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  • Petite promenade en Brocéliande en compagnie de Claudine Glot

    Pour qui s’intéresse de près aux légendes arthuriennes, un nom apparaît très vite parmi les auteurs ayant exploré cet univers vaste, partagé par toute une culture celtique allant des pays anglo-saxons à la Bretagne, terre des Korrigans. Ce nom, c’est bien sûr celui de Claudine Glot qui a fondé et préside le Centre arthurien de Brocéliande, fleuron des bastions de l’Imaginaire en France. Témoin privilégié de l’énorme intérêt des gens pour Arthur, Merlin, Lancelot et leurs compagnons, l’érudite se fait aujourd’hui auteure aux côtés de Marc Nagels et nous offre une trilogie autour d’Arthur. À l’occasion de la sortie du premier tome, Excalibur, aux éditions Le Pré aux clercs, nos fées et lutins se sont précipités aux portes de Brocéliande pour assaillir de questions la passionnante Claudine Glot. Entrevue magique et promenade féerique au pays d’Arthur…

    Vous êtes la fondatrice du centre de l’Imaginaire Arthurien. Pouvez-vous nous expliquer brièvement comment cette idée a germé et a pu se concrétiser ?

    À défaut de l’idée même du centre, la passion pour l’univers arthurien et plus largement le monde celtique, les mythes et les légendes était là depuis longtemps. Puis, à partir de 1979, il y a d’abord eu une revue, Artus (Pays celtiques et mondes nordiques), où nous traitions de ces thèmes à travers l’histoire, l’art, la littérature. Puis, en 1987, alors que je travaillais dans le développement culturel et touristique en Centre Bretagne, aux abords de Brocéliande, l’occasion s’est présentée de proposer un projet à la fois breton et européen, touristique et culturel. En quelques jours, l’idée du Centre a pris forme, et nous avons obtenu un financement qui nous a permis de démarrer et de tenir les deux premières années. Pierre Dubois faisait partie de cette toute première équipe et nous accompagne depuis (Depuis, nous sommes en autofinancement, sauf pour des projets spécifiques comme les différents projets européens). Puis, en 1990, est arrivée une superbe nouvelle : Madame Ferrand, propriétaire de Comper, voulait bien nous y accueillir. Un château breton avec un rempart du XIVe siècle, au bord du lac de la fée Viviane, dans la forêt de Brocéliande ! On pouvait remercier les esprits des lieux.

     

    Avez-vous vu une évolution par rapport à l’intérêt du public pour l’imaginaire arthurien depuis le début du Centre ? Comment l’expliquez-vous ?

    J’ai vu s’élargir le nombre des passionnés. J’ai vu aussi l’attitude des gens changer : ils revendiquent leur goût pour le merveilleux, la féerie, au lieu de l’avouer presque furtivement comme il y a vingt ans. Sans doute sont-ils plus libérés d’avouer que l’on se sent à l’aise dans l’univers des légendes, qu’il est nécessaire, vital. Ils savent qu’ils ne sont pas seuls, et se réconfortent de ce sentiment de confrérie, mi-secret mi dévoilé.

    Bien souvent, en parlant avec nos visiteurs, il me semble que les univers arthurien, celtique, médiéval, féerique ou surnaturel (chacun compose son propre mélange, comportant des doses variables de ces différents mondes), est un antidote à la vie moderne, et qu’il aide à la supporter. La féerie, comme ils en parlent, je la ressens non comme un refuge muré ou un lieu de retraite, de fuite, mais comme une part de soi très précieuse et ardente, dont on connaît la présence permanente et rassurante.

    Mais une chose qui n’a pas changé, c’est l’infinie variété des origines des amoureux de la légende (âges, nationalités, religion, etc.), tout comme l’infinie variété déployée dans la façon de l’aborder et de s’en nourrir.


    Vous avez écrit avec Marc Nagels, un roman reprenant l’univers d’Arthur, Excalibur paru au Pré aux Clercs. Pourquoi cette réécriture ?

