Les landes du Dartmoor anglais recèlent de dangers et le moindre n’est sans doute pas d’être Pixie-Led, égaré par les Pixies ou Piskies comme on dit là-bas. Imaginez un peu : vous parcourez ces chemins tortueux, plongés dans d’épais amas de fougères où seules les traces laissées par les moutons vous indiquent les voies à suivre. Vous avez en tête de voir la petite croix de pierre qu’un couple d’égarés a placé après avoir évoqué le saint Père et tous les autres saints afin de retrouver leur chemin et vous voilà vous-même perdu…
Il faut dire que dans la lande, rien ne ressemble plus à un chemin qu’un autre chemin. Mon seul point de repère était un arbre entraperçu au loin. Il guida mon choix et tout en repensant à l’histoire de ce couple, je me dirigeai vers lui.
L’histoire se passe au 16ème siècle. Un couple sur le chemin du retour voit soudain un épais brouillard les entourer. Un coup de ces satanés lutins ! Ils perdent leurs repères, s’égarent, paniquent et se tourne vers le Très-Haut pour s’en sortir. Une fois sauvés, ils placent cette croix en guise de merci.
Encore fallait-il trouver cette croix ! Arrivé à hauteur de l’arbre aperçu au loin, mon bonheur est à son comble ! La voici ! Plus qu’à sortir mon appareil-photo et à en prendre quelques clichés afin de vous faire partager cette première aventure dans le Dartmoor…
Penchée sur un linge tâchéde sang, la Lavandière, vêtue d’une épaisse robe noire, bat en gémissant l’habit du futur défunt qu’elle tient entre ses mains usées. Celle-ci hante un ancien lavoir et de ses yeux s’écoulent deux filets de larmes rejoignant l’eau depuis longtemps croupie. Malheur àcelui qui croise le regard de cette femme endeuillée, c’est bien souvent sa propre mort qu’elle augure et son linceul qu’elle tient au bout des bras !
La lune caressait le paysage de ses rayons de lumière pâle conférant aux arbres des allures de silhouettes fantomatiques. Sur le chemin qui menait au village de P., un homme marchait. Il revenait d’une soirée bien arrosée où l’on avait fêté le demi-siècle d’un ami de toujours. Lui, il dépasserait ce cap d’ici deux mois. Il s’imaginait déjà ce jour, ses amis, et les heures de rigolade débridée. Sifflotant, il avançait le cœur joyeux quand son regard fut attiré par une ombre dans les fourrés. Machinalement, l’homme quitta le chemin pour s’approcher, attisé par une curiosité de poivrot, titubant entre les buissons, trébuchant sur les pierres d’un sentier improvisé bien moins sécurisant que la route du village. Au bout de quelques minutes de marche hasardeuse, il déboucha sur une clairière ouvrant sur un étang. L’ombre était posée sur la berge. Plissant les yeux, il devina plus qu’il ne vit une femme, drapée dans des vêtements sombres et qui battait l’eau de manière régulière en murmurant un chant ancien. L’homme avait déjà entendu cette mélodie. C’était un chant de pleureuses, du temps où un groupe de femmes gémissantes accompagnait les cortèges funèbres.
Il s’approcha de la femme, la salua mais ne reçut point de réponse. Armé du sot courage que vous confère l’alcool, il s’avança encore et toucha l’épaule de la dame. Elle se redressa lentement. Fixant d’abord le sol, elle releva lentement la tête pour faire face à l’homme. Son visage était d’une blancheur maladive, ses yeux d’un noir profond, creusés comme le sont ceux d’un être marqué par une terrible tristesse. Sans un mot, la dame leva les bras, tenant au bout de ceux-ci un linge blanc trempé. Par reflexe, l’homme s’en saisit et se mit à le tordre. De l’eau s’écoula du linge et mouilla le sol au pied du soulard qui s’en amusait. Quelques secondes plus tard, un liquide plus épais, plus poisseux se répandit à son tour et l’homme s’en effraya : ce n’était plus de l’eau mais du sang qui suintait du linge. La peur qui le saisit alors le dessoûla aussi net. Mais il était trop tard, il avait entre les mains le linceul d’une Lavandière, l’une de ces fées maudites que l’on croise la nuit le long des anciens lavoirs et des étangs. S’il avait eu un brin de conscience cette nuit-là, il aurait fui, couru pour rejoindre son village. Son sort était scellé. Il avait accepté le linge maudit, l’avait tordu. Peu importe s’il parvenait maintenant à rejoindre sa demeure ou s’il se laissait conduire par la fée vers l’eau froide. Quoi qu’il fasse, il le savait, il ne fêterait jamais son demi-siècle.
Ce que j’apprécie beaucoup en Angleterre outre ses paysages et légendes, c’est la liberté de vie qui y règne. Libre de se vêtir comme on veut, de s’exprimer, de suivre ses croyances. Un pays où le punk croise le chapeau melon sans que l’un ne s’offusque des idées de l’autre, c’est génial. Enfin, ce n’est pas toujours le cas, n’idéalisons pas trop non plus… Bref, au détour d’une visite, voilà que je tombe sur cette affichette « Avez-vous vu cet homme ? » et ce visage de lutin. Evidemment, je m’arrête pour lire le document et je comprends alors que l’affiche est un appel à témoins de manifestations de fées et lutins. Avouez qu’on ne verrait pas facilement ce genre d’affiche chez nous ! 😉
C’est le coeur plein de joie et l’esprit plein de rêves que je suis revenu d’un beau voyage dans le Dartmoor. Ce lieu magique de landes perdues au sud de l’Angleterre où tant de légendes sont nées.
Le royaume des Pixies est d’une beauté aussi rare que sauvage. ce genre de paysage qui me nourrit et engendrera sans nul doute de nombreux textes à venir…
J’ai trouvé vraiment superbe ces aubépines sacrées battues par les vents et aux branches desquelles les gens placent des petits billets, des pièces de monnaie ou des morceaux d’étoffes, des bouquets en guise de merci, de permission ou de demande aux fées…
Rassurez-vous, j’ai pris le temps de collecter pour vous quelques légendes et de nombreuses photos pour partager les souvenirs de ce beau et troublant voyage sur le blog dans les semaines et mois à venir.
Il y a deux semaines, j’ai eu la chance d’aller admirer une exposition féerique à Moretonhampstead, dans le Dartmoor. L’occasion de découvrir cette chouette petite galerie d’art qui propose une exposition d’originaux de Brian et Wendy Froud, Alan Lee, Paul Kidby, David Wyatt, Virginia Lee, Rima Staines, Terry Windling… Nous étions sous le charme de ces tableaux et sculptures issus de ces artistes qui ont marqué Féerie. A part l’invité de marque, Alan Lee, les autres résident à deux pas d’ici, dans le magnifique parc national du Dartmoor et de ses landes enchantées… Si vous avez l’occasion de passer cet été dans le Devon anglais, ne manquez pas d’y faire un tour ! L’expo est visible tout l’été jusqu’au 27 août.