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  • Interview d’Anne Ferlat, auteure du BA-ba des Fées et spécialiste du paganisme

    Anne Ferlat est une spécialiste du paganisme pour avoir étudié nombre de traditions en Europe. Elle est l’auteur d’une thèse de sociologie des religions portant sur les mouvements païens en Russie. Elle est également l’auteur de nombreux ouvrages sur et autour des traditions païennes. Mais évidemment, ce qui nous intéresse particulièrement ici est son livre le B.A-ba des fées paru aux éditions Pardes en 2001. L’auteure nous a accordé une longue interview qui éclaire la vision des fées selon le point de vue croyance et paganisme. De quoi explorer un peu plus cette voie féerique…

    Dans une interview, vous dites avoir été obligée de faire votre thèse en Angleterre, pourquoi ?
    Pour plusieurs raisons, la première est qu’il existe en Grande-Bretagne des universitaires qui sont païens et étudient leur propre voie spirituelle avec la plus grande rigueur s’entend. La sociologie des religions est bien plus développée là-bas qu’en France, pays rigide et où l’université est encore sous diktat idéologique. J’ai rencontré depuis lors des universitaires plus ouverts qui m’ont réservé un bon accueil mais l’étude de la religion est suspect ou marxisé et l’étude du paganisme l’est encore davantage. Impossible en tout cas d’étudier sereinement ni de s’assumer vraiment.

    Pourquoi avoir signé votre livre, B.A-BA des fées, du nom d’Anne-Laure d’Apremont ?
    Parce que c’est un nom qui correspondait à une ancienne vie….J’assume tout ce que j’ai fait, il y a eu ces essais, comme un travail de rappel de la tradition, puis la thèse, le tout dans une lignée similaire sans confusion de genres.

    Divinités du destin, Esprits de la Nature, âmes des morts. C’est au croisement de ces trois idées que réside le Petit Peuple ?
    Oui, du moins dans la littérature et tels qu’elles sont synthétisées ainsi que je l’explique dans le BABA des Fées. La littérature qui a trait aux fées, le corpus celtique et germano-scandinave notamment, est en réalité une porte d’entrée vers un chamanisme européen .

    Vous soulignez, dans votre livre, la différence entre le rapport aux fées que l’on pourrait qualifier de « naturel » en Angleterre et celui plus rationnel en France. Comment expliquer cette différence et comment se traduit-elle en actes ?
    Il est plus naturel dans les contrées du Nord en général, on sait par exemple qu’en Islande, on ne trace pas les routes sans tenir compte de la présence du petit peuple ou non. Ce rapport est plus naturel aux endroits où les gens se sentent proches de leurs légendes, de la magie propre à ces endroits. Cela se traduit par une conscience en premier lieu, un respect, une tentative d’approche et de contact. Cette attitude montre surtout un rapport au monde différent. La France est le pays de Descartes et a souffert d’une Inquisition particulièrement violente contrairement aux pays protestants, Scandinavie et Islande s’entend. L’histoire religieuse de ces pays n’est pas la même.

    Au milieu d’une féerie plutôt féminine, vous présentez deux figures masculines, l’homme vert et Peter Pan. Si l’appartenance du premier à la féerie est acquise depuis des lustres, la figure de Peter Pan est plus récente. Quels sont les éléments qui l’identifient à Féerie ?
    Son aspect, son histoire, son lien avec le surnaturel, son action de protecteur et d’ange gardien. Peter Pan descend de l’Homme Vert, du Feuillu et de Robin des Bois. Il incarne un archétype réactualisé par James Matthew Barrie né en Écosse et familier du folklore écossais.

    Si la première partie du livre traite des origines, de l’histoire et des attributs des fées, la seconde moitié rentre plus avant dans des considérations ésotériques…
    Ce terme, qui , par ailleurs, a été abondamment galvaudé, ne me paraît pas approprié. Il s’agit plutôt d’un rapport au monde et aux mondes, de la façon dont les fées transparaissent encore à notre époque, avec des expériences comme celle de Findhorn par exemple. Elles resurgissent toujours et encore et on ne peut jamais les faire disparaître quelle que soit l’époque. Plutôt que « considérations ésotériques », il est possible de parler d’approche sensible et d’une forme de contact avec l’invisible.

    Qu’est-ce que l’écologie sacrée ? Peut-on parler d’une tendance actuelle allant dans ce sens ?
    L’écologie sacrée est un écologie qui ne se fonde pas seulement sur la nature pour la nature, ou le monde environnant pour être plus rigoureux, mais dans laquelle on considère la nature comme révélatrice, médium d’un ordre supérieur au sens d’un ordre qui élève l’âme ; il s’agit d’une écologie qui prend en compte le fait que la nature abrite des royaumes cachés, que c’est par elle qu’on les rencontre : pierres, sources, arbres liés aux fées nous enseignent quelque chose sur le monde et sur sa dimension cachée. Maintenant, il existe une tendance dans les milieux écologistes ou environnementalistes à considérer la nature comme toute bonne et l’homme comme tout mauvais, c’est une tendance assez inconsciente d’ailleurs. Il faudrait que l’homme prenne conscience de son propre raffinement, de ce qu’il peut apporter au monde sans se détester ni oublier sa richesse. Célébrer la nature, la protéger, c’est aussi s’aimer soi-même, mais pas sans valeur, il ne s’agit pas de tomber dans l’hédonisme non plus, simplement de retrouver une juste place au sein d’une expression polyphonique du vivant.

    Dans votre conclusion, vous parlez de ce retour aux fées s’inscrivant dans une voie de resacralisation du monde. Pourquoi les fées sont-elles devenues des symboles d’espoir? Et en quoi, aujourd’hui, revêtent-elles un caractère religieux ?
    Les fées nous rappellent encore que rien n’existe sans un rapport magique au monde. Elles sont surnaturelles et porteuses de noblesse telle Mélusine. Les généalogies royales de Grande-Bretagne portent en elles la mémoire d’une origine divine, cela signifie qu’elles descendent des dieux. Il ne s’agit guère d’un positionnement narcissique mais d’un souvenir du sacré, donc d’une obligation vis-à-vis du monde et des dieux. Enfin, si nombre de châteaux sont attribués à Mélusine ou nombre d’églises, cela signifie d’une part qu’elle est porteuse de puissance et d’inspiration, seule une féminité élevée au rang du sacré peut donner une telle beauté et une telle majesté. Aujourd’hui, l’on ne croit plus aux fées, le monde est donc désenchanté dans son acception première. En ré-enchantant le monde, en retrouvant la part magique que celui-ci et que l’homme recèlent, on retrouvera peut-être cette puissante énergie qui permettait de bâtir des châteaux ou des édifices à la gloire d’une idée supérieure ou d’un ordre sacré. Les fées ne sont pas simplement des personnages légendaires ou littéraires, elles nous parlent de vérités plus profondes, des lois du monde elles-mêmes qu’on a oubliées.