    Depuis 22 ans que je m’occupe du Centre, j’ai beaucoup écrit sur les légendes celtiques, la légende arthurienne et sur la forêt de Brocéliande. Des articles, des dossiers, des  documents, des essais. J’ai aussi écrit des contes, des romans pour la jeunesse sur les fées  ou sur Merlin, le roi Arthur, etc. Mais il fallait bien un jour faire le grand saut, et donner notre version de la légende. C’est-à-dire, dans le vaste corpus légendaire rédigé depuis des siècles, trouver notre vérité arthurienne, nos préférences, les mettre en cohérence. Sortir d’une version très répétitive et contraignante sans entrer dans une fiction irrespectueuse de ses origines. Je n’ai pas l’intuition fulgurante de Guy Gavriel Kay, le talent de Zimmer Bradley, l’inventivité de Eddings ou les dons du regretté Robert Holdstock, mais je me suis dit un jour que moi aussi, j’avais quelque chose à raconter, et que je me sentais enfin assez solidement armée pour tenter l’aventure…

    Marc Nagels, je le connais depuis près de vingt ans. Nous sommes unis par une vieille amitié, d’abord et surtout. Et puis nous partageons un goût commun pour la littérature, et une passion pour les légendes celtiques et arthuriennes, et nous avions si souvent parlé de notre façon de voir la légende arthurienne, de nos héros et épisodes favoris… Nous avons d’ailleurs déjà travaillé ensemble pour « Fées, elfes, dragons et autres créatures des mondes de féerie… » ainsi que pour L’Europe des Vikings, tous deux parus chez Hoëbeke, en parallèle avec les expositions de Daoulas.

    Dans l’introduction, vous expliquez qu’il y a en réalité plusieurs « courants » arthuriens, plusieurs points de vue, dont une certaine différence entre l’histoire anglaise et l’histoire française…

    Et ce n’est pas tout : six siècles, des centaines de milliers de lignes ou de vers, des auteurs de tous les pays d’Europe… Je vous laisse imaginer les variantes de cette somme de romans, en un temps où la propriété littéraire n’existe pas, où chacun est libre de réutiliser les personnages tout en les transformant, et de s’inspirer sans devoir de fidélité aux œuvres préexistantes. Certains considèrent cette richesse, cette variété, cette mouvance comme un problème ; personnellement j’y vois plutôt une chance et un des grands charmes des romans de la Table Ronde.

    Oui, je crois qu’on reste trop sur la version canonique… ou du moins sur celle qui s’est établie comme telle. La Vulgate (les 5 romans en prose qui vont de la passion du Christ à la mort du roi Arthur) solidement construite autour du Graal, a forte teneur ecclésiastique, a écrasé les romans dits « épisodiques » et même les romans du graal en vers. Or tous ces derniers m’ont toujours paru plus merveilleux, pleins d’exploits et d’espoir, car toujours recommencés. Le Graal qui donne la vie et la nourriture éternelle est très mortifère pour la Table Ronde. Ils magnifient le monde de la chevalerie et y mettent fin, sans lui donner l’ombre d’une chance.

    Quant à la différence entre les Anglais et les Français, elle est curieuse : l’Angleterre donne la première fiction, l’Histoire des Rois de Bretagne, avec ses fées, ses géants, ses dragons, et le dernier texte, Le Morte Darthur, de Malory. Et très peu de choses entre les deux. Le Morte Darthur qui reprend toute la tradition des romans français de la Vulgate du graal plus des traits de folklore celtique de Grande-Bretagne, organise le récit en un ensemble cohérent. Et cet ensemble est, depuis, sans cesse réutilisé par le monde anglo-saxon (littérature, cinéma) comme l’œuvre unique de référence. Ce qui fait que les caractères qu’il dessine, les situations qu’il met en scène sont devenues les seules références de nombre d’amateurs de la légende arthurienne.

    Alors que c’est en France que se construit l’ensemble du fonds littéraire : très nombreux romans en vers contant des aventures merveilleuses, grandes suites en prose donnant toute une importance majeure à l’histoire du Graal et à sa Quête, créant même un nouveau héros, Galaad

    Enfin, les Anglais ont toujours recherché une vérité historique arthurienne, assez évanescente à vrai dire, par souci politique et dynastique. Alors que les Français, dont le royaume avait déjà trouvé ses racines antiques, ne considérait que l’aspect artistique et littéraire de la légende.

