C’était en 2004… Quelques questions posées à une jeune illustratrice qui faisait ses débuts dans le monde de l’ilustration féerique…
Pouvez-vous nous parler du pourquoi de votre passion pour l’Imaginaire ?
Enfants, nous avons tous une imagination extrêmement fertile. La plupart des gens perdent cette faculté et ce regard en grandissant. Je ne sais pourquoi, le désir de cultiver des rêves au jour le jour, et de cohabiter avec, est resté intact chez moi. Ce qui bien vite, s’est heurté à mon monde environnant. J’ai la sensation d’être souvent un anachronisme, comme si j’étais venue au mauvais endroit ou au mauvais moment. Quand j’ai découvert l’art de l’Imaginaire, au travers de grands noms de la peinture ou de l’illustration, comme Siudmak, Alan Lee, ou Brian Froud, mais aussi par le biais de Tolkien, je me suis reconnue dans leurs oeuvres et dans leurs aspirations. J’ai compris que l’art de l’imaginaire me permettrait d’ouvrir des fenêtres dans ce monde clos, de toucher mes rêves sans restriction, comme dans l’enfance. Et peut-être de pouvoir partager ces rêves avec d’autres, ce qui est une des plus grandes chances d’un l’artiste.
Quel a été votre parcours pour en arriver à être artiste-peintre en Fantasy ? J’avais pris une orientation tout à fait différente, puisque j’ai fait des études en lettres et en musique, tout d’abord. Mais je n’ai jamais lâché les pinceaux. C’était mon oxygène.
En peinture, je suis autodidacte, mais ce qui m’a tenu lieu de professeur, c’est principalement un profond désir d’observer intimement le monde environnant. C’est ainsi que, petit à petit, j’ai appris un alphabet visuel pour transcrire mon monde intérieur, un monde plus confus sans doute, mais plus dense et plus important à mes yeux. C’est en observant beaucoup que j’ai commencé à pouvoir jeter sur le papier, les premières visions qui me traversaient. Le paysage d’un artiste peintre est infini. Quand on a la chance d’avoir cet outil à disposition, on a envie de faire partager nos paysages intérieurs. C’est ainsi que, sans penser à une éventuelle possibilité d’en faire mon métier, j’ai commencé à rassembler un bon nombre de tableaux, parallèlement à mes études. Au final, j’ai fait d’heureuses rencontres… La première, la plus décisive peut-être, fut celle avec Wojtek Siudmak, en novembre 2001. Après une mémorable conversation dans le train qui nous ramenait du festival des Utopiales, j’ai pris le parti de suivre son conseil et de me lancer dans le métier.
Vos oeuvres expriment une grande douceur et parfois de la tristesse. Qu’essayez-vous de transcrire: au travers de vos tableaux ? Un regard porté par le Petit Peuple sur les hommes ? Je crois qu’il s’agit surtout d’une nostalgie venant d’un sentiment de perte. Je ressens la même tristesse quand je vois un arbre coupé, une forêt mutilée pour faire place au béton. A la vue de ces spectacles, j’ai la sensation d’avoir un coeur d’elfe, et de ressentir leur peine, de concert.
Lorsque je peins mes elfes, ils sont chargés de ces sensations. Ils portent en eux l’imminence de leur fin et le triste constat que ce monde est perdu pour nous.
Quelques mots sur votre actualité ou vos projets…
Les projets sont divers et variés, étant donné que j’ai la double casquette de peintre et illustratrice !
On prévoit d’abord plusieurs expositions à Paris et l’année prochaine, une participation au festival Faerie 2005 à Arlon, en Belgique.
Je vais également avoir bientôt (enfin !) quelques stages auprès de grands maîtres, notamment Claude Yvel, un maître contemporain du trompe-l’oeil. C’est un plaisir de pouvoir enfin bénéficier de l’expérience de gens du métier pour évoluer dans le bon sens.
Côté illustration, je travaille à la réalisation d’un Herbier du petit peuple: j’ai été très marquée par l’oeuvre de Brian Froud et Alan Lee sur les Faëries, et j’aimerais réaliser un travail dans le même esprit.
Je recherche par ailleurs des réseaux de distribution pour mes produits dérivés, récemment sortis. Et divers projets de produits un peu originaux sont à l’étude, comme par exemple une véritable tapisserie d’Aubusson, sur l’histoire des elfes, en collaboration avec un maître licier. Ce sont deux arts qui ont toujours magnifiquement cohabités !
Mais aujourd’hui, le projet qui me tient le plus à coeur, c’est un calendrier Tolkien en collaboration avec Pascal Yung, qui a déjà travaillé pour Tolkien Enterprises.
Ma passion pour le Seigneur des Anneaux est toujours aussi vive, et cela était un rêve depuis longtemps…
KorrigansLe Petit Peuple, Emmanuel Civiello le connaît bien. Passionné depuis toujours par les légendes celtiques, son imagination nous emmène souvent au-delà des frontières de notre monde. Imprégné de ces légendes traditionnelles et de leur atmosphère médiévale, Civiello crée des univers brumeux et des personnages très réalistes. Son graphisme est unique, reconnaissable entre tous. Ses univers nous happent, tant les lieux et les événements sont crédibles et cohérents. A 31 ans, son travail sur le Petit Peuple est déjà tellement impressionnant qu’il est devenu une référence en la matière. Civiello, un des ces auteurs à posséder la clé de la porte vers l’Autre Monde?
