Celtic Faeries
L’univers merveilleux de Jean-Babtiste Monge
De tous les illustrateurs de la vague féerique, un artiste s’est largement distingué en France. Il s’agit bien entendu de Jean-Baptiste Monge. Chacun de ses dessins exprime toute la nature féerique avec délicatesse et justesse. Du simple croquis à l’illustration complète et détaillée, tout vous transporte de l’Autre Côté. Celtic Faeries, paru aux éditions Au Bord des Continents, est une porte grande ouverte sur les créatures de nos forêts et collines. Pas question ici d’encyclopédie étudiée et vérifiée par quelque érudit lunetteux mais simplement d’une invitation à voyager au travers descriptifs et représentations. Plus de cent pages parcheminées où l’on croise des elfins, des redcaps et des goblins. On s’y plaît, s’y sent bien au milieu de ces elfes et de ces nains. Avec, cerise sur le gâteau, une très jolie préface de Pierre Dubois, autre grand complice du Petit Peuple et qui a d’ailleurs été la victime de quelque farce de korrigan puisque son nom a été amputé sur la couverture d’une de ses lettres. L’elficologue, croqué par l’artiste, rend ici hommage au talent incontestable de Jean-Baptiste Monge.
Etrangement, les fées sont de toutes les créatures de l’Autre Côté, à la fois les plus évoquées tout en étant les moins saisissables… Tantôt minuscules aux ailes de papillon, tantôt belles dames aux atours médiévaux. Figure aux milles images, toujours en mouvement, en transparence. Petite plongée au cœur de Faerie pour vous livrer quelques secrets sur les fées avant que ces dernières ne s’évaporent…
Aux origines…
Le premier constat lorsqu’on s’intéresse aux fées est la multitude de pistes qui s’offrent à nous. Car la fée est plurielle. Qu’on remonte à sa ou ses naissances mythologiques ou qu’on tente de la définir physiquement, on se heurte à nombre de possibilités.
Qu’est-ce qu’une fée ? Pour tenter de le comprendre, il faut nécessairement s’attacher au mot. Pierre Dubois rappelle très justement dans son Encyclopédie des Fées (Hoëbeke) les propos d’Alfred Maury mettant en parallèle les fata (Parques) et les Fées ainsi que le mot fatum d’où découlera l’adjectif fé signifiant «destiné». On le voit, les fées ont quelque chose à voir avec l’idée de destin et leurs ancêtres divines, les Parques. On notera au passage que ces divinités étaient trois, tout comme le seront très souvent les fées dans les contes…
Ce lien avec les divinités antiques est encore renforcé lorsqu’on s’arrête sur l’idée de fée marraine. Les Carmentes Anteverta et Postverta, divinités romaines de la connaissance du passé et du futur, étaient liées à la naissance des enfants qui se présentaient par la tête ou par les pieds. Au fil des siècles, la tradition voudra que les fées, comme les anciennes divinités, se penchent sur le berceau de nos enfants, leur procurant protection et bienveillance.
Dans son Guide du chasseur de Fées (Le pré aux clercs), Edouard Brasey insiste sur la notion de beauté. La fée est un idéal de beauté. Voilà donc un autre trait essentiel, l’idée de beauté, de perfection. Une idée que Jean-Louis Fetjaine reprend dans sa trilogie des elfes (Pocket) où « les femmes elfiques étaient d’une telle beauté que les hommes qui n’avaient pas l’habitude de traverser leurs contrées les prenaient pour des fées ».
Les traditions celtes et les récits arthuriens entraîneront les fées vers la pratique de la magie. De la prophétesse antique à la magicienne celte, il n’y avait en effet qu’une infime frontière, vite franchie. On y verra également le lien des fées à la Nature, provenant des croyances celtiques et de leurs cultes intimement liés à la Terre, chaque divinité étant la gardienne d’un lieu, d’une rivière ou d’une forêt… Ce lien à la Nature, nous le faisons encore aujourd’hui puisqu’il n’est pas rare de voir ci et là une petite figurine de fée orner un coin de jardin, petite divinité protectrice de cet endroit chéri. Beatrice Philpotts nous parle d’ailleurs des Fées du Jardin (Le pré aux clercs) avec poésie et tendresse. Fleurs, plantes et fées s’y côtoient, tout comme dans un autre ouvrage liant jardin et féerie, l’Herbier féerique par Amandine Labarre (AK Editions).