    Vous écrivez également que beaucoup semblent se tourner vers le merveilleux sans oser plonger au cœur du sacré… Ceci expliquerait le nombre grandissant d’ouvrages illustrés, de livres merveilleux voire des romans de fantasy que nous rencontrons aujourd’hui. Une manière non avouée de croire sans l’assumer pleinement ?
    Il me semble que l’on reste souvent en surface, sans creuser ni remonter à la source, oui, sans se poser de questions. Je ne pense pas que l’on puisse parler d’assumer ou non dans ce cas, il s’agit d’une intuition surtout. Les gens n’osent pas y croire non plus, aller plus avant. Sans aller jusqu’à dire que les gens cherchent inconsciemment le sacré, le nombre d’ouvrages sur le merveilleux ou d’heroic fantasy traduit une soif de mystère, une intuition qu’il existe « autre chose » que notre monde quotidien qui peut se révéler d’une horrible banalité. Maintenant, j’effectue une distinction entre un contenu et une esthétique lumineux et un contenu et une esthétiques sombres. Certains ouvrages portent une malignité propre aux univers dans lesquels baignent leurs auteurs. Celle-ci fait partie du monde, mais la féérie à laquelle je me réfère, outre l’aspect enraciné, est une féérie porteuse de lumière et de pureté (rien à voir avec la lumière présentée par le New Age, il s’agit d’un état intérieur à force de travail sur soi, la transformation alchimique de l’ombre), voire de paix totale, ce que décrit très bien, par exemple, le roman de Lord Dunsany, La Fille du Roi des Elfes ; le royaume de féérie est le temps du non événement, tout y est sérénité, profondeur, douceur de la vie et du temps qui passe. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas agir ou construire, mais qu’au fond de soi, on est dans une paix profonde et qu’on goûte la magie de l’existence (rien à voir avec un côté « peace and love », une vision du monde où les gens sont représentés comme tous beaux et gentils, il s’agit peut-être d’un idéal d’humanité, mais il ne faut pas confondre le potentiel et l’état lui-même »).

    Votre livre est imprégné de cette idée de retour aux sources. Vous parlez de « culte des ancêtres », de l’ »importance de s’inscrire dans une lignée », de « tradition »… En même temps, nous ne possédons presqu’aucune trace de ces cultes ancestraux. Si le désir est là, il semble irréalisable puisqu’il nécessite obligatoirement une reconstruction de ces cultes sur base de ce que l’on suppose… Nous sommes obligatoirement dans une re-création, non ?
    D’un point de vue strictement formel, oui, nous sommes dans une recréation. D’ailleurs, certains mouvements se disent reconstructionnistes. Mais lorsqu’on souhaite restaurer une tradition, on s’inscrit dans une lignée. Les païens célèbrent un ordre qui se fonde aussi sur la nature et les saisons, il ne peut s’agir d’une création complète puisqu’un ordre sous-tend leurs pratiques.

    Cette idée de retour à la tradition ne peut-elle pas aboutir, pour certains, à des réactions extrêmes comme le rejet de la modernité, la notion de « pureté de la race »? N’y a-t-il pas danger de récupération des idées par des mouvements politiques qui prônent une grandeur passée ? Stéphane François, par exemple, en a fait le sujet d’un livre: « Les Néo-Paganismes et la Nouvelle Droite« …
    Tout dépend, en premier lieu, de ce que vous appelez « rejet de la modernité ». Si c’est le rejet du consumérisme, de la laideur, de la froideur et de la massification, je ne vois pas où est le problème. On peut toujours tout récupérer à des fins de politique politicienne mais la grandeur du passé n’est pas qu’une vue de l’esprit : regardez les mégalithes et regardez ce que l’on produit aujourd’hui. Il faut distinguer les valeurs de la modernité et ce que la modernité nous apporte au niveau du quotidien. Réponse plus universitaire maintenant : Stéphane François a fait sa thèse en sciences politiques, ce qui n’est pas mon cas. La Nouvelle Droite est un mouvement intellectuel qui a jeté le bébé avec l’eau du bain : son paganisme était de type intellectuel et très anti chrétien. En rejetant le christianisme, elle a rejeté la spiritualité. Il n’a jamais été question pour elle de restaurer des traditions ancestrales véritablement comme le font les mouvements que j’ai étudiés.


    Pour nos lecteurs, pouvez-vous définir le Néo-Paganisme ?

    Le néo-paganisme est un mouvement spirituel, ou spiritualiste, qui a pour objectif de restaurer des pratiques ancestrales mais ne le fait pas nécessairement en respectant réellement les anciennes traditions. Il est porteur d’éclectisme et de consumérisme lui aussi, voire souvent d’hédonisme, d’où le rejet de ce terme par nombre de mouvements fondamentalement païens se rattachant à des coutumes ancestrales enracinées . Le terme « néo » est souvent synonyme d’absence d’authenticité. Le paganisme fait référence à un ensemble de pratiques enracinées dans un contexte précis. C’est aussi une vision du monde, une approche philosophique de celui-ci : il s’agit de le célébrer, d’en retrouver la magie, le fameux ré-enchantement du monde, terme que l’on doit à l’historien américain Morris Berman, repris par le sociologue américain lui aussi, Peter Berger, après le désenchantement annoncé par Max Weber. On trouve ce terme un peu n’importe où et on l’utilise un peu n’importe comment, mais le « projet païen » se situe dans cette optique, retrouver les dieux et les fées dans l’ici et maintenant.

    Frédéric Lenoir, philosophe et sociologue des religions, explique ces nouvelles croyances par la mondialisation (l’ouverture à toutes cultures) et l’individualisation (chacun choisit ce qu’i l’intéresse). Le Néo-Paganisme est d’ailleurs très diversifié. Est-ce, pour vous, la religion du XXIe siècle ?
    Il s’agit effectivement d’un mouvement très diversifié mais l’expression « nouvelles croyances » n’est pas adéquate. Il s’agit plutôt de remonter à la source, de façon plus ou moins maladroite parfois, de retrouver une âme, une magie propre à chaque peuple, voire chaque tribu lorsque certains font référence par purisme aux tribus auxquelles appartenaient leurs ancêtres. Le Néo paganisme en tant que mouvement apparenté au New Age peut s’expliquer effectivement par la mondialisation et l’individualisation mais ce n’est qu’une vue très parcellaire de la question. Comment expliquer cette volonté, couronnée parfois de succès, qui a émergé dans des sociétés aussi diverses que l’Europe du Nord protestante et libérale et la Russie post-communiste ? Quel est le lien ? La mondialisation facilite cet essor parce qu’elle facilite la communication mais elle n’explique nullement un mouvement de fond auquel on assiste partout. Tous vont dans un sens communautaire au contraire, aspirent à un lien de ce type, après l’éclatement engendré par les sociétés. Le retour des traditions pourrait être la marque religieuse du XXIème siècle, oui, axée sur un centre et un sens.

    Quelle est la place de la féerie dans le Néo-Paganisme ? Certaines traditions sont-elles spécialement axées sur ce domaine ?
    Il existe une tendance animiste dans certains mouvements païens, où le petit peuple semble naturel, oui. Cette tendance tendrait à se développer dans certaines sphères druidiques car l’animisme est considéré comme une relation intime avec le monde environnant (le Docteur Graham Harvey parle du paganisme comme d’une intimité avec le monde), on rentre en contact directement avec l’environnement. Il s’agit de ressentir la présence du petit peuple lorsqu’on se rend dans la nature, de se mettre à l’écoute, de percevoir. Dans les mouvements rattachés à une tradition, on sait que la nature est porteuse d’autres dimensions ou qu’elle permet d’y accéder. Certains mouvements éclectiques à orientation « néo » prétendent être orientées sur la féérie, comme la Faerie Wicca, mais c’est assez marginal. La Faerie Wicca peut revêtir des aspects kitchs (danger véritable pour le retour aux traditions) ; celle d’une Kisma Stepanisch semble tâtonner, chercher un aspect plus enraciné, elle s’appuie sur le fond traditionnel irlandais. La féérie fait partie d’un complexe traditionnel et religieux chez tous les peuples en réalité, axer une pratique ou une tradition sur les fées est une façon « néo » de faire. Ce peut être une pratique, une vision du monde, un début de retour aux sources mais cela ne constitue pas une tradition à part entière. Je vous citais le cas de l’Islande où l’on ne trace pas de route sans prendre en compte la présence du petit peuple. Mais là, il s’agit d’un pays où la tradition populaire est restée vive d’une part, d’autre part, la religion ancestrale y est reconnue officiellement depuis 1973. Imaginez si en France, on s’attachait au tracé des routes en prenant en compte ce que porte la terre alors que ce pays a tout laissé en friche et que rien n’y est respecté. J’ai même vu un tumulus dans le Nord qui servait de terrain de moto cross. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la féérie fait partie du complexe religieux, spirituel au sens premier, de tous les peuples. Chacun l’exprime en fonction de ses caractéristiques, il n’existe pas une féérie universelle même si certaines sont communes, il existe une féérie pour chacun, une féérie qui lui est propre.

