Auteur/autrice : Richard Ely

  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°6

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (6)

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    Dans cette nouvelle partie de la Grande Interview de l’Elficologue, nous retrouvons Pierre Dubois sur les bancs de son école d’Art non dénué de coquineries…
    Richard Ely : Tu as fait de la gravure ?
    Pierre Dubois : J’ai commencé en déco, plâtre puis en gravure. Parce que la gravure me permettait de raconter des histoires. Je dessinais à la plume, à l’encre. C’est pour ça que j’écris toujours à la main, je ne tape pas, moi j’écris à la main. J’écris presque comme je dessine et je dessine presque comme j’écris. Je me raconte des histoires en dessinant… J’étais pas un bon élève mais j’ai continué d’avancer dans ce que je voulais faire. Et ce Barriau l’avait bien compris. Un jour, il m’a demandé ce que je voulais qu’il m’apprenne. Je lui ai dit que je voulais apprendre à boire, parce qu’il buvait toujours du vin, et à « trouver le trou ». J’avais une petite amie plus âgée et j’étais empêtré… Je me débrouillais mal. Du coup, il m’enfermait avec cette jeune personne dans la réserve à plâtre pendant que les autres dessinaient. Pendant que les autres travaillaient, moi je m’escrimais à faire l’amour. C’est assez marrant qu’un prof te couvrait comme ça.
    Un jour, il m’a fait un tour. Disant qu’il n’avait pas la clé de la réserve à plâtre, il m’a proposé d’aller dans le bureau du directeur soi-disant absent. C’était Jules France. On a donc utilisé le bureau, la demoiselle avait ses pieds sur mes épaules et le directeur est arrivé. Et il a crié « Dubois, qu’est-ce tu fais là ? » Et comme j’avais un soulier tout près de moi je lui ai répondu : « Je lui remets son soulier ». Et il m’a dit de lui remettre son soulier huit jours dehors. J’ai donc été viré huit jours alors que finalement il aurait pu me virer. C’étaient les Beaux-Arts d’autrefois, y avait un esprit d’atelier. Ils m’avaient pris à la bonne finalement.
    Après les Beaux-Arts, j’ai donc fait ce service militaire puis rencontré Seignolle. Il ne m’a pas pris sous son aile. Je cherchais pas quelqu’un qui m’aide à trouver un éditeur mais il m’a écouté, a lu mes histoires, m’a présenté deux, trois gars, notamment la revue Vampirella, puis Eerie dans lesquelles il faisait des nouvelles que j’ai illustrées… Il faut reconnaître qu’il s’est toujours passé des trucs bizarres, c’est pour ça que je crois aux récits initiatiques des contes de fées car si tu suis ton chemin… Dans le Changeling par exemple, on dit toujours va où te conduisent tes pas. C’est un peu ça. Je vais pas te raconter toute ma vie, pas très drôle. Mais j’ai, à cause d’un tas de péripéties, de malheurs, de deuils, j’ai quitté Valenciennes, je suis parti. J’ai fait un tour de France, j’ai fais du collectage. Seignolle m’avait dit comment il avait fait du collectage chez les vieux, etc.
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    Richard Ely : C’est l’exemple de Seignolle qui t’a donné l’envie de faire pareil ? Mais au départ, c’était donc assez large, tu n’étais pas encore dans les fées et lutins…
    Pierre Dubois : Non, c’était le fantastique au sens large. Y avait des histoires de sorciers, meneurs de loups, fantômes, loups-garous mais bien entendu aussi de fées… J’étais très attiré par les histoires de fantômes d’autant que j’avais perdu quelqu’un de cher. La femme que je devais épouser a été tuée le jour de mon mariage dans un accident de voiture. Le jour du mariage en allant chercher sa robe de mariée, ça, ça te marque. J’avais besoin d’histoires, de savoir que la mort, la vie ne finissait pas. J’avais aussi fait un peu de protection de rapaces, j’habitais dans un petit village avec des oiseaux, des faucons et j’avais rencontré une jeune fille qui jouait joliment de la flûte, qui avait un côté fée sauvage, qui parlait aux oiseaux… J’ai commencé à faire du collectage et à écrire des histoires sur papier parchemin, illustré, tout à la plume d’oie.
    J’ai commencé à faire du collectage, à récupérer des histoires et à écrire des histoires. J’ai écris sur du papier parchemin illustré, écrit à la plume d’oie et j’ai essayé de trouver un éditeur et c’était Pauvert. J’ai décidé d’aller voir Pauvert. J’ai écris une histoire.. « Monsieur Pauvert, j’aimerais vous rencontrer pour écrire, vous lire une histoire »…
    Richard Ely : Et pourquoi Pauvert ?
    Pierre Dubois : Parce qu’à l’époque, y avait que lui et Losfeld pour éditer du fantastique, Sade, des bouquins bizarres, étranges. Losfeld faisait Midi Minuit fantastique. Pauvert avait sorti Alice au pays des merveilles avec des dessins de Tenniel, donc je me reconnaissais là-dedans. Evidemment il a du se dire : « qui est ce petit branleur qui veut me lire son histoire sur des dimensions de papier et deo gratias ». J’avais deux histoires. Et des nouvelles fantastiques. Comme il m’a répondu que « non, on ne donne pas de rendez-vous comme ça, envoyez nous votre manuscrit ». J’ai pris un carton à dessin, j’ai rassemblé du papier et j’ai dessiné un faux de son catalogue. Il avait un catalogue bien particulier en hauteur comme ça avec marqué Jean-Jacques Pauvert. Moi j’ai marqué Pierre Dubois et j’ai fait une espèce de fac-similé, une copie de son truc avec des gravures où je citais mon bouquin de 325 pages un truc comme ça. Autre ouvrage probable, beau carton toilé avec trois ficelles une au-dessus, une au milieu. Tu vois, je me fichais de sa gueule en même temps et finalement ça l’a amusé et il m’a donné rendez-vous. Et je lui ai amené mon bouquin qui était un grimoire en parchemin, avec des signets, des feuilles d’arbre dedans, des bouts de racine, de la mousse, des plumes. Il m’a demandé ce que c’était, s’il pouvait le garder. Moi j’ai refusé, mais je lui ai lu. Il m’a dit que c’était un jardin, avec de belles choses, de belles pousses mais aussi des orties, des broussailles, qu’on s’y perdait un peu. « Faudrait faire des sentiers, élaguer, tracer des sentiers sinon vos belles fleurs on risque pas de les voir. Revenez me voir plus tard ». Voilà ma première rencontre avec un éditeur. Après il y eut le service militaire, la rencontre avec Seignolle, puis le collectage des légendes…
    Entre-temps, j’étais retourné voir cette amie, j’avais un corbeau à l’époque sur l’épaule, qui s’appelait Nao. Et j’avais un copain, libraire sur Lille, Favreau, bouquiniste, qui m’aimait bien. Ses parents m’avaient acheté des dessins. Il m’a présenté un gars qui s’appelait Pierre Dupriez, il était auteur, producteur, il a écrit des choses. C’était un enthousiaste, un gars adorable, charmant, qui avait un beau poste aux PTT mais qui était passionné par le fantastique. Il avait un ton de voix formidable. Il adorait aussi la littérature populaire… Il venait sans arrêt chez ce bouquiniste où on trouvait encore des Harry Dickson en fascicules. Et je l’ai amusé avec ma cape noire, mon corbeau et tout ça. Et il a vu mes dessins qu’il a bien aimés. Et comme il connaissait Eerie, Creepy, Vampirella, Seignolle, qu’il avait vu mes dessins… il a fait une émission sur moi en radio. Et lors de cette émission, il y avait Catherine Clesse, réalisatrice de l’émission, elle avait mis en ondes cette émission. Et elle m’a demandé si dans le Nord il y avait suffisamment d’histoires pour faire une série d’émissions sur la sorcellerie, la magie, le folklore. Oui, j’ai dit qu’on pouvait même faire un an, et puis y avait la Belgique à côté avec ses géants, y a Mons et le dragon, le bouzouc à Berlaimont. Et je suis rentré à l’ORTF à l’époque et au lieu de faire un an, j’y suis resté trente ans.