    Via le cinéma, l’incontournable dessin animé Disney, les grands auteurs de fantasy anglophones, une certaine connaissance du mythe arthurien s’est imposée… Du coup, la lecture de votre livre remet un peu les choses en place… On pense à l’origine d’Uther Pendragon, en réalité deux frères, Uther et Pendragon. On pense aussi aux différents lieux et leur situation géographique, au lien entre Grande et petite Bretagne… Autant de choses rendues plus claires dans votre ouvrage…

    C’est mon côté prof et mon côté gardienne de la flamme qui se sont ainsi réunis ! Pas très rock’n roll mais utile parfois.

    Par contre vous enlevez une sacrée couche de chrétienté, ne passe-t-on pas dès lors à côté d’une caractéristique du chevalier, plaçant Dieu avant toute chose (même si cela relevait plus d’une symbolique, voire d’une propagande à l’époque de la fondation du mythe arthurien) ?

    Le chevalier tel que vous le décrivez est une construction romanesque somme toute tardive dans l’évolution des thèmes arthuriens. Ou il s’agit d’un membre d’un ordre de chevalerie : là, c’est un autre registre, celui de l’histoire. L’ascèse de la chevalerie ne s’invente pas avec le christianisme. Le chevalier arthurien est l’héritier des guerriers de Finn, des héros irlandais partant seuls à l’aventure, en un temps où le christianisme n’existait pas. Dans les grands romans du graal, le service de Dieu placé plus haut que toute autre action nous offre un héros déshumanisé et, paradoxalement, privé de merveilleux,  d’arrière plan mythique, comme Galaad, que Jean Cocteau appelait très justement le chevalier robot. Il chevauche, il prie, il tue. Mais tout chevalier arthurien s’efface devant ce qu’il a élu de plus grand : le roi, l’honneur, l’amour sublimé de la Dame, et enfin Dieu. Comme pour le Graal, ce n’est pas l’objet (le but) qui compte, mais la démarche (ou même la marche), le mouvement vers, l’état d’esprit qui accompagne cet élan.

    Je n’ai pas eu le sentiment d’enlever quoi que ce soit ; juste de recourir à des sources existantes mais moins souvent utilisées. Je ne voulais pas recourir à la tradition romanesque qui reconstruit toute la Matière de Bretagne en fonction du Graal, avec pour but de mettre fin aux « enchantements de Bretagne ». Ces enchantements qui, justement, m’enchantent ! La version que j’ai suivie est tout de même initiée par Chrétien de Troyes et ses continuateurs, et elle n’est pas antichrétienne. Elle est courtoise et merveilleuse, et celtique dans ses origines, et s’écrit dans une société chrétienne. C’est ce qui m’intéressait, et qui ne se trouvait pas dans les versions de Langlais ou de Boulenger. Je n’ai pas situé mon récit dans une société non-chrétienne, au contraire. Simplement, je ne soumets pas toute l’aventure héroïque à un formatage ecclésiastique, superbement construit et écrit cependant.

    Comptez-vous poursuivre cette aventure romanesque ?

    Nous sommes déjà en train de la poursuivre. Deux volumes sont prévus, et déjà en écriture. Le second se concentrera sur les aventures chevaleresques, les exploits de la Table Ronde, et le troisième sur la Quête du Graal.

    Que sont les fées dans le mythe arthurien, leur origine, leur place et ce qu’elles symbolisent ?

    On ne voit pas toujours à quel point elles sont présentes et combien leur rôle est primordial. Que ce soient les plus nobles fées ou les plus modestes, celles qui ne sont même pas nommées, il n’est pratiquement pas de personnage féminin qui ne soit féerique dans le légendaire de la Table Ronde, même la reine Guenièvre. Les fées sont clairvoyantes, prophétesses, guérisseuses, elles savent le destin de ceux dont elles guident la route. Elles enseignent et intronisent les chevaliers et le roi lui-même. Elles vont et viennent entre notre monde et l’Autre Monde, entre les palais, les eaux, les forêts.