    Existe-t-il des chiffres officiels concernant le nombre de néo-paiens en France ? Quelles traditions sont-elles le plus représentées ?
    Non, il est difficile d’avancer des chiffres en la matière. Je le répète, le terme « néo-paganisme » est rejeté par les païens eux-mêmes en général qui y voient une connotation péjorative. Le courant qui semble se développer actuellement est la Wicca. Il existe un courant nordique aussi, c’est-à-dire axé sur les traditions germaniques, qui porte en lui des divergences quant à la façon de l’incarner dans le monde et de le pratiquer. Il existe plusieurs ordres druidiques (je parle des ordres druidiques se réclamant du paganisme, non des ordres chrétiens ou revendiquant la double appartenance) également, certains anciens qui sont en sommeil mais dont les représentants continuent de pratiquer de façon isolée, sans chercher à faire renaître le druidisme tel qu’il était, à savoir comme occupant une place dans le monde. La tentative récente la plus intéressante et la plus sérieuse en la matière est celle de Syd, qui a « fait ses classes » en Grande-Bretagne puis a fondé un ordre en France, comprenant des clairières dans diverses régions, dans le but de ramener le Druidisme dans notre monde contemporain. Par ailleurs, la question de la prêtrise est fondamentale dans le néo paganisme, tout dépend de ce que l’on en fait, de la façon dont on le vit : certains mouvements comprennent des gens qui se réunissent pour célébrer ou se retrouver, certains embrassent la voie sacerdotale, certains le vivent de façon égotique ou comme un snobisme, d’autres encore comme une fonction qu’ils souhaitent faire ré-emerger ici bas.

    Votre créature féerique préférée et pourquoi ?
    Je n’ai pas de créature féérique préférée, j’aime l’archétype de la fée pour ce qu’elle nous enseigne de la magie perdue de ce monde et à retrouver, pour ce qu’elle porte de beauté, de grâce et de majesté, elle est un archétype du raffinement de la femme, du raffinement auquel la femme devrait tendre aussi, me semble-t-il. Mais il existe encore tout un travail de réflexion pour comprendre comment l’exprimer au quotidien. La fée, c’est la femme généreuse et facilitatrice, la femme souveraine et magicienne qui voit et qui sent, l’anima absolue en quelque sorte qui ne prend sa pleine dimension qu’accompagnée de l’animus. C’est la femme enchanteresse qui enchante l’univers de ceux qui l’entourent et s’attache à le faire. Le chevalier n’est rien sans la fée et la fée n’est rien sans le chevalier, là réside le vrai secret et la véritable humilité, le reste n’est que mensonge à soi-même ou fuite par peur.

    Vos projets en cours ou à venir ?
    L’écriture de romans historiques me taraude. Un projet culturel aussi qui est passé en commission au Conseil régional du Nord Pas de Calais et qui, je l’espère, verra le jour à un moment ou un autre si les dieux le veulent.

    Propos recueillis par le Peuple féerique en juin 2009.

  • Contes, légendes et récits de la Vallée d’Aure, du Louron et des Bareilles par Frantz E. Petiteau

    Contes, légendes et récits du Louron et des Bareilles
    Auteur: Frantz E. Petiteau
    Illustrations de Jean-Claude Pertuzé
    Editions Alan Sutton
    Date de parution: avril 2009
    Format: 12,5 cm x 20 cm
    Nombre de pages: 128
    Prix: 11 euros

    Présentation éditeur:

    «A Sarrancolin, il y avait un Espagnol qui était domestique et conducteur de charroi. Il dormait au fenil de la grange. Un soir, un chat noir vint et l’Espagnol voulut le chasser avec son bâton. Mais l’animal le dévisagea et lui dit : « Refais-le si tu l’oses ! »»
    «Toujours dans le même quartier (d’Adréoulet, à Ilbet), à une date tout à fait indécise, une bonne femme revenait du moulin à la tombée de la nuit. Elle portait elle-même son sac de farine. Arrivée en un lieu appelé l’Arribaou, elle posa son sac devenu lourd… Puis elle le reprit et continua sa route. Le sac paraissait de plus en plus lourd à la brave femme. Il y eut une côte à monter et elle se fatigua tellement qu’elle ne put arriver chez elle sans se reposer une seconde fois. Mais à peine eut-elle posé son sac par terre que le bloc enfariné se mit à danser et prit la fuite. Elle vit alors clairement que ce n’était pas le sac, mais bien le houlèt, l’espiègle, qui avait pris la forme du sac pour se faire porter…»
    Ces textes sont des extraits choisis parmi plus de 160 contes, légendes et récits racontés ici par Frantz-E. Petiteau. Car le savoir est fragile et doit être transmis. Qui connaît encore aujourd’hui l’histoire populaire de la vallée, celle qui était racontée lors des veillées de génération en génération ? Frantz-E. Petiteau n’a qu’une seule ambition, transmettre et conserver un peu de la mémoire auroise (Hautes-Pyrénées).

    Frantz-E. Petiteau, titulaire d’une maîtrise d’histoire de l’ait et d’archéologie, mène de front des recherches ethnographiques et archéologiques. Cet ouvrage est le fruit de neuf années de travail.

    Notre avis:

    Pour qui s’intéresse aux contes et légendes, ce genre de travaux est une véritable mine d’or. Frants-E Petiteau est un homme de terrain. D’abord car ce coin des Pyrénnées qu’il explore depuis plus d’une dizaine d’années est une région qu’il connaît bien pour y habiter. Ensuite, car son travail est tout ce qu’il y a de méthodique. Chacun des deux livres allient description minutieuse et récolte de contes et légendes locaux. Pour les passionnés de Féerie, le rendez-vous est donné aux hadets, holets, fées, sirènes et autres brouches, ces sorcières effrayantes qui ont tellement marqué cet endroit. Vous y découvrirez également des animaux qui parlent, des templiers, et de nombreux, très nombreux saints et cultes voués à Marie. Un véritable travail de Mémoire qui contribue au renouveau de l’intérêt que sucitent partout le légendaire et la mythologie de nos régions, un ancrage cultuel et sociétal que deux siècles voués aux Sciences et à la Raison ont largement décimé. En combattant au nom de la science les légendes qualifiées de bêtes superstitions, les fantasiques de la Raison ont oublié cette deuxième face de l’être humain, l’imaginaire. Frants-E. Petiteau est de ces hommes qui contribuent à réhabiliter l’homme dans son entiereté.

  • La Grande Enquête féerique: les résultats !

    En mai dernier, le Peuple féerique vous a proposé de répondre à quelques questions. Un tout grand merci de votre participation ! Vous avez été 218 à répondre aux questions. Voici donc les résultats…

    1. Croyez-vous en l’existence réelle des fées et lutins ?

    OUI : 84 %
    NON : 16 %

    2. Croire aux fées, pour vous, c’est :

    En premier lieu, cela ressort du rêve, de l’imaginaire, de la magie. On y décèle donc une opposition à la réalité, au rationnel.
    La réponse citée le plus souvent venant ensuite est la « beauté » en opposition avec la dure réalité, la laideur du monde. On est dans un registre d’espoir.
    Viennent ensuite la « nature » (dans le sens d’un retour à la nature), l’« enfance » (naïveté, état paisible de l’enfance) et enfin, vient l’idée d’un monde parallèle, d’autres êtres, monde invisible…

    3. Depuis quand vous intéressez-vous à la féerie ?

    Moins de 25% des personnes interrogées disent que c’est plus ou moins récent, les autres répondent depuis toujours ou depuis leur enfance.