Enfin, les idées de beauté et magie fascineront encore les auteurs du Moyen-Âge et donneront naissance à la fée courtoise, celle qui envoûtera nombre de cœurs de ces preuxs chevaliers…
Nous parlions plus haut du caractère pluriel de la fée. Le mot anglais pour fée est fairy et il désigne tout membre du Petit Peuple. Dans son Dictionnaire féerique (Oxymore), André-François Ruaud reprend bien le terme fée comme un terme générique lorsqu’il affirme «Notons enfin que j’utilise indifféremment pour les êtres féeriques (mâles, femelles ou neutres) les termes esprit, fée ou génie». On s’éloigne donc de la définition typiquement française qui voit en la fée une figure féminine pour l’élargir à l’ensemble des créatures féeriques.
Des fées à lire…
Belle, liée à la nature, magicienne et prophète, la fée revêt mille apparences et reste par là insaisissable. Il en va de même dans les contes et romans où la plupart du temps, elle n’occupe qu’un second rôle, deus ex machina lorsqu’il faut faire avancer l’histoire par quelque artifice ou amorce à l’intrigue lorsqu’elle se fait responsable du destin des héros. Bien sûr, les fées sont présentes, traversent, transcendent les histoires. Marion Zimmer Bradley, Léa Silhol, Kathryn Kristin Rusch, Laurell K.
Hamilton, Lord Dunsany et d’autres ont largement teinté leurs récits de poudre de fées. Et même si elles demeurent en retrait comme héroïnes, on peut affirmer que cet attrait des hommes pour les fées participe au succès du genre fantasy aujourd’hui.
Le grand Shakespeare lui-même n’a pas échappé aux fées en écrivant son Songe d’une nuit d’été et le papa de Peter Pan, James Matthew Barrie, n’hésite pas à donner pour compagne à son héros, une petite fée espiègle et ô combien symbolique, Clochette. Croire aux fées ? Les auteurs ne sont pas en reste quand il s’agit de démontrer l’existence de ces charmantes créatures. Arthur Conan Doyle ira jusqu’à écrire un livre, Les fées sont parmi nous (Lattès) pour défendre les deux petites anglaises qui avaient réussi à photographier des fées dans le Yorkshire.
Ces êtres magiques inspireront même certains ouvrages de science-fiction comme le Féerie de Paul J. McAuley où une jeune fille de douze ans convainc un pirateur de gènes à l’aider à réaliser son rêve : donner une âme à de petites poupées androïdes pour les transformer en véritables fées.
On attirera enfin l’attention sur deux œuvres parues aux éditions Terre de Brume. La Compagnie des Fées de Garry Killworth tout d’abord, qui revisite sur fond de fantasy urbaine le classique de Shakespeare, l’occasion de redécouvrir Titiana et Morgane dans un contexte surprenant. Le Parlement des Fées de John Crowley, ensuite, qui réussit à placer les fées comme elles doivent l’être, en transparence, toujours présentes, influentes sans qu’on ne puisse pourtant les apercevoir. Ce chef d’œuvre de la littérature fantasy nous parle de l’univers des fées comme d’un royaume intérieur, et cette vision rejoint bien cette impression d’invisibilité des fées. Peut-être, qu’au fond, le royaume des fées n’existe que dans le cœur des hommes. C’est aussi ce que semblait penser James Matthew Barrie lorsqu’il affirme qu’à chaque fois qu’un enfant ne croit plus aux fées, une de celles-ci disparaît…
Les fées noires
Insaisissable, invisible, symbole de pureté, d’innocence, la fée dans toute sa blancheur n’apparaît pas comme une figure facile d’utilisation dans un récit. Par contre, s’il existe des fées blanches, il doit bien y avoir leur opposé. Elle se révolte, agit, fait mal, maudit, devient cruelle et méchante. Son ambiguïté intéresse alors les auteurs et son personnage, les lecteurs. Empêchée de prendre part au repas des fées, la dernière marraine maudit l’enfant et la condamne à un repos éternel le jour où elle se piquera au funeste fuseau (La Belle au bois dormant). Et la sorcière, cette femme pratiquant la magie noire, effrayant les enfants et envoûtant de ses charmes les mâles innocents, n’est-elle pas, après tout, qu’une mauvaise fée ?