Légendes celtiques et mythologie…
Autant La graine de folie que Korrigans marquent votre intérêt pour les légendes celtiques. D’où vous vient cette passion pour les légendes anciennes et les peuples imaginaires ?
Civiello : Ma mère a toujours aimé les livres. Tous les livres, romans, livres de science, d’histoires, d’ésotérisme… C’est par elle que m’est venu le goût de la lecture. Pas vraiment les mêmes sujets, bien que c’est elle qui me fit découvrir, enfant, Bilbo le Hobbit. Cela m’a tellement plu que j’ai commencé à dévorer tout ce que je trouvais sur le sujet. Les romans ainsi que les livres d’illustrations et certaines BD. L’univers de Tolkien est tellement bien construit qu’il pourrait bien être plausible. Mais, d’autres écrivains ont également inventé un monde particulier, se basant sur un futur peut-être proche ! Je pense notamment à Dune de Franck Herbert, roman que j’ai adoré. Mais bon, nous nous éloignons. Mettons plutôt alors la légende du roi Arthur où l’on découvre la perte des anciennes croyances et donc du Petit Peuple. Sujet qui m’a fort marqué comme l’on a pu le découvrir avec l’histoire de La Graine de Folie. Je préfère la version de Marion Zimmer Bradley où l’on est beaucoup plus proche de la terre et des anciennes croyances des origines plutôt que des stéréotypes du roi Arthur et des chevaliers chevauchant dans de belles armures bien dorées !
Thomas Mosdi, votre scénariste avec qui vous travaillez également sur La Graine de Folie, est aussi un grand passionné des légendes traditionnelles. Vos univers de conteurs et vos connaissances en mythologie celtique se recoupaient-ils ?
La Graine de foliePour ma part, je ne pense pas avoir de connaissance particulière en mythologie celtique, j’ai simplement beaucoup lu à ce sujet. Quand à Thomas, ayant officié dans le jeu de rôle pendant de nombreuses années, je pense qu’il maîtrise le sujet pour l’avoir potassé.
En ce qui concerne nos « univers de conteur », Thomas et moi avons su nous mettre sur la même longueur d’onde et la fin de La Graine de Folie en est l’exemple. Maintenant, sur Korrigans nous continuons d’affiner cette vision ! A force de discutions, nous arrivons à trouver un équilibre.
Créatures enchantées
Les premières planches des albums de Korrigans (1ère édition) sont des pages de croquis. Dans vos représentations, on sent que vous cherchez à coller le plus fidèlement possible à la réalité. Pourquoi et sur quoi vous basez vous ? Où cherchez-vous l’inspiration ?
Plus les créatures et les univers seront réalistes, plus ils seront crédibles. Ce qui fait, par exemple ou ce qui a fait les premiers Guerre des Etoiles, c’est la véracité et la réalité technologique d’un monde purement fictif. Ce qui est le cas également de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Le fait d’avoir créé différents langages, différentes cultures et des différenciations au sein même des peuples, fait de tout cela un monde on ne peut plus réel !
L’inspiration est partout autour de nous. Il suffit simplement de regarder. Et, parfois, pas besoin de transformer un nez ou une souche d’arbre, celle-ci contient déjà l’antre d’un gnome et le personnage est là devant moi…
Quels sont les contrastes ou les détails importants que vous vouliez faire ressortir entre les différentes créatures de l’Autre Monde (Korrigans, Cluricaunes, Formoîrés…) ? Quelle est celle que vous préférez dessiner ?
D’abord un contraste très important, dans n’importe quelle légende féerique, on nous parle de ce rapport de taille, petit ou grand, d’êtres qui ont diminué ou grandi au fil des ans ou d’êtres qui sont devenus tellement minuscules qu’ils ont disparu… comme les Elfes !
Dans les croyances populaires, on ne verra jamais un ogre de cinquante centimètres mais plutôt de deux ou trois mètres (ce qui a aussi pour but d’effrayer les enfants) et l’on ne fera jamais une fée ou un elfe de six mètres de haut… (bien qu’il y en ai eu). Tout cela en fait, correspond à une iconographie établie au fil des âges.
Celles que je préfère dessiner : toutes ! Elles sont toutes intéressantes à dessiner mais, ça va peut-être vous surprendre, j’adore faire les « monstres ».
Quelle est votre créature préférée issue du Petit Peuple ? Pourquoi ?
Incontestablement, toute la faune noire, le côté obscur de la féerie. Je trouve que, dans leur malveillance, il y a un côté séducteur !
Ambiances sombres
La plupart de vos planches sont de véritables tableaux. Le travail en couleurs directes renforce le sentiment de réalité et transporte l’imaginaire. Il contribue à porter le lecteur au-delà de la frontière des mondes. Un mot sur votre technique et l’effet recherché ?
L’effet recherché : le réalisme !
La Graine de folieLa couleur est directement travaillée sur le crayonné des pages. Je ne fais jamais d’encrage. Je travaille à l’acrylique. Et même si beaucoup pensent que l’aérographe est un instrument « facile » d’utilisation pour les effets tape à l’œil et un peu rétro, je l’utile pour les ombres, les lumières, les flous, les halos, les ambiances de brumes. Personnellement, traiter une histoire d’Heroic Fantasy à l’ordinateur gâche un peu la donne… je ne parle qu’au niveau BD… Lorsque l’on voit le résultat de Peter Jackson, on révise son jugement !