    4. Trouvez-vous que la féerie est revenue depuis peu à la mode? Si c’est le cas, quelles en sont les raisons ?
    OUI : 52%
    Non : 15%
    Ne se prononce pas : 33%

    Première raison, les oeuvres de fiction, Seigneur des anneaux principalement, Harry Potter ensuite, que ce soit au cinéma ou en littérature.

    La deuxième raison qui talonne de très près la première est une réaction à la modernité, un besoin de respirer, de croire (faillite des religions traditionnelles).

    Très loin derrière avec seulement chacun 2 réponses : l’écologie et la présence de boutiques féeriques.

    5. Citez trois livres indispensables sur la féerie

    Les grands gagnants sont : Ouvrages d’Edouard Brasey (34); Romans de Tolkien (23); Livres illustrés de Brian Froud (22); Ouvrages de Pierre Dubois (19); Livres illustrés de Jean-Babptiste Monge (11); Peter Pan (9); Livres illustrés de Sandrine Gestin (8); Romans de Fetjaine (6); Romans Marion Zimmer Bradley (6); Livres illustrés d’Amandine Labarre (5); Contes de grimm (5); Livre illustré Songes d’une nuit de fées : (5); Histoire de fées de Doreen Virtue (4); Bible des fées de Teresa Moorey (3); Livres illustrés d’Olivier Ledroit : (3); Romans jeunesse Artemis Fowl (3); Livres illustrés Moguerou (3); Roman Faerie de Feist (2); Ouvrages de Katherine Briggs (2); Encyclopédie des elfes d’Edouard Kloczko (2); Fairy Tradition in Britain de Lewis Spence (1); Marie-Charlotte delmas : (1)

    6. Vos parents vous parlaient-ils des fées? Si OUI, à quelle(s) occasion(s) ?
    Lorsqu’on répondait oui, c’était principalement dans les contes et histoires contées tous petits. Une toute petite minorité par la croyance des parents ou grand-parents. La croyance la plus répandue est celle de la fée des dents (petite souris).

    7. La féerie, vous la retrouvez principalement (plusieurs réponses possibles)
    sur Internet : 55%
    dans les livres illustrés : 65%
    dans les romans de fantasy : 58%
    dans les images, photos, peintures… : 67%
    dans la nature et les jardins : 75%

    8. Choisissez un terme que vous trouvez très proche de féerie dans la liste suivante :
    écologie : 0%
    nature : 77%
    croyance : 17%
    fiction : 6%

    9. Quelle est votre créature féerique préférée et pourquoi ?
    Les grandes gagnantes sont les Fées, suivies des Elfes, des Lutins et des Dragons.

  • Interview de Corinne Duchêne, conteuse et elficologue

    Vous l’avez peut-être déjà croisée, sa vielle à roue à la main, lors d’un festival ou d’une soirée médiévale? Corinne Duchêne est elficologue, amie des fées et conteuse professionnelle. De quoi intéresser le Peuple féerique qui n’ pu s’empêcher d’en apprendre davantage…


    A quand remonte ce goût pour les légendes et la féerie ?
    J’avais 3 ou 4 ans à l’époque où mon grand-père, coureur des bois solognot et bon conteur, m’emmenait, les soirs d’été, voir les fées qui venaient se baigner dans une source située dans un terrain en friche. Nous nous mettions à plat ventre dans les hautes herbes pour les regarder sans nous faire remarquer. Je resterai persuadée qu’il les voyait autant que moi. Il est parti trop tôt pour que nous puissions avoir une discussion d’adulte à ce sujet.

    Qu’est ce qui pousse une responsable qualité dans l’automobile à vouloir vivre et faire vivre le monde des légendes, à abandonner le monde de l’industrie pour celui des fées ?
    La fée qui s’était penchée sur mon berceau avait dit que je ferai briller les yeux des gens assemblés autour de moi. A 15 ans, je voulais faire de l’art thérapie avec des enfants et adolescents en difficulté. A l’époque, le conseiller en orientation m’avait regardé avec des yeux ronds. Je venais d’un milieu pas très riche alors on m’a dirigée vers une valeur sûre, un bac technique chimie. J’avais simplement 20 ans d’avance sur mon époque.
    Consciente que le conte était peut-être l’ultime patrimoine à sauver, j’ai entrepris, dès 1990, des recherches sur les origines des contes de ma région et restauré des récits entendus dans mon enfance. J’ai aussi un parcours personnel riche autant qu’atypique et j’ai eu la chance de rencontrer de grands maîtres sur le chemin de ma quête.
    En 2004, j’étais déjà conteuse professionnelle depuis 9 ans et je menais difficilement les deux carrières ensembles. Comme la vie est bien faite, on a posté la lettre m’annonçant mon licenciement le jour où mon premier livre (Contes et légendes du Berry – aux sources des traditions orales) sortait des presses pour mon éditeur. Je me suis simplement consacrée à ma passion et suis devenue intermittente du spectacle.

    Vous vous déclarez « elficologue », un terme inventé par Pierre Dubois. Que représente la féerie pour vous ?
    Ce terme que Pierre Dubois a inventé représente bien sa passion et l’énorme travail qu’il a pu faire en la matière. Je pense être de la même veine. Nous avons un maître et ami commun : le grand Claude Seignolle.
    Pour moi, la féerie puise ses sources dans les mythologies des peuples antiques et sûrement protohistoriques. En vieille intégriste, je suis allergique à cette mode des oreilles en latex et des délires elfiques. Ceux qui fréquentent le Petit Peuple me comprendront… J’ai dévoré les romans du visionnaire Tolkien à l’adolescence, mais ça ne m’a pas emmené vers des délires.
    La féerie représente pour moi tout ce qu’on interdisait de croire à un enfant né dans la deuxième moitié du 20e siècle. J’ai eu la chance d’être élevée autrement, auprès d’une maman non-voyante qui m’a enseigné le pouvoir du Verbe, au contact de la nature et de la culture rurale grâce à mon grand-père. Je me suis peut-être construite différemment.

    Vous avez suivi une formation de conteur et êtes une conteuse professionnelle aujourd’hui. Le conte et la féerie sont deux univers très proches ?
    Peut-être pour certains conteurs, mais c’est loin d’être une majorité et c’est très bien comme ça.
    Les contes merveilleux représentent une bonne partie des contes contés actuellement.
    Quand j’ai commencé à me former au Centre de Littérature Orale de Vendôme, mes propos sur les fées me faisaient passer pour une illuminée. C’était pour moi un compliment, car l’illuminé est celui qui a été touché par la lumière.
    Le Fada était, en langue d’Oc au Moyen Age, le fou habité par une Fade (fée) et elle pouvait prophétiser par sa bouche. Laissons le conteur être un peu fada.

    Les festivals et soirées de contes connaissent depuis quelques années un large succès. Comment expliquez-vous ce regain pour la transmission orale dans une société de l’écrit ?
    C’est ce qu’on appelle le « renouveau du conte ».
    Peut-être, pour les personnes qui vont voir des conteurs « traditionnels », le plaisir de découvrir ou de retrouver des choses qui font partie de notre patrimoine commun, faire goûter ce plaisir à leur enfants, ou le bonheur simplement d’un moment partagé de convivialité…
    Pour ceux qui vont écouter des contes étrangers, une recherche d’exotisme ou de sagesse et d’enseignement qu’ils ne pensent pas trouver dans leur propre patrimoine oral (qu’ils méconnaissent souvent)…
    Pour d’autres, une mode branchée…
    Pour ceux qui vont voir la nouvelle lignée de conteurs qui arpentent la scène, avec des récits de vie souvent écrits pour eux par des auteurs, une mise en scène superbe et efficace, des effets… on est loin de la transmission orale et plus proche du théâtre. Je trouve ce travail artistique intéressant et parfois remarquable, mais ce n’est pas ce que je recherche quand je vais écouter (et non voir) un conteur.
    Les enseignants, les animateurs pour enfants, les centres d’accueil pour handicapés sont entrain de redécouvrir le bonheur que peut apporter le conte, et c’est très bien.

