La Grande Interview de l’Elficologue
Paul Kidby est mondialement connu pour être l’illustrateur attitré depuis le début des années 2000 de l’univers déjanté de Terry Pratchett. Il partage avec l’auteur son humour. Pour preuve, son Royaume Enchanté qu’il nous livre aux éditions Daniel Maghen et qu’il partage avec les textes de son épouse, Vanessa. Vanessa Kidby a bien voulu répondre à nos questions, quelquefois interrompue par son illustre mari donnant ça et là son avis depuis le salon où il dessine… Interview mouvementée sur fond de rires de gobelins…
Croyez vous en les mondes enchantés ?
Nous pensons que notre monde quotidien est enchanté et que si vous avancez avec précaution et que vous vous en approchez de la façon juste, vous pouvez trouver beaucoup de fenêtres secrètes ouvertes sur les royaumes magiques. C’est possible pour chacun d’entre nous d’avoir accès au merveilleuxt, mais la plupart des adultes ont perdu la capacité qu’ont les enfants d’apprécier et de s’émerveiller de la magie du monde. L’imagination est une chose qui doit être chérie et nourrie indépendamment de votre âge!
Nous cherchons beaucoup l’inspiration dans la nature et essayons de trouver de l’amusement et de l’enchantement dans la vie de tous les jours.
Nous espérons capturer une petite part de mystère et de merveilleuxt dans notre travail, même si ce n’est qu’au travers d’une coquille d’escargot ou d’une graine d’érable. Nous essayons de prendre le temps d’apprécier les petites choses et de montrer à d’autres notre façon d’observer les choses. Il y a une citation d’Albert Szent-Gyorgyi qui résume notre sentiment : « Découvrir consiste à voir comme tout le monde et à réfléchir comme personne ».
Dans votre royaume enchanté, il y a un peuple des éclairs. Parlez-nous un peu de cet étrange peuple et des pierres liées…
Il est dit dans le folklore que des pierres inhabituelles comme les ammonites ou les bélemnites fossiles sont formées là où les coups de foudre frappent la terre. On a cru que ces pierres pourraient protéger des coups de foudre. L’homme avait l’habitude d’en attacher au cou du bétail de valeur ou d’en placer sur les appuis de fenêtre des maisons suivant cette théorie selon laquelle la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. Mr Thrips est un gnome qui parcourt le Royaume enchanté en vendant ces pierres rares, apportant ainsi cette protection aux habitants de Faerie.
Il y a une grande différence entre les illustrations de fées, déesses, griffon, licorne… et les gobelins, gnomes, nains…
Paul aime dessiner de beaux sujets tout comme des choses plus comiques. Nous voulions un livre qui mélange les deux aspects. Nous voulions que les bêtes mythiques possèdent une certaine dignité et une présence spirituelle, c’est aussi vrai des belles fées comme la Nymphe des bois. Le Royaume Enchanté est une combinaison de majesté et de grotesque et nous estimions que les gnomes et les lutins étaient une bonne occasion de peindre l’humour et le côté plus comique de notre univers.
Cet humour, on le sent, est important dans votre oeuvre. C’est un trait de Faerie ou une déformation professionnelle due à la collaboration avec Terry Pratchett ?
Paul a eu de merveilleuses occasions de travailler avec Sir Terry Prattchet. L’esprit et l’humour des livres de Disque-Monde était ce qui l’a attiré vers ce métier. Paul pense que ses illustrations complètent l’écriture de Terry car ils partagent tous deux ce même sens de l’humour irrévérencieux et insouciant.
Paul intervient : « J’aime souvent inclure des « plaisanteries visuelles » dans mes dessins et peintures, c’est une partie importante de mon approche, de mon travail et de la vie elle-même. »
L’Humour fait aussi partie intégrante de la création du Royaume Enchanté. Être un artiste peut sembler un travail de solitaire mais travailler ensemble crée un environnement vibrant, avec son lots de blagues d’où émanent souvent de nouvelles idées.
Quelle est la place de la féerie en Grande-Bretagne aujourd’hui ?
Le folklore et les contes de fée sont toujours une partie importante de notre culture ici, au Royaume-Uni. Nous estimons qu’il est important d’entretenir ce sens antique du Merveilleux et de la magie et les coutumes traditionnelles, pour que toutes ces histoires ne soient pas perdues en ce monde moderne. Nous utilisons donc beaucoup d’idées issues du folklore anglais, (comme Auld Goggie, qui garde traditionnellement les vergers de pommes dans le Somerset), comme point de départ à nos créations et nous leur ajoutons ensuite nos propres inventions.
Nous avons de la chance de vivre dans la New Forest, un paysage sauvage au Sud de l’Angleterre avec son lot de poneys, ânes, cerfs et bétail. C’est une source éternelle d’inspiration pour nous et nous pensons souvent que le monde des fées est juste là, sur notre seuil.
Et pour terminer, quelle est votre créature préférée?
Paul crie qu’il n’y a qu’une seule réponse à cette question: “Ma femme” !
Propos recueillis par le Peuple féerique en novembre 2009
Le Royaume Enchanté – Paul et Vanessa Kidby // Editions Daniel Maghen
Je reproduis ci-dessous l’interview d’Anne Besson que j’ai réalisée pour le site Khimaira
Anne Besson est universitaire, maître de conférence en Littérature Générale et Comparée à l’Université d’Artois (Arras) et spécialiste de la fantasy sur laquelle elle a notamment écrit un essai très éclairant « La fantasy » (coll. 50 questions, Klincksieck). Elle est également co-fondatrice de l’association Modernités médiévales. Elle organise des cycles de conférences et journées d’études sur la Fantasy, c’est d’ailleurs peu après le colloque « La Fantasy en France aujourd’hui » tenu à Paris les 10 et 11 juin derniers qu’elle a accepté de répondre à nos questions.
Khimaira : Pourquoi parle-t-on de « modernités médiévales », de « médiévalisme », de « neomedieval » en littérature, musique, etc., aujourd’hui ? Qu’entend-on exactement par ces néologismes ?
Anne Besson : Pour parler de ce que je connais (la littérature plus que la musique, donc…) : « médiévalisme » et « néomédiéval » sont des traductions, et donc des tentatives pour importer en France des termes existant depuis longtemps aux Etats-Unis.
Le « medievalism » y désigne tout un champ de recherches universitaires, très développé là-bas (le rendez-vous annuel de Kalamazoo regroupe plusieurs milliers de communications !), car le travail sur les textes du Moyen Âge n’y est pas coupé de ses prolongements dans les siècles ultérieurs. « Modernités médiévales » est le nom de l’association que j’ai fondée en 2004 avec Vincent Ferré et Anne Larue (voir www.modernitesmedievales.org) pour contribuer à faire émerger en France ce type d’études – tout en évitant si possible les travers de la recherche américaine, très inégale… Notre idée consistait à introduire des travaux sur la fantasy dans un cadre disciplinaire qui lui donne une légitimité universitaire : en les rapprochant donc des autres exploitations littéraires du Moyen Âge depuis sa « redécouverte » par les romantiques français et les victoriens anglais.
« Néo-médiéval » s’utilise davantage pour désigner la fiction, afin de donner un équivalent français de l’abréviation « medfan », « medieval fantastic », qu’on ne peut pas reprendre tel quel parce que le « fantastique » américain correspond davantage à notre « fantasy », c’est-à-dire, pour parler comme Todorov, au « merveilleux » plus qu’au « fantastique » (ce n’est pas simple !).
K : Vous expliquez que le Moyen-Âge a été choisi par la fantasy d’une part pour son bestiaire fantastique, son imaginaire mais aussi car il représente un « monde intact et préservé »…
C’est une explication également valable pour les festivals médiévaux ? Comment expliquer leur succès ?
