Catégorie : Légendes

Il était une fois… Féerie !

  • Fées noires & Dames sombres – Gwaernardel

    Fées noires & Dames sombres – Gwaernardel

    Gwaernardel

    gwaenardel
    © Pascal Izac

     

    Sur la fantomatique île de Man, hantée par tant de créatures issues des temps anciens, nul homme ne redoute rencontre plus maléfique que celle de Gwaenardel. Sa promesse n’est que mort, son désir qu’issue fatale. Elle vous capte d’un regard, décèle en vous l’esprit avide de gloire qu’elle s’empressera de nourrir tout en vidant vos veines de leur sang. Un seul de ses baisers vaut-il votre existence entière ? Ceux qui y ont goûté ne sont malheureusement plus là pour l’affirmer.

     

    Au fur et à mesure qu’il connaissait le succès, le poète dépérissait. Tout avait commencé un soir d’été, sur l’île de Man. Le poète fit la connaissance d’une fée. Elle était belle, de cette beauté du diable qui vous sépare de votre raison à l’instant. Il lui avait chanté des vers, maladroits, hésitants. Elle avait ri, d’un rire qui restait gravé en votre esprit comme s’il avait été de feu. Elle s’était approchée du poète, l’avait embrassé et son souffle pénétrant dans le corps de l’homme lui avait dévoilé une autre dimension. A partir de cette nuit, ses rêves ne furent que beauté et lorsqu’il ouvrait les yeux, le paysage s’offrait à lui dans sa plus grande pureté. Il posa avec une aisance invraisemblable les mots justes sur chaque objet qu’il décrivait. Il envoya un premier manuscrit et l’éditeur avoua plus tard avoir pleuré en le lisant. Les œuvres se succédèrent alors à un rythme effréné et le poète connut le succès, chose rare dans son art, de son vivant. On le réclama de toutes parts, les écoles programmaient ses textes en classe, les libraires se battaient pour le recevoir, les bibliothèques se l’arrachaient pour pouvoir l’écouter déclamer ses vers puissants, précis, aiguisés comme les plus fines lames, vous transperçant le cœur, y gravant l’amour et la beauté, la mort et la tristesse comme personne ne l’avait fait auparavant. Mais à chacune de ses apparitions, l’homme semblait vieillir, se racornir, se vider de sa vie. Au fur et à mesure que le verbe gagnait en puissance, son apparence déclinait. Et toujours, entre chaque voyage, chaque invitation, le poète insistait pour regagner l’île de Man où, secrètement, il retrouvait sa muse. Elle était la source de son inspiration, celle par qui lui venait toute idée. Il ne concevait aucunement écrire un mot sans la voir, la toucher, la chérir. Ses voyages l’épuisaient, ses créations le vidaient. Il vint un jour où, gris, pâle et d’une maigreur extrême, le poète eut tout le mal du monde à se traîner aux pieds de sa fée. Le voyant si affaibli, la Gwaenardel partit d’un rire. Mais ce dernier avait une toute autre saveur que le premier qui avait surgi de sa bouche et l’avait enivré d’amour pour elle. Non, celui-ci était sec. Il portait en lui de la moquerie, une aigreur abjecte. Ce rire le frappa en plein cœur. Avant de s’écrouler sur le sol, il ressentit une douleur immense dans le bras gauche. Au lieu de lui porter secours, la fée détourna le regard. Un fin sourire naissait sur ses lèvres alors qu’un jeune homme se dirigeait vers elle. Il avait l’allure d’un poète.

  • Fées noires & Dames sombres – Bloody Mary

     

    Bloody Mary

    bloody_mary
    © Pascal Izac

     

    On ne sait ce qui a poussé exactement Mary la Sanglante à vivre au fond des miroirs… Le meurtre de son enfant, un suicide, un décès en couches… Quoiqu’il en soit, il n’est jamais bon l’appeler par trois ou treize fois, la provoquer devant la glace polie et voir son reflet prendre les traits de la fée ensanglantée qui ne manquera pas de surgir à l’appel, au murmure ou au cri maintes fois prononcé.

     

     

    « Bloody Mary… ». Les mots venaient d’être formulés par Jenny. Elle n’était pas seule dans la pièce éclairée de deux bougies. Son amie Sarah se tenait à côté d’elle. Toutes deux avaient quatorze ans et s’amusaient à reproduire un bien étrange rituel. Les adolescentes avaient découvert la légende de Bloody Mary dans un récit d’épouvante, une nouvelle glissée dans un magazine de Weird Tales. Le genre de revues qu’elles lisaient en cachette et dont elles appréciaient beaucoup les histoires. Elles adoraient frissonner et mettre en scène les nouvelles lues chez l’une ou chez l’autre. Rejouant la venue d’un vampire, l’éveil d’un mort-vivant. Ce jour-là, elles avaient consciencieusement fermé les volets et tiré les rideaux. Les deux chandelles suffisaient à peine à y voir clair. Les filles se tenaient debout devant un grand miroir. Jenny lui faisait maintenant face. Un léger tremblement pouvait se deviner le long de ses bras pendants, les doigts triturant nerveusement sa robe, se pliant et se repliant pour en chasser la moiteur. Les yeux plongés dans le miroir, la jeune fille se décida enfin à prononcer une deuxième fois la formule, le nom de celle qu’elle invoquait…

     

    « Bloody Mary… ». Cette fois, la main de Jenny avait instinctivement recherché celle de Sarah. Il ne lui restait qu’une fois. Une seule fois prononcer le nom de la mauvaise fée qui se terrait au fond des miroirs pour la voir apparaître. Trembler devant son visage déchiré par de terribles souffrances, celle d’une mère assassine, d’une créature sans âme, condamnée à errer dans les limbes derrière ces vitres à observer le bonheur des autres tout en ressassant sa haine et son mépris. La prison de verre ne pouvait être brisée que par son nom, trois fois prononcé. Alors, elle sortait, toute colère et vengeance, ses griffes se plantaient dans votre cou, ses dents vous arrachaient le nez, les yeux et toute l’horreur se déversait en votre chambre. Mais tout cela n’était qu’un conte, une légende… Braver l’interdit était tentant. Qui peut y résister ? Certainement pas des jeunes gens de quatorze ans. L’âge de la déraison. Celui des découvertes, des jeux sans frontière ni tabou. Pousser les défis de plus en plus loin, sentir la joie troublante d’une liberté infinie, marcher sur un fil tendu, prêt à se rompre et connaître les délices du grand frisson. La main serrée dans celle de Sarah, Jenny jeta un dernier coup d’œil à son amie. Leurs regards se croisèrent et elles pouffèrent de rire… Nonchalamment, Jenny refit face au miroir et dans un demi-soupir, elle lâcha :

    « Bloody Mary… »

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