    Dès que le chevalier quitte le monde façonné par les humains (châteaux, villes, champs) et qu’il entre dans la nature, il pénètre dans un monde sous-tendu par le surnaturel, hanté par les esprits de l’ailleurs et du tout autre. Une demoiselle seule dans les bois, près d’une fontaine, d’un gué ou à un carrefour, c’est tout simplement une fée. Mais à l’inverse d’aujourd’hui, où l’on attend de la fée un « appareil » qui la désigne clairement (ailes, oreilles pointues, nudité plus ou moins offerte), l’être féerique ( N’oublions pas que fée est d’abord un adjectif qui désigne toute créature surnaturelle, dame, chevalier, animal, arbre, etc. avant de devenir un nom déterminant uniquement un personnage féminin.) ne s’impose pas, son rôle la désigne. L’identification de la fée passe donc par la fulgurance de l’intuition, dans l’exception du moment de la rencontre. Je trouve que c’est très beau ainsi.

    Vous avez tenu récemment une conférence sur l’origine, la naissance des fées… En quelques lignes, quelle est-elle donc cette origine?

    Je crois que les mots ont une importance, une précision absolue et qu’ils ne sont pas impunément interchangeables. Comme son nom, attesté à partir du XIIe siècle seulement, (« Le nom est bien le principe décisif, non de l’invention des êtres mythologiques, mais de l’instant même où ces êtres deviennent purement mythologiques et tranchent leurs derniers liens avec la terre ». Ferdinand de Saussure), la fée commence à exister quand on a besoin d’elle. Si les femmes surnaturelles ou divines existent dans toutes les cultures et dans toutes les parties du monde, la fée a son canton personnel, à l’ouest du continent eurasiatique. Ni déesse, ni nymphe, ni dryade, ni Parque, elle tient pourtant un peu de toutes celles-ci et impose son rôle auprès des humains.

    Dans la fée originelle se fondent des réminiscences des grandes déesses ou des petites divinités du Panthéon classique et des esprits protecteurs chantés par la poésie latine. Leur demi-nudité, leur éclat, leur préférence pour les forêts et les eaux les rattachent à la famille des nymphes et des dryades, des esprits des bois qui s’unissent volontiers aux humains.

    Elles ont aussi la hardiesse de manière, la liberté de mouvement, les cheveux d’or et le teint lumineux des dames de l’Autre Monde celtique, comme la belle Niamh aux chevaux d’Or ou l’inconnue qui enlève Connla. L’union de la fée avec un homme est d’ailleurs typique des contes d’origine bretonne : dans la mythologie gréco-latine, ce sont les dieux qui s’unissent volontiers avec les mortelles.

    Tisserandes, devineresses, guérisseuses, elles multiplient les savoirs et pouvoirs d’origine divine, filles en cela des Parques latines, des Nornes nordiques, et des Sybilles. Dans leur colère et leurs vengeances, se profile l’ombre de Médée ou d’Erichto de Thessalie, le pays de toute sorcellerie. Leur ascendant sur la nature leur permet de jouer à volonté du vent et des eaux, de la mer ou des rivières. Au XIXe siècle, Chateaubriand le rappelle : « Les fées gauloises, répondit Velléda, ont le pouvoir d’exciter les tempêtes, de les conjurer, de prendre la forme de différents animaux. »

    AU XIIe siècle, alors que la foi semble la plus ardente et que la société, le pouvoir, la vie civile fonctionnent sur le modèle dicté par la religion, fait irruption tout un peuple venu de bien avant le christianisme : fées, enchanteurs, chevaliers aux pouvoirs surnaturels, et avec eux un cortège de forêts ou d’îles enchantées, de cimetières et de landes maléficiées, de dragons étincelants et d’épées magiques. Compensation aux contraintes de l’Église et ses interdits moraux et sexuels? En partie, mais surtout la nécessité d’affirmer que la religion n’a pas le monopole du merveilleux, des êtres qui défient le temps et la logique. Et c’est ainsi que les Lusignan se réclament de Mélusine, les rois de France, au travers du Troyen Énée, font remonter leur lignée à Aphrodite… et les Bretons au roi Arthur, « le roi le plus aimé des fées ». (Je m’arrête là, avec ces fées si proches des humains par leur apparence. Mais ensuite vient l’évolution des fées, leur « miniaturisation », la naissance de la fée ailée, l’engouement victorien pour les fées, etc.)

