Étiquette : elficologie

  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°9 et FIN

    La Grande Interview de l’Elficologue, suite et fin.

    interviewpierredubois

    Voici venu, déjà, le temps où la rencontre se termine. Après les dernières paroles de l’Elficologue, nous vous invitons à lire les anecdotes de ses filles… Quant à nous, nous ne pouvons que remercier Pierre du temps passé à échanger autour de ses précieux livres, objets, souvenirs. Le Peuple féerique ne pouvait mieux rêver comme place donnée à l’un des trois sorciers à l’origine de notre propre rêverie…

    Richard Ely : Pour la dernière partie de cette interview, je te propose de changer de lieu et après le jardin et la cheminée, de nous rendre dans ton magnifique grenier…

    Nous quittons l’ombre mystérieuse de cette grande cheminée de briques, témoin de tant de contes et d’histoires qui ont résonné en cette pièce pour gravir les marches d’un escalier, traverser nombre de pièces aux parois décorées de tableaux, d’affiches, de bibliothèques croulant sous des ouvrages murmurant le nom de créatures de toutes sortes. Petit coup d’œil à la plus petite pièce de la maison, le bureau de l’Elficologue où tout s’est écrit. Quelques marches de plus et nous voilà dans cet incroyable grenier, qui tient plus d’une salle au trésor que d’une pièce d’oubli. Ici, tout est vivant, on y capte des regards, curieux de notre intrusion, on y touche des souvenirs. Pierre s’assoit dans un fauteuil de bois sculpté, magnifique. Derrière lui, une bibliothèque digne des plus belles abbaye… Il prend un livre entre ses mains. Le regarde attentivement. Et dans cette pause qui précède ses prochaines paroles, on décèle une grande admiration…

    pierredubois0901

    Pierre Dubois : Alors par contre là, ici c’est, l’auteur qui n’a rien à voir avec le fantastique mais pourtant oui. C’est le Sage, le père noël, celui qui sait, le sachant, le grand-père qu’on rêve d’avoir, c’est Gaston Bachelard. Alors tous les Gaston Bachelard, j’ai vraiment, euh, j’ai… vraiment, évidemment il a écrit sur Lautréamont, aussi des bouquins un peu scientifiques mais ce que je trouve extraordinaire c’est les L’Eau et les rêves, La Terre et les rêveries de la volonté, la terre et les rêveries du repos, l’air et les songes, la psychanalyse du feu

    Richard Ely : Il y a une citation que tu répètes souvent de Bachelard…

    Pierre Dubois : Oui, c’est « les petits êtres fuyants et cachés oublient de fuir quand on les appelle par leur vrai nom », je ne sais plus duquel c’est issu (NDLR : La terre et les rêveries du repos). Mais ça, ça remonte à mon enfance, lorsque j’étais dans ma cuisine, mon arrière-cuisine et que brusquement, j’avais conscience des petits êtres, j’avais conscience qu’il y avait quelque chose d’autre, que j’étais pas seul, que la maison vivait, que le feu me parlait, que la pluie qui tombait sur les vitres me parlait. Quand tu sens ça quelquefois tu te sens très seul car t’as l’impression d’être un peu fou surtout que beaucoup te disent que t’es pas bien lorsque tu penses comme ça, tu te sens différent. Non seulement toi tu te sens différent mais ça ne te rassure pas parce que… si tu veux, étant différent, t’es rejeté, t’es vite moqué, donc t’oses pas dire ça, tu le dis à personne. Moi, il a fallu que je mette longtemps et j’ai lu Bachelard. J’ai découvert Bachelard tard et tout ce que je pressentais dans mon enfance, il le disait. Chaque fois que je lis Bachelard, j’ai une réponse à mes problèmes. C’est un peu comme une Bible, y en a qui lisent la Bible, ils tombent sur une, sur une page, ils ont une question, ils ouvrent le Livre et boum, ils y trouvent une réponse à leur problème.

    Richard Ely : Tu l’as rencontré Bachelard ?

