Étiquette : lutin

  • Irène la Sirène – Casterman

    On connaît l’attrait des plus petits pour les livres-objets. Casterman allie ce type de livre à un univers féerique en nous offrant ce « Irène la sirène ». Grosses pages cartonnées pour une prise en main excellente et sans pouvoir abîmer ce livre au petit format parfaitement adapté aux lutins-lecteurs. Irène s’élance dans une course folle avec de petits poissons et s’anime grâce à sa tête « bobinette ». En effet, les parents s’amuseront à animer l’histoire en glissant leur doigt dans la petite marionnette, ce qui fera sursauter de plaisir vos bambins ! A partir de 3 ans, vous pourrez les laisser expérimenter aux-mêmes la chose.

    Les Bobinettes, une collection animée parue chez Casterman.

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  • Des lutins dans le jardin !

    L’affiche de la « Fête des Courges » réalisée par Dominique Mertens.

    Les habitants de la région de Tournai, en Belgique, ont bien de la chance. Deux fêtes ayant pour thème la nature et le jardin auront lieu les deux prochains week-ends avec toutes deux de très jolies affiches.

    La première est signée Dominique Mertens et met en scène un « nain de jardin » fort sympathique poussant une brouette remplie de potirons et autres citrouilles pour la fameuse Fête des Courges d’Antoing ce troisième week-end de septembre. Toutes les infos sur www.courge.be

    La seconde affiche bénéficie d’un très joli dessin de René Hausman. On y voit sa petite Zunie tenant en mains une coccinelle et une pomme. La Fête de la Pomme a lieu à Rongy, près de Tournai ce 1er dimanche d’octobre.

    A propos d’Hausman, n’hésitez pas à vous plonger dans le site officiel qui regorge d’illustrations féeriques. Un vrai délice !

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  • L'irrésistible parfum des fées

    L’irrésistible parfum des fées

    Etrangement, les fées sont de toutes les créatures de l’Autre Côté, à la fois les plus évoquées tout en étant les moins saisissables… Tantôt minuscules aux ailes de papillon, tantôt belles dames aux atours médiévaux. Figure aux milles images, toujours en mouvement, en transparence. Petite plongée au cœur de Faerie pour vous livrer quelques secrets sur les fées avant que ces dernières ne s’évaporent…

    Aux origines…
    Le premier constat lorsqu’on s’intéresse aux fées est la multitude de pistes qui s’offrent à nous. Car la fée est plurielle. Qu’on remonte à sa ou ses naissances mythologiques ou qu’on tente de la définir physiquement, on se heurte à nombre de possibilités.

    Qu’est-ce qu’une fée ?
    Pour tenter de le comprendre, il faut nécessairement s’attacher au mot. Pierre Dubois rappelle très justement dans son Encyclopédie des Fées (Hoëbeke) les propos d’Alfred Maury mettant en parallèle les fata (Parques) et les Fées ainsi que le mot fatum d’où découlera l’adjectif signifiant «destiné». On le voit, les fées ont quelque chose à voir avec l’idée de destin et leurs ancêtres divines, les Parques. On notera au passage que ces divinités étaient trois, tout comme le seront très souvent les fées dans les contes…
    Ce lien avec les divinités antiques est encore renforcé lorsqu’on s’arrête sur l’idée de fée marraine. Les Carmentes Anteverta et Postverta, divinités romaines de la connaissance du passé et du futur, étaient liées à la naissance des enfants qui se présentaient par la tête ou par les pieds. Au fil des siècles, la tradition voudra que les fées, comme les anciennes divinités, se penchent sur le berceau de nos enfants, leur procurant protection et bienveillance.

    Dans son Guide du chasseur de Fées (Le pré aux clercs), Edouard Brasey insiste sur la notion de beauté. La fée est un idéal de beauté. Voilà donc un autre trait essentiel, l’idée de beauté, de perfection. Une idée que Jean-Louis Fetjaine reprend dans sa trilogie des elfes (Pocket) où « les femmes elfiques étaient d’une telle beauté que les hommes qui n’avaient pas l’habitude de traverser leurs contrées les prenaient pour des fées ».