Les fées condamnent, portent malheur, il faut les fuir, les éviter… Pierre Dubois, en éminent elficologue, prétend que les fées vengeresses, déçues et blessées par le comportement des hommes envers la nature, sont à l’origine des cataclysmes, des tempêtes et des bourrasques. L’heure n’est plus à l’indifférence mais à la révolte !
Dessine-moi une fée !
Comment ne pas terminer cette brève réflexion sur les fées par le phénomène qui marque les librairies
Le livre des fées séchées de lady Cottington
depuis quelques années, surtout en période de Noël : les images de fées. Car ce que semblent rechercher avant tout l’amateur est bien une représentation de celle qu’il admire. Ces véritables icônes de l’Imaginaire se déclinent alors en cartes postales, calendriers, ouvrages divers et variés comme le célèbre Livre des Fées séchées de lady Cottington des incontournables Brian Froud et Terry Jones (Glénat) qui saisissent avec humour nos petites amies à la manière des herbiers. Brian Froud encore avec Alan Lee cette fois qui proposent un superbe recueil de créatures intitulé tout simplement Les Fées (Albin Michel). Sans oublier Le Livre des Fées de Beatrice Philpotts qui dresse un portrait de Faerie abondamment illustré par une kyrielle de maîtres de l’illustration féerique. La bande dessinée aussi recèle de véritable petits bijoux comme le Fée et Tendres automates de Téhy et Béatrice Tillier (Vents d’Ouest) ou encore Loisel qui dans son Peter Pan, revisite avec succès la fée Clochette, succès retentissant dans le mondes des planches et des bulles.
Une collection 100% fées
Récemment, les éditions Spootnik ont lancé une collection dédiée aux fées. Confiant les pages illustrées à des dessinateurs aux styles variés, la collection Estragon s’enrichit au fil des mois de beaux livres au format carré qui nous plongent dans la Féerie. Dessins, poèmes, contes, illustrations de fées se succédent dans des univers variés. A noter qu’il existe également des livres jeunesse dans cette collection à commencer par le très utile Hôpital des fées pour aborder le thème de l’hôpital avec les jeunes enfants… Petite conclusion féerique…
Ce besoin inextinguible d’admirer les représentations de fées, doit-on le comprendre comme une tentative d’entrevoir ce qui ne peut être vu ? Est-ce là une façon d’entrouvrir la porte de l’Autre Côté ? Ou de rechercher la bénédiction, la protection de ces Demoiselles et Bonnes Dames ? Quoiqu’il en soit, les fées ont encore de beaux jours devant elles car l’homme, apparemment, n’a pas fini d’y croire. Au détour d’un chemin, au milieu d’une forêt ou assis sur ce banc, dans votre jardin, fermez les yeux, respirez doucement. Vous le sentez vous aussi n’est-ce pas ? Cet irrésistible parfum des fées…
Le deuxième tome de l’Encyclopédie du Merveilleux jette son dévolu sur les dragons, serpents et monstres marins. Ce Bestiaire fantastique savamment présenté par Edouard Brasey abandonne les jolies elfes et fées pour un monde plus effrayant
Parcourir les œuvres de Brian Froud est toujours un réel émerveillement pour les amateurs de Faerie. Il s’est ici associé aux mots d’Ari Berk, folkloriste et professeur de littérature. Tous deux nous entraînent dans un voyage au travers de runes elfiques. Chacune des runes illustrées est accompagnée d’un joli conte et du charme qu’elle opérerait si elle était tracée. Et, bien entendu, des dizaines de petits êtres s’amusent à en reproduire la forme tout au long des pages ! Les Runes du Pays des Elfes, un ouvrage qui fera rêver vos pupilles et vos esprits. Aux éditions Glénat.
C’était en 2004… Quelques questions posées à une jeune illustratrice qui faisait ses débuts dans le monde de l’ilustration féerique…
Pouvez-vous nous parler du pourquoi de votre passion pour l’Imaginaire ?