A.B. : Le bestiaire merveilleux est malheureusement difficile à transposer dans la vie réelle ;-), mais les festivals, fêtes et autres banquets médiévaux, ou encore certains GN et certaines reconstitutions se rattachant à cette période, participent bien d’un goût similaire, et très répandu aujourd’hui, pour ce que semble offrir le Moyen Âge tel qu’on aime à se le représenter : au milieu de motivations très variables selon les activités (goût de l’histoire pour les reconstituteurs, dépense physique pour les adeptes du GN…), les participants semblent partager :
– un désir d’évasion (un monde alternatif qui propose de mettre le quotidien entre parenthèse),
– fortement ludique (on aime se mettre en scène, se déguiser, de plus en plus, rapprocher nos univers de jeux de notre quotidien : le médiéval n’en est qu’une variante, le gothique ou le cosplay manga en donnent d’autres),
– des « valeurs » associées quant à elles spécifiquement au Moyen Âge, qui vont de la proximité à la nature (rejoignant des intérêts écologistes aujourd’hui très partagés) à la convivialité – l’image de la « taverne », liée à la détente et à un contact facile avec d’autres gens partageant les mêmes envies. C’est un peu paradoxal, car le Moyen Âge était socialement très inégalitaire, mais cette période apparaît dans ces occasions de rencontres communautaires comme un « grand égalisateur » : les costumes ne sont pas tous aussi beaux, les contributions ne sont pas toutes aussi abouties, mais chacun peut participer pour peu de s’impliquer un minimum !
Pour plus de développements, via des articles universitaires accessibles consacrés à ces divers aspects, voir : l’article de Gil Bartholeyns et Daniel Bonvoisin sur les motivations des joueurs de GN et leur perception du Moyen Âge et les articles tirés du colloque « Le Moyen Âge en jeu » (université Bordeaux 3, 2008), sur les JdR, jeux vidéo, reconstitutions, médiations culturelles…
K : La fantasy semble avoir beaucoup de mal à se définir. Toute tentative se heurte à des contours flous ou part dans des directions diffuses aux multiples sous-genres. Évoquer tant de sous-genres, en voir surgir sans cesse de nouveaux, n’est-il pas une façon étrange de définir un genre ? On a l’impression qu’aussi bien les auteurs, les critiques ou les universitaires détournent la question de la définition du tout en s’arrêtant sur celles des parties, peut-être plus facilement circonscrites ?
A.B. : L’impossibilité de la définition est en réalité un problème partagé par absolument tous les genres littéraires : comment être assez large pour tout inclure, et assez précis pour ne pas « déborder » sur les domaines voisins ? La science-fiction en donne un exemple frappant : les études critiques à son sujet s’ouvrent traditionnellement sur une liste infinie des autres ouvrages ayant relevé le défi de la définition, et la question n’est absolument pas réglée ! On peut juger que la démarche est vaine en elle-même, car vouée à l’échec, ou bien, en voyant le bon côté des choses, se dire que ça laisse le champ libre pour d’autres tentatives dans le futur.
Pour la fantasy, une difficulté particulière vient de ce que les anglophones, auxquels nous reprenons le terme, ne désignent pas quand ils l’emploient la même chose que nous : « fantasy » y prend un sens plus large, englobant quasiment tous les genres de l’imaginaire, ce qui ne nous avance guère ! J’ai proposé pour ma part dans mon ouvrage, non pas comme une définition (car je savais à quoi m’attendre), davantage comme un ensemble de traits généralisés (qui seront amendés/contestés/complétés, c’est le but), « ensemble d’œuvres qui exaltent (ou parodient) une noblesse passée marquée par l’héroïsme, les splendeurs de la nature préservée et l’omniprésence du sacré, en ayant recours à un surnaturel magique qui s’appuie sur les mythes et le folklore ». On voit déjà que ça ne marche pas pour l’urban fantasy, pour laquelle il ne faudrait garder que la dernière partie de la phrase, au risque de retomber dans quelque chose de trop général !
J’en viens donc à la question des sous-genres et de leur multiplication : on touche ainsi à une autre difficulté de la définition des genres, qui est l’articulation de la théorie (qu’est-ce que ce genre ?) et de la pratique, en l’occurrence éditoriale (qu’est-ce qui est proposé aux lecteurs sous le label « fantasy » ?). C’est facile en effet de répondre à la 1ère question par la seconde : la fantasy, c’est ce qui se publie sous ce nom, mais, les impératifs commerciaux imposant un renouvellement constant, au moins minimal, de « l’offre » pour ne pas lasser la « demande », on aboutirait ainsi à ce que la définition du genre se modifie également en permanence, ce qui n’est guère satisfaisant… Là encore, pour ne pas être défaitiste, je précise qu’on n’a ce problème que parce que le genre est vivant et même en phase d’hyper-développement. S’il était figé, on serait certes plus à l’aise pour le saisir et le définir : mais il serait mort !
K : Autre flou, les origines de la fantasy. Doit-on remonter à tout récit imaginaire ou se limiter au moment où la fantasy est devenu un genre à part entière ?
A.B. : Pour moi, la réponse est claire : n°2, l’apparition du genre en tant que tel, la seconde moitié du 19ème siècle anglais (même si elle était annoncée en amont, rien ne naissant spontanément du jour au lendemain, de loin par exemple par le poème Paradise Lost de Milton, 1662 je crois, très influent sur les romantiques anglais, ou d’un point de vue réflexif, entre autres par l’essai de Samuel Coleridge, Imagination and Fancy, début 19ème). La fantasy, c’est le retour au merveilleux dans les siècles du désenchantement : cette distance avec ce qu’il essaie de ressusciter est pour moi constitutive du genre. Si l’on décide que les mythes étaient déjà de la fantasy, la question de la définition n’a plus (du tout) de sens…
K : Nombre d’oeuvres fantasy semblent s’inscrire dans une opposition entre la Nature/magie et la Raison. Est-ce là artifices d’auteurs ou une réelle volonté, inscrite dans l’ère du temps ?
A.B. : Eh bien, cela découle de ce que je viens d’écrire à la question précédente : la fantasy naît après l’avènement de l’esthétique classique (17ème), après l’âge des lumières et le triomphe de la rationalité philosophique et scientifique (18ème), après l’industrialisation (19ème : je vais vite), et naît d’un sentiment de rupture, qui est la conséquence « normale » de ces bouleversements longs, d’avec la nature et la magie qui lui étaient associées. Le rapport entre ces deux catégories, de la raison civilisée et son envers immémorial, constitue donc une des grandes polarités constitutives du genre, et il est normal que les auteurs se consacrent à l’explorer, en tentant de lui donner toujours de nouveaux contours – plus ou moins bien, car ils commencent à être nombreux sur ce créneau, et que du coup on a un peu l’impression qu’ils rabâchent. C’est aujourd’hui un cliché de dire que notre époque a besoin de sacré, de spiritualité, pour compenser un « sens de l’histoire » qui ne prenait pas franchement cette direction.
K : Le genre fantastique semble beaucoup souffrir de la fantasy. Nombre de ses figures ont été récupérées et transformées. On pense au vampire, au loup-garou. Que reste-t-il au fantastique qui n’ait été repris ou transformé par la fantasy ?
A.B. : Effectivement, l’émergence de la fantasy et son succès public ont entraîné une reconfiguration au sein des littératures de l’imaginaire : la science-fiction comme le fantastique souffrent violemment de cette concurrence et se trouvent peu ou prou absorbés par la fantasy. A cela, des raisons de politique éditoriale et de fonctionnement du marché du livre : les éditeurs et les libraires (puis les bibliothèques, les CDI…) doivent proposer aux lecteurs des œuvres identifiables comme conformes à leurs attentes, un « classement », et les auteurs sont bien obligés de s’adapter. Le fantastique avait cependant commencé sa « mutation » en amont, se renouvelant déjà largement sous la plume d’un Stephen King par exemple, et les œuvres « vampiriques », aujourd’hui si omniprésentes, me semblent relever encore de ce fantastique aux frontières élargies. En outre, des œuvres comme celles de Mélanie Fazi en France ou de Graham Joyce en Angleterre, continuent à illustrer le fantastique le plus « classique » qui soit, dans la lignée directe du genre français du 19ème s, des Maupassant ou Mérimée – l’intrusion d’un trouble, dont l’origine reste indécidable, au sein du quotidien familier qu’il vient remettre en question. Mais, nous en discutions encore récemment avec Mélanie Fazi, ces œuvres posent des difficultés de positionnement qui peuvent nuire à leur perception par le public, parce qu’il n’existe plus de « rayon », d’espace, pour le fantastique.