    pierredubois0602La maison de Pierre, ferme labyrinthique où en chaque pièce des dizaines de lutins se jouent des milliers d’objets entassés…
    Richard Ely : Tu as donc vécu d’émissions radio et TV sur le légendaire ?
    Pierre Dubois : Sur le légendaire pendant trente ans, oui. C’est pour ça que quand on me demande si les fées existent, je dis oui, c’est clair !
    Si tu veux, j’ai fais des émissions de radio, de toutes les sortes mais pratiquement toujours sur le fantastique. J’ai eu une émission qui s’appelait Histoires pour les veillées où j’allais faire du collectage avec un magnétophone et un technicien. On allait dans les campagnes et comme j’étais d’une nature à accrocher facilement avec les gens je leur racontais quelques histoires et ils m’en racontaient d’autres. J’ai fait des tonnes d’émissions dans le genre avec Jeanne Devos par exemple, maintenant il y a un musée Jeanne Devos près de Bergue, à Wormhout ça a été une amie, elle habitait un vieux presbytère. C’est devenu un musée chez elle et quand j’y vais, ça me fait drôle parce que j’ai dormi là, j’ai mangé là, là où on vient voir cette cuisine à la flamande. J’ai fait des émissions là-dessus, elle m’avait emmené voir un château hanté, hanté par le Zylof de Steenbourg. J’ai rencontré des personnages étonnants, des auteurs bien sûr… Alors j’avais cette émission, je faisais les interviews mais les textes également. Après, j’ai fait des pièces radiophoniques, et après des émissions plus longues le soir dont une émission sur Jean Ray. C’est-à-dire que tous mes goûts littéraires, tous les gens que j’admirais, j’ai pu les rencontrer à partir de là, j’ai pu faire des émissions sur Paul Delvaux, André Delvaux, Félix Labissse, Vandewattyne, tout m’était ouvert. J’ai commencé à écrire de plus en plus et Catherine Clesse… En fait, j’avais une forme de complexe n’ayant pas été longtemps à l’école, j’avais du mal à me plier à certaines exigences et puis, surtout, je profitais de l’antenne pour balancer ce que j’avais envie de balancer sur les tyrans, les injustices. Catherine essayait de ménager tout ça, elle a été absolument adorable et elle m’a aidé aussi dans la mesure où elle m’a fait lire des bouquins, m’a fait écouter des choses, des musiciens, Stravinsky, Debussy, Ravel que j’aimais sans connaître. Et aussi, je faisais énormément de fautes d’orthographe et en radio ça ne se voyait pas. J’avais le vocabulaire, la musique mais je faisais des fautes d’orthographe et j’ai appris à écrire, j’ai fait des pièces radiophoniques, j’ai eu des prix. La maison que tu vois a été achetée grâce à mes pièces.
    pierredubois0603Le bureau: la pièce où les histoires naissent…
    Richard Ely: Ça veut dire quoi, elle corrigeait tes textes, te forçait à revoir la syntaxe, etc ?
    Pierre Dubois : Oui, elle me corrigeait et puis à force d’écrire, de lire, j’ai commencé à comprendre certaines manières décrire. Un peu comme Jean Ray aussi, certains tiquent sur quelque unes de ses phrases qui ne sont en bon français. Après tout, il était flamand ! Mais il avait sa manière d’écrire comme moi, j’ai forgé la mienne. Le mot autodidacte, moi je l’aime bien. Très souvent, tu as des profs de littérature qui ne savent pas écrire parce qu’ils voient partout des références, ils sont bétonnés, ils sont cloisonnés, c’est devenu un travail plus un plaisir. J’ai eu une amie comme ça, son père était mon prof d’anglais et il ne voyait pas d’un très bon œil que je sorte avec sa fille. Pour lui, j’étais un mauvais élève… Sa fille, c’était une universitaire… Encore aujourd’hui, je l’ai revue des années après, elle m’a dit « tiens il paraît que c’est bien ce que tu écris, j’ai une amie universitaire qui m’a dit que ton point de vue sur les fées était très correct, bien mieux que ce que d’autres peuvent écrire sur le sujet ». Merci ! Elle avait le droit du haut de sa chaire de me dire que c’était bien.
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    Richard Ely : On peut dire aussi que c’est en radio que tu as développé cette musicalité et cette richesse de vieux mots ?
    Pierre Dubois : Oui, tout a fait, et j’écris tout haut. Je peux parfois passer une heure sur une phrase… J’ai emmagasiné une nombre infini de vieux mots, il y a en moi comme un humus dans lequel je vais puiser. Tu m’avais demandé d’amener trois objets, un des objets est ma maison. Parce qu’il y a plein d’objets dedans justement. J’ai besoin d’énormément d’objets autour de moi, des objets, des images. Si je me mets à écrire le changeling, ou les comptines assassines, si je prends Jack l’éventreur, je mets une musique adéquate, Gavin Bryars, que j’écoute en boucle jusque quand la magie commence et je mets tout autour des objets qui me rappellent Whitechapel, des photos du London Hospital, un sifflet de flic de l’époque victorienne. Je vais fumer du tabac… Si je reviens au Moyen-Âge, je vais regarder des films de Robin de bois, du seul film, La rose et la flèche de Lester avec Sean Connery et Hepburn, ou encore les Eroll Flynn, écouter de la musique moyenâgeuse, je vais me mettre une flèche devant les yeux, une corne, un olifant, je vais me mettre de la mousse, du feuillage, des choses comme ça… Tu as vu où j’écris, c’est vraiment un capharnaüm en plus je ne touche pas à la poussière, aux toiles d’araignée, c’est vraiment mon antre, là où j’alchimise. Et quand j’écris, j’ai justement l’impression que ce sont des formules magiques qui traduisent mon état d’esprit ou pour capter l’histoire. C’est pour ça que je n’envoie pas les écrits à mes éditeurs, ils n’auront jamais un texte tapé, ils auront un texte écrit à la main sur papier quadrillé. J’essaye d’écrire au mieux, il y a vraiment une magie à atteindre. Donc si tu veux, j’ai appris à écrire, je n’ai été influencé que par mes lectures et les auteurs que j’ai choisis. Un bouquin bien écrit est un livre qui me donne une belle musique. Comme les héros de mon enfance, les auteurs m’ont influencé. Comme dans un beau paysage, ton âme va s’élever… Alors évidemment un mec qui écrit de l’écriture blanche, ça le dérange pas de taper sur l’ordinateur, il est dans un bureau qui ressemble à un ordinateur, il vit dans une ville qui ressemble à un ordinateur. C’est vraiment pas mon truc.
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  • Merveilles & Légendes de Korrigans, Petits contes secrets – Pascal Moguérou – Au Bord des Continents