    Et les dragons ?

    Vaste question ! Le dragon est universel, et sa présence tutélaire ou effrayante répandue par toute notre planète. Il fait partie des figures archétypales de nos effrois et de nos espoirs, protecteur dans les pays d’Asie, en orient, ravageur en Occident. Seul le dragon des Pendragon, est à la fois un dragon occidental et bénéfique.

    Dans la tradition antique classique (Grèce), le dragon est un serpent monstrueux. Ce serpent est présent dans l’iconographie celtique dès le Ve siècle avant JC : serpents affrontés, en esse, à tête de rapace (proche du griffon) ou de cheval (proche du dragon marin grec, le kétos). Pendant la seconde moitié du IV siècle, le motif se répand jusqu’à la Tamise et en Gaule : on a retrouvé plus de 200 fourreaux d’épées ou de coutelas celtiques ainsi décorés. Il est donc vraisemblable de lier ce motif à la fonction guerrière. Cette symbolique perdure dans l’usage du dragon sur les enseignes militaires des légions romaines.

    Ce dragon, habite au creux de la terre (caverne, grotte, intérieur d’une montagne), et s’abrite dans les eaux souterraines. Il crache du feu, vole dans les airs. Il est totalité cosmique et esprit du sol, en un temps où le roi (revoyez Excalibur) et la terre ne sont qu’un. Le roi émane du dragon, le dragon obéit au vrai roi. Ce qu’on retrouve dans le draco insularis, le dragon de l’île (le roi d’Angleterre) ou dans le titre de Pendragon, tous deux donnés au roi pour montrer son pouvoir, mais aussi pour attirer sur lui la protection du dragon.

    Vous évoquiez votre livre sur le Petit Peuple chez Hoëbeke. Lorsqu’on est passionnée par le mythe arthurien, est-on inévitablement attirée par la féerie ? Qu’est-ce qui vous séduit chez le Petit Peuple ?

    Petite précision : chez Hoëbeke, j’ai publié, avec Michel Le Bris, Fées, elfes, dragons et autres créatures des mondes de féerie, qui accompagnait l’exposition du même titre. Je n’étais pas le seul auteur de cet ouvrage qui retraçait l’histoire des fées et des créatures de féeries à travers les siècles et les pays, et pour lequel Pierre Dubois avait écrit des textes  magnifiques.

    Si l’on se pénètre des mystères de la légende, si l’on s’émerveille de toute ce qu’elle convoie de traditions, de rêve, d’invention, de beauté, on ne peut pas ne pas être attiré par la féerie. Mais je serais tentée de vous dire que le Petit Peuple, c’est un autre versant, ou un autre canton du pays de nos légendes, de nos croyances les plus anciennes et les plus intimes. Le Petit Peuple dit notre rapport au monde qui nous entoure, car ils le peuplent et lui donnent une âme. Ils sont là dans les lieux familiers, les gestes du quotidien. Leur fréquentation, leurs contes sont aussi ceux qui relient le fil qui nous unit à nos grands-parents, à nos proches origines. Ils m’enchantent aussi par leur infinie variété, leurs habitudes, leurs coutumes même, leur mauvais caractère, leurs défauts et leurs sens aigu de la justice – enfin d’une certaine justice.

     

    Le Centre arthurien se situe en forêt de Brocéliande (Paimpont en Bretagne). Comment Paimpont est-elle redevenue Brocéliande ?

    Le village de Paimpont naît vers le VIIe siècle, dans le mouvement du monachisme breton. Il est d’abord un ermitage, autour duquel un hameau prend forme. Une abbaye remplace le petit ermitage. Lorsque l’industrie du fer prend possession de la forêt, au XVIIe siècle, on commence à désigner par le nom du bourg qui en forme le centre, Paimpont. c’est là qu’elle perd son nom de Brésilien, ou Brécheliant, attesté pendant le moyen âge et dont Chrétien a fait Brocéliande.