K : Le retard français explique-t-il son originalité ? En France, on a l’impression qu’on a d’abord voulu copier les maîtres anglophones pour ensuite, très rapidement, s’intéresser aux écarts, aux limites du genre?
Contrairement au monde anglophone qui affiche ses Tolkien, Lewis, Zimmer Bradley, Eddings, etc. Comment expliquez-vous l’absence d’oeuvres aussi fortes en France ?
A.B. : La tradition « historique » du genre est anglophone, et quand on a commencé à lire de la fantasy en France, tardivement (Le Seigneur des Anneaux n’est traduit qu’en 1973), c’est ce corpus-là qui a été progressivement mis à disposition : Tolkien mais aussi les américains ou les auteurs plus « pulp », Howard, Leiber, Moorcock… Les auteurs français, qui ont d’abord été des lecteurs (et aussi, bien souvent, des joueurs et/ou scénaristes de JdR) se construisent eux aussi par rapport à ces modèles – ils n’ont pas d’équivalents en France, parce qu’historiquement la littérature merveilleuse y est faiblement représentée (pour des raisons culturelles anciennes : nous serions plus « cartésiens ») : elle a glissé très tôt vers le public jeunesse, ou bien s’est perdue dans le réalisme dominant (Salambô de Flaubert, La Peau de Chagrin de Balzac…)
L’autre grande différence entre les deux aires culturelles qui explique les spécificités de la fantasy française, c’est la conception du métier d’écrivain : pour le dire vite et de façon un peu caricaturale, en Angleterre et aux Etats-Unis (en Allemagne aussi, culture protestante oblige), l’écrivain est un artisan, un « professionnel » qui a intégré les contraintes du marché, tandis qu’en France, l’écrivain est un artiste, dont l’œuvre est l’occasion d’exprimer une singularité personnelle, et qui va dès lors viser l’originalité. Tendanciellement toujours, les premiers auront plus de facilité à respecter des codes de genre, les seconds tendront spontanément à s’en éloigner, et c’est un fait que chez les écrivains français aujourd’hui on ne trouve pas ce qui plaît pourtant le plus au public, de la bonne vieille quête épique ! Les quelques exemples qu’on a pu en avoir aux débuts de la fantasy française (les premiers Fabrice Colin, Loevenbruck, Grimbert…) s’expliquent en bonne partie par le contexte éditorial : celui du « premier Mnémos », alors dirigé par Stéphane Marsan et issu de Multisim, des éditeurs de jeux de rôles, qui cherchaient à publier un type spécifique de fantasy et encouragaient les écrivains dans ce sens. Les auteurs français d’aujourd’hui privilégient en effet l’exploration des marges du genre, la recherche d’un style personnel et d’un imaginaire original, ou bien le jeu sur les codes et les croisements de genre, avec un goût marqué pour le roman historique (Pevel, Mauméjean). C’est moins le cas en littérature de jeunesse, où il apparaît peut-être plus naturel de respecter certaines contraintes, et les gros succès en terme de ventes des auteurs français sont en conséquence à chercher plutôt de ce côté-là…
K : Si l’on regarde du côté des succès publics, deux oeuvres semblent incontournables aujourd’hui: Harry Potter et le Seigneur des Anneaux. Si, comme vous l’écrivez, le Seigneur des Anneaux est une réponse de Tolkien à son refus de modernité technologique, que représente Harry Potter ?
A.B. : Une problématique très contemporaine, qui parle aux enfants (et aux adultes « adulescents ») la difficulté et la nécessité de grandir – soit une sorte de réponse au si répandu « syndrôme de Peter Pan » dans notre société. Je tire cette idée, que je partage, de l’ouvrage d’Isabelle Cani sur les 7 volumes, Harry Potter ou l’anti Peter Pan, Fayard, 2007. Mais des œuvres telles que celles-ci ne se réduisent pas à un seul message bien sûr… On peut ainsi, par exemple, souligner que le SdA et HP partagent, à plusieurs décennies d’écart pour leurs rédactions, une réflexion sur les leçons à tirer de la Seconde Guerre Mondiale : le pouvoir comme tentation du mal, la nécessaire tolérance, le bon usage du libre-arbitre contre les aveuglements collectifs….
K : Vous expliquez que le succès de la fantasy tient finalement beaucoup à deux phénomènes: la tradition du pulp américain et le jeu de rôle. Croyez-vous que sans ces deux phénomènes, la fantasy n’aurait pas eu le succès qu’on lui connaît aujourd’hui ? Ou n’en sont-ils que des accélérateurs ?
On voit également, dans les accélérateurs du genre côté public, le fort impact du cinéma. Un impact qui va également de pair avec des phénomènes sociétaux. Conan dans les années 80 (années du culte du corps) et Le Seigneur des Anneaux dans les années 2000 fortement marquées par un retour de la magie et des croyances…
A.B. : C’est difficile de refaire l’histoire et d’imaginer « ce qui se serait passé si… ». Mais si l’on retire les pulps (qui sont antérieurs à Tolkien je le rappelle, et donc véritablement fondateurs) et le JdR, né dans la foulée du succès grand public de ce même Tolkien aux Etats-Unis, et contemporain des premiers romans qui souhaitent en prolonger l’héritage, qu’est-ce qui reste ? Tolkien seul, avec son œuvre érudite, et ses prédécesseurs anglais encore moins accessibles ? Pas sûr qu’on ait là la base d’un genre « populaire » (au sens noble) ! Pour cela, il fallait à l’imaginaire merveilleux et mythique des relais sur des supports plus facilement reçus par tous : les magazines bon marché mais aussi, le texte n’étant pas, ce n’est pas une découverte, la forme culturelle la mieux partagée, les bandes dessinées, le jeu, le cinéma bien sûr – même s’il y a peu de « chefs-d’œuvre » de fantasy au cinéma, où la science-fiction par exemple a été nettement mieux traitée.
Bien sûr, les succès des adaptations de « Conan » et du SdA sont liés à leur contexte d’époque, mais ça me semble une question de bon sens, voire une lapalissade : les producteurs sont des commerçants, ils s’appuient sur ce qui marche autour d’eux pour estimer ce qui va marcher ; le body-building est à la mode, adaptons Conan ! « Harry Potter » marche fort, donnons (enfin) à Jackson le budget nécessaire !
K : Quel est le rapport entre la féerie et la fantasy ? La première est-elle plus qu’un simple catalogue où puiser des personnages pour nourrir la seconde ?
A.B. : Si par « « féerie » vous entendez la tradition du conte merveilleux, dont l’histoire littéraire remonte au 17ème siècle, elle constitue une des principales sources d’inspiration de la fantasy, avec les mythologies (certains estiment même que les contes font partie d’une fantasy qu’ils font remonter très loin dans l’histoire, mais ça n’est pas mon cas). La fairy-tale fantasy s’en nourrit directement, mais son influence diffuse est plus largement présente : on prendrait alors « féerie » dans le sens de « merveilleux lumineux », du côté d’un surnaturel positif, des beautés de la nature, des créatures bénéfiques, de la magie blanche.. Enfin, sous le nom de « Faërie », Tolkien a décrit sa propre démarche, qu’on appelerait aujourd’hui « fantasy », dans son bel essai « Du conte de fées ».