    Les traditions celtes et les récits arthuriens entraîneront les fées vers la pratique de la magie. De la prophétesse antique à la magicienne celte, il n’y avait en effet qu’une infime frontière, vite franchie. On y verra également le lien des fées à la Nature, provenant des croyances celtiques et de leurs cultes intimement liés à la Terre, chaque divinité étant la gardienne d’un lieu, d’une rivière ou d’une forêt… Ce lien à la Nature, nous le faisons encore aujourd’hui puisqu’il n’est pas rare de voir ci et là une petite figurine de fée orner un coin de jardin, petite divinité protectrice de cet endroit chéri. Beatrice Philpotts nous parle d’ailleurs des Fées du Jardin (Le pré aux clercs) avec poésie et tendresse. Fleurs, plantes et fées s’y côtoient, tout comme dans un autre ouvrage liant jardin et féerie, l’Herbier féerique par Amandine Labarre (AK Editions).
    Enfin, les idées de beauté et magie fascineront encore les auteurs du Moyen-Âge et donneront naissance à la fée courtoise, celle qui envoûtera nombre de cœurs de ces preuxs chevaliers…

    Nous parlions plus haut du caractère pluriel de la fée. Le mot anglais pour fée est fairy et il désigne tout membre du Petit Peuple. Dans son Dictionnaire féerique (Oxymore), André-François Ruaud reprend bien le terme fée comme un terme générique lorsqu’il affirme «Notons enfin que j’utilise indifféremment pour les êtres féeriques (mâles, femelles ou neutres) les termes esprit, fée ou génie». On s’éloigne donc de la définition typiquement française qui voit en la fée une figure féminine pour l’élargir à l’ensemble des créatures féeriques.

    Des fées à lire…
    Belle, liée à la nature, magicienne et prophète, la fée revêt mille apparences et reste par là insaisissable. Il en va de même dans les contes et romans où la plupart du temps, elle n’occupe qu’un second rôle, deus ex machina lorsqu’il faut faire avancer l’histoire par quelque artifice ou amorce à l’intrigue lorsqu’elle se fait responsable du destin des héros. Bien sûr, les fées sont présentes, traversent, transcendent les histoires. Marion Zimmer Bradley, Léa Silhol, Kathryn Kristin Rusch, Laurell K.
    Hamilton, Lord Dunsany et d’autres ont largement teinté leurs récits de poudre de fées. Et même si elles demeurent en retrait comme héroïnes, on peut affirmer que cet attrait des hommes pour les fées participe au succès du genre fantasy aujourd’hui.

    Le grand Shakespeare lui-même n’a pas échappé aux fées en écrivant son Songe d’une nuit d’été et le papa de Peter Pan, James Matthew Barrie, n’hésite pas à donner pour compagne à son héros, une petite fée espiègle et ô combien symbolique, Clochette. Croire aux fées ? Les auteurs ne sont pas en reste quand il s’agit de démontrer l’existence de ces charmantes créatures. Arthur Conan Doyle ira jusqu’à écrire un livre, Les fées sont parmi nous (Lattès) pour défendre les deux petites anglaises qui avaient réussi à photographier des fées dans le Yorkshire.
    Ces êtres magiques inspireront même certains ouvrages de science-fiction comme le Féerie de Paul J. McAuley où une jeune fille de douze ans convainc un pirateur de gènes à l’aider à réaliser son rêve : donner une âme à de petites poupées androïdes pour les transformer en véritables fées.