L’histoire de la petite Luaine se déroule en Irlande et se réfère aux antiques légendes celtes irlandaises. Quelle(s) différence(s) majeure(s) au niveau des légendes et des créatures faites-vous entre l’Irlande, la Bretagne ou l’Ecosse par exemple ?
Personnellement je n’en vois aucune. Les trois lieux précisés auraient fonctionné à merveille, car chaque pays contient son lot de légende et de créatures mythiques.
Inspiration et impressions
Vous êtes un grand admirateur du travail de René Hausman. Qu’est-ce qui vous fascine dans son œuvre ?
Eh bien, tout ! Surtout la simplicité qui en émane. Le fait que tout est immédiatement reconnaissable. Un nain, n’a jamais été autant un nain que chez René. Que dire de ses frondaisons… Magnifiques !
D’autres noms gravitent autour de votre univers : Brian Froud, Alan Lee, Tolkien… Toutes ces personnes ont-elles quelque chose en commun et qui est partagée par vous?
Le rêve. Cette faculté de nous faire plonger dans un univers tout à fait crédible et, surtout, d’avoir réussi à donner corps à l’imagination partagée par tous. Enfin, pour ma part j’essaye car ce n’est pas facile d’apporter quelque chose de nouveau…
Qu’avez-vous pensé de l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson ? Et de l’adaptation de Bilbo le Hobbit en BD ?
S’il est une oeuvre marquante de ce siècle, c’est bien cette adaptation cinématographie. Oh bien sûr, comme tout fan et lecteur de Tolkien, je pourrais lui en vouloir de ne pas avoir été aussi fidèle et d’avoir fait quelques transgressions. Mais cela n’a-t-il pas gagné en épaisseur ?! Se référer totalement à l’œuvre littéraire aurait peut-être été un peu ennuyeux. L’intervention d’une femme au scénario a apporté un côté plus romantique qui, selon moi, contribue positivement à l’œuvre. Du côté imagerie, rien à en dire. C’est tout bonnement du génie.
L’adaptation BD, et bien, c’est tout le contraire. Même si les qualités graphiques de l’auteur dans d’autres ouvrages fonctionnent à merveille, je trouve que dans cette histoire, elles sont un peu déplacées. On ne retrouve ni la noirceur des grands moments, ni l’héroïsme et l’envolée lyrique, et encore moins le féerique.
Projets
Quelques mots sur vos projets ou vos envies dans la bande dessinée…
Deux albums de Korrigans sont encore prévus. Peut-être plus…
Sinon, à l’opposé, je réalise actuellement le premier tome d’une série sur la mafia, sur un scénario d’Hélène Herbeau. L’action se situe dans les années 30 à LA.
J’illustre également les textes de Catherine Quenot pour une série de quatre petits livres sur le Petit Peuple, chez Albin Michel. C’est une sorte de carnet de route de la féerie.
Sinon, j’ai d’autres idées de scénars que je suis en train de peaufiner et qui, j’espère, verront le jour dans un avenir assez proche…
De toutes les créatures étranges, il en existe une au nom connu de tous, mais dont la représentation diffère d’une imagination à l’autre. Gigantesque ou minuscule, méchant ou pourvu de bonnes intentions, farceur ou guerrier… Cet être mal défini, n’en reste pas moins intéressant. C’est pourquoi l’article suivant essaye de vous donner un maximum d’indices pour partir à sa rencontre…
Il est bien difficile aux humains de décrire un troll car ils vivent en grande partie sous terre ou la nuit, craignant la lumière du jour qui les pétrifient ou les fait se gonfler subitement et éclater. Bien peu d’humains peuvent donc se vanter d’avoir vu un troll. C’est en fait essentiellement grâce aux Krägntrolls, de petits tas de pierres assemblés par les trolls pour laisser trace de leur passage que l’on sait qu’ils existent et qu’ils vivent, dans des pays du Nord de l’Europe, surtout la Norvège, où nombre de légendes les évoquent.
A priori, les trolls ne sont pas sympathiques, on se les imagine parfois petits, de 25cm à 1m, maigres, 2kg en moyenne, à la peau brunâtre, aux cheveux hirsutes, aux yeux sombres et peu accueillants, et plutôt enclins à faire de mauvaises blagues. Mais il arrive qu’on les décrive assez grands : de 1m20 à 3m, aux longs bras, mais aussi trapus, aux courtes jambes et plutôt rondelets. Ou encore, on se les représente comme de véritables géants coiffés de sapins. Barbus, ils sont aussi très laids, des boutons plein le visage, un gros nez, et sentent, paraît-il, très mauvais. Râblés et costauds, ils sont au combat d’une force impressionnante et sont célèbres pour de nombreux faits d’armes autour desquels sont organisés la plupart des rites et des fêtes. Ces armes sont fabriquées au cœur de la terre, dans des grottes étranges et sombres, d’où les trolls tiennent les secrets des métaux. Cela les rapproche des nains, avec qui on a tendance à les confondre. La différence avec les lutins ou les gnomes n’est d’ailleurs pas toujours claire. Pourtant, si ces personnages viennent à se croiser, ce sera la plupart du temps le troll qui sera au service du mal. Si un gnome rencontre un troll, il passera un sale quart d’heure ! Ce n’est pas que le troll soit véritablement méchant, mais il est extrêmement bête. Il taquinera le gnome, lui fera sans doute mal, mais ne le tuera jamais : on dit qu’il ne fait le mal que par ignorance.