    Pierre Dubois : Non, non, non, non… « Comment ne pas voir que la véritable filiation des images marche dans l’ordre inverse. C’est parce qu’il a la légèreté ailée qui pèse le monde. Volant, il dit à tous les êtres de la terre pourquoi ne voles tu pas ? Quel est donc le poids qui t’empêche de voler avec moi ? Qui t’oblige à rester inerte sur la terre ? Monte dans ma balance, je te dirais si à la rigueur tu peux être mon compagnon, mon disciple. Je serai ton avenir aérien… ». Voilà, à chaque fois, je trouve… Là, il parle des esprits élémentaires… « L’idée singulière que les esprits élémentaires qui vagabondent dans l’univers, qui vivent dans les matières, viennent se loger dans le corps des oiseaux, des poissons, des mammifères, selon la détermination de leur essence, ce sont eux qui agissent sur les esprits des animaux et font se mouvoir les animaux-machines, un sylphe rêveur se niche dans la machine d’un hibou, d’un chat-huant ou d’une chouette, et, au contraire, un sylphe de gaie humeur et qui aime à chanter la petite chanson s’insinue dans un rossignol, dans une fauvette ou dans un serin de canari ». T’as tout ça, si tu veux, l’idée fondamentale de vol avec le concept d’oiseau. C’est inépuisable, il y a toujours quelque chose… « Ecoutez, les esprits parlent, les liquides réponses de leur langue aérienne résonnent encore »… « Le silence de la nuit augmente la profondeur des cieux ». Tout est là. Il te raconte ce que tu pressens, ce que tu ressens profondément en toi et que tu n’arrives pas à exprimer et que tu as l’impression d’être seul à ressentir et lui vient te prendre par la main, tu prends telle page, tu vas trouver et c’est un livre… à l’école on devrait presque… On devrait lire des contes de fées et lire Bachelard à la place de l’instruction civique et s’arrêter sur… Il t’apprend à mieux vivre, à comprendre les choses à te comprendre toi, c’est un passeur, tout est beau. « la cosmogonie dont parle l’arbre donne une impression de noblesse ». Tu vois, je peux t’en trouver sans arrêt.

     

    Richard Ely : Et tu le lis comme ça ? En prenant une page au hasard ?

    Pierre Dubois : Je les ai lus et relus et puis après… Tu lis énormément, tu lis beaucoup, je lis aussi utile pour alimenter mes bouquins sur les fées, les lutins… Et là je vais repiocher dedans et je suis à nouveau attiré. Et y a Yeats aussi que j’aime beaucoup. Il a parlé du Petit Peuple d’Irlande d’une manière très simple alors que lui c’était un intellectuel même sophistiqué, il avait une pensée aigue et sophistiquée. Il a essayé de retrouver la manière dont les paysans irlandais parlaient des fées. C’est vrai que lorsqu’on parle des fées, etc., est-ce qu’on les a vues, pas vues… Lui, il parle de ceux qui les voyaient. Et qui les voyaient parce que c’était normal de les voir. Le paysan allait, partait conduire ses chèvres ou ses moutons et rencontrait une femme belle, haute et pâle, il savait que c’était une fée. Il pouvait rencontrer un leprechaun avec qui partager le tabac. Par contre, y avait des choses à ne pas faire, c’était God speed ye, bienvenue à toi… À partir de là tout est possible. Il a réussi, Yeats, à parler des fées absolument normalement. Tout à fait simplement. C’est extrêmement écrit, c’est faussement simple mais il est très fort c’est un peu comme Giono qui veut écrire à la façon d’un paysan pour approcher la nature, la mettre en scène. Regain ou surtout son chef d’œuvre Le roi sans divertissement, tu vois qu’il est malin, il reprend des mots simples pour les retransfigurer. Yeats le fait aussi. « Que peut-être la mort sinon le début de la sagesse, du pouvoir et de la beauté ? Et la folie peut-être une sorte de mort. A mon avis il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un grand nombre de gens voient « dans chaque foyer des fées ». Un fou avec un vase brillant plein de sortilèges, de sagesse ou de rêves trop puissants pour l’esprit des mortels ». Et alors y a ce poème que je trouve magnifique : « Cœur épuisé, en un temps épuisé, Défais-toi des rets du mal et du bien, Reprends, Cœur, tes rires dans le soir gris, Reprends Cœur tes soupirs dans la rosée de l’aube, Ta Mère Irlande est toujours jeune, Rosée toujours brillante et soir gris, Quoique l’espoir te fuit et que l’amour pourrisse, brulant dans les feux d’une langue calomnieuse, Viens cœur dans l’amoncellement des collines. C’est là que la fraternité mystique, le soleil et la lune, la vallée et le bois, le fleuve et le ruisseau exécutent sa volonté. Et Dieu se tient là seul et fait sonner son cor. Et le temps et le monde s’enfuient toujours mais l’amour a moins de bienfaits que le soir gris et l’espoir moins de prix que la rosée de l’aube ». C’est magnifique, quoi. Et là, pareil, quand j’ai trop écrit et que j’ai l’impression d’avoir écrit une ragougnasse, que je peine sur ma phrase. Je me nettoie la tête avec un peu de Yeats. Va boire à la fontaine pour voir comment il écrit. C’était au temps de l’âge d’or où les bêtes parlaient ou tout du moins où on les entendait.

