La collection fut alors soumise aux plus grandes analyses, on vit passer des reproductions dans les magazines spécialisés d’abord, dans les médias de masse ensuite, tellement l’émerveillement devant ces portraits provoquait de sentiments. Car chaque tableau représentait toujours la même femme, insaisissable, trouble, mais dont les traits dessinés reflétaient l’image de la beauté la plus pure qui soit. On se mit à rechercher l’histoire du peintre. On ne trouva trace de lui que dans sa prime jeunesse. Des études artistiques, son installation dans la campagne irlandaise. Un long voyage en Ecosse, dans les îles anglaises et puis, à vingt ans à peine, une vie de reclus. Mais le point le plus intrigant de son histoire était qu’il n’y avait nulle trace d’un modèle. Qui était la femme représentée dans les portraits ? Etait-elle née de son imagination ? La maîtrise parfaite du modèle ne semblait pas épouser cette piste. Une muse secrète, une femme entraperçue au village ? Les explications les plus farfelues allèrent bon train. C’était le souvenir d’une mère défunte, d’une sœur ? Un fantôme ou une fée qui lui rendait visite ? Jamais on ne put percer le mystère. A voir les visages des visiteurs de l’exposition d’aujourd’hui, une chose semble certaine, la femme des portraits possédait un pouvoir d’attraction sans nul autre pareil.

     

     

  • Fées noires & Dames sombres – Bloody Mary

     

    Bloody Mary

    bloody_mary
    © Pascal Izac

     

    On ne sait ce qui a poussé exactement Mary la Sanglante à vivre au fond des miroirs… Le meurtre de son enfant, un suicide, un décès en couches… Quoiqu’il en soit, il n’est jamais bon l’appeler par trois ou treize fois, la provoquer devant la glace polie et voir son reflet prendre les traits de la fée ensanglantée qui ne manquera pas de surgir à l’appel, au murmure ou au cri maintes fois prononcé.

     

     

    « Bloody Mary… ». Les mots venaient d’être formulés par Jenny. Elle n’était pas seule dans la pièce éclairée de deux bougies. Son amie Sarah se tenait à côté d’elle. Toutes deux avaient quatorze ans et s’amusaient à reproduire un bien étrange rituel. Les adolescentes avaient découvert la légende de Bloody Mary dans un récit d’épouvante, une nouvelle glissée dans un magazine de Weird Tales. Le genre de revues qu’elles lisaient en cachette et dont elles appréciaient beaucoup les histoires. Elles adoraient frissonner et mettre en scène les nouvelles lues chez l’une ou chez l’autre. Rejouant la venue d’un vampire, l’éveil d’un mort-vivant. Ce jour-là, elles avaient consciencieusement fermé les volets et tiré les rideaux. Les deux chandelles suffisaient à peine à y voir clair. Les filles se tenaient debout devant un grand miroir. Jenny lui faisait maintenant face. Un léger tremblement pouvait se deviner le long de ses bras pendants, les doigts triturant nerveusement sa robe, se pliant et se repliant pour en chasser la moiteur. Les yeux plongés dans le miroir, la jeune fille se décida enfin à prononcer une deuxième fois la formule, le nom de celle qu’elle invoquait…

     

    « Bloody Mary… ». Cette fois, la main de Jenny avait instinctivement recherché celle de Sarah. Il ne lui restait qu’une fois. Une seule fois prononcer le nom de la mauvaise fée qui se terrait au fond des miroirs pour la voir apparaître. Trembler devant son visage déchiré par de terribles souffrances, celle d’une mère assassine, d’une créature sans âme, condamnée à errer dans les limbes derrière ces vitres à observer le bonheur des autres tout en ressassant sa haine et son mépris. La prison de verre ne pouvait être brisée que par son nom, trois fois prononcé. Alors, elle sortait, toute colère et vengeance, ses griffes se plantaient dans votre cou, ses dents vous arrachaient le nez, les yeux et toute l’horreur se déversait en votre chambre. Mais tout cela n’était qu’un conte, une légende… Braver l’interdit était tentant. Qui peut y résister ? Certainement pas des jeunes gens de quatorze ans. L’âge de la déraison. Celui des découvertes, des jeux sans frontière ni tabou. Pousser les défis de plus en plus loin, sentir la joie troublante d’une liberté infinie, marcher sur un fil tendu, prêt à se rompre et connaître les délices du grand frisson. La main serrée dans celle de Sarah, Jenny jeta un dernier coup d’œil à son amie. Leurs regards se croisèrent et elles pouffèrent de rire… Nonchalamment, Jenny refit face au miroir et dans un demi-soupir, elle lâcha :