K : Dans votre livre, vous évoquez le fait que les auteurs n’ont pas une connaissance directe des sources, qu’ils s’inspirent plutôt les uns des autres. N’y a-t-il pas un danger de voir s’effacer ces sources, que les contes, légendes, mythes, l’Histoire se dénaturent par la fiction ?
A.B. : Je ne crois pas, pas vraiment. Certes, certaines œuvres aboutissent à des « gloubiboulga » terribles, et dès lors qu’une erreur est reprise, il devient difficile de la distinguer de la vérité – le même phénomène se produit à plus grande échelle sur Internet… Mais d’une part, on est ici dans la fiction, et je fais confiance au public pour pouvoir en prendre conscience ; et dès l’origine de la transmission des fictions, que ce soient les mythes, la légende arthurienne, les épopées orales, le processus de déformation était à l’œuvre. Il faut de très longues années d’études et une spécialisation très érudite pour s’y retrouver dans ces sources anciennes et reconstituer la « vraie » version, si tant est qu’elle existe ! Tolkien, toujours dans « Du conte de fées », évoquait déjà (dans les années 30) le « chaudron du conte », une « soupe » où chaque époque a ajouté ses ingrédients, en touillant bien l’ensemble pour qu’il reste « mangeable » !
D’autre part, dans « culture populaire » il y a « culture », et pour moi le succès de la fantasy aujourd’hui se traduit par une connaissance partagée plutôt impressionnante, dans un public très large, des différentes mythologies par exemple. Je le constate auprès de mes étudiants : ce type de lectures les incite en fait à effectuer un « retour aux sources », ils cherchent à déterminer ce qui est nouveau de ce qui vient de plus loin, ils se renseignent… et au final ils emmagasinent un bon bagage de connaissances, avec les nuances que j’ai dites plus haut – c’est une connaissance des origines du merveilleux telle qu’elle est accessible aujourd’hui, passée par le filtre déformant des siècles, mais cela n’en reste pas moins une forme d’érudition contemporaine, valide et valable.
K : Vous décrivez la fantasy comme multimédiatique, transposable dans une multitude de médias, ce qui en explique aussi le succès. La science-fiction ou le fantastique n’ont-ils pas le même potentiel ? Pourquoi la fantasy serait-elle plus multimédiatique que d’autres genres ?
A.B. : Il y a effectivement des traits communs aux « genres de l’imaginaire » qui favorisent leur transposition sur les supports médiatiques les plus divers : d’une part le public qu’ils touchent préférentiellement (les « jeunes », aux contours de plus en plus larges), plutôt férus d’images et de technologies, suffisamment « fans » pour consommer des produits dérivés, et du côté des contenus la liberté dont ils disposent (l’intervention du surnaturel anime bien les combats, par exemple…). La SF et la fantasy (le fantastique à la rigueur, si on le considère dans son sens élargi) disposent aussi de chronologies et de géographies potentiellement infinies, où déployer des cycles ou des univers partagés. La fantasy m’apparaît toutefois encore plus porteuse, pour deux raisons principalement : par raport au fantastique, elle propose des univers plus « profonds », ou plus complets (voir sa vieille habitude de proposer des cartes, des chronologies, des lexiques : le monde et les récits qui s’y déploient se mettent en place simultanément) ; par rapport à la science-fiction, elle est plus simple, plus « spontanée » : pas besoin d’être technophile ou doté d’un esprit « scientifique » pour l’apprécier, sans compter son évident caractère pratique pour les créateurs (ses décors en partie naturels par exemple, ou encore la répartition facile de ses personnages en « types » ou « classes »). Il faudrait bien sûr préciser selon les médias concernés…
K : La fantasy est encore marquée par un temps cyclique, le refus d’une fin… Une façon de répondre à l’angoisse de la mort ?
A.B. : Le principe du temps cyclique n’est pas tant de refuser la mort que de n’y voir qu’une étape elle-même transitoire : dans le cycle des saisons, il faut en passer par le froid et l’obscurité de l’hiver pour, à Noël ou au solstice, mieux se réjouir de voir bientôt renaître la nature. Je ne veux pas dire par là que la fantasy véhicule une croyance dans la réincarnation ! Pour moi, elle correspond au niveau de chaque individu à un désir de préserver une forme de contact avec l’enfance, ou du moins avec l’image qu’on se fait de l’enfance aujourd’hui. La fantasy n’empêche pas de grandir, elle n’est pas régressive à mon avis, mais elle donne sens à un regret qu’on a tous, la nostalgie d’une époque plus « merveilleuse » dans la vie de chacun. Si l’on élargit, de l’individu-lecteur aux grandes tendances de l’époque, l’émergence de la fantasy correspond globalement au moment des grandes antiennes sur la « fin », fin des idéologies, des croyances collectives, fin de l’Histoire… Du côté de l’évasion et du divertissement, « modestement » donc, la fantasy peut apparaître comme une forme de réponse à ces constats désespérants, car son temps et ses histoires se donnent justement comme infinis.
K : Finalement, la fantasy est-elle un genre à message ?
A.B. : Il y a une part de permanence du genre à travers les décennies (il n’est pas encore très vieux…), mais pas de message unique commun me semble-t-il. Et puis, une part de renouvellement, heureusement, qui bien sûr coïncide avec l’évolution des intérêts de chaque époque : le genre entre autres s’est fait de plus en plus porteur de messages de tolérance, ou encore il a vu l’éclosion de nombreuses œuvres féminines ou féministes qui sont venues équilibrer un côté un peu machiste à l’origine. Que les littératures de l’imaginaire, même si elles s’affichent comme « non-mimétiques », ne soient pas déconnectées des réalités de l’époque où elles sont produites me semble évident, mais en même temps ce n’est pas forcément ce qui m’intéresse le plus en elles. Les lit-on vraiment pour le « message » qu’elles véhiculent, trop souvent convenu, ou plutôt pour le plaisir d’immersion dans un autre monde qu’elles nous procurent ? Ce serait peut-être ça, alors, le message partagé : d’autres mondes sont possibles…
Propos recueillis en juin 2009.
Anne Ferlat est une spécialiste du paganisme pour avoir étudié nombre de traditions en Europe. Elle est l’auteur d’une thèse de sociologie des religions portant sur les mouvements païens en Russie. Elle est également l’auteur de nombreux ouvrages sur et autour des traditions païennes. Mais évidemment, ce qui nous intéresse particulièrement ici est son livre le B.A-ba des fées paru aux éditions Pardes en 2001. L’auteure nous a accordé une longue interview qui éclaire la vision des fées selon le point de vue croyance et paganisme. De quoi explorer un peu plus cette voie féerique…
Dans une interview, vous dites avoir été obligée de faire votre thèse en Angleterre, pourquoi ?
Pour plusieurs raisons, la première est qu’il existe en Grande-Bretagne des universitaires qui sont païens et étudient leur propre voie spirituelle avec la plus grande rigueur s’entend. La sociologie des religions est bien plus développée là-bas qu’en France, pays rigide et où l’université est encore sous diktat idéologique. J’ai rencontré depuis lors des universitaires plus ouverts qui m’ont réservé un bon accueil mais l’étude de la religion est suspect ou marxisé et l’étude du paganisme l’est encore davantage. Impossible en tout cas d’étudier sereinement ni de s’assumer vraiment.
Pourquoi avoir signé votre livre, B.A-BA des fées, du nom d’Anne-Laure d’Apremont ?
Parce que c’est un nom qui correspondait à une ancienne vie….J’assume tout ce que j’ai fait, il y a eu ces essais, comme un travail de rappel de la tradition, puis la thèse, le tout dans une lignée similaire sans confusion de genres.
Divinités du destin, Esprits de la Nature, âmes des morts. C’est au croisement de ces trois idées que réside le Petit Peuple ?
Oui, du moins dans la littérature et tels qu’elles sont synthétisées ainsi que je l’explique dans le BABA des Fées. La littérature qui a trait aux fées, le corpus celtique et germano-scandinave notamment, est en réalité une porte d’entrée vers un chamanisme européen .