    pierredubois0902

    Tu m’avais demandé des objets. Y a donc la canne. Y a la pipe. Alors c’est terrible car j’ai plus le droit de fumer. Bon, on n’a plus le droit de fumer dans les lieux publics, moi je veux bien mais bon par contre on peut écouter le résultat du foot à fond la caisse ! Si ça pollue pas la tête, ça ! Maintenant dans un pub tu as automatiquement un grand écran avec un groupe imbécile avec la casquette en coin. La pipe, c’était aussi ma compagne. Tu es tout seul à écrire, avec tes rêveries, et tes mots. Barry avait d’ailleurs écrit un bouquin sur la pipe. Je pense comme lui, tu as l’impression de puiser… La pipe t’aide quand j’écris, tu vois, j’ai toujours eu des pipes, les Peterson, une pipe qui est bien tu l’as pas dans les yeux, j’aime beaucoup sa forme, c’était une compagne, c’était mon aide, y a un lutin, un brownie caché dedans. Quand je commençais à écrire, je mettais du tabac sur le bureau. Stevenson disait que quand il manquait d’inspiration, il mettait quelques petits cadeaux sur sa table et le lendemain matin, le travail était fait. Moi, je partageais mon tabac avec l’esprit des lieux, l’esprit du bureau, de mon bureau, tu vois y a des petits elfes, etc. Et fumer la pipe, y avait des volutes, je me racontais des trucs, et maintenant je peux plus. De temps en temps, je remets la pipe sans l’allumer par habitude, pour sentir le goût. Et là, y a un autre objet, c’est la boîte de tabac, qui est superbe, une boîte de tabac anglaise. Quand tu penses que des artistes ont fait une si belle boite. Ils ont mis tant de temps à recréer l’esprit de Dickens. Là tu vois, ça s’appelle Daily mail, Scottish Mixture. Et tu as un paysage anglais avec au fond les collines, le château. Et puis le cocher avec son tricorne et les autres, Monsieur Pickwick et tous ses amis, le Pickwick club accroché au porte bagage avec leurs pipes et leurs chapeaux haute forme. Et dans quelques temps, enfin pareille boîte, ça n’existe plus. On t’aurait mis une image de cancer. On devrait alors en mettre aussi sur les tableaux de Louis Garneret sur les abordages, attention la guerre tue, sur leurs bêtes hideuses voitures, les voitures tuent. Parce que là, la société de la voiture design, quand je vois ces imbéciles qui tournent des heures et des heures, 24h du Mans et tout le truc et qu’on me dit que ça fait marcher l’industrie de la voiture ! Alors quoi, là ça faisait marcher l’industrie du tabac. On a plus de liberté. Tu vois, j’ai tout plein d’objets autour de moi. Alors la boîte de tabac, tu as l’image, toute l’Angleterre qui se déroule et puis tu as le tabac. Tu déplisses le papier, tu sens le tabac, tu bourres ta pipe et c’est magique. Les gars qui fument là, je fume avec eux et on se raconte des histoires. Quand j’écrivais le Capitaine Trèfle, ça me racontait quelque chose ! Donc j’adore ces boites là, j’adore les boîtes avec ces images. Là par exemple, une belle boîte de bière anglaise avec ce chasseur à cour. Dans les comptines assassines, tu as une scène de chasse, c’est ça ! C’est lui ! Je fais collection de boîtes de bière anglaise, j’en ai plein. Et puis on dessinait sur les boîtes. Maintenant on dessine plus, les couvertures de bouquins, c’est des photos. Folio, terminé. Avant, en radio, tu avais des pièces radiophoniques, ça faisait vivre des comédiens. Tu avais des comédiens qui vivaient de ça, ils avaient un rôle à jouer chaque jour. Maintenant, supprimés les comédiens ! Les speakers, terminé aussi ! Et les dessinateurs, les peintres qui faisaient des couvertures, des illustrés, ces boites peintes, les affiches, terminé ! Où sont les caricaturistes à la Savignac ? Les affichistes, c’était un art. Tu as l’impression que le monde artistique s’écroule. Si c’est pas conceptuel, si c’est pas le FRAC, le fascisme réglementé de l’art conceptuel, c’est anodin. Regarde, les buvards étaient dessinés, les protèges cahiers. Les images étaient partout. Alors on dit qu’on est dans le monde de l’image aujourd’hui, mais c’est l’image artificielle, recomposée, qui n’a pas d’âme. Une image fabriquée par des ordinateurs, c’est la palette graphique avec personne derrière. Là, si tu veux, tu avais de vrais dessinateurs, tu as Calvo qui en avait fait, Alain Saint-Ogan, plein, plein et maintenant, terminé. Où est la main de l’homme ? Où est l’imaginaire ? Le vrai, le stylo, le crayon. Je trouve aberrant que maintenant on met de suite les enfants à l’ordinateur avant de leur donner un stylo pour raconter, un crayon pour dessiner. Le fameux dessine-moi un mouton de Saint-Ex, ça va être quoi ? Plus capable de dessiner un mouton… Au clair de la lune mon ami Pierrot, prête-moi quoi ? Un clavier ?
    Je veux pas jouer les anti-progrès, c’est pas ça, c’est bien le progrès mais pas si c’est au détriment de l’art, des autres moyens d’expression. Ça amène une forme de paresse d’appuyer sur un bouton. Les effets spéciaux si ça aide à mieux rendre un univers, pourquoi pas mais quand ce n’est plus qu’effets spéciaux, alors, là non, je ne suis plus d’accord. Ça ne sert à rien. Si ça ne sert pas l’histoire, s’il n’y a pas une histoire derrière avec quelqu’un qui aime, bouge, souffre, ça restera superficiel. Tu vois le dernier pirate, là, avec Johnny Depp, c’est tiré d’un jeu ! Ça me fait penser à Sergio Leone qui n’a conservé que les caricatures, les stéréotypes. Du beurre avec du beurre, ça n’a jamais donné de fromage.

    Et c’est sur ces paroles, que j’ai quitté l’antre de l’elficologue, les mots se bousculant en mon esprit, ma mémoire visuelle a jamais remplie des merveilles qui se cachent entre les murs de cette vieille ferme décidément bien hantée…
    Pour prolonger le voyage, j’ai laissé la parole aux filles de Pierre, Charlotte et Capucine pour deux anecdotes reproduites ci-dessous…

    Richard Ely, des jours d’été 2010.