Les trolls ont des mœurs bizarres : vivant en tribus de cinq ou six, on n’ose même pas décrire leurs comportements sexuels tant ils sont ignobles ! Ils mangent n’importe quoi, surtout des choses gluantes. Ils ne construisent pas de maisons et sont nomades, sans doute en raison de leurs problèmes de voisinage. Si certains disent qu’il y a parfaitement moyen de cohabiter avec eux, du moment qu’on ne les ennuie pas, la plupart des gens des pays où les trolls vivent évoquent plutôt leur sale caractère. Enfin, signalons que le troll aime le jeu, il ne rechigne donc pas à résoudre les énigmes ou à essayer de battre quiconque le met au défi, même si, là encore, sa naïveté ou sa bêtise lui jouent souvent de vilains tours… Mais si, par hasard, un humain rencontre un troll, il y a aussi quelques précautions à prendre. Par exemple : ne pas le regarder dans les yeux, par crainte de le provoquer; l’écouter parler et ne surtout ne jamais sous entendre qu’il est idiot, sous peine de le fâcher. Et mettre un troll en colère, ce n’est vraiment pas conseillé !
Des trolls dans l’imaginaire d’aujourd’hui…
Moumine le troll
Même s’il reste assez méconnu, on ne peut pas dire que le troll n’a pas su inspirer nombre de créateurs d’histoires ! Le plus célèbre troll est très certainement Moumine, le héros des contes pour enfants de l’auteur suédois Tove Jansson. Illustrés par l’auteur, ces contes remplis d’humour, nous entraînent dans les aventures d’une famille de trolls bohèmes…
Mentionnons encore, et toujours dans le registre pour enfants, l’excellent texte de Christine Duchesne, Jomush et le troll des cuisines (aux éditions Dominique et Compagnie). Signalons enfin l’apparition d’un Troll horrible dans le désormais incontournable et mondialement célèbre Harry Potter créé par Joanne K. Rowling !
Passons aux romans pour adultes avec les trolls du Seigneur des Anneaux qui, eux aussi, se pétrifient au soleil et ont une taille imposante. Leur indécision et leurs interminables discussions leur vaudront un bien triste sort dans Bilbo le Hobbit de Tolkien ! Autres trolls, ceux qui croupissent dans le sol du Royaume de Maras-Dantia, dans le très bon roman de fantasy de Stan Nicholls, qui donne la vedette à d’autres créatures assez terrifiantes, les Orcs.
Mais si, dans la littérature, le troll n’a pas la place qu’il mérite vraiment, dans la bande dessinée, il en est tout autrement. Deux séries mettent ces créatures bien en avant.
La première est Troll de Morvan, Sfar et Boiscommun (aux éditions Delcourt). L’histoire nous conte les aventures merveilleuses de Larve, une jeune humaine et de ses « parents adoptifs » : Mangog le Troll et Albrecht le gobelin. Des aventures emplies d’humour et de combats sanglants.
Trolls de Troy
Tout aussi humoristique et tournant également autour d’un gore toutefois assez sympathique, Trolls de Troy (de Arleston et Mourier, aux éditions Soleil) est une série dérivée du célèbre Lanfeust de Troy (Arleston, Tarquin, Soleil) qui nous avait présenté Hébus, un terrible troll « apprivoisé » grâce à un charme magique. Dans Trolls de Troy, nous plongeons au coeur d’une communauté Troll où nos héros aux moeurs barbares ont adopté une jeune humaine (euh, au départ, ils avaient apporté le bébé humain comme dessert, mais, bon, on s’attache à ces petites bêtes…)… Il s’ensuit des situations bien loufoques et des aventures trépidantes…
Voilà, nous espérons que vous en aurez appris un petit peu plus sur ces étranges créatures que sont les trolls. Et si, au cours de vos balades, vous apercevez des rochers qui auraient quelques points communs avec nos descriptions, n’hésitez pas à nous envoyer vos photos ! Car, sans nul doute, il s’agira très certainement d’un pauvre troll surpris par les rayons du soleil !
Articlé rédigé en collaboration avec Julie Boitte
Points de repère et lectures conseillées:
Arleston, Mourier, « Trolls de Troy », Soleil;
Brasey Edouard, « Géants et Dragons », Pygmalion;
Chaize A., « Un hiver dans la vallée de Moumine » de Tove Jansson, Nathan;
Duchesne Christine, « Jomush et le troll des cuisines », Edition Dominique et Compagnie;
Après Pierre Dubois, nous poursuivons nos rencontres avec les amis du petit Peuple et de l’Imaginaire. Cette fois-ci, c’est le conteur et auteur Edouard Brasey qui nous entretient des univers féeriques. Lui qui vient d’entamer un projet bien ambitieux sous la forme de l’Encyclopédie du Merveilleux aux éditions Le Pré aux Clercs.
Né le 25 mars 1954 à Marseille, Edouard Brasey effectuera d’abord des études en politique et en droit pour opter pour les sciences-économiques lors de son passage à l’ESSEC en 1977. Tout cela le mène à travailler dans un cabinet d’audit américain, puis, très vite, à devenir journaliste économique et enfin journaliste littéraire pour le magazine Lire. C’était sans compter sur les fées qui allaient lui suggérer d’emprunter un autre chemin. Titulaire d’un DEA en études cinématographiques en 1984, et fort de son expérience de journaliste, Edouard Brasey passe à l’écriture d’essais divers et se révèle dans une autre passion : l’art de conter. Si le conte le mène à rencontrer le public lors de nombreux spectacles, la plume l’entraîne dans le tourbillon de Faerie avec une première Enquête sur l’existence des fées et des esprits de la nature (Filipachi 1996, J’ai Lu 1998). Mais on le connaît surtout pour la collection l’Univers féerique chez Pygmalion ainsi que pour Le guide du Chasseur de fées (Le Pré aux Clercs, 2005). Et voilà que cette même année allait aboutir, avec la parution en octobre 2005, à l’Encyclopédie du Merveilleux.