    « Bloody Mary… »

  • Fées noires & Dames sombres – La Sorcière

     

    La Sorcière

    sorciere
    © Pascal Izac

     

    « Une sorcière est une fée que l’on a offensée », cette phrase que l’on doit à Katharine Briggs peut se lire sur les murs d’Ellezelles, village belge marqué par les bûchers. Nombreuses sont celles injustement condamnées qui reviennent chaque nuit hanter les chemins des campagnes. Fées ou fantômes, les sorcières sont avant tout les victimes de la jalousie, de l’incompréhension et de la haine des autres hommes. Du XIIe au XVIIIe siècle, chasse allait être donnée à ces suppôts du diable avec comme point culminant, toute l’horreur de l’Inquisition.

     

    Rien ne la distinguait des autres jeunes filles du village si ce n’est la couleur orangée de sa chevelure. Et peut-être son air sauvage. Emelyne aimait passer des heures dans les champs, y récolter les herbes qui guérissent, y observer les sauts joyeux des chevreuils au petit matin et les vols des chouettes le soir tombant. Au fil des ans, son intérêt pour les beautés de la nature n’allait pas en diminuant. A seize ans à peine, elle connaissait le nom de toutes les fleurs et les trajets de toutes les abeilles. Elle passait de longs moments dans les bois, s’endormant dans l’air frais sous les ramures, se gavant de myrtilles et de mûres. La rumeur disait qu’elle détenait le secret des fées, qu’elle les côtoyait lors de ses échappées. A vingt ans, elle ouvrit un petit commerce de feuilles et de fleurs séchées. Des sirops de sureau pour soigner les maux de gorge. Des herbes à infuser pour faire partir la fièvre. Elle fut bientôt connue dans toute la région pour les soins qu’elle apportait aussi bien aux hommes qu’aux bêtes.

    Cet été-là, il avait beaucoup plu. Le blé et le froment s’étaient courbés sous le poids de l’humidité et les hommes avaient eu bien du mal à récolter les grains pour les moudre et en tirer la précieuse farine. Mais ce ne fut pas là le pire des malheurs qui s’abattirent sur le village. Un mal étrange suivit les premiers pains. Les gens furent frappés de folie et d’hallucinations. Certains ressentaient un feu intérieur les brûler, une chaleur insupportable qui leur rongeait les membres. Au bout de quelques jours, les cadavres s’amoncelèrent et on en vint à crier à la malédiction. Le curé, débordé par tant de souffrance en appela à l’évêque.

    Une semaine plus tard, des cavaliers noirs entraient au village suivis par un inquisiteur. Car ce mal étrange ne pouvait venir que d’un suppôt de Satan. On murmura un nom. Doucement d’abord puis, de plus en plus fort. Celle qui détenait le pouvoir de guérir possédait certainement celui de tuer. Et puis, ces cheveux roux, un signe, sans nul doute.

    Un matin, la fille fut enlevée, conduite au tribunal, rouée de coups. Elle finit par avouer, en sanglots, avoir pactisé avec le diable. Sorcière ! On éleva un bûcher. Les flammes lui léchèrent le corps et elle jeta dans un dernier cri : « Sœurs, sœurs ! Que vengeance soit faite ! ». C’est alors qu’un sinistre craquement se fit entendre : l’amas de bûches enflammées s’était effondré engloutissant le corps de la jeune femme.

    L’étrange mal disparut avec l’hiver. L’année suivante, tout le monde parlait encore de cette sorcière rousse, cette maudite engeance. On frissonnait de l’avoir laissée toucher son enfant. On s’effrayait qu’elle ait posé la main sur la meilleure jument. Puis, on l’oublia.

    Jusqu’au soir où, bien des années plus tard, dans la brume naissante de ce pré, à la lisière de la forêt, une femme qui rentrait chez elle aperçut une ombre surgir de terre. Elle vit distinctement la couronne de cheveux de feu qui entourait un faciès plein de haine et des yeux luisant comme des braises. La sorcière était revenue et le village allait payer l’offense faite aux fées…

Suivez les fées !

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