    pierredubois0903

    Souvenirs, souvenirs…

    « Enfant, mes vacances de Pâques rimaient avec Dartmoor et Devon et la cueillette des œufs se révélait à chaque fois pleine de découvertes. Certes, il m’arrivait de trouver des douceurs en chocolat durant mes pérégrinations dans les petits sentiers égarés anglais mais mon père (je l’ai su plus tard) me réservait bien d’autres surprises. Nous allions à la recherche des Pixies et il me demandait de leur déposer de petites offrandes ou des courriers entre deux rochers qui ressemblaient à s’y m’éprendre à des boites aux
    lettres de lutins. Il sollicitait ma sœur pour qu’elle confectionne des petits vêtements en feutrine. J’ai donc eu la chance incroyable de découvrir un petit bonnet orné de perles de toutes les couleurs, une veste brodée et un soulier égaré. Il m’avait aussi glissé une toute petite tabatière remplie de son fameux” Kentucky Bird” enivrant au creux d’un vieil arbre croulant. Etant tellement nourrie de croyance magique, à un âge où le rêve créateur est à portée de main, que par la force des choses, j’ai passé toute ma primaire à parler aux lutins à la récréation. » – Charlotte Dubois

    « J’ai passé toute mon adolescence avec mon père et j’ai eu la chance de partager avec lui des moments de complicité shopping. Eh oui, nous allions tous les deux chiner dans les friperies ou au “kilo shop” qui a à l’époque fourmillait de merveilles à dentelles noires, redingotes, chapeaux à voilettes , des manteaux “Beattles”, bottines de Mary Poppins et tout un tas de trouvailles qui me paraient à la manière de Lydia dans Beetlejuice… Que de bons souvenirs entre un père et sa fille avec un soupçon d’originalité en plus peut-être? » – Capucine Dubois

     

    << Précédent

  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°6

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (6)