Vous soulignez, dans votre livre, la différence entre le rapport aux fées que l’on pourrait qualifier de « naturel » en Angleterre et celui plus rationnel en France. Comment expliquer cette différence et comment se traduit-elle en actes ?
Il est plus naturel dans les contrées du Nord en général, on sait par exemple qu’en Islande, on ne trace pas les routes sans tenir compte de la présence du petit peuple ou non. Ce rapport est plus naturel aux endroits où les gens se sentent proches de leurs légendes, de la magie propre à ces endroits. Cela se traduit par une conscience en premier lieu, un respect, une tentative d’approche et de contact. Cette attitude montre surtout un rapport au monde différent. La France est le pays de Descartes et a souffert d’une Inquisition particulièrement violente contrairement aux pays protestants, Scandinavie et Islande s’entend. L’histoire religieuse de ces pays n’est pas la même.
Au milieu d’une féerie plutôt féminine, vous présentez deux figures masculines, l’homme vert et Peter Pan. Si l’appartenance du premier à la féerie est acquise depuis des lustres, la figure de Peter Pan est plus récente. Quels sont les éléments qui l’identifient à Féerie ?
Son aspect, son histoire, son lien avec le surnaturel, son action de protecteur et d’ange gardien. Peter Pan descend de l’Homme Vert, du Feuillu et de Robin des Bois. Il incarne un archétype réactualisé par James Matthew Barrie né en Écosse et familier du folklore écossais.
Si la première partie du livre traite des origines, de l’histoire et des attributs des fées, la seconde moitié rentre plus avant dans des considérations ésotériques…
Ce terme, qui , par ailleurs, a été abondamment galvaudé, ne me paraît pas approprié. Il s’agit plutôt d’un rapport au monde et aux mondes, de la façon dont les fées transparaissent encore à notre époque, avec des expériences comme celle de Findhorn par exemple. Elles resurgissent toujours et encore et on ne peut jamais les faire disparaître quelle que soit l’époque. Plutôt que « considérations ésotériques », il est possible de parler d’approche sensible et d’une forme de contact avec l’invisible.
Qu’est-ce que l’écologie sacrée ? Peut-on parler d’une tendance actuelle allant dans ce sens ?
L’écologie sacrée est un écologie qui ne se fonde pas seulement sur la nature pour la nature, ou le monde environnant pour être plus rigoureux, mais dans laquelle on considère la nature comme révélatrice, médium d’un ordre supérieur au sens d’un ordre qui élève l’âme ; il s’agit d’une écologie qui prend en compte le fait que la nature abrite des royaumes cachés, que c’est par elle qu’on les rencontre : pierres, sources, arbres liés aux fées nous enseignent quelque chose sur le monde et sur sa dimension cachée. Maintenant, il existe une tendance dans les milieux écologistes ou environnementalistes à considérer la nature comme toute bonne et l’homme comme tout mauvais, c’est une tendance assez inconsciente d’ailleurs. Il faudrait que l’homme prenne conscience de son propre raffinement, de ce qu’il peut apporter au monde sans se détester ni oublier sa richesse. Célébrer la nature, la protéger, c’est aussi s’aimer soi-même, mais pas sans valeur, il ne s’agit pas de tomber dans l’hédonisme non plus, simplement de retrouver une juste place au sein d’une expression polyphonique du vivant.
Dans votre conclusion, vous parlez de ce retour aux fées s’inscrivant dans une voie de resacralisation du monde. Pourquoi les fées sont-elles devenues des symboles d’espoir? Et en quoi, aujourd’hui, revêtent-elles un caractère religieux ?
Les fées nous rappellent encore que rien n’existe sans un rapport magique au monde. Elles sont surnaturelles et porteuses de noblesse telle Mélusine. Les généalogies royales de Grande-Bretagne portent en elles la mémoire d’une origine divine, cela signifie qu’elles descendent des dieux. Il ne s’agit guère d’un positionnement narcissique mais d’un souvenir du sacré, donc d’une obligation vis-à-vis du monde et des dieux. Enfin, si nombre de châteaux sont attribués à Mélusine ou nombre d’églises, cela signifie d’une part qu’elle est porteuse de puissance et d’inspiration, seule une féminité élevée au rang du sacré peut donner une telle beauté et une telle majesté. Aujourd’hui, l’on ne croit plus aux fées, le monde est donc désenchanté dans son acception première. En ré-enchantant le monde, en retrouvant la part magique que celui-ci et que l’homme recèlent, on retrouvera peut-être cette puissante énergie qui permettait de bâtir des châteaux ou des édifices à la gloire d’une idée supérieure ou d’un ordre sacré. Les fées ne sont pas simplement des personnages légendaires ou littéraires, elles nous parlent de vérités plus profondes, des lois du monde elles-mêmes qu’on a oubliées.
Vous écrivez également que beaucoup semblent se tourner vers le merveilleux sans oser plonger au cœur du sacré… Ceci expliquerait le nombre grandissant d’ouvrages illustrés, de livres merveilleux voire des romans de fantasy que nous rencontrons aujourd’hui. Une manière non avouée de croire sans l’assumer pleinement ?
Il me semble que l’on reste souvent en surface, sans creuser ni remonter à la source, oui, sans se poser de questions. Je ne pense pas que l’on puisse parler d’assumer ou non dans ce cas, il s’agit d’une intuition surtout. Les gens n’osent pas y croire non plus, aller plus avant. Sans aller jusqu’à dire que les gens cherchent inconsciemment le sacré, le nombre d’ouvrages sur le merveilleux ou d’heroic fantasy traduit une soif de mystère, une intuition qu’il existe « autre chose » que notre monde quotidien qui peut se révéler d’une horrible banalité. Maintenant, j’effectue une distinction entre un contenu et une esthétique lumineux et un contenu et une esthétiques sombres. Certains ouvrages portent une malignité propre aux univers dans lesquels baignent leurs auteurs. Celle-ci fait partie du monde, mais la féérie à laquelle je me réfère, outre l’aspect enraciné, est une féérie porteuse de lumière et de pureté (rien à voir avec la lumière présentée par le New Age, il s’agit d’un état intérieur à force de travail sur soi, la transformation alchimique de l’ombre), voire de paix totale, ce que décrit très bien, par exemple, le roman de Lord Dunsany, La Fille du Roi des Elfes ; le royaume de féérie est le temps du non événement, tout y est sérénité, profondeur, douceur de la vie et du temps qui passe. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas agir ou construire, mais qu’au fond de soi, on est dans une paix profonde et qu’on goûte la magie de l’existence (rien à voir avec un côté « peace and love », une vision du monde où les gens sont représentés comme tous beaux et gentils, il s’agit peut-être d’un idéal d’humanité, mais il ne faut pas confondre le potentiel et l’état lui-même »).
Votre livre est imprégné de cette idée de retour aux sources. Vous parlez de « culte des ancêtres », de l’ »importance de s’inscrire dans une lignée », de « tradition »… En même temps, nous ne possédons presqu’aucune trace de ces cultes ancestraux. Si le désir est là, il semble irréalisable puisqu’il nécessite obligatoirement une reconstruction de ces cultes sur base de ce que l’on suppose… Nous sommes obligatoirement dans une re-création, non ?
D’un point de vue strictement formel, oui, nous sommes dans une recréation. D’ailleurs, certains mouvements se disent reconstructionnistes. Mais lorsqu’on souhaite restaurer une tradition, on s’inscrit dans une lignée. Les païens célèbrent un ordre qui se fonde aussi sur la nature et les saisons, il ne peut s’agir d’une création complète puisqu’un ordre sous-tend leurs pratiques.