    On attirera enfin l’attention sur deux œuvres parues aux éditions Terre de Brume. La Compagnie des Fées de Garry Killworth tout d’abord, qui revisite sur fond de fantasy urbaine le classique de Shakespeare, l’occasion de redécouvrir Titiana et Morgane dans un contexte surprenant. Le Parlement des Fées de John Crowley, ensuite, qui réussit à placer les fées comme elles doivent l’être, en transparence, toujours présentes, influentes sans qu’on ne puisse pourtant les apercevoir. Ce chef d’œuvre de la littérature fantasy nous parle de l’univers des fées comme d’un royaume intérieur, et cette vision rejoint bien cette impression d’invisibilité des fées. Peut-être, qu’au fond, le royaume des fées n’existe que dans le cœur des hommes. C’est aussi ce que semblait penser James Matthew Barrie lorsqu’il affirme qu’à chaque fois qu’un enfant ne croit plus aux fées, une de celles-ci disparaît…

    Les fées noires
    Insaisissable, invisible, symbole de pureté, d’innocence, la fée dans toute sa blancheur n’apparaît pas comme une figure facile d’utilisation dans un récit. Par contre, s’il existe des fées blanches, il doit bien y avoir leur opposé. Elle se révolte, agit, fait mal, maudit, devient cruelle et méchante. Son ambiguïté intéresse alors les auteurs et son personnage, les lecteurs. Empêchée de prendre part au repas des fées, la dernière marraine maudit l’enfant et la condamne à un repos éternel le jour où elle se piquera au funeste fuseau (La Belle au bois dormant). Et la sorcière, cette femme pratiquant la magie noire, effrayant les enfants et envoûtant de ses charmes les mâles innocents, n’est-elle pas, après tout, qu’une mauvaise fée ?
    Les fées condamnent, portent malheur, il faut les fuir, les éviter… Pierre Dubois, en éminent elficologue, prétend que les fées vengeresses, déçues et blessées par le comportement des hommes envers la nature, sont à l’origine des cataclysmes, des tempêtes et des bourrasques. L’heure n’est plus à l’indifférence mais à la révolte !

    Dessine-moi une fée !
    Comment ne pas terminer cette brève réflexion sur les fées par le phénomène qui marque les librairies

    Le livre des fées séchées de lady Cottington

    depuis quelques années, surtout en période de Noël : les images de fées. Car ce que semblent rechercher avant tout l’amateur est bien une représentation de celle qu’il admire. Ces véritables icônes de l’Imaginaire se déclinent alors en cartes postales, calendriers, ouvrages divers et variés comme le célèbre Livre des Fées séchées de lady Cottington des incontournables Brian Froud et Terry Jones (Glénat) qui saisissent avec humour nos petites amies à la manière des herbiers. Brian Froud encore avec Alan Lee cette fois qui proposent un superbe recueil de créatures intitulé tout simplement Les Fées (Albin Michel). Sans oublier Le Livre des Fées de Beatrice Philpotts qui dresse un portrait de Faerie abondamment illustré par une kyrielle de maîtres de l’illustration féerique. La bande dessinée aussi recèle de véritable petits bijoux comme le Fée et Tendres automates de Téhy et Béatrice Tillier (Vents d’Ouest) ou encore Loisel qui dans son Peter Pan, revisite avec succès la fée Clochette, succès retentissant dans le mondes des planches et des bulles.

    Une collection 100% fées

    Récemment, les éditions Spootnik ont lancé une collection dédiée aux fées. Confiant les pages illustrées à des dessinateurs aux styles variés, la collection Estragon s’enrichit au fil des mois de beaux livres au format carré qui nous plongent dans la Féerie. Dessins, poèmes, contes, illustrations de fées se succédent dans des univers variés. A noter qu’il existe également des livres jeunesse dans cette collection à commencer par le très utile Hôpital des fées pour aborder le thème de l’hôpital avec les jeunes enfants…
    Petite conclusion féerique…

    Ce besoin inextinguible d’admirer les représentations de fées, doit-on le comprendre comme une tentative d’entrevoir ce qui ne peut être vu ? Est-ce là une façon d’entrouvrir la porte de l’Autre Côté ? Ou de rechercher la bénédiction, la protection de ces Demoiselles et Bonnes Dames ? Quoiqu’il en soit, les fées ont encore de beaux jours devant elles car l’homme, apparemment, n’a pas fini d’y croire. Au détour d’un chemin, au milieu d’une forêt ou assis sur ce banc, dans votre jardin, fermez les yeux, respirez doucement. Vous le sentez vous aussi n’est-ce pas ? Cet irrésistible parfum des fées…