Peuples de la lumière
Peuples de la LumièreLe premier volume de cette encyclopédie parue aux éditions Le Pré aux Clercs porte sur les peuples de la lumière. Anges, fées, elfes, nains, djinns et nymphes se partagent les nombreuses pages bien documentées, parsemées d’anecdotes. A ce premier tome feront suite des volumes consacrés à un bestiaire féerique, aux peuples de l’ombre , aux héros, aux lieux de légendes, aux objets. Un sixième et dernier tome prévu devrait faire la part belle aux auteurs de l’Imaginaire. Une œuvre colossale qui garnira bientôt toutes les bibliothèques des passionnés de merveilleux, de fantasy et de féerie.
La magie de Sandrine Gestin
Cerise sur le gâteau, un soin particulier a été apporté à la maquette et aux illustrations. Sur des pages imitant le parchemin, une très jolie iconographie mêlant tableaux de maître et esquisses diverses. Le livre a également bénéficié du talent de Sandrine Gestin, reconnue aujourd’hui comme l’une des meilleures illustratrices de l’Imaginaire avec une prédilection pour les êtres de lumière. Autant dire que l’accord pour ce premier volume est parfait.
La parole au conteur
Laissons maintenant l’auteur de cette ravissante encyclopédie répondre aux quelques questions que nous avons voulu lui poser…
Comment est née votre passion pour l’Imaginaire ? Edouard Brasey : Je crois que j’ai toujours considéré l’Imaginaire non pas comme un refuge ou une évasion, mais comme l’intégralité du Réel, dont ce que nous nommons « réel » n’est qu’une petite succursale, celle où nous vivons… La présence de l’invisible me semble une réalité incontestable, une nécessité. Il y a quelques années, un journaliste sceptique avait demandé à Jeanne Moreau, alors qu’elle avait joué le rôle d’une fée dans un film, si elle croyait à l’existence des fées. Elle répondit, superbe: « J’y crois plus qu’à la vôtre… »
Sur votre site, on propose un voyage conté en Afrique du Nord. Une terre particulièrement riche en contes ? Oui, bien sûr. Dans le désert, on raconte encore comme il y a deux mille ans. J’ai raconté dans le désert blanc d’Egypte au coucher du soleil, pour un groupe de Français, mais les chameliers égyptiens écoutaient. Même s’ils ne comprenaient pas notre langue, ils m’ont remercié à la fin et m’ont qualifié du terme de « vieil homme ». Ce qui pour eux voulait dire: « le sage », celui qui a suffisamment vécu pour raconter des histoires. C’était un beau compliment qui m’a beaucoup touché…
Après plusieurs ouvrages sur les créatures féeriques chez Pygmalion, voilà que les éditions du Pré aux Clercs vous confie un projet plutôt ambitieux: une véritable Encyclopédie du Merveilleux. En quelques mots comment définissez-vous ce terme « Merveilleux » ? On pense de prime abord aux fées mais un des tomes portera sur les ombres dont le vampire… A prendre dans un sens très large dans ce cas ?
Je définis le Merveilleux comme la présence permanente du miraculeux et du magique dans notre vie,
Le Bestiaire fantastiquecontrairement au fantastique qui suppose l’ingérence d’un surnaturel inquiétant dans le réel. Cela dit, vous avez raison de souligner que je vais consacrer un tome de l’Encyclopédie du Merveilleux à des créatures liées plutôt au fantastique! Mais au-delà des genres, l’idée est en effet de brosser un inventaire le plus complet et exhaustif possible de ce que l’on appelle l’Imaginaire: les êtres de Féerie, les vampires et démons, les trésors et objets magiques, les lieux imaginaires et îles enchantées, les héros et personnages, les créateurs… Cela n’a jamais été fait, en France du moins. Et cela manquait cruellement…
Le terme « encyclopédie » fait de suite penser à celles de Pierre Dubois ou encore aux ouvrages universitaires de Claude Lecouteux. En quoi la vôtre est-elle semblable ou différente ? Je connais bien Pierre Dubois, qui est un ami, ainsi que Claude Lecouteux. Ce dernier est un pur universitaire. Celui-là est un poète, qui prend beaucoup de libertés avec ses sources documentaires en brodant à sa manière. Disons que je me situe modestement à mi-chemin, en essayant de concilier la rigueur de la recherche et le sérieux de la documentation avec une volonté de lisibilité, de clarté, voire d’humour. Je m’adresse à un public curieux de Fantasy ou de mythologie et qui désire savoir d’où viennent toutes ces croyances, à quelles sources elles s’alimentent… Tout en se divertissant.