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    Voici le dernier-né des livres de Pascal Moguérou, un auteur fier de sa Bretagne et passionné par les petits êtres qui l’habitent. Il nous revient donc pinceaux et plume à la main pour nous offrir 13 petits contes des landes bretonnes chez Au Bord des Continents. Voilà une bien belle nouvelle ! Côté textes, vous y trouverez: Guillaume de l’île de Sein -Les seigneurs de la lande -Les contrebandiers de la pleine lune -Le cadeau volé -L’enfant qui aimait les arbres -Le bébé échangé -Le nain et le géant -La pierre qui brûlait -Le géomonier -La forêt perdue -Le sombre royaume -Le bâton merveilleux et Le Génie du grenier. Plus qu’à mettre la main dessus pour vous en parler un peu plus en détails un de ces jours…

  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°5

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (5)

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    Après avoir évoqué les saveurs de la Belgique, proche de son Angleterre rêvée, Pierre Dubois emprunte un autre chemin, celui de son enfance, quelque peu arrachée à ses Ardennes chéries…
    Pierre Dubois : C’est vrai que petit, et ça c’est important, j’ai quitté les Ardennes… Les Ardennes pour moi, c’était cette grande forêt, une forêt de légendes aussi. Je croyais beaucoup à l’esprit des lieux…
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    Richard Ely : On te racontait les légendes ardennaises ?
    Pierre Dubois : J’en entendais parler… On m’a très peu raconté d’histoires, mon beau-frère un petit peu. J’avais des oncles et tantes qui me parlaient des quatre fils Aymon, des dames de Meuse… je suis parti je devais avoir cinq ans… J’avais perdu quelque chose que je retrouvais à Valenciennes dans le jardin. Mélangé aux images de films, d’illustrés, ce jardin est devenu ma forêt de Sherwood. C’est devenu mon univers, clos. Mais assez grand, y avait des arbres, je grimpais dans les arbres. Enfant, tu joues dans un carré d’herbes et à côté y a les laitues, ton père est en train de bêcher, de sarcler… Moi, je jouais autour de lui et je ne le voyais pas, il était comme estompé et je voyais le roi arthur. C’est ça le pouvoir de l’imagination, il n’y a rien de plus fort que ce pouvoir de l’imagination. Et quand elle fait alliance à la nature, au jardin, il y a une sorte d’alchimie parfaite où la nature se fait complice. Elle va te tendre des branches qui vont avoir la forme de voûtes, d’ogives, de mats de misaine, de choses comme ça… Et elle va t’offrir aussi des bâtons, des arcs, des lances, des épées.. J’ai retrouvé ça aussi en écoutant l’enfant et les sortilèges de Collette et Ravel avec un enfant qui est puni et qui va se réfugier dans le jardin et ce jardin devient la forêt primaire, la forêt des contes. Il y y avait ce plaisir de lire, perché dans un arbre, j’étais comme Peter Pan dans mon arbre, un enfant perdu… Finalement, je crois que c’est parce que Jean Ray avait rêvé son Angleterre et moi la mienne que ça a marché. C’est vrai qu’il y a des endroits que tu veux découvrir parce que tu as lu certains bouquins. Et quand tu arrives, tu es déçu. Et en Grande-Bretagne non. Tu rêves à une écosse de Rob Roy et tu trouves une écosse de Rob Roy. Tu rêves à un dartmoor sauvage où le chien des Baskerville a hanté les landes, tu le trouves. Tu lis Lorna Doone de Blackmore que j’avais adoré, tu trouves même l’église où elle s’est mariée et où on a tiré sur elle. Moonfleet, tu vas au bord de la fleet et tu vois la petite église où les butins des smugglers, leurs tonneaux de whiskey et de rhum sont cachés. L’auberge de la Jamaïque, j’ai cherché l’auberge de la Jamaïque, elle existe. Dans l’Exmoor. Sheerwood existe, l’arbre de Robin des bois existe. Tu n’es jamais déçu. Et donc, quand j’ai lu Jean Ray, ça a été vraiment une révélation et l’envie d’écrire, il m’a donné l’envie d’écrire des histoires fantastiques. J’avais déjà commencé à écrire parce que j’avais tellement peu de livres que je m’en fabriquais. Je découpais des illustrations, je les collais dans un cahier, un carnet, et j’écrivais des petites histoires en dessous…
    Richard Ely : Des histoires fantastiques ?
    Pierre Dubois : Un peu fantastique, un peu aventure.
    Richard Ely : Parce que Jean Ray, ça touche beaucoup à l’horreur, à l’épouvante, au terrifiant…
    Pierre Dubois : Ah mais moi, je ne me suis jamais senti terrifié avec Jean Ray, je m’y sentais même bien. Ça dépend de quel côté tu te mets. C’est un peu comme des contes de fées. Si tu te conduis mal avec les fantômes, les fantômes t’emportent. Et le conte, le récit initiatique, c’est un peu ça aussi. Le conte t’apprend comment gérer tes peurs, combattre les ogres, les dragons. Si tu fais alliance avec la nature, avec les animaux, si tu gardes une forme de cœur loyal, tu gardes ton innocence jusqu’au bout, tu seras récompensé sinon tu es bouffé. Et le récit fantastique, c’est un peu ça… Donc, j’ai pas eu peur. J’étais inquiet parce que c’est inquiétant, mais j’ai pas eu peur, j’y ai pris beaucoup de plaisir. Après, il y a eut Harry Dickson, Cric-Croc le mort en habit. Harry Dickson allait plus loin que Sherlock Holmes. Sherlock Holmes, c’est le personnage qui est intéressant. Il y a quelques histoires qui sont très bien, l’atmosphère est prenante, mais les enquêtes, il y a un côté pour que tout rentre dans l’ordre, y a pas de mystère. Alors que chez Harry Dickson, il y a le personnage, l’enquête et ce petit frisson en plus… La bande de l’araignée, des titres absolument extraordinaires, le lit du diable, rue de la tête perdue et, à l’école, je ne trouvais pas ça. C’est-à-dire qu’enfant j’ai cru, comme je ne savais pas lire et que je regardais les images, j’ai cru qu’en arrivant à l’école on allait m’ouvrir la clé de la littérature, mais je me suis vite rendu compte que les instits ne nous racontaient pas d’histoires mais nous enfilaient les dates les unes après les autres, tout était dépoétisé au possible. Donc, je m’en suis désintéressé petit à petit, j’ai décroché. Et dès que tu décroches de l’école, quand on te demande ce que tu veux faire plus tard et que tu dis écrivain, t’es foutu. Si tu dis ingénieur, c’est bien. Pompier, c’est normal. Mais écrivain, t’es foutu. « Allez l’écrivain, au tableau. Eh bien c’est pas terrible pour un écrivain… ». Alors, je me suis mis aux rédactions, je me suis appliqué mais bien souvent, j’avais des bulles car trop d’imagination, hors sujet. Je m’appliquais aux dessins aussi. Je me préparais tout seul au métier d’écrivain, d’artiste, d’illustrateur…