Enfants, nous avons tous une imagination extrêmement fertile. La plupart des gens perdent cette faculté et ce regard en grandissant. Je ne sais pourquoi, le désir de cultiver des rêves au jour le jour, et de cohabiter avec, est resté intact chez moi. Ce qui bien vite, s’est heurté à mon monde environnant. J’ai la sensation d’être souvent un anachronisme, comme si j’étais venue au mauvais endroit ou au mauvais moment. Quand j’ai découvert l’art de l’Imaginaire, au travers de grands noms de la peinture ou de l’illustration, comme Siudmak, Alan Lee, ou Brian Froud, mais aussi par le biais de Tolkien, je me suis reconnue dans leurs oeuvres et dans leurs aspirations. J’ai compris que l’art de l’imaginaire me permettrait d’ouvrir des fenêtres dans ce monde clos, de toucher mes rêves sans restriction, comme dans l’enfance. Et peut-être de pouvoir partager ces rêves avec d’autres, ce qui est une des plus grandes chances d’un l’artiste.
Quel a été votre parcours pour en arriver à être artiste-peintre en Fantasy ? J’avais pris une orientation tout à fait différente, puisque j’ai fait des études en lettres et en musique, tout d’abord. Mais je n’ai jamais lâché les pinceaux. C’était mon oxygène.
En peinture, je suis autodidacte, mais ce qui m’a tenu lieu de professeur, c’est principalement un profond désir d’observer intimement le monde environnant. C’est ainsi que, petit à petit, j’ai appris un alphabet visuel pour transcrire mon monde intérieur, un monde plus confus sans doute, mais plus dense et plus important à mes yeux. C’est en observant beaucoup que j’ai commencé à pouvoir jeter sur le papier, les premières visions qui me traversaient. Le paysage d’un artiste peintre est infini. Quand on a la chance d’avoir cet outil à disposition, on a envie de faire partager nos paysages intérieurs. C’est ainsi que, sans penser à une éventuelle possibilité d’en faire mon métier, j’ai commencé à rassembler un bon nombre de tableaux, parallèlement à mes études. Au final, j’ai fait d’heureuses rencontres… La première, la plus décisive peut-être, fut celle avec Wojtek Siudmak, en novembre 2001. Après une mémorable conversation dans le train qui nous ramenait du festival des Utopiales, j’ai pris le parti de suivre son conseil et de me lancer dans le métier.
Vos oeuvres expriment une grande douceur et parfois de la tristesse. Qu’essayez-vous de transcrire: au travers de vos tableaux ? Un regard porté par le Petit Peuple sur les hommes ? Je crois qu’il s’agit surtout d’une nostalgie venant d’un sentiment de perte. Je ressens la même tristesse quand je vois un arbre coupé, une forêt mutilée pour faire place au béton. A la vue de ces spectacles, j’ai la sensation d’avoir un coeur d’elfe, et de ressentir leur peine, de concert.
Lorsque je peins mes elfes, ils sont chargés de ces sensations. Ils portent en eux l’imminence de leur fin et le triste constat que ce monde est perdu pour nous.
Quelques mots sur votre actualité ou vos projets…
Les projets sont divers et variés, étant donné que j’ai la double casquette de peintre et illustratrice !
On prévoit d’abord plusieurs expositions à Paris et l’année prochaine, une participation au festival Faerie 2005 à Arlon, en Belgique.
Je vais également avoir bientôt (enfin !) quelques stages auprès de grands maîtres, notamment Claude Yvel, un maître contemporain du trompe-l’oeil. C’est un plaisir de pouvoir enfin bénéficier de l’expérience de gens du métier pour évoluer dans le bon sens.
Côté illustration, je travaille à la réalisation d’un Herbier du petit peuple: j’ai été très marquée par l’oeuvre de Brian Froud et Alan Lee sur les Faëries, et j’aimerais réaliser un travail dans le même esprit.
Je recherche par ailleurs des réseaux de distribution pour mes produits dérivés, récemment sortis. Et divers projets de produits un peu originaux sont à l’étude, comme par exemple une véritable tapisserie d’Aubusson, sur l’histoire des elfes, en collaboration avec un maître licier. Ce sont deux arts qui ont toujours magnifiquement cohabités !
Mais aujourd’hui, le projet qui me tient le plus à coeur, c’est un calendrier Tolkien en collaboration avec Pascal Yung, qui a déjà travaillé pour Tolkien Enterprises.
Ma passion pour le Seigneur des Anneaux est toujours aussi vive, et cela était un rêve depuis longtemps…