    interviewpierredubois
    Dans cette nouvelle partie de la Grande Interview de l’Elficologue, nous retrouvons Pierre Dubois sur les bancs de son école d’Art non dénué de coquineries…
    Richard Ely : Tu as fait de la gravure ?
    Pierre Dubois : J’ai commencé en déco, plâtre puis en gravure. Parce que la gravure me permettait de raconter des histoires. Je dessinais à la plume, à l’encre. C’est pour ça que j’écris toujours à la main, je ne tape pas, moi j’écris à la main. J’écris presque comme je dessine et je dessine presque comme j’écris. Je me raconte des histoires en dessinant… J’étais pas un bon élève mais j’ai continué d’avancer dans ce que je voulais faire. Et ce Barriau l’avait bien compris. Un jour, il m’a demandé ce que je voulais qu’il m’apprenne. Je lui ai dit que je voulais apprendre à boire, parce qu’il buvait toujours du vin, et à « trouver le trou ». J’avais une petite amie plus âgée et j’étais empêtré… Je me débrouillais mal. Du coup, il m’enfermait avec cette jeune personne dans la réserve à plâtre pendant que les autres dessinaient. Pendant que les autres travaillaient, moi je m’escrimais à faire l’amour. C’est assez marrant qu’un prof te couvrait comme ça.
    Un jour, il m’a fait un tour. Disant qu’il n’avait pas la clé de la réserve à plâtre, il m’a proposé d’aller dans le bureau du directeur soi-disant absent. C’était Jules France. On a donc utilisé le bureau, la demoiselle avait ses pieds sur mes épaules et le directeur est arrivé. Et il a crié « Dubois, qu’est-ce tu fais là ? » Et comme j’avais un soulier tout près de moi je lui ai répondu : « Je lui remets son soulier ». Et il m’a dit de lui remettre son soulier huit jours dehors. J’ai donc été viré huit jours alors que finalement il aurait pu me virer. C’étaient les Beaux-Arts d’autrefois, y avait un esprit d’atelier. Ils m’avaient pris à la bonne finalement.
    Après les Beaux-Arts, j’ai donc fait ce service militaire puis rencontré Seignolle. Il ne m’a pas pris sous son aile. Je cherchais pas quelqu’un qui m’aide à trouver un éditeur mais il m’a écouté, a lu mes histoires, m’a présenté deux, trois gars, notamment la revue Vampirella, puis Eerie dans lesquelles il faisait des nouvelles que j’ai illustrées… Il faut reconnaître qu’il s’est toujours passé des trucs bizarres, c’est pour ça que je crois aux récits initiatiques des contes de fées car si tu suis ton chemin… Dans le Changeling par exemple, on dit toujours va où te conduisent tes pas. C’est un peu ça. Je vais pas te raconter toute ma vie, pas très drôle. Mais j’ai, à cause d’un tas de péripéties, de malheurs, de deuils, j’ai quitté Valenciennes, je suis parti. J’ai fait un tour de France, j’ai fais du collectage. Seignolle m’avait dit comment il avait fait du collectage chez les vieux, etc.
    pierredubois0601
    Richard Ely : C’est l’exemple de Seignolle qui t’a donné l’envie de faire pareil ? Mais au départ, c’était donc assez large, tu n’étais pas encore dans les fées et lutins…
    Pierre Dubois : Non, c’était le fantastique au sens large. Y avait des histoires de sorciers, meneurs de loups, fantômes, loups-garous mais bien entendu aussi de fées… J’étais très attiré par les histoires de fantômes d’autant que j’avais perdu quelqu’un de cher. La femme que je devais épouser a été tuée le jour de mon mariage dans un accident de voiture. Le jour du mariage en allant chercher sa robe de mariée, ça, ça te marque. J’avais besoin d’histoires, de savoir que la mort, la vie ne finissait pas. J’avais aussi fait un peu de protection de rapaces, j’habitais dans un petit village avec des oiseaux, des faucons et j’avais rencontré une jeune fille qui jouait joliment de la flûte, qui avait un côté fée sauvage, qui parlait aux oiseaux… J’ai commencé à faire du collectage et à écrire des histoires sur papier parchemin, illustré, tout à la plume d’oie.