  • Erwan et Ronan Lebreton – Interview

    Erwan & Ronan Le Breton
    La passion des Légendes

     

    Enrôlés par le Petit Peuple dans toutes ses aventures, les deux frères Le Breton devaient avoir bien des histoires à nous raconter… Mais comment attirer les deux scénaristes prolifiques de la collection Soleil Celtic loin des jeux de ces joyeux farfadets ? Malgré tout, nous avons pu soutiré les deux hommes aux farandoles lutines le temps de deux petites heures. Juste le temps qu’ils nous dévoilent quelques-uns de leurs secrets…

    D’où vous est venu l’envie de scénariser ?
    Erwan : Pour moi, clairement du jeu de rôles.
    Ronan : Enfant, j’ai toujours lu des contes et légendes ainsi que de la mythologie. Notre mère était prof et, en tant que prof, elle avait des prix sur des beaux livres illustrés. Elle revenait régulièrement avec des livres de contes et légendes. Par la suite, et étant donné la passion de mon frère, je me suis intéressé au jeu de rôle.

    Vous faites partie des premiers auteurs de la collection « Soleil Celtic », dirigée par Jean-Luc Istin. Que pensez-vous de son catalogue?
    Erwan : C’est un catalogue qui s’est beaucoup développé. Au début, je considérais plutôt « Soleil Celtic » comme « Jean-Luc Istin présente ». Maintenant, ça se recentre vraiment sur ce qui représente à mes yeux sa « spécificité éditoriale » : les références directes ou symboliques au folklore et à l’histoire de la Bretagne, l’Irlande, l’Ecosse, etc. Aujourd’hui, la collection compte Thierry Jigourel qui est un folkloriste pur et dur et Claudine Glot, auteure d’un livre sur les fées. Il y a encore des beaux livres qui arrivent sur les Druides, sur les Dragons dans la tradition celtique. Ça devient très cohérent. Autre exemple, Merlin est rapatrié chez « Soleil Celtic » alors qu’il était dans le catalogue Soleil « général ».

    D’où vient Koc’h, le korrigan narrateur des contes ?
    Erwan : Pour l’anecdote, la première fois que Jean-Luc et moi avons parlé de Koc’h le Korrigan et du concept de contes folkloriques, c’était à un mariage. A l’origine, notre première idée était de prendre l’Ankou comme personnage narrateur et on voulait le faire à la façon des contes de la crypte. L’Ankou aurait été dans son cimetière et aurait invité les gens à venir écouter ses histoires. Avec le recul, je ne pense pas que ça aurait été aussi efficace et aussi populaire que ce qu’on a fait avec Koc’h. Rapidement on s’est dit qu’on allait garder l’Ankou pour une série sombre et le projet s’est concrétisé ensuite avec Les Contes de l’Ankou. Comme personnage emblématique on a alors pensé au korrigan. Jean-Luc lui a donné son visage et ses attitudes, Ronan et moi lui avons donné sa « voix » et son nom. Koc’h est un mot que notre grand-père nous avait appris et qui voulait dire « fiente » ou « excrément ». Le mot sonnait bien… Bien sûr, il y a une raison au nom de Koch mais ça on la garde pour un album futur ! Ce nom n’est pas anodin…