    Le conte n’a jamais totalement disparu puisque tous les petits enfants le vivent qu’il soit lu ou simplement inventé par leurs parents. Mais de plus en plus d’adultes se tournent vers les contes.
    Une façon de s’accrocher à leur propre enfance ? Ou le besoin de vivre un temps « sans temps » ?
    Détrompez-vous : Bon nombre d’enfants grandissent dans un désert culturel et émotionnel où il n’y a pas trace d’imaginaire. Vous en connaissez beaucoup, des parents qui lisent et inventent des contes pour leurs enfants ? Au mieux, ils saturent leurs gamins d’activités sans les laisser souffler. Le pire, ce sont les nouveaux grands-parents qui pensent être branchés en faisant des activités sportives avec leurs petits. Pas un moment à partager concernant l’imaginaire. Laissez-leur du temps pour rêver !
    Je rencontre aussi des enfants dont les parents sont tellement attentifs à leur remplir la tête qu’ils ont un imaginaire « préfabriqué ». Leur propre imaginaire asphyxié peine à se développer.
    Si autant d’adultes se tournent aujourd’hui vers le conte, c’est peut-être parce que le 20e s., qui voulait sortir de l’obscurantisme de la culture paysanne, n’a pas voulu de ces croyances qu’il considérait d’un autre âge. Les gens qui viennent au conte ressentent inconsciemment qu’ils en ont besoin à tout âge pour se construire, tout simplement.
    Il ne faut pas être nostalgique : la nostalgie tue le présent et n’ouvre pas les portes de l’avenir. Le conte a été un siècle en « dormition », comme le Roi Arthur dans l’Île d’Avalon. Le voilà de retour car il est notre compagnon sur le chemin de la vie.

    Vous évoquez beaucoup la « mythologie française ». Quelle est-elle ?
    Elle est si vaste, aussi riche que le patrimoine de chaque région. Rien que dans ma région, je peux vous citer les personnages les plus connus : Gargantua, la vaste famille des fées de langue d’Oc et de langue d’Oïl (Martes ou Marses, Fades ou Fadées, Folles ou Fées, Dame-Blanches ou Demoiselles, Fileuses ou Bonnes-Dames, Dryades et Amadryades, Ondines et Naïades…), les Fadets ou Sylvains, les Laveuses de Nuit, la Grand’bête, la Levrette, le Loup-brou, la Cocadrille, les Lupeux et Birettes, la Chasse à Baudet ou Chasse-maligne, les Follets et Flambettes, sans oublier Gorgeon (le Diable). On pourrait y passer la nuit…

    Vous pratiquez de nombreux spectacles dans des manifestations médiévales. Là aussi, c’est un phénomène assez récent et très populaire. Etait-ce la plus belle période des contes, le Moyen-âge ?
    Je ne pratique pas l’animation médiévale mais le spectacle de rue, une évocation historique et festive, uniquement sur des sites et des fêtes de qualité. Mon intérêt pour cette époque date d’avant la mode.
    L’époque qui m’intéresse est cette renaissance médiévale qui se situe du 11e au 13e s., ces échanges et ces brassages de cultures, l’art des troubadours et trouvères, la rencontre entre la féerie de l’Orient et les croyances païennes de l’Occident Celte qui fit naître le conte merveilleux, la séduction d’une époque où l’imaginaire n’avait aucune limite…
    Le mot « récité » que vous employé pour l’époque peut être juste à cette époque. Dans les différentes formes du conte au Moyen Age, on trouve :
    – le texte hagiographique (récit de la vie et du martyre des saints ou des miracles de la Vierge Marie, souvent inspiré de mythes ou de contes universellement répandus en Orient comme en Occident)
    – l’exemplum (permettant d’appuyer par des exemples les règles de la religion à respecter)
    – le recueil édifiant (qui porte à la vertu par exemple et sert à instruire les jeunes gens)
    – la chronique (récit retraçant les aventures de rois et de reines devenus mythiques, leurs faits extraordinaires ou prodigieux, en les encrant par des faits historique précis)
    – la novella (ancêtre de la nouvelle, récit plus court que le roman, qui introduit parfois dans le domaine du merveilleux, les valeurs chevaleresques…)
    – la chanson de geste (puissants récits narrant avec force les guerres et la geste noble et fière des héros)
    Le plus intéressant pour moi est le lai féerique, à l’origine une composition musicale chantée et accompagnée à la harpe ou à la rote, qui relate une aventure, un évènement souvent merveilleux. A la fin du 12e s. le texte va se détacher de la partition musicale pour donner un genre narratif, un court poème relatant une aventure, un évènement extraordinaire. Ces lais parlent d’un monde de sortilèges, où les êtres et les choses sont libérés des lois naturelles. Les personnages sont féeriques, surnaturels, et les animaux fabuleux. C’est l’ancêtre du conte merveilleux.
    Ce qui m’a toujours surprise, c’est la tolérance et la souplesse dont a fait preuve le Moyen Age chrétien à l’endroit de thèmes merveilleux, malaisément conciliables avec le strict respect de l’enseignement religieux. La matière traditionnelle du conte merveilleux est pourtant utilisée, au hasard des services qu’elle peut rendre au texte religieux ou profane qui lui offre un point d’encrage. Bien que ce genre ait existé par transmission orale depuis l’aube des temps, il faudra attendre le 16e s. pour que des clercs puisent dans cette riche matière médiévale pour écrire les premiers recueils de Contes Merveilleux. Sous le règne de François 1er, des humanistes vont y contribuer comme François Rabelais avec son Pantagruel et son Gargantua. C’est cette matière, issue de l’Occident comme de l’Orient, de l’Antiquité comme du Moyen Age, que les folkloristes du 19e s. vont recueillir dans la tradition orale.

    Voyez-vous une différence entre un même conte récité à l’époque et maintenant ?
    Les contes du Moyen Age seraient imbuvables tels quels pour un public d’aujourd’hui. Les textes mémorisés et contés (et non récités) doivent être remaniés, mais avec le soucis de respecter l’esprit du texte d’origine. Un détail souvent incompréhensible au 21e s. peut avoir de l’importance ou peut être parfois supprimé. Le tout est de bien maîtriser le thème et de garder l’essence du conte.
    Nous sommes bien loin d’avoir l’esprit superstitieux et impressionnable des hommes du Moyen Age.

    Vous donnez également des formations. Qu’est-ce qui pousse les gens à vouloir eux-mêmes devenir conteurs ?
    La quête de quelque chose, des autres ou de soi-même, je pense. Il faudrait le demander à chacun…
    Je ne forme pas que des gens qui veulent devenir conteurs. J’ai dans mon atelier conte à Déols (près de Châteauroux), des parents ou grands-parents voulant créer un lien d’intimité autour du conte avec leurs enfants, et des personnes curieuses désirant vivre harmonieusement leur rencontre avec le Conte. J’y enseigne surtout le plaisir de conter, à être honnête avec sa fonction de conteur et à prendre conscience du pouvoir des mots.
    Bien des chemins mènent au conte. Pour moi conter, ce n’est pas dire des mots les uns derrière les autres : c’est faire don d’images très personnelles à des auditeurs, connus ou inconnus, en situation d’ouverture. Ce n’est pas raconter des histoires anodines : c’est transmettre des thèmes qui viennent parfois de la nuit des temps et qui répondent à l’attente inconsciente d’un public. Ce n’est pas faire sa propre psychanalyse devant un groupe : c’est prendre du plaisir à la saveur d’une histoire et communiquer ce plaisir à ceux qui l’écoute. Mais il faut pour cela que le conteur ait réglé ses comptes avec lui-même et avec les personnages du conte qu’il a choisi de transmettre. Il faut aussi qu’il trouve l’indéfinissable harmonie, qui le relie aussi bien à son récit qu’à son public, pour que la magie du conte opère.
    Le conteur est pour moi un passeur.