N’est-ce pas un peu paradoxal pour un conteur d’écrire des encyclopédies ? Pour un inventeur d’histoires de choisir des définitions précises ? Les dictionnaires et encyclopédies ne sont-ils pas des outils qui limitent l’imaginaire ? Au contraire! Car les sources auxquelles je me réfère sont vivantes: il s’agit de la tradition des légendes, des contes, des mythes, du folklore, que l’on trouve dans les livres, bien sûr, mais qui viennent avant tout de la tradition orale… Conter le monde féerique ou l’inventorier dans une encyclopédie correspond pour moi à deux aspects indispensables et complémentaires…
Peut-on espérer un ancrage actuel dans un des tomes de cette encyclopédie, une sorte d’état des lieux d’aujourd’hui ? Oui, bien sûr. Nous avons prévu un tome sur les créateurs d’hier et d’aujourd’hui. Il y aura Tolkien, bien sûr, mais aussi les auteurs contemporains et les illustrateurs.
L’illustration et la maquette sont très réussies… Sandrine Gestin fut véritablement un choix judicieux. Une volonté de proposer un bel objet ? Je connaissais Sandrine pour l’avoir rencontrée il y a quelques années au Salon du Livre de Figeac consacré au Fantastique. J’ai proposé son nom à l’éditeur, nous l’avons contactée et elle a accepté avec enthousiasme. Elle a notamment créé tous les croquis, une façon de dire: ce sont des êtres invisibles, on n’a pas le temps de les peindre, ils ne posent pas assez longtemps! Oui, nous avons voulu reproduire l’esprit des ouvrages médiévaux somptueusement enluminés. D’où le choix également du papier couleur de parchemin…
On parle d’un succès pour l’imaginaire féerique ces dernières années en France. Comment expliquez-vous cette arrivée tardive et assez timide alors que ce n’est pas le cas dans la culture anglophone, par exemple ? Nous avons beaucoup de retard par rapport aux Anglo-Saxons, qui baignent véritablement dans cette culture. Nous autres Latins à culture cartésienne avons plus de difficultés avec le monde de Féerie. Pourtant, il s’agit de nos racines culturelles! Mais je crois qu’à présent le pli est pris, et on peut parler des fées et des elfes sans passer pour un illuminé…
Vous qui êtes conteur et auteur, pensez-vous que l’Imaginaire doit être d’abord lu ou d’abord vécu ? C’est la même chose. On peut le lire et en rêver, ou le vivre et se reporter ensuite à des livres. C’est à chacun de suivre son propre chemin…
Quels sont vos propres ouvrages de référence ? Parmi les collecteurs de légendes et mythes, Sébillot, Seignolle, tous les folkloristes du XIXe siècle, mais aussi Katrine Briggs, qui a publié de nombreuses encyclopédies de la Féerie en anglais. Parmi les romanciers, Arthur Machen, Charles Nodier, Anatole France…
Pour terminer, votre plus beau souvenir de Faerie ? Alors que je faisais mes recherches sur la Féerie pour mon premier livre sur le sujet, Enquête sur l’existence des fées et des esprits de la nature, publié en 1996 (réedité chez J’ai Lu), j’allais souvent à la Bibliothèque Nationale de la rue de Richelieu à Paris. A plusieurs reprises, à des heures et des places très différentes, je sentais un fort parfum de lis. Ce ne pouvait pas être une voisine trop parfumée ni un système de diffusion d’odeurs inexistant dans cette vieille salle boisée surmontée d’une coupole. Alors je me suis dit qu’il s’agissait du parfum de la fée de la Bibliothèque Nationale, qui venait ainsi m’encourager… C’est un parfum délicieux, que je n’ai plus senti nulle part depuis, mais qui, étrangement, ressemble sans doute au parfum de lis qui, selon les témoignages, accompagne les apparitions mariales…
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Né en 1945 dans les Ardennes, Pierre Dubois partage sa vie entre ses demeures du Nord et de Bretagne. Cela, lorsqu’il ne se promène pas de l’autre côté du miroir. Car l’homme est ami des fées et nous rapporte nombre de récits et anecdotes sur le Petit Peuple. Que ce soit au travers de ses célèbres encyclopédies ou au travers de ses bandes dessinées (Laïyna, les Lutins, Red Caps, le Grimoire du Petit Peuple…), l’auteur nous enchante au fil de ses publications. Petites questions au Maître elficologue…
Pierre Dubois, d’où vous vient cette passion pour le Petit Peuple et la féerie ?
Elle me vient, je crois, de l’enfance contemplative, l’enfance solitaire. C’est très souvent lorsque l’enfant se retrouve seul, comme Nils Holgersson qui fera une bêtise et sera puni par un Tomte… Enfant, je jouais dans la buanderie, endroit intermédiaire entre le jardin et la cuisine. Il y avait ce poêle qui ronflait et, par souci d’économie d’électricité, on levait le couvercle, ce qui donnait une lumière particulière, proche de celles des cavernes. Ce feu crépitait et dansait sur le plafond comme une espèce de lanterne magique. Moi, j’y voyais des nains forgeant des épées, des trolls, des fées… Et puis il y avait le reflet de l’eau qui amenait le jardin… Une lézarde sur le mur me donnait l’idée qu’elle menait quelque part. Moi, je venais des Ardennes, grande forêt de légendes. Mes parents m’avaient entraîné dans le Nord et du coup, il y avait cette absence de forêt. J’étais perdu de forêt. Cette forêt, je l’ai retrouvée dans le jardin. Et à force de jouer dans le jardin, seul, tour à tour chevalier, Robin des Bois… Tout est né de là.
Aujourd’hui, on assiste à un retour aux fées… Comment l’expliquer ?