    Avec Les Contes de l’Ankou, vous abordez un thème plus sombre…. On dit que la mort fascine les bretons…
    Erwan : Il y a une chose dont on s’est vraiment rendu compte en lisant toutes ces histoires lorsque nous étions enfants, puis un peu plus grands, c’est qu’on se moque toujours du diable en Bretagne, il ne fait peur à personne. On parle de l’enfer et de la damnation mais sans les prendre trop au sérieux. En revanche, la mort n’est pas un sujet de rigolade. C’est aussi pour ça qu’au fur et à mesure, on s’est éloigné du personnage d’Ankou narrateur un peu idiot, ça ne collait pas. L’Ankou n’est pas un personnage maléfique par essence puisqu’il est juste « le passager des âmes », le « cocher ». Il est respecté car quand tu es mort, ton âme doit être transportée vers le purgatoire, le paradis ou l’enfer… Pour l’enfer apparemment, il y a un raccourci ! Mais pour les autres, elles passent toutes par le royaume de l’Ankou. Il y a toutes les superstitions qui l’entourent : si tu entends le bruit de sa charrette, c’est que toi ou quelqu’un de ta maison va mourir dans les jours qui viennent ; si tu le vois, tu es sûr d’y passer… Il y a vraiment une fascination : il y a des récits modernes qui mettent en scène le personnage de l’Ankou, des contes d’horreur dignes de ceux de Poe ou de Maupassant. C’est un personnage traité très sérieusement.
    Ronan : C’est un mélange entre croyances païennes, où des liens demeurent avec les morts, et foi chrétienne. Au fil du temps, la Mort est devenue un personnage beaucoup plus inquiétant, voire diabolique, alors qu’elle ne l’était pas à l’origine. Dans la Bretagne rurale du début de siècle, les gens n’en parlaient pas vraiment, mais en même temps, ils savaient énormément de choses. Il n’y a qu’à lire le livre d’Anatole Le Braz sur la Mort, un livre sur les superstitions bretonnes : les intersignes de la Mort en occupent une grande partie.

    Dans les Légendes de la Table Ronde, vous optez plus pour les versions chrétiennes, non ?
    Ronan : Les sources sont médiévales. Il n’y aura jamais le personnage de Galahad. Je ne vais pas non plus chercher les sources les plus récentes qui sont elles hyper christianisées. On y développe toute l’origine du Graal : il vient de Terre Sainte et on le rattache au Christ. Chrétien de Troy ne dit pas du tout ce qu’est le Graal et il n’y a vraiment aucune référence chrétienne. C’est après qu’on commence à imaginer une histoire autour de ça. Comme dans les contes folkloriques bretons, au début il y a le folklore et la superstition locale païenne, liée aux menhirs, aux esprits et à la nature. La version chrétienne essaie de se réapproprier ça et de le faire rentrer dans son propre univers, dans son cadre et dans son langage. Dans les Légendes de la Table Ronde, j’essaie de montrer que, pour moi, la source arthurienne (celte, galloise) antérieure au christianisme a été réinterprétée par le christianisme. J’utilise Arthur, son royaume et son règne, comme une période de transition entre le monde celte, païen et chrétien : une période qui passe des druides et des cercles de pierres aux prêtres, Chrétiens, églises et ermitages. On change de religion : on passe de la nature, des éléments et de la déesse-mère à la Sainte Trinité et à la vierge Marie…

    C’est un peu le point de vue de Jean-Luc Istin dans sa série qui touche au mythe d’Arthur…
    Ronan : Oui, c’est vrai. Toutefois, ma référence première et visuelle pour les Légendes de la Table Ronde reste Excalibur de Boorman, avec ces chevaliers en armure complète qui cavalent ! Boorman, c’est Mallory. C’est le 15ème siècle. C’est le dernier grand roman arthurien qui fait la synthèse de tout ce qui a été écrit auparavant : Chrétien de Troyes, Lancelot, le gallois, les épisodes anglais, etc. Il y a un beau travail de synthèse, une certaine cohérence. Avant cela, chaque épisode, chaque manuscrit a été écrit dans l’une ou l’autre abbaye… Il y a forcément des incohérences, cela ne s’inscrit pas dans une continuité. C’est un peu comme dans une sitcom américaine où il y a plusieurs auteurs qui ne se consulteraient pas… Mallory a justement tout mis ensemble et essayé de construire un récit plus cohérent. Je trouvais ce travail très intéressant.