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    Après Ray, il y a eut Seignolle. Tu me demandais si on me racontait des histoires quand j’étais petit. Eh bien, mon parrain me parlait souvent de la bande à Moneuse. Moneuse étant un bandit de grand chemin qui avait semé la terreur du côté de Bavay, Mons… Il avait laissé une trace de brûleur de pied, de chauffeur du nord… Les grilles que tu vois dans les fermes, ça s’appelle des moneuses, parce qu’on grillageait ses fenêtres contre ses attaques. Il m’avait parlé de Moneuse qui se cachait dans une grotte, une caverne, au caillou qui bique. Et il me parlait d’une Dame blanche mais on ne savait pas si c’était une fée ou un fantôme, il y avait un mystère tout autour. A chaque fois que je demandais, il me disait « ou c’est une bête ! ». C’était assez effrayant. J’y suis allé avec un copain et on n’a pas vu de rocher, de Dame Blanche par contre je me suis tapé une angine blanche. Et c’est là que ma mère m’a offert la Malvenue et Marie la louve de Seignolle. Là, il parle aussi de dame blanche. Jean Ray et Seignolle étaient alors pour moi des maîtres absolus, deux êtres mythiques que je ne pensais pas rencontrer. Tu vois, aujourd’hui, il y a des salons, des dédicaces où tu peux espérer rencontrer tes auteurs, discuter avec eux, là, non. Je vais donc, bien des années après au service militaire à Epernay, dans la Champagne… J’y ai fait de la déco, je faisais des peintures, du coup j’ai pas fait les classes. Comme je les ai pas faites, ils m’ont envoyé à Epernay où j’ai fait de la peinture et un ciné-club. De l’endroit où je dormais, je voyais une sorte de ruine. A ma première perm, je m’y rends à travers les vignes et ce n’était pas du tout une ruine mais une église. Une église vide d’où se dégageait une ambiance particulière, une belle lumière filtrée par les vitraux, il y avait des corbeaux aussi qui criaient dans les grands arbres. Un petit cimetière tout autour. Alors je redescends et là une voiture s’arrête et me raccompagne à la caserne. C’était un paysan, un vigneron. Et là, il me dit « Tu sais, tu reviens du domaine de la Dame Blanche. Chavaux, c’est le domaine de la Dame Blanche ! ». Du coup, je l’interroge mais l’homme n’en savait pas plus. Il me renseigne alors sur une dame à la bibliothèque d’Epernay qui elle, pourrait répondre à mes questions. Donc, à la perm suivante, je me rends à cette bibliothèque où il y avait tous les recueils de contes, de folklore, tout Féval, Sébillot, Anatole Le Braz, Van Gennep, les fondateurs du folklore… C’était la bibliothèque dont je rêvais enfant ! Je demande donc à voir la conservatrice qui voyant arriver un militaire se met à sourire. Et en fait, cette dame était la fille d’Arnold Van Gennep ! Au fil de la conversation, elle me dit que je lui fais penser à un jeune homme qui était venu voir son père, il s’intéressait aussi aux fées, aux Dames Blanches. « Vous le connaissez peut-être », me dit-elle, « parce que maintenant il écrit ». C’était Claude Seignolle. Là, je lui dis toute mon admiration pour Seignolle et elle me propose de lui écrire une lettre de sa part. Et j’ai écris à Seignolle. J’avais écrit une nouvelle sur lui, j’avais fait beaucoup d’illustrations à partir de ses textes… Il m’a invité chez lui, rue Vaneau à Paris et je me suis retrouvé en face du grand sorcier que j’appelais le Croseignollesque. Pour moi, c’était vraiment le sachant, le diable, c’était Bas-de-Cuir, un personnage légendaire. Adolescent, j’avais eu une adolescence très difficile, très compliquée, je m’habillais tout en noir, la négation. J’étais un hurlut…
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    Richard Ely : Pourquoi ce choix vestimentaire, t’être toujours habillé de noir ?
    Pierre Dubois : Je ne sais pas. Il y a eu comme une cassure adolescent. Et je me suis toujours depuis habillé en noir à tel point que dans une autre couleur, je me sens mal. Est-ce dû aux héros justiciers de mon enfance ? Je ne sais pas… A l’époque, c’était bizarre. « Croâ, croâ ! » Les gens criaient au corbeau. Il n’y avait absolument pas la mode des gothiques. Peut-être aussi un peu de provocation… Et donc, j’en reviens aux hurluts, je m’étais créé un monde de fées, de lutins. Les hurluts en ardennais sont les éclairs de chaleur. Lorsque le ciel est orageux, y a pas de tonnerre, mais des éclairs de chaleur. C’était des éclairs dans la nuit et moi je vivais une sorte de nuit perpétuelle. Quand tu es adolescent, tu as le mal de vivre et en plus, j’avais été viré de l’école, je rentrais pas dans les trucs, je voulais pas être dessinateur industriel comme mon père, je voulais pas faire de comptabilité, je savais ce que je voulais faire mais personne n’était d’accord. A tel point que mes parents m’ont envoyé chez un psy qui m’a demandé ce que je voulais faire et je lui avais répondu tueur à gage. Tout simplement car tuer mon prochain et être payé pour, c’était le pied, t’étais rejeté ! Et ce psy a été génial. Il s’appelait Baudouin, je l’ai appelé Saint-Baudouin, on est devenus amis par la suite. C’est pour ça que je passe tant de temps avec les jeunes qui viennent me voir, car je me revois enfant, rejeté par tout le monde, par les adultes… parce que tu veux être écrivain, parce que tu veux dessiner… Ce psy m’a conseillé de rentrer aux Beaux-Arts. Il m’a acheté une nouvelle et les illustrations. Il me l’a acheté pour prouver à mes parents que je pouvais vivre de ma plume et de mes dessins. Il s’est suicidé beaucoup plus tard et ça été pour moi un crève-cœur. J’avais 14, 15 ans lorsqu’il a été voir le directeur des écoles académiques de Valenciennes pour que j’y rentre. Et j’ai donc fait les Beaux-Arts à Valenciennes. J’ai eu des profs qui étaient des maîtres notamment Barriau, prix de Rome de gravure (NDLR : nous n’avons pu retrouver ce nom associé au Prix de Rome, si vous le pouvez, faites-nous signe !) et Betremieux, un très bon peintre que j’aimais beaucoup. Dubuisson aussi… J’avais une grande admiration pour ce Barriau.
    pierredubois0504La vieille bâtisse plonge son regard sur le jardin…
    pierredubois0506… où l’elficologue se promène suivi de quelque fée, quelque lutin !
  • La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°4