La mythologie est avant tout universelle. C’est l’explication de la création du monde. Nous conservons donc cette grande mythologie en nous. La petite mythologie, les fées, les nains, ce sont ces grands dieux qu’on a un peu pervertis. Pan ou Cernunnos sont devenus le diable. Toute la culture des fées a été, en même temps que les forêts, déboisée. On a désacralisé la Nature pour essayer de la domestiquer. Mais les fées sont rebelles. Des folkloristes comme les frères Grimm, Andersen, un auteur comme Tolkien, ont puisé dans ces mythologies. Mais il y a toujours eu cette mainmise du pouvoir afin de tuer cet émotionnel, cet imaginaire. Pour qu’on rentre tous dans « Metropolis ». Et il y a toujours eu un réflexe. Alors qu’on croyait les ailes des fées rognées, les jeunes, par l’intermédiaire des mangas, de la BD, des films, des fanzines, du jeu de rôle, de la musique prennent en main leur destin. Un festival comme aujourd’hui (NDLR: Trolls & Légendes, Mons) est extrêmement positif, rayonnant, du fait qu’on voit plein de gens costumés, des personnes qui jouent encore…
Un retour à la terre ou à la poésie ?
L’un ne va pas sans l’autre. Mais il ne faudrait pas que ce soit une mode. La vraie magie, le vrai merveilleux, tu dois le porter en dedans. Cette espèce de débauche du contenant ne doit pas faire oublier le contenu. J’ai un peu peur parfois que les effets spéciaux ne remplacent la magie, remplacent la petit musique des fées, de l’âme. Le passage des fées, celui d’Alice, du petit Arthur, est un chemin éthéré, fragile. Il faut faire très attention.
Parlons de vos encyclopédies. Elles sont très complètes. Mais en même temps on y perçoit des incrustations personnelles. Pour vous, c’est important de ne pas être trop sérieux. De ne pas ranger les fées dans des tiroirs fermés à clés ?
C’est bien pour ça que, dans la préface de l’encyclopédie, je dis: « voilà, c’est fait et en même temps, toutes les portes sont ouvertes ». Il faut toujours laisser une part aux fées. Autrefois, lorsqu’on labourait un champ, on laissait un coin pour que les fées puissent s’ébattre. Si tu es exaucé, c’est qu’ils ont accepté, il y a eu alliance. Quand j’ai écrit mes bouquins, je me suis mis du côté des fées. Dans toutes les préfaces, je le dis. Maintenant, le mot encyclopédie ne me plaisait pas non plus. Je préférais Grimoirie. Ma démarche est née parce que je voyais des gamins chercher de manière anarchique des infos sur les fées. J’ai voulu tout reprendre à zéro et donner des pistes à peu près sûres. Rêvez avec, amusez-vous, voilà tout au moins des bases, voici le Brownie, voilà les Selkies, le Sotê… J’ai eu envie de revenir aux sources.
La dernière encyclopédie parue est celle des elfes. Vous les qualifiez d’êtres fuyants…
Une phrase de Bachelard que j’apprécie beaucoup dit « Les petits êtres fuyant et cachés oublient de fuir lorsqu’on les appellent par leurs vrais noms ».Ces petits êtres fuient l’homme. Ce que disent les elfes, c’est si vous jetez des immondices dans l’eau, vous empoisonnez les Dracs, les Sirènes, les Morganes, tout le peuple de la mer mais nous vous empoisonnerons. Si vous construisez tout en haut des cimes, sur les épaules des trolls, ce sera trop lourd et il y aura des avalanches. Il y a une forme d’écologie dans ce message. Il faut garder cette espèce de jardin secret.
En même temps, qu’est ce qui distingue les membres du petit Peuple regroupés dans la famille des elfes, de la famille des fées ou de celle des lutins ?
Cette répartition ne vient pas de moi. Moi, je désirais un seul Grimoire. J’avais commencé à écrire mes bouquins sur du parchemin à la plume d’oie. C’est sorti en 93 mais j’ai commencé en 67 et j’avais déjà collecté pas mal de choses auparavant. Je cherchais un éditeur, personne n’était intéressé jusqu’au jour où quelqu’un me contacte avec une vague idée de faire un bouquin sur les fées alors que moi je voulais faire quelque chose d’énorme, pratiquement vendu avec les toiles d’araignée et la poussière dessus. Finalement Hoëbeke a pris le risque mais en scindant l’œuvre en trois. Dans la première encyclopédie, tout ce qui est petit, chtonien… Et cela s’est vendu à 80.000, 90.000 exemplaires, traduit même en japonais ! On a donc fait le suivant. Celui sur les fées, la femme, la sorcière, symbole de sagesse, de la Nature… Tout ce qui est féminin me fascine. C’est aussi l’époque où je venais de perdre ma fille de dix-sept ans… Pour moi, l’encyclopédie des fées m’a échappée, ce n’est pas moi qui l’ai écrite, on me l’a soufflée. Elle a été écrite plus facilement mais aussi plus douloureusement que la première. La troisième, les elfes, c’est la partie obscure et sauvage, les êtres insaisissables et fuyants. Les elfes ont le droit de nous décocher des flèches vengeresses. Les elfes sont vraiment, pour moi, la part la plus sombre, sauvage et vengeresse.