    Lorsqu’on referme le premier tome des Légendes de la Table Ronde, on a l’impression d’un récit clôt. D’autant plus que d’emblée, on nous annonce la mort d’Arthur. On a l’étrange sentiment que ce premier tome n’en appelle pas d’autres…
    Ronan : Au premier tome, on ne connaissait pas le nombre de tomes pour la série. En présentant les histoires les plus connues, on donne peut-être cette impression d’avoir fait le tour mais c’est très loin d’être le cas. A partir du tome 2, ce sera plus cadré et plus continu du fait que je suis seul à écrire. Je pars sur des trilogies… La série se réorientera autour du personnage de Lancelot. C’est un peu le mythe arthurien au travers des yeux de Lancelot.

    Trois séries mais un seul univers légendaire ?
    Ronan : En réalité ce sont trois mondes assez différents. Pour l’Ankou, il s’agit d’un univers gothique, fantastique…Dans Les contes du Korrigan, nous sommes plutôt dans la féerie. C’est presque un registre comique. La série est destinée à un public jeune comme on s’en est rendu compte… Les Légendes de la Table Ronde évoluent dans un univers plus dramatique et qui repose sur des personnages plus complexes avec Lancelot notamment qui est le seul à douter. C’est le double d’Arthur. Arthur est sûr de lui, rayonnant, c’est le roi. Lancelot remet ses choix en question…
    Erwan : Avec Lancelot, on est assez proche de la figure de Judas par rapport au Christ… Dans la version de l’Evangile de Judas, Judas est le disciple préféré du Christ et c’est par amour pour lui qu’il le trahit…

    Si on regarde Les contes du Korrigan, vous travaillez avec des dessinateurs issus d’un même registre…
    Erwan : C’est vrai que dans ce cas, nous voulions répondre à un certain genre « jeunesse ». Ce qui pénalise la plupart des collectifs c’est souvent le fait de se retrouver avec des styles trop diversifiés car graphiquement, ce n’est pas cohérent. On est plus dans le recueil, l’anthologie et lorsqu’on lit une anthologie, on tombe sur une histoire qu’on aime, et la suivante qu’on aime moins…

    Le fait de travailler avec des dessinateurs proches dans leur style réduit-il le fait d’aimer ou pas une histoire ?
    Erwan : Oui, les lecteurs ne sont pas déçus en voyant la couverture et les histoires intérieures. Et ils ne sont pas désorientés d’un tome à l’autre. Ce qui a dû pénaliser le Grimoire du Petit Peuple, c’est justement cette hétérogénéité. Du coup, c’est très expérimental et à ça, souvent, le public n’accroche pas trop. Les enfants, une fois qu’ils ont goûté à quelque chose, recherchent souvent les mêmes sensations. Ceci a été imposé clairement par Jean-Luc dès le départ. La série serait dans un style précis. Ce qui n’empêche pas des variations, bien entendu, mais ça reste toujours dans le même esprit.

    Que pensez vous de la morale qui traverse les contes ?
    Ronan : En schématisant, on peut dire que les contes de fées doivent toujours finir bien et les histoires mythologiques, elles, finissent toujours mal. Maintenant pour ce qui est de la morale, le Petit Peuple n’en a pas, c’est-à-dire que c’est une notion étrangère à ces créatures. Le concept est intéressant et nous aimerions le traiter dans une série plus adulte. Ici, nous avons fait le choix de nous rapprocher du conte de fée.
    Erwan : On s’est quand même basé sur des contes bretons où l’humain, à la fin, est récompensé par les fées. Ceci parce qu’il s’était bien comporté. Et par « bien comporté » on n’entend pas vraiment une morale chrétienne, obéissant à une série de règles de société. Non, c’est plutôt basé sur des valeurs universelles.