Cette idée de retour à la tradition ne peut-elle pas aboutir, pour certains, à des réactions extrêmes comme le rejet de la modernité, la notion de « pureté de la race »? N’y a-t-il pas danger de récupération des idées par des mouvements politiques qui prônent une grandeur passée ? Stéphane François, par exemple, en a fait le sujet d’un livre: « Les Néo-Paganismes et la Nouvelle Droite« …
Tout dépend, en premier lieu, de ce que vous appelez « rejet de la modernité ». Si c’est le rejet du consumérisme, de la laideur, de la froideur et de la massification, je ne vois pas où est le problème. On peut toujours tout récupérer à des fins de politique politicienne mais la grandeur du passé n’est pas qu’une vue de l’esprit : regardez les mégalithes et regardez ce que l’on produit aujourd’hui. Il faut distinguer les valeurs de la modernité et ce que la modernité nous apporte au niveau du quotidien. Réponse plus universitaire maintenant : Stéphane François a fait sa thèse en sciences politiques, ce qui n’est pas mon cas. La Nouvelle Droite est un mouvement intellectuel qui a jeté le bébé avec l’eau du bain : son paganisme était de type intellectuel et très anti chrétien. En rejetant le christianisme, elle a rejeté la spiritualité. Il n’a jamais été question pour elle de restaurer des traditions ancestrales véritablement comme le font les mouvements que j’ai étudiés.
Pour nos lecteurs, pouvez-vous définir le Néo-Paganisme ?
Le néo-paganisme est un mouvement spirituel, ou spiritualiste, qui a pour objectif de restaurer des pratiques ancestrales mais ne le fait pas nécessairement en respectant réellement les anciennes traditions. Il est porteur d’éclectisme et de consumérisme lui aussi, voire souvent d’hédonisme, d’où le rejet de ce terme par nombre de mouvements fondamentalement païens se rattachant à des coutumes ancestrales enracinées . Le terme « néo » est souvent synonyme d’absence d’authenticité. Le paganisme fait référence à un ensemble de pratiques enracinées dans un contexte précis. C’est aussi une vision du monde, une approche philosophique de celui-ci : il s’agit de le célébrer, d’en retrouver la magie, le fameux ré-enchantement du monde, terme que l’on doit à l’historien américain Morris Berman, repris par le sociologue américain lui aussi, Peter Berger, après le désenchantement annoncé par Max Weber. On trouve ce terme un peu n’importe où et on l’utilise un peu n’importe comment, mais le « projet païen » se situe dans cette optique, retrouver les dieux et les fées dans l’ici et maintenant.
Frédéric Lenoir, philosophe et sociologue des religions, explique ces nouvelles croyances par la mondialisation (l’ouverture à toutes cultures) et l’individualisation (chacun choisit ce qu’i l’intéresse). Le Néo-Paganisme est d’ailleurs très diversifié. Est-ce, pour vous, la religion du XXIe siècle ?
Il s’agit effectivement d’un mouvement très diversifié mais l’expression « nouvelles croyances » n’est pas adéquate. Il s’agit plutôt de remonter à la source, de façon plus ou moins maladroite parfois, de retrouver une âme, une magie propre à chaque peuple, voire chaque tribu lorsque certains font référence par purisme aux tribus auxquelles appartenaient leurs ancêtres. Le Néo paganisme en tant que mouvement apparenté au New Age peut s’expliquer effectivement par la mondialisation et l’individualisation mais ce n’est qu’une vue très parcellaire de la question. Comment expliquer cette volonté, couronnée parfois de succès, qui a émergé dans des sociétés aussi diverses que l’Europe du Nord protestante et libérale et la Russie post-communiste ? Quel est le lien ? La mondialisation facilite cet essor parce qu’elle facilite la communication mais elle n’explique nullement un mouvement de fond auquel on assiste partout. Tous vont dans un sens communautaire au contraire, aspirent à un lien de ce type, après l’éclatement engendré par les sociétés. Le retour des traditions pourrait être la marque religieuse du XXIème siècle, oui, axée sur un centre et un sens.
Quelle est la place de la féerie dans le Néo-Paganisme ? Certaines traditions sont-elles spécialement axées sur ce domaine ?
Il existe une tendance animiste dans certains mouvements païens, où le petit peuple semble naturel, oui. Cette tendance tendrait à se développer dans certaines sphères druidiques car l’animisme est considéré comme une relation intime avec le monde environnant (le Docteur Graham Harvey parle du paganisme comme d’une intimité avec le monde), on rentre en contact directement avec l’environnement. Il s’agit de ressentir la présence du petit peuple lorsqu’on se rend dans la nature, de se mettre à l’écoute, de percevoir. Dans les mouvements rattachés à une tradition, on sait que la nature est porteuse d’autres dimensions ou qu’elle permet d’y accéder. Certains mouvements éclectiques à orientation « néo » prétendent être orientées sur la féérie, comme la Faerie Wicca, mais c’est assez marginal. La Faerie Wicca peut revêtir des aspects kitchs (danger véritable pour le retour aux traditions) ; celle d’une Kisma Stepanisch semble tâtonner, chercher un aspect plus enraciné, elle s’appuie sur le fond traditionnel irlandais. La féérie fait partie d’un complexe traditionnel et religieux chez tous les peuples en réalité, axer une pratique ou une tradition sur les fées est une façon « néo » de faire. Ce peut être une pratique, une vision du monde, un début de retour aux sources mais cela ne constitue pas une tradition à part entière. Je vous citais le cas de l’Islande où l’on ne trace pas de route sans prendre en compte la présence du petit peuple. Mais là, il s’agit d’un pays où la tradition populaire est restée vive d’une part, d’autre part, la religion ancestrale y est reconnue officiellement depuis 1973. Imaginez si en France, on s’attachait au tracé des routes en prenant en compte ce que porte la terre alors que ce pays a tout laissé en friche et que rien n’y est respecté. J’ai même vu un tumulus dans le Nord qui servait de terrain de moto cross. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la féérie fait partie du complexe religieux, spirituel au sens premier, de tous les peuples. Chacun l’exprime en fonction de ses caractéristiques, il n’existe pas une féérie universelle même si certaines sont communes, il existe une féérie pour chacun, une féérie qui lui est propre.
Existe-t-il des chiffres officiels concernant le nombre de néo-paiens en France ? Quelles traditions sont-elles le plus représentées ?
Non, il est difficile d’avancer des chiffres en la matière. Je le répète, le terme « néo-paganisme » est rejeté par les païens eux-mêmes en général qui y voient une connotation péjorative. Le courant qui semble se développer actuellement est la Wicca. Il existe un courant nordique aussi, c’est-à-dire axé sur les traditions germaniques, qui porte en lui des divergences quant à la façon de l’incarner dans le monde et de le pratiquer. Il existe plusieurs ordres druidiques (je parle des ordres druidiques se réclamant du paganisme, non des ordres chrétiens ou revendiquant la double appartenance) également, certains anciens qui sont en sommeil mais dont les représentants continuent de pratiquer de façon isolée, sans chercher à faire renaître le druidisme tel qu’il était, à savoir comme occupant une place dans le monde. La tentative récente la plus intéressante et la plus sérieuse en la matière est celle de Syd, qui a « fait ses classes » en Grande-Bretagne puis a fondé un ordre en France, comprenant des clairières dans diverses régions, dans le but de ramener le Druidisme dans notre monde contemporain. Par ailleurs, la question de la prêtrise est fondamentale dans le néo paganisme, tout dépend de ce que l’on en fait, de la façon dont on le vit : certains mouvements comprennent des gens qui se réunissent pour célébrer ou se retrouver, certains embrassent la voie sacerdotale, certains le vivent de façon égotique ou comme un snobisme, d’autres encore comme une fonction qu’ils souhaitent faire ré-emerger ici bas.
Votre créature féerique préférée et pourquoi ?