    Pour revenir à la féerie. Trouvez-vous que c’est un thème qui revient à la mode ?
    A mon goût, un peu trop et n’importe comment… au risque de passer complètement à côté et c’est bien dommage. On tombe dans le domaine du paraître alors que tout est dans le vécu et le ressenti.

    Quelle est votre créature féerique préférée et pourquoi ?
    Pour les animaux : la licorne car c’est un symbole universel d’initiation, de pureté et de grâce. On la retrouve représentée jusque dans la grotte de Lascaux.
    Pour les personnages : la dryade, cette fée qui habite les chênes, parce que dans les contes merveilleux elle protège les enfants. Et ne suis-je pas la petite-fille du chêne ?

    Votre actualité ?
    Un nouveau spectacle « Métamorphoses », avec la complicité d’Alexis Vacher à la vielle à roue électroacoustique. Un spectacle troublant où voix et vielle deviennent conteuses pour évoquer la quête de l’Amour il y a 2000 ans. Mêlant les légendes de l’Antiquité aux musiques inspirées d’Orient, nous invitons à un voyage dans la mythologie gréco-latine. Aèdes du 21e siècle, nous avons choisi de faire revivre de beaux contes, dits à la manière du poète latin Ovide, qui séduiront petites et grandes oreilles.
    A découvrir ICI

    Et un calendrier pas mal chargé à consulter sur mon site www.corinne-duchene.com

    Un nouveau livre de contes (normalement pour 2010) sur les personnages féeriques de ma région justement. Un gros chapitre sur le sujet figure déjà dans mon premier livre (à découvrir et à commander sur mon site Internet).

    Propos recueilis par le Peuple féerique en juin 2009

  • Interview de Béatrice Bottet

    Béatrice Bottet est une spécialiste du fantastique et de l’ésotérisme, auteure d’une vingtaine d’ouvrages, elle a notamment signé la série Le Grimoire au rubis, l’encyclopédie du fantastique et de l’étrange, Sirènes et autres dames des eaux, Fées et autres dames extraordinaires, etc. Ouvrages parus aux éditions Casterman. Le Peuple féerique l’a rencontrée pour un petit échange à propos des fées…

    Dans le tome consacré aux fées de la Bibliothèque fantastique parue chez Casterman, vous distinguez quatre catégories de fées dont les fées emblèmes. Pouvez-vous nous les présenter ?

    Il y a énormément de genres de fées et il est vraiment difficile de les classer. Néanmoins, tentons l’opération, dans les grandes lignes :

    – Les fées dites “vertes” peuplent la nature, quand elle n’est pas trop polluée. Ce sont de petits êtres enjoués et dynamiques qui accomplissent les phénomènes naturels (ouverture des fleurs au printemps, par exemple) et passent une partie de leur temps à activer le monde en dansant. Ce sont leurs traces que l’on voit quand il y a dans l’herbe des ronds de champignons, lesquels sont les sièges sur lesquels elles s’asseyent quand elles reprennent souffle, si elles sont fatiguées de danser.

    Les fées vertes sont rapides, lumineuses, évanescentes et ne frôlent qu’à peine le monde des humains. La fée Clochette de Peter Pan appartiendrait assez à cette catégorie.

    On les trouve en forêt, dans les jardins, près des sources et des fontaines, dans les arbres creux… Elles se réveillent au printemps et cessent leurs activités quand revient le froid.

    – Les fées marraines se trouvent volontiers au détour des grands contes. Ce sont des femmes majestueuses, richement vêtues, et qui dotent de dons les enfants royaux, quand elles sont invitées aux réjouissances du baptême. Elles sont protectrices, bienveillantes, parfois autoritaires, toujours de bon conseil. Elles protègent d’une façon plus attentive encore les enfants nés un dimanche.

    – Certaines fées, un peu campagnardes, sont plus évoluées que les petites fées vertes et participent assez volontiers aux activités humaines. Ce sont elles qui, discrètement, aident les femmes dans toutes leurs tâches, en particulier lors des accouchements et dans toutes les activités maternelles. Ces fées comblent de bienfaits ceux qui leur veulent du bien. Presque toutes cherchent à acquérir une âme, quand bien même ce serait au détriment de leurs prérogatives féeriques. Pour cela, une seule solution : le mariage. Hélas, les mariages entre un homme et une fée sont rarement couronnés de succès, car si le mari ne respecte pas suffisamment sa fée-épouse et transgresse telle directive qu’elle lui a imposée, elle disparaît à tout jamais, le laissant inconsolable.

    – Les fées emblèmes ne se rencontrent, à vrai dire, qu’assez rarement. Ce sont des fées qui sont à l’origine de familles nobles, qui vénèrent leur souvenir légendaire et les mettent dans leurs armoiries. La plus célèbre est Mélusine, à l’origine de la maison de Lusignan, dont le mariage avec Raymondin fut interrompu, après une longue vie conjugale couronnée par dix enfants, parce que Raymondin avait passé outre à ses instructions : ne pas la regarder quand elle était au bain, le samedi. Mélusine se transformait alors en femme-serpent. Quand Raymondin la surprit, Mélusine s’envola, fit trois tours au-dessus du château et disparut…

    Toutes les fées ont en commun quelques caractéristiques :

    – elles ne vieillissent pas, ou alors seulement par choix ;

    – elles ne meurent pas, mais perdent peu à peu de leur substance, devenant de plus en plus diaphanes, au point de finir par disparaître ;

    – elles ont une très longue vie, certains pensent qu’elles atteignent trois cents ans et plus ;

    – elles sont bienveillantes à tous ceux qui leur veulent du bien et les respectent, les comblent d’or, de bienfaits, de dons ;

    – elles sont susceptibles et irascibles : il ne faut pas les mettre en colère ni leur déplaire. Leur rancune peut être terrible ;

    – elles cherchent à acquérir une âme, car comme tous les êtres du Petit Peuple, elles n’en possèdent pas.

    Vous opposez souvent en ces pages les fées à la pollution…

    Bien sûr. Les fées sont des esprits de la nature, en particulier de la nature sauvage, brute, dans toute sa beauté et toute sa violence. Que la nature disparaisse et le monde féerique disparaît également. A-t-on jamais vu une fée dans une banlieue lugubre, dans une décharge, dans un parking ? Les fées, droites, pures, gaies et proprettes, vite dégoûtées par la vulgarité et la saleté, s’éloignent irrémédiablement des lieux pollués ou sinistres.

    Lors d’un débat sur le réenchantement du monde, vous avez d’ailleurs souligné que ce ne serait pas les différents mouvements écologiques qui changeraient profondément nos comportements mais bien les fées…

    En travaillant sur les fées, je me suis sentie plus sensible à toutes les manifestations de la vie, en particulier de la vie végétale. Voyez-vous, moi qui suis pourtant née dans le béton parisien, je possède un jardin. Je peux vous assurer que depuis que j’ai enquêté sur l’imaginaire féerique qui a imprégné notre civilisation depuis deux mille ans et plus, j’ai mieux compris comment ces croyances avaient pu s’installer dans nos esprits. Voir la nature à l’œuvre, en particulier lors de l’explosion végétale du printemps, est à la fois magique, merveilleux et poétique. Mon regard sur la nature a changé, en parallèle avec ce travail sur les fées. Comment ne pas penser à ces petits êtres qui, dès que vous avez le dos tourné, s’activent à ouvrir les fleurs, à lisser les pétales, à réveiller les papillons et les abeilles ? Comment ne pas ressentir d’étranges présences dans les forêts profondes, sur les rochers, la mousse, au bord des ruisseaux ? Je crois que la civilisation urbaine a perdu une certaine qualité de regard émerveillé et naïf, et travailler sur ces sujets me l’a fait redécouvrir. Et si je me sens un peu plus écolo, c’est moins parce qu’on me fait sentir à coups de statistiques, d’alertes, d’objurgations et d’impératifs qu’il faut respecter la nature, mais c’est parce que depuis mes travaux, je la vois avec un œil très différent. Je me sens davantage en synergie avec la terre.