    Abordons maintenant le monde des contes et légendes. Nous découvrions au fil des voyages de Koc’h, les légendes bretonnes, irlandaises, écossaises… Y a-t-il une grande différence entre les contes bretons et les autres ?
    Erwan : Il y a des contes typiques. L’Ankou par exemple est un personnage breton. Il y a des contes propres à chaque culture mais il est vrai qu’on va trouver des sirènes, des lutins fort semblables, si ce n’est par le nom, d’un pays à l’autre. C’est très rare qu’on découvre quelque chose sans équivalent en Bretagne. Maintenant, il y a aussi des liens avec l’histoire des différentes contrées. Beaucoup de créatures sont liées aux marins en Bretagne et des lutins guerriers, comme les Red Caps, se rencontrent là où l’Histoire fut marquée par les guerres.
    Peut-être trouverait-on plus de différences avec les fées sombres qu’on a moins abordées. Les contes écossais sont plus cruels, les contes bretons (notamment avec les fées noires) sont plus macabres.

    Quel conseil donneriez-vous à un humain qui désire rencontrer les créatures du Petit Peuple ?
    Ronan : D’aller dans la campagne un soir de pleine lune… Bon à Carnac, il y a trop de touristes, mais on peut trouver des cercles de pierres moins fréquentés…
    Erwan : Et ne pas oublier d’amener une offrande, quelle qu’elle soit. Ou de jouer de la musique, cuisiner quelque chose ou apporter un bol de lait… Ou le dernier tome des Korrigans dédicacé par les auteurs… (rires)

    Quelle est la légende que vous aimeriez aborder dans un projet futur ?
    Erwan: La légende de Cuchulain. Ça a failli se faire chez Soleil, Jean-Luc était intéressé mais il voyait plus le côté « guerrier celte, irlandais »… Ce côté m’intéressait moins. J’aimerais peut-être faire quelque chose qui se passe de nos jours. Sinon, j’ai un grand faible pour Macbeth. J’aimerais en faire une bd dans une version modernisée…
    Ronan : Outre Lancelot, j’aimerais travailler sur Beowulf mais en beaucoup mieux que la version qui a été faite au cinéma…

    Que pensez-vous de la place de l’Imaginaire dans notre société ?
    Erwan : Nous sommes la génération des 25-35 ans. L’imaginaire, on connaît. C’était l’époque des jeux de rôles, Donjons et Dragons, Tolkien était bien connu, les Stephen King étaient à la page. C’est aussi la grande époque Star Wars… On est tous passés par le fantastique et la fantasy. Ensuite, la génération des 15-25 semble être passée par une traversée du désert. L’horreur était confinée au slasher movie, la fantasy était marquée par des daubes au cinéma… A la télé, c’était les sitcoms, Alerte à Malibu, ce genre de choses… Le jeu de rôle était remplacé par les cartes Magic. Du coup, on a eu une génération sacrifiée. Dans le jeu vidéo, où j’ai commencé, c’était des jeux de guerre, de voiture ou de foot. On était dans une réalité sublimée ou à la bad boy mais pas dans l’imaginaire. Et puis, Dieu merci, il y a eu deux choses fabuleuses : Harry Potter et Jackson avec le Seigneur des Anneaux. Du coup la génération des 5-15 ans est sauvée.

    Pour vous le Seigneur des Anneaux est donc une pleine réussite ?
    Erwan : Oui, Peter Jackson a été le premier a traiter sérieusement la fantasy au cinéma. On ne rigole pas et ce n’est pas kitsch. Gandalf avec la crasse sous les doigts, ça m’a marqué. Les cottes de maille forgées à la main par des artisans pour passer 15 minutes dans le film, c’est pareil, c’est énorme ! Certes, il y a l’histoire d’amour ajoutée mais Jackson est resté très proche du livre de Tolkien. Respect !

    Quels sont les auteurs de fantasy que vous lisez volontiers ?
    Erwan : Pendant longtemps, je n’ai plus lu de fantasy. J’avais l’impression d’en avoir fait le tour et que les auteurs se répétaient. Je me suis arrêté après la Belgariade d’Eddings. Côté français, j’avais juste lu Gaborit et un peu de Colin… Et puis, il y a deux ans, un ami m’a parlé du Trône de fer. J’ai découvert quelque chose de très mature, très vrai qui m’a vraiment plu. De là, j’ai été amené à lire Robin Hobb et d’autres. Bref, Le Trône de fer a été un véritable renouveau pour moi.
    Ronan : Moi, je suis plus un lecteur de contes et légendes. Sinon, je suis lecteur de fantastique… Là, j’ai redécouvert Philip K. Dick dans ses œuvres non SF. Le Maître du Haut-Château par exemple.