Je n’ai pas de créature féérique préférée, j’aime l’archétype de la fée pour ce qu’elle nous enseigne de la magie perdue de ce monde et à retrouver, pour ce qu’elle porte de beauté, de grâce et de majesté, elle est un archétype du raffinement de la femme, du raffinement auquel la femme devrait tendre aussi, me semble-t-il. Mais il existe encore tout un travail de réflexion pour comprendre comment l’exprimer au quotidien. La fée, c’est la femme généreuse et facilitatrice, la femme souveraine et magicienne qui voit et qui sent, l’anima absolue en quelque sorte qui ne prend sa pleine dimension qu’accompagnée de l’animus. C’est la femme enchanteresse qui enchante l’univers de ceux qui l’entourent et s’attache à le faire. Le chevalier n’est rien sans la fée et la fée n’est rien sans le chevalier, là réside le vrai secret et la véritable humilité, le reste n’est que mensonge à soi-même ou fuite par peur.
Vos projets en cours ou à venir ?
L’écriture de romans historiques me taraude. Un projet culturel aussi qui est passé en commission au Conseil régional du Nord Pas de Calais et qui, je l’espère, verra le jour à un moment ou un autre si les dieux le veulent.
Propos recueillis par le Peuple féerique en juin 2009.
Vous l’avez peut-être déjà croisée, sa vielle à roue à la main, lors d’un festival ou d’une soirée médiévale? Corinne Duchêne est elficologue, amie des fées et conteuse professionnelle. De quoi intéresser le Peuple féerique qui n’ pu s’empêcher d’en apprendre davantage…
A quand remonte ce goût pour les légendes et la féerie ?
J’avais 3 ou 4 ans à l’époque où mon grand-père, coureur des bois solognot et bon conteur, m’emmenait, les soirs d’été, voir les fées qui venaient se baigner dans une source située dans un terrain en friche. Nous nous mettions à plat ventre dans les hautes herbes pour les regarder sans nous faire remarquer. Je resterai persuadée qu’il les voyait autant que moi. Il est parti trop tôt pour que nous puissions avoir une discussion d’adulte à ce sujet.
Qu’est ce qui pousse une responsable qualité dans l’automobile à vouloir vivre et faire vivre le monde des légendes, à abandonner le monde de l’industrie pour celui des fées ?
La fée qui s’était penchée sur mon berceau avait dit que je ferai briller les yeux des gens assemblés autour de moi. A 15 ans, je voulais faire de l’art thérapie avec des enfants et adolescents en difficulté. A l’époque, le conseiller en orientation m’avait regardé avec des yeux ronds. Je venais d’un milieu pas très riche alors on m’a dirigée vers une valeur sûre, un bac technique chimie. J’avais simplement 20 ans d’avance sur mon époque.
Consciente que le conte était peut-être l’ultime patrimoine à sauver, j’ai entrepris, dès 1990, des recherches sur les origines des contes de ma région et restauré des récits entendus dans mon enfance. J’ai aussi un parcours personnel riche autant qu’atypique et j’ai eu la chance de rencontrer de grands maîtres sur le chemin de ma quête.
En 2004, j’étais déjà conteuse professionnelle depuis 9 ans et je menais difficilement les deux carrières ensembles. Comme la vie est bien faite, on a posté la lettre m’annonçant mon licenciement le jour où mon premier livre (Contes et légendes du Berry – aux sources des traditions orales) sortait des presses pour mon éditeur. Je me suis simplement consacrée à ma passion et suis devenue intermittente du spectacle.
Vous vous déclarez « elficologue », un terme inventé par Pierre Dubois. Que représente la féerie pour vous ?
Ce terme que Pierre Dubois a inventé représente bien sa passion et l’énorme travail qu’il a pu faire en la matière. Je pense être de la même veine. Nous avons un maître et ami commun : le grand Claude Seignolle.
Pour moi, la féerie puise ses sources dans les mythologies des peuples antiques et sûrement protohistoriques. En vieille intégriste, je suis allergique à cette mode des oreilles en latex et des délires elfiques. Ceux qui fréquentent le Petit Peuple me comprendront… J’ai dévoré les romans du visionnaire Tolkien à l’adolescence, mais ça ne m’a pas emmené vers des délires.
La féerie représente pour moi tout ce qu’on interdisait de croire à un enfant né dans la deuxième moitié du 20e siècle. J’ai eu la chance d’être élevée autrement, auprès d’une maman non-voyante qui m’a enseigné le pouvoir du Verbe, au contact de la nature et de la culture rurale grâce à mon grand-père. Je me suis peut-être construite différemment.
Vous avez suivi une formation de conteur et êtes une conteuse professionnelle aujourd’hui. Le conte et la féerie sont deux univers très proches ?
Peut-être pour certains conteurs, mais c’est loin d’être une majorité et c’est très bien comme ça.
Les contes merveilleux représentent une bonne partie des contes contés actuellement.
Quand j’ai commencé à me former au Centre de Littérature Orale de Vendôme, mes propos sur les fées me faisaient passer pour une illuminée. C’était pour moi un compliment, car l’illuminé est celui qui a été touché par la lumière.
Le Fada était, en langue d’Oc au Moyen Age, le fou habité par une Fade (fée) et elle pouvait prophétiser par sa bouche. Laissons le conteur être un peu fada.
Les festivals et soirées de contes connaissent depuis quelques années un large succès. Comment expliquez-vous ce regain pour la transmission orale dans une société de l’écrit ?
C’est ce qu’on appelle le « renouveau du conte ».
Peut-être, pour les personnes qui vont voir des conteurs « traditionnels », le plaisir de découvrir ou de retrouver des choses qui font partie de notre patrimoine commun, faire goûter ce plaisir à leur enfants, ou le bonheur simplement d’un moment partagé de convivialité…
Pour ceux qui vont écouter des contes étrangers, une recherche d’exotisme ou de sagesse et d’enseignement qu’ils ne pensent pas trouver dans leur propre patrimoine oral (qu’ils méconnaissent souvent)…
Pour d’autres, une mode branchée…
Pour ceux qui vont voir la nouvelle lignée de conteurs qui arpentent la scène, avec des récits de vie souvent écrits pour eux par des auteurs, une mise en scène superbe et efficace, des effets… on est loin de la transmission orale et plus proche du théâtre. Je trouve ce travail artistique intéressant et parfois remarquable, mais ce n’est pas ce que je recherche quand je vais écouter (et non voir) un conteur.
Les enseignants, les animateurs pour enfants, les centres d’accueil pour handicapés sont entrain de redécouvrir le bonheur que peut apporter le conte, et c’est très bien.
Le conte n’a jamais totalement disparu puisque tous les petits enfants le vivent qu’il soit lu ou simplement inventé par leurs parents. Mais de plus en plus d’adultes se tournent vers les contes.
Une façon de s’accrocher à leur propre enfance ? Ou le besoin de vivre un temps « sans temps » ?
Détrompez-vous : Bon nombre d’enfants grandissent dans un désert culturel et émotionnel où il n’y a pas trace d’imaginaire. Vous en connaissez beaucoup, des parents qui lisent et inventent des contes pour leurs enfants ? Au mieux, ils saturent leurs gamins d’activités sans les laisser souffler. Le pire, ce sont les nouveaux grands-parents qui pensent être branchés en faisant des activités sportives avec leurs petits. Pas un moment à partager concernant l’imaginaire. Laissez-leur du temps pour rêver !
Je rencontre aussi des enfants dont les parents sont tellement attentifs à leur remplir la tête qu’ils ont un imaginaire « préfabriqué ». Leur propre imaginaire asphyxié peine à se développer.
Si autant d’adultes se tournent aujourd’hui vers le conte, c’est peut-être parce que le 20e s., qui voulait sortir de l’obscurantisme de la culture paysanne, n’a pas voulu de ces croyances qu’il considérait d’un autre âge. Les gens qui viennent au conte ressentent inconsciemment qu’ils en ont besoin à tout âge pour se construire, tout simplement.