    La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (4)

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    Toujours installés sous le seringat, le « jasmin des poètes » tout en fleurs et en parfum, sur la petite terrasse au pied de la magnifique ferme de Pierre Dubois, l’échange se poursuit autour de Jean Ray et des premières lectures fantastiques. Pendant que Pierre évoque ses souvenirs de jeunesse, des murmures et gazouillis nous parviennent depuis ce territoire de verdure abandonné aux fées, couloirs de verdure où les petits êtres s’amusent à observer l’homme qui, au fil du temps, est devenu leur ami, leur porte-parole…

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    Richard Ely : Tu connaissais la vie de Jean Ray, sa légende ?
    Pierre Dubois : Non, je ne connaissais pas sa vie. Sa légende, oui. Je lisais les préfaces. Il y avait Henri Vernes qui écrivait Bob Morane, il avait son messager, son annonceur. Je dois d’ailleurs beaucoup à Henri Vernes quelque part…
    Richard Ely : Tu les a croisés ?
    Pierre Dubois : Je n’ai pas croisé Jean Ray. Il est mort avant que je puisse le rencontrer mais j’ai rencontré sa fille. J’ai fait des émissions sur lui. J’ai rencontré Marcel Thiry, qui était un écrivain fantastique et qui l’avait édité dans les Cahiers de la Biloque. J’ai rencontré le Père De Kesel des éditions Presto films qui était à l’abbaye d’Averbode et qui m’a parlé de Jean Ray, des parents de Jean Ray, et puis sa fille… Je suis allé chez lui mais ça c’est par la suite. Au départ, j’ai cru comme tout le monde à la légende qu’il s’était forgée par lui-même et qu’Henri Vernes avait d’ailleurs magnifié en parlant de piraterie. Il n’était pas loin quand même, Jean Ray était un pirate, un pirate en chambre mais un pirate quand même. C’était encore plus extraordinaire de nous avoir fait croire à toutes ces histoires ! Il s’est fait une légende et je trouve ça étonnant.
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    Richard Ely : Est-ce que cela t’a donné une certaine vision de l’Angleterre ?
    Pierre Dubois : Oui, j’ai découvert l’Angleterre mythique, l’Angleterre à laquelle on rêve parce que lui-même rêvait son angleterre. Remarque que lorsque tu vas à Gand ou Bruges, tu as l’impression d’être à York par certains moments, dans certaines rues de Londres, c’est la même brique, une brique un peu sombre, un peu fumée et les trottoirs… Après j’ai découvert Whitechapel, il y a plus de trente ans, presque quarante ans maintenant. Javais une vingtaine d’années, Whitechapel ressemblait encore à Whitechapel. Maintenant, c’est transformé. Y a des quartiers de Londres complètement défigurés par les architectes. Quand tu penses que Big Ben était la plus haute tour et que maintenant y a une espèce de grand suppositoire hideux, sans âme, qui déforme complètement les docks, c’est triste. Mais il subsiste encore des petits coins où l’âme de Londres est perceptible. J’ai un ami qui vit à Londres et qui m’emmène dans des endroits comme ça. Le pub où le Capitaine Bligh et Fletcher Christian se cuitaient la tronche avant de monter sur le Bounty, des endroits où Nelson venait rencontrer sa maîtresse, où Dickens venait régulièrement, où Sax Rohmer, l’auteur de Fu Manchu, Mac Orlan ont vécu,… Mon ami connaît les endroits et tu n’es pas déçu car tu vois le Londres qu’a connu Jack l’éventreur, et Conan Doyle, tout y est. Tu débouches dans une rue et tu sens qu’Oliver Twist, Fagin et Sikes, l’affreux Bill Sikes, sont passés par là. Y a des fantômes, tu grattes un petit peu et tu les trouves, même pas besoin de gratter, un petit brouillard et puis ça y est.
    pierredubois0406La mystérieuse Whitechapel de Londres…
    pierredubois0407Du vieux Londres au vieux Bruges…
    pierredubois0408Gand, ville de Jean Ray… L’entendre évoquée par Pierre me ramène à cette belle cité où j’ai moi-même vu le jour…
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    Richard Ely : Tous ces classiques que tu cites, tu les as lus en anglais ?
    Pierre Dubois : Non, en français, je ne maîtrise pas suffisamment l’anglais pour retrouver toute la saveur, la substance. Je veux bien faire confiance au traducteur à ce moment-là qui lui connaît bien la langue pour aller au plus près.
    Et donc cette Angleterre rêvée est belge en même temps. J’avais d’ailleurs une réelle fascination pour la Belgique. Quand j’étais enfant, j’avais donc des parents en Belgique. Je vivais en France. Je suis ardennais, né dans les Ardennes. Après, on est parti à Valenciennes et c’était une ville proche de la Belgique. Il y avait Quiévrain. On allait régulièrement chez des parents en Belgique et c’était un pays qui me fascinait. Déjà, il y avait la frontière, ça m’a toujours intrigué les frontières. D’autant plus que c’était une frontière dangereuse car il y avait des douaniers et qu’on ramenait des choses qu’il fallait pas. Le tabac, le café à l’époque, c’était interdit. C’était impressionnant pour un enfant, ces personnages avec des capes, ces gendarmes avec des grands chapeaux, des espèces de haute forme qui les faisaient paraître encore plus grands, et en plus ils étaient en noir. On franchissait la frontière et là, brusquement, il y avait un déballage publicitaire que je ne trouvais pas en France, y avait Jaffa, le tabac Jaffa, on y voyait un homme avec sa pipe, ça me faisait penser à Sherlock Holmes ou à un dragon qui fumait… y avait un dragon cuirassé qui fumait la pipe, j’adorais. Mes oncles fumaient aussi des cigares avec des bagues en papier, ils avaient des belles boîtes et ces cigares sentaient bon, y avait des décorations toutes dorées… Puis, il y avait aussi les affiches de cinéma que tu voyais un peu partout, peintes à la main. Ce n’était pas du tout comme aujourd’hui, une pauvre photographie du comédien principal. Qu’est-ce qu’on a perdu quand il n’y a plus eu d’artistes pour peindre les affiches de cinéma ! Moi, j’ai des souvenirs de véritables tableaux, de flamboyance extraordinaire où tu voyais Robin des bois, ou Errol Flynn dans Capitaine Blood, dans A l’abordage avec Maureen O’Hara, la rapière à la main… c’était des rêves, aujourd’hui, je ne sais plus quel film, sur Peter Pan, sur l’histoire de Barry. Il y a quelques temps on aurait vu Peter Pan surgir de la tête de Barry, ici tu n’as que la photo de Johnny Depp, on dirait un photo de carte d’identité ! Où est le rêve là-dedans, c’est épouvantable ! Donc moi, je découvrais toutes ces images et l’image a été également fondatrice pour moi. C’était autant de miroirs pour Alice au pays des merveilles. Chaque affiche, chaque image je rentrais dedans. Je rentrais dans les boîtes de tabac de mes oncles, dans les affiches… Ma vieille tante était marchande de parapluies et avait des affichettes sur sa vitrine qui annonçait des films comme le Prisonnier de Zenda, La Perle noire, Scaramouche, Ivanhoé, les Chevaliers de la Table Ronde, tu imagines ! Et quelquefois déjà aussi un peu érotique, tu étais tout jeune et il y avait ce côté interdit, enfant non admis, c’était écrit. Tu imaginais un tas de choses, la créature, la belle indienne ou la belle espagnole, la flibustière des antilles avec sa gorge dénudée, l’épaule dénudée, qui maniait le pistolet, c’était ambigu. Les westerns avec les filles avec des fouets, les squaws, c’était magnifique. Je découvrais la Belgique, le côté « anglais » de la Belgique à travers ces produits que nous n’avions pas en France. Les bonbons, les cuberdons, et certaines boutiques ressemblaient à des gravures anglaises où les bonbons étaient dans des bocaux. Où ça sentait bon quand tu entrais et toute cette Angleterre que je rêvais au travers d’images, je la retrouvais un peu en Belgique. Et puis la Belgique était flamboyante, ça paraît tout bête mais les boites aux lettres y était rouges avec un blason dessus. Tous ces petits détails, ça paraît insignifiant mais ça fait rêver un enfant. ça va révéler des choses en toi, te marquer, ça va affiner tes goûts, tes besoins, tes amours, tes rêveries… Et puis, tu avais des images de Londres, tu avais Guinness, Guinness is good for you. Y avait le whisky, Tintin, Spirou, toute cette bande dessinée qu’il n’y avait pas en France. Quand je retournais en France, je retournai dans un monde moins excitant, il y avait une espèce de paradis perdu, y avait un goût de paradis, de jardin et je me réfugiais dans mon jardin et je revivais tout.
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    La Belgique de l’enfance rêvée de Pierre… avec ses boîtes aux lettres rouges, ses gendarmes et douaniers, ses magasins de bonbons, les publicités pour le tabac, la bière, la guinness…
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  • Rencontre avec Hervé Thiry-Duval, féericologue en Franche-Comté…