    Quels sont vos projets ?
    Erwan : Il n’y a rien de signé. J’ai un projet à la Neil Gaiman, mais bon, il faut le concrétiser et trouver le bon dessinateur. Le deuxième projet m’amènerait vers le Manga et l’Asie mythologique… Le déclencheur de tout ça, c’est que, durant mes études, j’ai fait un DEA sur un poète et dramaturge irlandais qui s’appelle William Butler Yeats et qui a écrit entre 1885 et 1939 en reprenant le folklore irlandais pour en faire des poèmes et des pièces. Puis, il a découvert le théâtre Nô et cela a bouleversé sa conception de la scénographie. A la fin de sa vie, il a écrit des Nô irlandais. J’ai donc envie de faire quelque chose proche de cette fusion entre Asie et celtisme.
    Ronan : Quant à moi, j’aimerais bien aller vers du plus sombre. Pour l’instant les circonstances ne se sont pas encore présentées. Un univers plus adulte, plus noir… Quelque chose entre l’Histoire et le contemporain… J’ai aussi présenté d’autres thématiques à Jean-Luc (Istin, ndlr.) pour « Soleil Celtic ».

    Propos recueillis par le Peuple féerique en avril 2006

    NOTES:
    La richesse des Contes celtiques
    Issus du jeu de rôle et d’abord auteurs de livres dont vous êtes le héros (chez Hachette jeunesse), Erwan et Ronan Lebreton nous font aujourd’hui partager leur passion pour les légendes bretonnes à travers plusieurs collectifs de bande dessinée : Les Contes du Korrigans (7 tomes parus) et Les Contes de l’Ankou (3 tomes parus). Dans le premier recueil, Koc’h, un facétieux lutin, nous fait découvrir par ses voyages toute la richesse et la diversité du petit peuple. Dans le second, l’Ankou ou la Mort nous plonge dans les ténèbres de son esprit.
    De son côté, Ronan signe le scénario des Légendes de la table Ronde (2 tomes parus). Il s’attaque aux récits issus de la mythologie celtique à travers Arthur et ses chevaliers. Lancelot sera le personnage conducteur de cette série de la collection Soleil Celtic.

    Titres de la collection Soleil Celtic
    Les contes du Korrigan (E. & R. Lebreton/Collectif)
    Les contes de l’Ankou (E. & R. Lebreton/collectif)
    Les contes de Brocéliande (Collectif)
    Légendes de la table ronde (R. Lebreton/Collectif)
    Le grimoire de féerie (Istin/Debois/Minguez)
    La rose et la croix (Critone/Jarry/Richemond/Pieri)
    La Quête du Graal (Bileau/Debois/Stambecco)
    Le sang du dragon (Michel/Istin/Cordurié)
    Les Druides (Lamontagne/Istin/Jigourel)
    Merlin, la quête de l’épée (Demare/Istin/Cordurié)
    Merlin (Lambert/Istin/Stambecco)

  • Le Grand Légendaire de France – Omnibus

    Le Grand Légendaire de France : Fées et Lutins, les esprits de la nature. Omnibus. Reprenant le flambeau de Van Gennep et surtout de Claude Seignolle, Marie-Charlotte Delmas nous livre une encyclopédie des contes, dont le premier tome propose une plongée au cœur des fées et des lutins dans un bel Omnibus de 840 pages sous une couverture rappelant un grimoire. L’objet est plutôt agréable. Surtout qu’il contient plus de deux cents contes, rassemblés par régions et présentant des personnages hauts en couleur, qu’un lexique nous rappelle à la fin du volume. Un beau travail de compilation qui conviendra à ceux qui souhaitent plonger aux origines de nos légendes.

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