    J’ai commencé à faire du collectage, à récupérer des histoires et à écrire des histoires. J’ai écris sur du papier parchemin illustré, écrit à la plume d’oie et j’ai essayé de trouver un éditeur et c’était Pauvert. J’ai décidé d’aller voir Pauvert. J’ai écris une histoire.. « Monsieur Pauvert, j’aimerais vous rencontrer pour écrire, vous lire une histoire »…
    Richard Ely : Et pourquoi Pauvert ?
    Pierre Dubois : Parce qu’à l’époque, y avait que lui et Losfeld pour éditer du fantastique, Sade, des bouquins bizarres, étranges. Losfeld faisait Midi Minuit fantastique. Pauvert avait sorti Alice au pays des merveilles avec des dessins de Tenniel, donc je me reconnaissais là-dedans. Evidemment il a du se dire : « qui est ce petit branleur qui veut me lire son histoire sur des dimensions de papier et deo gratias ». J’avais deux histoires. Et des nouvelles fantastiques. Comme il m’a répondu que « non, on ne donne pas de rendez-vous comme ça, envoyez nous votre manuscrit ». J’ai pris un carton à dessin, j’ai rassemblé du papier et j’ai dessiné un faux de son catalogue. Il avait un catalogue bien particulier en hauteur comme ça avec marqué Jean-Jacques Pauvert. Moi j’ai marqué Pierre Dubois et j’ai fait une espèce de fac-similé, une copie de son truc avec des gravures où je citais mon bouquin de 325 pages un truc comme ça. Autre ouvrage probable, beau carton toilé avec trois ficelles une au-dessus, une au milieu. Tu vois, je me fichais de sa gueule en même temps et finalement ça l’a amusé et il m’a donné rendez-vous. Et je lui ai amené mon bouquin qui était un grimoire en parchemin, avec des signets, des feuilles d’arbre dedans, des bouts de racine, de la mousse, des plumes. Il m’a demandé ce que c’était, s’il pouvait le garder. Moi j’ai refusé, mais je lui ai lu. Il m’a dit que c’était un jardin, avec de belles choses, de belles pousses mais aussi des orties, des broussailles, qu’on s’y perdait un peu. « Faudrait faire des sentiers, élaguer, tracer des sentiers sinon vos belles fleurs on risque pas de les voir. Revenez me voir plus tard ». Voilà ma première rencontre avec un éditeur. Après il y eut le service militaire, la rencontre avec Seignolle, puis le collectage des légendes…
    Entre-temps, j’étais retourné voir cette amie, j’avais un corbeau à l’époque sur l’épaule, qui s’appelait Nao. Et j’avais un copain, libraire sur Lille, Favreau, bouquiniste, qui m’aimait bien. Ses parents m’avaient acheté des dessins. Il m’a présenté un gars qui s’appelait Pierre Dupriez, il était auteur, producteur, il a écrit des choses. C’était un enthousiaste, un gars adorable, charmant, qui avait un beau poste aux PTT mais qui était passionné par le fantastique. Il avait un ton de voix formidable. Il adorait aussi la littérature populaire… Il venait sans arrêt chez ce bouquiniste où on trouvait encore des Harry Dickson en fascicules. Et je l’ai amusé avec ma cape noire, mon corbeau et tout ça. Et il a vu mes dessins qu’il a bien aimés. Et comme il connaissait Eerie, Creepy, Vampirella, Seignolle, qu’il