    Dans le livre, vous prétendez que la fin des fées correspond à la Révolution de 1789, lors du débat, vous parliez de la période d’après-guerre. En quoi ces deux périodes ont-elles combattues les fées ? Et peut-on dire que cela est plus le cas en France qu’en Angleterre par exemple ?

    Le XVIIIe siècle, en se tournant résolument vers la philosophie, la raison et le modernisme, amorce, me semble-t-il, un premier tournant. La chasse aux sorcières est à peu près terminée (la dernière sorcière a été condamnée au milieu du XVIIIe). La philosophie des Lumières, qui s’intitule elle-même “éclairée” (par la raison et la pure pensée) rejette les antiques croyances, et même les traite de haut. Certes, dans les campagnes, on n’abandonnera pas de sitôt les croyances et les superstitions, mais le mouvement a démarré. Les lettrés n’ont que mépris cinglant pour les pauvres retardés qui persistent à penser que leurs fontaines sont magiques ou que dans leur forêt vivent des elfes et des fées.

    La Révolution vient en coup de tonnerre confirmer le changement radical de mentalité.

    Néanmoins, malgré l’ironie des esprits forts, le fantastique n’a pas tout à fait abandonné le terrain. Il faudra encore un siècle et demi. Je pense que peu à peu, après la Seconde guerre mondiale, une nouvelle étape est franchie. Le fantastique n’a quasiment plus droit de cité dans un monde (occidental s’entend) qui se modernise à grande vitesse, qui se veut carré, sérieux, technique pour ne pas dire technologique, scientifiquement organisé, ou doit être démontrable, prouvable. C’est le sens du progrès. Le fantastique n’y a évidemment pas sa place. La littérature de l’imaginaire (car on ne peut se passer d’imaginaire, bien sûr) devient elle aussi carrée, technique, scientifique, et ce sera la grande époque de la science-fiction, qui semble mieux adaptée aux mentalités du temps.

    Mais chassez le fantastique à votre porte, il rentre par la fenêtre… Quand J.K.Rowling invente Harry Potter et introduit dans ses romans tous les grands thèmes du fantastique occidental, c’est un raz de marée, et elle ouvre une brêche dans laquelle s’engouffrent bien des auteurs. A mon avis non pas parce que c’est à la mode et que ça se vent, mais aussi parce que lecteurs et auteurs attendaient ce moment. Ils étaient frustrés de cette dimension, ils peuvent enfin se laisser aller à leur pente naturelle. A une des pentes naturelles de l’esprit humain. A quoi bon se priver de cette dimension de nous-mêmes ? Nous mutiler des richesses de notre imaginaire ? Je crois que nous attendions tous plus ou moins cela. Nous les amateurs de fantastique, s’entend. Ou la partie de nous-même qui l’est. Car je vous assure qu’à part cet intérêt pour nos traditions, croyances et légendes, je suis une personne tout à fait ordinaire et rationnelle !

    L’Angleterre, bien qu’elle ait amorcé la révolution industrielle et se soit montrée plus inhumaine que bien d’autres pays quant à ses colonies, ses ouvriers, ses prolétaires et ses enfants, l’Angleterre, longtemps pétrie dans l’ambiance corsetée de l’époque victorienne et la morgue insupportable, est pourtant une terre de fées. Comment cela est-il possible ? Parce qu’elle n’a connu ni la Révolution, ni la guerre sur son territoire ? Peut-être. Parce que c’est une terre de riants paysages et de jardins ? Peut-être. Parce que l’imaginaire celtique l’a plus imprégnée que sur le continent (sauf en Bretagne) ? Peut-être. Je n’ai pas de réponse. On ne peut que constater la réalité.

    Vers la fin du XIXe siècle ou le début du XXe, Arthur Conan Doyle (oui, le créateur de Sherlock Holmes) lança dans un journal une enquête sur l’existence des fées. Il reçut quantité de réponses de témoins oculaires lui assurant que les fées existaient bel et bien. Et pendant la guerre de 14-18, deux petites filles s’employèrent à photographier des fées. Ce n’étaient que des montages, mais il y eut une énorme polémique : pour ou contre l’authenticité de ces photographies ?

    On voit bien à ces exemples très proches que certains Anglais sont encore totalement convaincus, et avec flamme, de l’existence des fées sur leur territoire.

    Vous écrivez « Les fées protégent plus volontiers les femmes que les hommes ». Pourquoi ?

    Pendant des siècles, la vie de tous était difficile, mais celle des femmes plus encore que celle des hommes. Un coup de main extérieur n’était alors pas à négliger, pour toutes ces occupations, activités et étapes de la vie typiquement féminines, à commencer par la maternité. De plus, les femmes avaient la réputation (forgée de toutes pièces par ces messieurs, mais ceci est une autre histoire) d’être plus imaginatives, moins rationnelles, plus sensibles aux superstitions et, disons-le, à une sorte de bêtise.

    Dans la vie difficile des femmes, sentir qu’une aide occulte pouvait vous être apportée les aidait probablement, psychologiquement.

    Et puis, les fées agissaient par solidarité féminine, tout simplement.

    Les fées marraines le sont généralement de petites filles, dans les contes. Les bonnes ménagères seront qualifiées de fées du logis. Les fées, invisibles et efficaces, aident la femme à concevoir, surveillent la grossesse, participent à l’accouchement et veillent sur les enfants.

    Quel est le lien unissant les fontaines aux fées ?

    Les fées qui hantent et protègent les fontaines sont les descendantes des antiques nymphes, semble-t-il. Cela nous remet en perspective avec la question précédente. L’eau est, selon la vieille tradition, un élément féminin (l’eau et la terre sont féminines, le feu et l’air masculins, et pas seulement grammaticalement). Ce sont les femmes qui vont la puiser. C’est là qu’elle rencontreront donc les fées qui garantissent la pureté de l’onde, entre autres. A noter : il est des contes dans lesquels l’héroïne, en allant chercher de l’eau au puits, tombe au fond et pénètre ainsi dans l’Autre Monde, où elle rencontrera des êtres féeriques. Lisez à ce propos le conte des frères Grimm “Dame Holle”.

    Les Dames, Bonnes Dames désignent les fées. Il en résulte que tous les lieux comportant « Dames » sont à attribuer aux fées ?

    Oui, il semble bien que les Roche aux Dames, Chemin des Dames, Bois des Dames, Pont aux Dames et ainsi de suite fassent référence à des lieux habités par les fées.

    Et cette tradition où les taupes sont des fées punies par Dieu contre lequel elles s’étaient révoltées, d’où vient-elle ?

    Je l’ignore, je me rappelle l’avoir lu dans un de ces innombrables ouvrages qui recensent les façons dont les fées ont croisé notre route. Mais vous voyez bien comme la taupe, lourde, aveugle, épaisse, grise, vivant sous terre, est l’antithèse de la fée. Peut-il être pour elles une punition plus cruelle que de ne plus voir le jour, ni voir tout court, de ne plus sautiller et danser, de ne plus être vive, avec de longs cheveux blonds et des robes légères et diaphanes ?