    Hervé Thiry-Duval habite une région hantée par de nombreux esprits féeriques. Passionné de légendes, ce féericologue comme il aime se nommer, lorsqu’il n’est pas occupé à courir le pays en tant que conteur, écrit des ouvrages passionnants sur la Tante Arie, les lutins familiers, les vouivres, etc. Nous lui avons posé quelques questions suite à la parution en librairie des contes et légendes de la Haute-Saône et du territoire de Belfort aux éditions De Borée.
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    Votre grand-mère croyait aux fées. C’est d’elle que vous est venue cette passion pour la féerie ? 
    Ma grand-mère de conteur ! Quand j’écris des histoires, je respecte un vieil adage : il ne faut jamais laisser la vérité entraver le cours de la légende. Alors que ma grand-mère ait cru ou non aux fées importe peu, mon but est que le lecteur lui le croit. Mon goût pour le monde féerique, je le dois sans doute à la chère comtesse de Ségur (née Rostopchine) quand, très jeune, j’ai dévoré « les Nouveaux Contes de fées ». Un recueil bourré de forêts enchantées, de crapauds qui parlent et d’affreux maléfices jetés par de méchantes fées ; j’étais fasciné et terrifié mais je ne pouvais m’empêcher de le relire. Plus tard ce fut aussi l’émerveillement avec les livres de J.R.R. Tolkien et je n’ai plus quitté le trace des fées !
    Vous vous dites « féericologue »… Un mot inventé en référence à l’elficologue Pierre Dubois ? 
    Oui ! Cette idée d’elficologie m’a tout de suite emballé. La découverte de la Grande Encyclopédie des Lutins de Pierre Dubois, alias Petrus Barbygère !, a été un vrai bonheur de lecteur. J’ai aussitôt été séduit par sa belle et vivante façon d’aborder le domaine féerique. Outre sa puissante érudition, il apportait un ton nouveau, une poésie teintée d’humour. Peu de ses « suiveurs » lui arrivent à la cheville ! A l’époque je faisais des recherches sur les personnages merveilleux de ma région ; aussi pour donner un peu de lustre à ma signature pour l’avant-propos de mon dictionnaire des fées en pays comtois, j’ai trouvé plaisant de m’affubler moi aussi d’un titre ronflant. A la longue, ce terme  de « féericologue » défini assez bien mon activité.
    Dans votre livre le plus récent, recueil de contes et légendes de Haute-Saône et du Belfort, vous nous présentez les Pâles-de-Nuit, rencontre mystérieuse et pas sans danger… Ce mélange de séduction et de prédation, eros et thanatos, une marque particulièrement inscrite en féerie ? 
    Bien sûr, rencontrer une fée s’avère souvent dangereux à bien des égards. Certaines sont d’une beauté si envoûtante que l’on peut tomber définitivement «  fada » au premier regard. La vraie difficulté avec le Petit Peuple c’est qu’il ne respecte pas les mêmes codes que nous. Les fées, les lutins et tous les êtres faramineux sont des gens outrageusement susceptibles et l’on a vite fait de les offenser sans le vouloir. Ainsi si un soir vous vous promener en sifflant, les Fioles de Picardie vous agrippent et vous jettent à l’eau car ces lutins ne supportent pas les sifflements, encore faut-il le savoir ! Si pour lui faire plaisir vous offrez à un Caraquin d’Ecosse un vêtement neuf pour remplacer ses vieilles loques, ce dernier se vexe et disparaît pour toujours. En Irlande, il est hautement préférable de ne pas construire sa maison sur un « chemin de fées » car sinon, on n’aura jamais la paix…Je pourrais continuer cette liste jusqu’à la Saint-Glinglin.
    D’autres créatures, les Trottes-Vieilles sont filles de Cernunnos, on entrevoit là une filiation avec les divinités celtiques…
    Triade de fées cornues, les Trottes-Vieilles sont très actives durant la période de Noël. Elles ont comme beaucoup de leurs consœurs des origines gauloises. Ce phénomène d’anciennes divinités transformées en fées se rencontre assez couramment mais plus particulièrement avec les individus solitaires. Une fois la religion celtique effondrée, les anciens dieux ont cherché à survivre malgré tout, ils sont devenus des génies du terroir ou mêmes des saints et saintes catholiques !
     
    La Franche-Comté est un territoire qui a su garder de nombreuses traces des fées et créatures féeriques. Comment l’expliquez-vous ? 
    Camille Aymonier, un folkloriste franc-comtois, écrivait au début du vingtième siècle : « Quand les hommes avaient encore des yeux ingénus quand restait entier le mystère des monts et des forêts, nul pays plus que le nôtre n’était naturellement fait pour abriter les fées et les génies de toutes sortes, pour développer ce que j’appellerais l’esprit féerique. ». La  Franche-Comté a cette chance, c’est une région « verte »  avec des paysages très variés où l’urbanisation galopante laisse encore de grands espaces de nature à l’allure sauvage. On a certes plus de chance de rencontrer une Dame Verte en pleine forêt de Chaux que sur le parking d’un supermarché ou dans la rue piétonne de Besançon  (capitale franc-comtoise !). Bien sûr, il faut aussi rendre hommage aux conteurs, ce sont eux les prêtres du merveilleux qui, au fil du temps, ont permis à cette étrange culture de survivre jusqu’à nous. C’est par la magie des contes et des histoires que le peuple féerique continue d’exister.
     
    Une des créatures les plus extraordinaires et représentatives est la Vouivre. Mais en Haute-Saône et au Belfort, on parle plutôt d’une Voivre…
    On disait jadis que chaque village de Franche-Comté connaissait « sa » Vouivre. Autant dire que les fées-dragons pullulent dans cette région avec une prédilection pour les montagnes du Jura. Ici ou là, elles portent un nom local comme Voivre ou Vaivre. En Suisse, on parle plutôt de Ouïvra (vouivre blanche) et à Couches, en Bourgogne, se célèbre tous les vingt ans la singulière « Fête de la Vivre ».
     
    J’ai également noté que cette Voivre vivait sur le territoire de lièvres-sorciers… Qui sont-ils ? 
    Il est assez amusant de constater que certains villages ou cantons débordent littéralement de légendes. Le coin où vit la Voivre connaît une population faramineuse extrêmement dense, on ne peut y faire un pas sans marcher sur une Herbe d’Egarement, croiser Tante Arie ou une Dame Blanche, apercevoir les pas du Diable ou le bonnet rouge d’un Fouletot ou bien encore faire détaler des lièvres-sorciers. Ces derniers sont des sorciers ou sorcières connaissant le secret pour se métamorphoser en lièvres. De nombreuses histoires circulent où l’on raconte qu’un chasseur, ayant tiré avec une balle bénie sur la patte d’un lièvre maraudeur, a eu la surprise de voir sa voisine boiter le lendemain…
    Pour rester dans ce côté sorcier, tout un chapitre de votre livre s’attarde d’ailleurs aux sorcières. Là où sont les fées, sont aussi les sorcières et vice-versa ? 
    Il importe, je crois, de faire un distinguo entre fées et sorcières. Les fées appartiennent à une race différente de la nôtre, «  entre l’homme et l’ange » pensait le fameux révérend écossais Robert Kirk. Les sorcières dont je parle sont, elles, de nature humaine. Celles (vraies ou non) qui furent persécutées, torturées, brûlées…pendant des siècles par une religion fanatique. Fées et sorcières possèdent des univers légendaires distincts (même si ici ou là il peut y avoir confusion). Les sorcières vivent dans les villages, en cachant le plus souvent leur singularité. Elles peuvent tout aussi bien être votre voisine, votre boulangère ou même votre fiancée ! Les Sorcières sont liées au Diable avec des rituels précis comme leurs assemblées du samedi soir, leur vol sur des balais et le singulier talent de pouvoir traire les vaches à distance !
     