Parlons bande dessinée maintenant… De Laÿna aux récents Grimoire du Petit Peuple, en passant par Les Lutins et Red Caps, on note une certaine noirceur dans les récits…
C’est la première fois qu’on me le dit et c’est totalement vrai. C’est une lutte de chaque jour, l’idée qu’il faut réenchanter à cause de cette trahison que le mortel porte en lui. Il a la possibilité chaque jour de changer les choses et il fait l’inverse…
En même temps, vous placez souvent le Petit Peuple en arrière-plan dans vos histoires, il reste caché et toujours présent…
Et bien cette idée, ni les éditeurs, ni même mes dessinateurs ne l’ont réellement compris. J’ai eu l’impression d’être lâché par mes dessinateurs sauf Sfar. Lui, il a complètement saisi la chose. On le ressent dans Petrus Barbygère. Là, c’est bien moi, Pierre le Barbu ! Tous mes héros qui font alliance perdent, c’est une fatalité, une blessure. Et cette blessure, je la porte en moi. Mes bandes dessinées ne sont pas au premier degré, je suis un peu en décalage. Il y a beaucoup d’écrit par exemple. Moi, ce sont les images d’Epinal que j’apprécie, je désire une BD pleine de merveilleux mais aussi de sang, de crimes et d’aventure !
Avec le Grimoire du Petit Peuple, vous renouez avec cette envie de travailler avec de nombreux dessinateurs. On soulignera d’ailleurs que vous n’avez jamais hésité à prendre sous votre aile de jeunes talents. Les choisissez-vous, viennent-ils à vous ?
Pour le Grimoire, je ne choisis pas les dessinateurs, c’est l’éditeur qui s’en occupe. Mais je demande des jeunes, ça oui. Je veux voir leur carton à dessins, voir ce qu’ils ont dans la tête. J’aime voir ce que font les autres mais je demande seulement qu’ils respectent les idées, les époques, les lieux avec leurs caractéristiques, faune et flore.. Il faut toujours bien se documenter.
Pourtant, l’apport personnel de sa vision du Petit peuple aide à ne pas fixer son image…
Bien sûr ! J’aime bien que chacun apporte sa propre vision. Ils doivent continuer à fuir… Là, je ne suis absolument pas directif. Je fais confiance au dessinateur. Mon histoire même a peu d’importance, ils peuvent enlever des séquences. C’est seulement quand ça nuit à l’histoire que cela m’embête.
L’année passée est sorti le Jardin Féerique de Cicely Mary Barker…
Elle aussi a eu une enfance solitaire. Seule, malade, bloquée dans sa chambre, elle va s’évader par le dessin. Son père va lui offrir des cours par correspondance…Mary va habiller en fleurs les enfants de la nurserie de sa soeur et va les dessiner. Ce qui est extraordinaire, c’est quelle semblera ne pas vieillir. Et alors qu’elle deviendra aveugle, elle continuera à distinguer les fleurs, les jacinthes.. et ça, pour moi, c’est le regard des fées sur elle.
Vous avez aussi inspiré à Loisel son Peter Pan, du moins l’idée de mêler Jack l’éventreur au héro de Barrie…
Ma passion pour les criminels, les pirates c’est le côté obscur. La Nature a également ce côté obscur… J’ai écrit un bouquin sur Jack l’éventreur et me suis toujours interrogé sur la relation entre Peter Pan et le tueur de Whitechapel. Peter Pan est habile à la dague. Clochette, une parfaite complice pour surveiller les alentours. Venant de Kensington Garden pour se rendre à la maison des parents de Wendy, il passe nécessairement par Whitechapel. Et à ce moment-là, les seules femmes que tu peux rencontrer sont justement des prostituées. Restait le mobile… Peter Pan cherche dans le ventre de la femme la mère, il veut une explication. C’est encore un enfant. Pourquoi les filles, les femmes l’abandonnent? Pourquoi Wendy préfère vieillir que de rester à ses côtés ? Je racontais cela à Loisel venu en ami dîner chez moi, en Bretagne. Il travaillait sur Peter Pan et désirait explorer la face sombre. Il avait vu le dessin animé de Walt Disney et avait été frappé par le côté faune de Peter. Il m’a demandé s’il pouvait reprendre mon idée et ce qu’il en a fait me plaît énormément. Tu y rencontres un personnage sombre, qui se perd. Et c’est là qu’on rejoint le monde des fées. Car pour trouver le passage, il faut se perdre.
Vous dites dans une de vos interviews avoir été tristement épaté par les universitaires…
Car ils épluchent sans rêver, ils décortiquent mais oublient d’y poser le regard. Il manque un écrivain derrière le savant. Maintenant, ils font un travail de fourmi, qui m’épate et je suis totalement pour qu’on étudie les fées à l’université !
Il est important de se réenchanter, de retrouver le sens du merveilleux. L’enfant naît ouvert aux rêves, aux fées. Mais ces croyances seront arrêtées, on arrachera les ailes des fées à un moment donné, vers six, sept ans… Or, l’enfant lui-même devenu père lorsque sa progéniture lui demandera de dessiner une fée, il ne pourra que reproduire celle de ce souvenir arrêté. Il y a un manque émotionnel. Quand un enfant veut faire de la musique, c’est en option à son Bac. Notre planète ne pourra être sauvée qu’à la condition de réenchanter notre regard.
Enfin, pour rencontrer les fées, vous conseillez de les lire ou de les vivre ?
De les vivre. Franchir le pont, le miroir… Mais aussi de les lire, les lire à la base. Si on veut s’approcher des fées, il faut lire les contes, ou les entendre et les écouter. Il faut retourner à la base, au révérend Kirk. Il faut d’abord vivre pour lire, vivre ça t’oblige à faire ces fameux trois pas, à réciter cet Abracadabra.