avait vu mes dessins… il a fait une émission sur moi en radio. Et lors de cette émission, il y avait Catherine Clesse, réalisatrice de l’émission, elle avait mis en ondes cette émission. Et elle m’a demandé si dans le Nord il y avait suffisamment d’histoires pour faire une série d’émissions sur la sorcellerie, la magie, le folklore. Oui, j’ai dit qu’on pouvait même faire un an, et puis y avait la Belgique à côté avec ses géants, y a Mons et le dragon, le bouzouc à Berlaimont. Et je suis rentré à l’ORTF à l’époque et au lieu de faire un an, j’y suis resté trente ans.
    pierredubois0602La maison de Pierre, ferme labyrinthique où en chaque pièce des dizaines de lutins se jouent des milliers d’objets entassés…
    Richard Ely : Tu as donc vécu d’émissions radio et TV sur le légendaire ?
    Pierre Dubois : Sur le légendaire pendant trente ans, oui. C’est pour ça que quand on me demande si les fées existent, je dis oui, c’est clair !
    Si tu veux, j’ai fais des émissions de radio, de toutes les sortes mais pratiquement toujours sur le fantastique. J’ai eu une émission qui s’appelait Histoires pour les veillées où j’allais faire du collectage avec un magnétophone et un technicien. On allait dans les campagnes et comme j’étais d’une nature à accrocher facilement avec les gens je leur racontais quelques histoires et ils m’en racontaient d’autres. J’ai fait des tonnes d’émissions dans le genre avec Jeanne Devos par exemple, maintenant il y a un musée Jeanne Devos près de Bergue, à Wormhout ça a été une amie, elle habitait un vieux presbytère. C’est devenu un musée chez elle et quand j’y vais, ça me fait drôle parce que j’ai dormi là, j’ai mangé là, là où on vient voir cette cuisine à la flamande. J’ai fait des émissions là-dessus, elle m’avait emmené voir un château hanté, hanté par le Zylof de Steenbourg. J’ai rencontré des personnages étonnants, des auteurs bien sûr… Alors j’avais cette émission, je faisais les interviews mais les textes également. Après, j’ai fait des pièces radiophoniques, et après des émissions plus longues le soir dont une émission sur Jean Ray. C’est-à-dire que tous mes goûts littéraires, tous les gens que j’admirais, j’ai pu les rencontrer à partir de là, j’ai pu faire des émissions sur Paul Delvaux, André Delvaux, Félix Labissse, Vandewattyne, tout m’était ouvert. J’ai commencé à écrire de plus en plus et Catherine Clesse… En fait, j’avais une forme de complexe n’ayant pas été longtemps à l’école, j’avais du mal à me plier à certaines exigences et puis, surtout, je profitais de l’antenne pour balancer ce que j’avais envie de balancer sur les tyrans, les injustices. Catherine essayait de ménager tout ça, elle a été absolument adorable et elle m’a aidé aussi dans la mesure où elle m’a fait lire des bouquins, m’a fait écouter des choses, des musiciens, Stravinsky, Debussy, Ravel que j’aimais sans connaître. Et aussi, je faisais énormément de fautes d’orthographe et en radio ça ne se voyait pas. J’avais le vocabulaire, la musique mais je faisais des fautes d’orthographe et j’ai appris à écrire, j’ai fait des pièces radiophoniques, j’ai eu des prix. La maison que tu vois a été achetée grâce à mes pièces.
    pierredubois0603Le bureau: la pièce où les histoires naissent…
    Richard Ely: Ça veut dire quoi, elle corrigeait tes textes, te forçait à revoir la syntaxe, etc ?