    Un autre de vos livres est entièrement consacré à une recherche sur Tante Arie. Elle occupe une place particulière dans le folklore et les légendes de Franche-Comté. La fée Arie possède des visages multiples comme sont multiples ses fonctions. Peut-on imaginer qu’elle a remplacé plusieurs fées au départ dissociées ? 
    J’avoue une tendresse particulière pour cette Dame merveilleuse. Un de mes premiers livres était un conte pour enfants (publié en 1995) qui racontait la rencontre d’une fillette avec Arie, la fée de Noël.  Depuis, on ne se quitte plus. Arie est une fée puzzle qui met une certaine malice à empêcher le laborieux féericologue d’emboîter ensemble tous les morceaux de sa légende. On peut évidemment s’étonner d’une telle richesse. En plus de sa fonction de Mère Noël, elle se charge de trouver un mari aux jeunes filles méritantes, elle se fait boulangère pour les laboureurs, inspecte les maisons pour juger de l’hospitalité des villageois, et peut se changer en Vouivre (j’en passe !). Par bien des aspects, elle est la bonne cousine  de Dame Hollé, la grande fée germanique, qui elle aussi assumait quantité de rôles variés. Divinité topique, la fée Arie se montrait, à son âge d’or, omniprésente et veillait comme une mère sur les habitants de son petit royaume.
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    Sur son origine, certains prétendent qu’elle est le souvenir de la Comtesse Henriette mais vous, vous suivez la piste d’Epona… 
    Il est sans doute aventureux de chercher à connaître l’origine d’Arie. Toutefois son patrimoine se compose de nombreux éléments archaïques qui à mon sens rendent totalement caduque l’hypothèse de la comtesse Henriette de Montbéliard. Cette hypothèse « Henriette »  montre une tentative assez absurde de vouloir rationaliser sa légende, dans la droite ligne de Michelet qui voyait dans Mélusine le souvenir d’Aliénor d’Aquitaine. Par contre, j’ai relevé un faisceau de concordances avec la déesse gallo-romaine Epona. Ce n’est certes pas une preuve mais Arie encapuchonnée de sa pèlerine et montée sur son âne comme on la représente le plus couramment  fait immanquablement songer aux statues d’Epona montée sur un petit cheval et drapée dans un « cucullus » manteau à capuchon gaulois.
     
    Epona, déesse au cheval, chevaux féeriques… Iriez-vous jusqu’à trouver, pour la Fée Arie, une relation avec la célèbre marque de voiture italienne affichant pour logo un cheval justement ?  
    OOHOH jeu de mot maître Capello ! La fée Arie ancêtre de ferrari !! Dire que je vous prenais pour quelqu’un de sérieux… Que la Tante Arie vous patafiole !
    La fée Arie est également liée à de nombreuses grottes, c’est une habitation qu’on pourrait dire classique pour les êtres de féerie. Cette indication tend à faire penser à la réminiscence d’anciens cultes remontant au temps où les hommes vivaient justement dans des cavernes… Il y a aussi la piste suivie par la cryptozoologie qui lie nains, lutins, fées à un peuple d’hominidés qui auraient vécu à la même époque que nos ancêtres et se seraient ainsi inscrits dans notre mémoire universelle. Que pensez-vous de ces pistes ? 
    A dire le vrai, je ne suis guère enclin à parler du peuple féerique au passé. Son présent m’intéresse davantage ! Pour autant, je trouve  la piste de la cryptozoologie  assez passionnante. Il serait  cependant bien hasardeux de généraliser car tous les êtres merveilleux ne sortent pas du même moule. En lisant les ouvrages des collecteurs et folkloristes du dix-neuvième siècle, on ne peut qu’être frappé par l’étrange parenté de certains témoignages recueillis. Je songe à des communautés de fées comme par exemples les Foellones de Savoie, les Faïes des Alpes vaudoises, les Fachilièras  de Tarn-et-Garonne ou les Hadas des Pyrénées. A chaque fois, on dresse le portrait d’un peuple joyeux très généralement bénéfique aux humains, avec un mode de vie assez similaire : dansant, ayant des enfants, faisant la lessive, pétrissant son pain. Presque humaines donc, ces fées possédaient un petit quelque chose en plus. Souvent douées de la capacité de divination, elles connaissaient  aussi des secrets qu’elles partageaient parfois. Les Hadas ont ainsi transmis une technique pour souder le fer, les Foellones ont enseigné l’art de fabriquer certains fromages.  Au bout du compte, reste toujours l’énigme de leur disparition ?
     
    La Tante Arie est également devenue une Mère Noël. Connaît-on l’époque avec précision où cette coutume s’est installée ? Qu’apporte-t-elle aux enfants ?
    Bien malin qui saurait dater ce glissement entre une pratique encore très vivace durant le dix-neuvième siècle dans toute l’Europe que Pierre Saintyves nomme « le service du nouvel an »  vers la tradition de la fée distributrice de cadeaux. La coutume originelle voulait qu’on fasse, pour la nouvelle année, l’offrande d’un repas aux fées afin de se les rendre favorables. Au fil du temps le sens de la fête s’est inversé et ce sont les fées qui se mirent à offrirent des présents. La même aventure est arrivée avec le Jul Tomte, lutin de Noël suédois. Jusqu’en 1870, on lui offrait pour Noël un bol de riz crémeux pour le remercier de tous les services qu’il rendait puis il s’est mué en petit père Noël qui distribue des cadeaux aux enfants. Tante Arie, à sa grande époque, ne se contentait pas d’apporter des friandises, elle amenait aussi des verges et des martinets pour les garnements ! Depuis l’arrivée dévastatrice du gros Père Noël, sa fonction s’est terriblement amoindrie même si elle reste fêtée dans son petit pays et distribue des papillotes chaque année sur le marché de Noël à Montbéliard. 
     
    En-dehors de la Franche-Comté, on a tendance à retenir de la Fée Arie cette fonction de Mère Noël mais également ses fameuses pattes d’oie. Or, cet attribut semble limité à une partie seulement de la Franche-Comté? 
    Les fées à pieds d’oies ou pieds palmés ne sont pas rares. Les dames blanches d’Eschêne dans le Territoire de Belfort, les fées suisses des grottes de Vallorbe, les Hadas pyrénéennes ou les Nains de Ferrette en Alsace possèdent la même particularité. 
    N’oublions pas que ce sont les conteurs qui forgent les légendes alors certains ont préféré mettre l’accent sur ses pieds d’oie, d’autres sur sa faculté de se métamorphoser en Vouivre, certains préféraient la décrire comme une druidesse. J’ai cependant noté que les références à son aspect pédauque  ne se rencontrent que dans des contes hivernaux. De là à penser que c’est un attribut saisonnier ?
    Que penser de la vedettisation de Tante Arie ? Elle passe au journal de TF1, elle circule sur le web… N’y a-t-il pas danger d’une évaporation de l’essence du mythe ?
    Le vrai danger, c’est l’oubli. Tante Arie est une miraculée et bien des fées du terroir rêveraient d’avoir une légende aussi vivante que la sienne ! Demandez pour voir à Beuffenie de Bourgogne, à Naroua de Savoie, aux Blanquètes des Landes, à Herqueuche des Vosges ou aux Arôdes Suisses si elles n’aimeraient pas elles aussi gagner en notoriété ? Evidemment s’il venait à l’idée de forces mercantiles d’exploiter Tante Arie ou toute autre fée du folklore, il pourrait advenir une pitoyable dérive comme on l’a vu pour la fête d’Halloween. Nous en sommes loin !
     