Il ne faut pas être nostalgique : la nostalgie tue le présent et n’ouvre pas les portes de l’avenir. Le conte a été un siècle en « dormition », comme le Roi Arthur dans l’Île d’Avalon. Le voilà de retour car il est notre compagnon sur le chemin de la vie.
Vous évoquez beaucoup la « mythologie française ». Quelle est-elle ?
Elle est si vaste, aussi riche que le patrimoine de chaque région. Rien que dans ma région, je peux vous citer les personnages les plus connus : Gargantua, la vaste famille des fées de langue d’Oc et de langue d’Oïl (Martes ou Marses, Fades ou Fadées, Folles ou Fées, Dame-Blanches ou Demoiselles, Fileuses ou Bonnes-Dames, Dryades et Amadryades, Ondines et Naïades…), les Fadets ou Sylvains, les Laveuses de Nuit, la Grand’bête, la Levrette, le Loup-brou, la Cocadrille, les Lupeux et Birettes, la Chasse à Baudet ou Chasse-maligne, les Follets et Flambettes, sans oublier Gorgeon (le Diable). On pourrait y passer la nuit…
Vous pratiquez de nombreux spectacles dans des manifestations médiévales. Là aussi, c’est un phénomène assez récent et très populaire. Etait-ce la plus belle période des contes, le Moyen-âge ?
Je ne pratique pas l’animation médiévale mais le spectacle de rue, une évocation historique et festive, uniquement sur des sites et des fêtes de qualité. Mon intérêt pour cette époque date d’avant la mode.
L’époque qui m’intéresse est cette renaissance médiévale qui se situe du 11e au 13e s., ces échanges et ces brassages de cultures, l’art des troubadours et trouvères, la rencontre entre la féerie de l’Orient et les croyances païennes de l’Occident Celte qui fit naître le conte merveilleux, la séduction d’une époque où l’imaginaire n’avait aucune limite…
Le mot « récité » que vous employé pour l’époque peut être juste à cette époque. Dans les différentes formes du conte au Moyen Age, on trouve :
– le texte hagiographique (récit de la vie et du martyre des saints ou des miracles de la Vierge Marie, souvent inspiré de mythes ou de contes universellement répandus en Orient comme en Occident)
– l’exemplum (permettant d’appuyer par des exemples les règles de la religion à respecter)
– le recueil édifiant (qui porte à la vertu par exemple et sert à instruire les jeunes gens)
– la chronique (récit retraçant les aventures de rois et de reines devenus mythiques, leurs faits extraordinaires ou prodigieux, en les encrant par des faits historique précis)
– la novella (ancêtre de la nouvelle, récit plus court que le roman, qui introduit parfois dans le domaine du merveilleux, les valeurs chevaleresques…)
– la chanson de geste (puissants récits narrant avec force les guerres et la geste noble et fière des héros)
Le plus intéressant pour moi est le lai féerique, à l’origine une composition musicale chantée et accompagnée à la harpe ou à la rote, qui relate une aventure, un évènement souvent merveilleux. A la fin du 12e s. le texte va se détacher de la partition musicale pour donner un genre narratif, un court poème relatant une aventure, un évènement extraordinaire. Ces lais parlent d’un monde de sortilèges, où les êtres et les choses sont libérés des lois naturelles. Les personnages sont féeriques, surnaturels, et les animaux fabuleux. C’est l’ancêtre du conte merveilleux.
Ce qui m’a toujours surprise, c’est la tolérance et la souplesse dont a fait preuve le Moyen Age chrétien à l’endroit de thèmes merveilleux, malaisément conciliables avec le strict respect de l’enseignement religieux. La matière traditionnelle du conte merveilleux est pourtant utilisée, au hasard des services qu’elle peut rendre au texte religieux ou profane qui lui offre un point d’encrage. Bien que ce genre ait existé par transmission orale depuis l’aube des temps, il faudra attendre le 16e s. pour que des clercs puisent dans cette riche matière médiévale pour écrire les premiers recueils de Contes Merveilleux. Sous le règne de François 1er, des humanistes vont y contribuer comme François Rabelais avec son Pantagruel et son Gargantua. C’est cette matière, issue de l’Occident comme de l’Orient, de l’Antiquité comme du Moyen Age, que les folkloristes du 19e s. vont recueillir dans la tradition orale.
Voyez-vous une différence entre un même conte récité à l’époque et maintenant ?
Les contes du Moyen Age seraient imbuvables tels quels pour un public d’aujourd’hui. Les textes mémorisés et contés (et non récités) doivent être remaniés, mais avec le soucis de respecter l’esprit du texte d’origine. Un détail souvent incompréhensible au 21e s. peut avoir de l’importance ou peut être parfois supprimé. Le tout est de bien maîtriser le thème et de garder l’essence du conte.
Nous sommes bien loin d’avoir l’esprit superstitieux et impressionnable des hommes du Moyen Age.
Vous donnez également des formations. Qu’est-ce qui pousse les gens à vouloir eux-mêmes devenir conteurs ?
La quête de quelque chose, des autres ou de soi-même, je pense. Il faudrait le demander à chacun…
Je ne forme pas que des gens qui veulent devenir conteurs. J’ai dans mon atelier conte à Déols (près de Châteauroux), des parents ou grands-parents voulant créer un lien d’intimité autour du conte avec leurs enfants, et des personnes curieuses désirant vivre harmonieusement leur rencontre avec le Conte. J’y enseigne surtout le plaisir de conter, à être honnête avec sa fonction de conteur et à prendre conscience du pouvoir des mots.
Bien des chemins mènent au conte. Pour moi conter, ce n’est pas dire des mots les uns derrière les autres : c’est faire don d’images très personnelles à des auditeurs, connus ou inconnus, en situation d’ouverture. Ce n’est pas raconter des histoires anodines : c’est transmettre des thèmes qui viennent parfois de la nuit des temps et qui répondent à l’attente inconsciente d’un public. Ce n’est pas faire sa propre psychanalyse devant un groupe : c’est prendre du plaisir à la saveur d’une histoire et communiquer ce plaisir à ceux qui l’écoute. Mais il faut pour cela que le conteur ait réglé ses comptes avec lui-même et avec les personnages du conte qu’il a choisi de transmettre. Il faut aussi qu’il trouve l’indéfinissable harmonie, qui le relie aussi bien à son récit qu’à son public, pour que la magie du conte opère.
Le conteur est pour moi un passeur.
Pour revenir à la féerie. Trouvez-vous que c’est un thème qui revient à la mode ?
A mon goût, un peu trop et n’importe comment… au risque de passer complètement à côté et c’est bien dommage. On tombe dans le domaine du paraître alors que tout est dans le vécu et le ressenti.
Quelle est votre créature féerique préférée et pourquoi ?
Pour les animaux : la licorne car c’est un symbole universel d’initiation, de pureté et de grâce. On la retrouve représentée jusque dans la grotte de Lascaux.
Pour les personnages : la dryade, cette fée qui habite les chênes, parce que dans les contes merveilleux elle protège les enfants. Et ne suis-je pas la petite-fille du chêne ?
Votre actualité ?
Un nouveau spectacle « Métamorphoses », avec la complicité d’Alexis Vacher à la vielle à roue électroacoustique. Un spectacle troublant où voix et vielle deviennent conteuses pour évoquer la quête de l’Amour il y a 2000 ans. Mêlant les légendes de l’Antiquité aux musiques inspirées d’Orient, nous invitons à un voyage dans la mythologie gréco-latine. Aèdes du 21e siècle, nous avons choisi de faire revivre de beaux contes, dits à la manière du poète latin Ovide, qui séduiront petites et grandes oreilles.
A découvrir ICI
Et un calendrier pas mal chargé à consulter sur mon site www.corinne-duchene.com
Un nouveau livre de contes (normalement pour 2010) sur les personnages féeriques de ma région justement. Un gros chapitre sur le sujet figure déjà dans mon premier livre (à découvrir et à commander sur mon site Internet).
Propos recueilis par le Peuple féerique en juin 2009