    Pierre Dubois : Oui, elle me corrigeait et puis à force d’écrire, de lire, j’ai commencé à comprendre certaines manières décrire. Un peu comme Jean Ray aussi, certains tiquent sur quelque unes de ses phrases qui ne sont en bon français. Après tout, il était flamand ! Mais il avait sa manière d’écrire comme moi, j’ai forgé la mienne. Le mot autodidacte, moi je l’aime bien. Très souvent, tu as des profs de littérature qui ne savent pas écrire parce qu’ils voient partout des références, ils sont bétonnés, ils sont cloisonnés, c’est devenu un travail plus un plaisir. J’ai eu une amie comme ça, son père était mon prof d’anglais et il ne voyait pas d’un très bon œil que je sorte avec sa fille. Pour lui, j’étais un mauvais élève… Sa fille, c’était une universitaire… Encore aujourd’hui, je l’ai revue des années après, elle m’a dit « tiens il paraît que c’est bien ce que tu écris, j’ai une amie universitaire qui m’a dit que ton point de vue sur les fées était très correct, bien mieux que ce que d’autres peuvent écrire sur le sujet ». Merci ! Elle avait le droit du haut de sa chaire de me dire que c’était bien.
    pierredubois0604
    Richard Ely : On peut dire aussi que c’est en radio que tu as développé cette musicalité et cette richesse de vieux mots ?
    Pierre Dubois : Oui, tout a fait, et j’écris tout haut. Je peux parfois passer une heure sur une phrase… J’ai emmagasiné une nombre infini de vieux mots, il y a en moi comme un humus dans lequel je vais puiser. Tu m’avais demandé d’amener trois objets, un des objets est ma maison. Parce qu’il y a plein d’objets dedans justement. J’ai besoin d’énormément d’objets autour de moi, des objets, des images. Si je me mets à écrire le changeling, ou les comptines assassines, si je prends Jack l’éventreur, je mets une musique adéquate, Gavin Bryars, que j’écoute en boucle jusque quand la magie commence et je mets tout autour des objets qui me rappellent Whitechapel, des photos du London Hospital, un sifflet de flic de l’époque victorienne. Je vais fumer du tabac… Si je reviens au Moyen-Âge, je vais regarder des films de Robin de bois, du seul film, La rose et la flèche de Lester avec Sean Connery et Hepburn, ou encore les Eroll Flynn, écouter de la musique moyenâgeuse, je vais me mettre une flèche devant les yeux, une corne, un olifant, je vais me mettre de la mousse, du feuillage, des choses comme ça… Tu as vu où j’écris, c’est vraiment un capharnaüm en plus je ne touche pas à la poussière, aux toiles d’araignée, c’est vraiment mon antre, là où j’alchimise. Et quand j’écris, j’ai justement l’impression que ce sont des formules magiques qui traduisent mon état d’esprit ou pour capter l’histoire. C’est pour ça que je n’envoie pas les écrits à mes éditeurs, ils n’auront jamais un texte tapé, ils auront un texte écrit à la main sur papier quadrillé. J’essaye d’écrire au mieux, il y a vraiment une magie à atteindre. Donc si tu veux, j’ai appris à écrire, je n’ai été influencé que par mes lectures et les auteurs que j’ai choisis. Un bouquin bien écrit est un livre qui me donne une belle musique. Comme les héros de mon enfance, les auteurs m’ont influencé. Comme dans un beau paysage, ton âme va s’élever… Alors évidemment un mec qui écrit de l’écriture blanche, ça le dérange pas de taper sur l’ordinateur, il est dans un bureau qui ressemble à un ordinateur, il vit dans une ville qui ressemble à un ordinateur. C’est vraiment pas mon truc.
    pierredubois0605
Suivez les fées !

Abonnez-vous pour ne rien manquer...