    Dans votre livre, on croise d’autres fées de la région comme la Dame Verte qui apparaît bonne alors qu’en d’autres régions, comme du côté de Gérardmer, les dames vertes se montrent plutôt dangereuses? 
    Les Dames Vertes abondent en Franche-Comté où elles sont presque aussi nombreuses que les Vouivres. Elles s’y montrent toujours très belles et le plus souvent bienveillantes, secourant les malheureux.  Elles ont cependant la réputation d’être d’incorrigibles « égareuses », s’amusant à faire courir toute la nuit jusqu’à l’épuisement les voyageurs attardés sur leur domaine. Pour certains folkloristes Diane Chasseresse, l’antique divinité romaine, serait l’ancêtre de nos Dames Vertes.
    Vous avez également écrit un très beau et passionnant livre sur les lutins familiers. Comment expliquez-vous que, très présents encore au 19e siècle, on n’en entend guère parler de nos jours. Que s’est-il passé ?
    Nous avons changé de culture ! L’industrialisation galopante a fait s’effondrer la société traditionnelle. La « fée électricité » a rejeté dans l’ombre le Petit Peuple ! Les veillées avec ses conteurs paysans ont disparu et du même coup la transmission des légendes. Pendant une assez longue période, les gens montraient même comme une espèce de honte vis-à-vis de ce passé rustique. On aurait pu craindre que l’homme en se goinfrant de technologie ne se détourne à tous jamais du Peuple Féerique. Heureusement nous avons aujourd’hui dépassé ce cap. Le Leprechaun reste l’indéboulonnable emblème de l’Irlande ! J’ai même noté ici ou là une évolution très intéressante dans le rôle joué par certains êtres féeriques : Au Japon, le Kuppa,( une sorte de lutin avec une carapace) est enrôlé comme défenseur de la nature, on  le voit sur des panneaux au bord des rivières japonaises incitant le promeneur à respecter l’environnement. Il en va de même pour le Curupira, lutin du Brésil, devenu la mascotte de la lutte contre la criminalité environnementale et le trafic d’animaux sauvages. En rêvant un peu, on verra peut-être bientôt les Vouivres défendre les rivières de Franche-Comté ou le Drac veiller à la protection des forêts des Cévennes ?
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    Dans un des chapitres du livre, vous présentez les lutins par fonction. Il y en a même un pour les femmes battues ! Pouvez-vous nous en présenter l’un ou l’autre ici ? 
    J’ai voulu montrer à quel point les Lutins exerçaient traditionnellement des activités variées, souvent d’ailleurs au bénéfice des humains. Alors, oui, chez les Slaves, le Domovoï, ce génie protecteur du foyer, possède la réputation de tirer les cheveux de la maîtresse de maison pour l’avertir que son mari va bientôt la battre. Ce genre d’avertissement peut s’avérer très salutaire ! On peut également citer, parmi les curiosités, le Sotré, lutin vosgien , aux qualités de nourrice incomparables. Pour les enfants qu’il affectionne, il prépare une bouillie fortifiante de couleur noire ! C’est, dit-on, grâce à elle que les vosgiens sont si costauds. Les Fois, Farfadets de l’île de Ré, ne sont pas mal non plus. Ils se glissent dans les maisons pour écouter les commérages et vont ensuite les colporter dans tout le village. Des lutins, crieurs publics, en quelque sorte.
    Le livre est illustré par Yves Clément. Comment avez-vous travaillé le côté visuel. Plutôt libre ou avez-vous cherché à être le plus proche possible des descriptions relevées ? 
    Pour chaque type de lutins, il existe des descriptions rapportées par les conteurs et collecteurs mais la plupart des portraits sont incomplets, parfois franchement contradictoires. Il suffit de lire trois ou quatre auteurs bretons décrivant les Korrigans pour comprendre la difficulté : pour les uns ils portent des cornes, pour d’autres des chapeaux ronds ! Au final, les dessins de Yves se nourrissent de tradition et d’inspiration. D’autant que nous ne voulions pas cantonner les Lutins aux neiges d’antan mais les montrer aussi tels qu’ils sont aujourd’hui.
    Votre livre opère un joli tour de France, voire tour du monde des familiers. Pour y parvenir, avez-vous du en plus de la bibliographie, vous rendre dans certains lieux ? 
    Hélas, à mon grand regret, je ne me suis pas rendu en Russie pour tenter d’apercevoir un Domovoï, ni même  au Nicaragua sur les traces des Duendes (ils ont la singularité d’avoir les pieds à l’envers !). Pour tout dire, j’ai plus visité les bibliothèques que les sites lutinesques ; mais, projet de livre ou pas, quand je voyage, j’essaie toujours de savoir quels sont les lieux légendaires du coin alors bien évidemment, au fil des années, j’ai visité bon nombre de fées ou lutins. Il faut en effet souligner que le Peuple Féerique ne vit pas uniquement dans les livres !
    Vous parsemez votre livre de citations à propos des lutins. Comment les dénichez-vous ? 
    C’est presque une manie de collectionneur. Comme je passe une grande partie de mon temps le nez dans les livres, dès que je tombe sur une phrase ou un passage ayant trait au peuple féerique, je les fourre dans ma musette, sans savoir s’ils me serviront un jour ou non.  Dans Elevez des Lutins, quand je cite une berceuse bretonne puis une comptine alsacienne, j’y vois une façon de démontrer à quel point ces génies familiers font partie de notre culture. Il y a aussi un doux plaisir de pouvoir discrètement rendre hommage à des auteurs que j’aime en glissant ici quelques mots de Robert Louis Stevenson puis là un dialogue de Lord Dunsany. Avec eux, je me sens en merveilleuse compagnie !
     
    Combien de temps vous a pris la réalisation de cet ouvrage? 
    J’aime bien laisser mûrir les projets, alors je dirais qu’il m’a fallu « un certain temps » pour engranger de la matière et trouver le genre de livre que j’avais envie de faire avec les Lutins. Il existe déjà tant de bons et de moins bons livres sur le sujet qu’il m’intéressait surtout de trouver une formule un peu novatrice pour présenter ces êtres passionnants. Ensuite, pendant un an, un an et demi, avec Yves, on se voyait chaque lundi soir. A l’époque, il habitait le même hameau que moi, j’allais chez lui à pieds et pendant plusieurs heures on bichonnait nos lutins. On a fait le livre entièrement sans  même savoir s’il serait publié ! En rentrant chez moi, à la nuit, un peu, j’imagine, comme les anciens rentraient de la veillée, il m’a bien semblé, une fois ou deux, que j’étais escorté par une bande de Fouletots… Cette façon de travailler était vraiment agréable, hors du temps.
    N’étiez-vous pas inquiet de la réaction du Petit Peuple en révélant certains de leurs secrets ? 
    Somme toute, je ne révèle que ce qu’ils ont bien daigné me confier car, même après une si longue fréquentation, ils me restent par bien des points très mystérieux. L’ambition de ce guide est de faciliter la compréhension entre Hommes et Lutins et de rappeler à nos contemporains que nos ancêtres entretenaient avec eux des relations complexes qui ne cessent de m’intriguer.
    Votre lutin préféré et pourquoi ? 
    Je ne suis pas dupe, je vois bien que vous voulez me fâcher avec tous les autres ! Tant pis, je concède un petit faible envers les Follets du Berry. Avec leur crête de coq en guise de bonnet et leur longue queue de rat dont ils se servent comme d’un fouet, je leur trouve une vraie belle allure.
    Enfin, pour terminer, parlez-nous de vos futurs projets… 
    Je prépare un beau  livre sur les bienfaits des autoroutes et des centrales nucléaires… Non, je plaisante ! Je ne quitte pas le Petit Peuple, je vais prochainement concocter avec mon ami  A. Dan (dessinateur de la BD Tahya El-Djazaïr) un livre sur…les Fées. Un compagnonnage dont je suis très heureux car si A. Dan a encore peu publié de dessins féeriques, c’est un vrai passionné du genre. Mon travail sur les Contes et Légendes m’a aussi redonné l’envie d’écrire des histoires alors, je sue sang et eau (mais avec un plaisir magique) sur un roman avec comme principaux personnages… des Lutins !
    Propos recueillis par le Peuple féerique en juin 2010
     
    Retrouvez l’auteur dans ses livres :
    – Contes et Légendes de Haute-Saône et de Belfort, Editions De Borée, 2010.
    –  Tante Arie, bonne fée et mère Noël, Cabédita, 2007.
    –  Elevez des Lutins, guide pratique des génies domestiques, Editions Coprur, 2005. Illustrations de Yves Clément.
    –  La Fée Arie, conte de Noël, Editions Marie-Noël, 1994. Illustration de Yves Clément.
    –  L’esprit féerique, dictionnaire des fées en Pays Comtois, Dominique Guéniot éditeur, 2003.
    –  Le livre secret des Vouivres, Sur les traces des fées-dragons, Editions Coprur, 2003. Illustrations d’Yves Clément.
    Ou sur son blog :
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