    Comment vous êtes-vous documentée pour ce tome consacré aux fées…

    Il y a beaucoup d’ouvrages qui évoquent nos anciennes croyances et je dois dire que j’ai pioché un peu ici et là. Les grands contes sont là pour nous dire, sous une forme particulièrement stable, une partie de ces croyances anciennes. J’aime beaucoup les contes de Grimm, bien plus que ceux de Perrault, très marqués par le genre classique. Les contes des frères Grimm, recueillis bien plus tardivement, ont pourtant un côté plus ancien, plus brut, plus authentique, pour tout dire. Perrault, comme madame d’Aulnoy, est plus précieux et plus moralisateur d’ailleurs.

    Mais il n’y a pas que les contes. Il y a le gigantesque ouvrage de Paul Sébillot, qui au début du XXe siècle compila toutes les légendes, les mythes et les croyances de France. Il y a les merveilleux ouvrages de Pierre Dubois, qui m’a ouvert de nombreuses perspectives, ceux de Jean Markale, de Claude Lecouteux, d’Edouard Brasey, les dictionnaires des superstitions, les dictionnaires des symboles, et aussi beaucoup d’ouvrages que j’achète ici ou là, parfois dans des brocantes.

    Quelquefois, une petite notation dans un ouvrage de voyage, du genre “Dans le château de NNN vivait un baron qui avait épousé une fée”.

    Je me suis toujours intéressée au fantastique, aux croyances, aux légendes, aux superstitions et aux mentalités, à la richesse de notre imaginaire, mais je reconnais bien volontiers que je ne suis pas une spécialiste, en tout cas pas une théoricienne ni une universitaire. Je suis plutôt une curieuse, j’adore lire ce qui concerne ces sujets. Ce qui reste dans ma mémoire ou mes notes et se retrouve dans mon travail, c’est cela que vous pouvez lire. Je rends grâce de tout cœur à ceux qui font un travail plus approfondi que le mien…

    Cette collection s’adresse aux adolescents. Quel a été l’argument de base pour sa création ?

    Il s’agissait de donner une information sur tous les grands sujets fantastiques, du genre “Tout ce que vous devez savoir sur tel ou tel grand sujet du fantastique est dans cet ouvrage”. C’est une collection de Casterman qui a vu le jour après le succès de l’Encyclopédie du fantastique et de l’étrange, toujours chez Casterman, que j’avais rédigée. Il y avait trois tomes et on peut actuellement trouver cette Encyclopédie en un seul volume sous le titre de l’Intégrale du fantastique et de l’étrange. Cela permettait de développer des sujets qui avaient dû être traités un peu rapidement dans l’Encyclopédie, sous une forme “vrai-faux documentaire”, presque scientifique, mais un peu décalé. De plus, les informations ne sont pas fantaisistes, elles sont de l’ordre de l’histoire des mentalités et des traditions séculaires, dans toute leur variété.

    La Bibliothèque du Fantastique comporte plus de tomes sur des êtres féeriques que sur des créatures véritablement liées au courant fantastique. L’ordre de parution correspond-il aux attentes du public aujourd’hui ? A ses premiers intérêts ? Connaissez vous le tome qui s’est le plus vendu ?

    Les ouvrages de cette collection correspondent beaucoup aux attentes des auteurs, qui sont intéressés par tel ou tel sujet ! C’est l’éditeur qui décide de lancer tel ou tel ouvrage, et qui choisit l’ordre de parution. Je crois que le tome le plus vendu est celui des Dragons, de mon collègue Jean-Luc Bizien.

    On voit beaucoup de livres sortir sur la féerie, des festivals naître un peu partout. Pensez-vous qu’il y ait réellement plus d’attraction pour la féerie ces dernières années qu’auparavant ? Si oui, quelle en est la cause ?

    Oui, le fantatique refait surface et intéresse tout le monde, si bien que les festivals fleurissent. Je pense que c’est dû en partie à ce vieux fonds qui depuis Rowling ne demande qu’à se réveiller, comme je l’ai dit précédemment. Peut-être y a-t-il aussi une attirance vers le fantastique, et surtout vers le côté magique, car ce serait si bien de pouvoir faire tous ces exploits sans effort ! Ce serait si bien si on pouvait vraiment devenir invisible, influer sur le réel, se déplacer dans l’espace et dans le temps d’une façon occulte ! Ce serait si bien si les grimoires donnaient la bonne solution ou la bonne recette à tous vos problèmes, tous vos désirs !

    Mais bien sûr, dans ce cas, c’est tout simplement par paresse d’affronter le vrai réel bien terre à terre !

    Revenons à l’attraction pour les fées, ou plutôt, ai-je envie de dire, pour le fantastique. La beauté, l’imaginaire, la résolution de tous vos problèmes, qui ne serait irrésistiblement attiré ?

    A titre personnel, je trouve que dans de nombreux cas, les festivals sont pleins d’excellentes surprises, et les livres sur ces sujets sont tout bonnement merveilleux.

    Quelle est votre créature féerique préférée et pourquoi ?

    Je ne suis pas sûre d’avoir une créature féerique préférée.

    S’il faut vraiment choisir, ce serait la Dame Holle des frères Grimm. C’est une fée plus toute jeune peut-être, mais si bonne. Quand elle secoue ses couettes, édredons et oreillers, il se met à neiger sur la terre. J’aime beaucoup cette image poétique.

    Mais ce n’est pas une réponse « sentimentale », et la question d’avoir une créature préférée me parle peu.

    Vous aurez peut-être compris que pour moi, il est davantage question de croyances et de traditions qui se sont forgées au fil des siècles, ont sédimenté dans nos imaginaires et continuent à vivre en nous, d’une façon quelquefois très lointaine, comme une vieille réminiscence. Ces croyances ont forgé nos mentalités, elles sont pour nous comme un terreau d’une richesse exceptionnelle. Nos traditions fantastiques nous ont laissé non seulement des croyances, mais aussi des livres, des contes, des œuvres d’art, des sculptures d’églises et de cathédrales, des chansons, des pièces de théâtre, des opéras. Leur trace est partout et si l’on est un peu curieux, on a vite fait de les débusquer, dans un nom de village, sur un chapiteau d’église. C’est cette richesse-là qui m’intéresse. Peut-être parce qu’elle est pittoresque, mais surtout, je crois, parce qu’elle est la preuve que l’esprit humain ne s’arrête pas aux simples contingences “raisonnables”, “rationnelles”, un peu trop technocratiques à mon goût.

    J’aime bien penser que la vie ordinaire peut parfois être frôlée par le fantastique, et voilà pourquoi j’écris aussi des romans où les personnages sont comme vous et moi (bien que les intrigues se situent dans le passé), mais bénéficient d’une aide “venue d’ailleurs”, venue des richesses des anciennes traditions. Ce qui n’empêche pas qu’ils doivent relever leurs manches et se colleter avec leurs problèmes.

    J’aimerais à cet égard vous signaler que viennent de paraître “Rue de la Mandragore” et “Le château de la Dame blanche”, chez Casterman. Dans ces romans, qui font partie de la série “Le Grimoire au rubis”, nous sommes au XIXe siècle et les héros voient leur vie bouleversée par la présence d’un grimoire écrit au Moyen Age. La série a connu une trilogie Moyen Age, une trilogie Renaissance, nous voici au Second Empire. J’ai beaucoup aimé écrire cette série. Elle représente justement ce que j’apprécie dans notre contact avec le fantastique : dans des vies ordinaires, l’intervention magique, quasiment féerique, qui permet aux héros d’avoir une autre vision du réel, plus riche et plus ouverte à la fois, pour avoir croisé la route de l’irrationnel…

    Propos recueillis par le Peuple féerique en juin 2009

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