    Mais dès l’époque romantique, Brocéliande retrouve ses fervents : érudits, derniers romantiques, celtomanes aussi, antiquaires chercheurs de traces des anciennes cultures et acharnés à trouver la trace des êtres légendaires. À partir de 1950, l’abbé Gillard, curé de Tréhorenteuc, relance l’intérêt pour Brocéliande et ses légendes. Et nous, au Centre Arthurien, nous prenons le relais à la fin des années 80.

     

    Si vous devez pencher pour une des œuvres suivantes, laquelle préférez-vous et pourquoi?

    Merlin de Istin et Lambert (Soleil) ou Arthur de Chauvel et Lereculey (Delcourt) ?

    Joker !

    Kaamelott ou Monty Python and the Holy Grail ?

    Monthy Python, précurseurs, comme déjantés iconoclastes, rois du nonsense. Quand Kaamelott a démarré, j’en ai été ravie. La dernière série m’a un peu laissée sur ma faim, je n’ai guère apprécié l’élucidation « romaine » et la trop grande implication historique.

    Lancelot de Jerry Zucker avec Richard Gere et Sean Connery ou Les Chevaliers de la Table ronde de Richard Thorpe avec Robert Taylor et Mel Ferrer ?

    C’est dur de me faire dire du mal d’un film où joue Sean Connery, et le film de Thorpe est loin de refléter ma vision du récit et des personnages, mais c’est pourtant ce dernier que je choisirais. Parce que le Lancelot de Zucker, privé de toute magie, accumule les contresens, je choisis Les chevaliers de la table ronde, pour son imagerie naïve, son beau technicolor et pour sa distribution.

    Le seul film qui réponde vraiment à la légende reste Excalibur. Boorman connaît son sujet en profondeur, il en est imprégné, il a compris a dimension mythique. Qu’on en discute l’esthétique, oui. Mais pas le sens ni l’intelligence du propos.

    – Le cycle Brocéliande de Jean-Louis Fetjaine ou The Mists of Avalon de Marion Zimmer Bradley ?

    Les Brumes d’Avalon, sans hésiter.

    Vous organisez en 2010 une très belle rencontre entre les légendes de Bretagne et celles d’Angleterre. Parlez-nous de ce fabuleux projet et de cette idée de jeter un pont entre deux zones géographiques réelles partageant un même univers légendaire…

    À la fin de l’année 2007, j’ai découvert que le programme Interreg IV (Pour plus de précision sur ce programme, voir le site Internet de Interreg III.) permettait à une association comme la nôtre d’élaborer des projets communs avec une région européenne frontalière. En Bretagne, cela voulait dire le sud-ouest de la Grande-Bretagne. J’ai alors repris contact avec des artistes (peintres, illustrateurs, musiciens) avec qui j’avais travaillé en 2003, pour l’exposition Fées, elfes, dragons et autres créatures de mondes de féerie. Et j’ai découvert qu’ils avaient ajouté une nouvelle corde à leur arc, la réalisation de films (vidéo) tournés dans le Devon. Mieux encore, ces films avaient pour sujet des contes ou des légendes locales ; or nos légendes bretonnes et les légendes de Cornouailles sont plus que cousines. Donc, avec Elizabeth-Jane Baldry (la harpiste des fées) et le Chagford Filmmaking Group, nous avons mis sur pied un double projet. Une exposition d’abord, menée par le Centre Arthurien, réunissant des artistes français et anglais et destinée à être montrée dans les deux pays. Et un film de 52’, tourné dans les deux pays. Restait à s’accorder sur le sujet. Nous sommes pratiquement sans hésitation tombées d’accord sur le Lai de Lanval. Ce lai féerique de Marie de France (XIIe siècle) s’est maintenu sous sa forme originelle en France, mais a été maintes fois réécrit par différents auteurs anglais. Chaque artiste travaille sur la version de son choix.

    La subvention Interreg impliquait une logique de territoire. Virginie Ropars (Créatrice d’incroyables poupées de collection.), chargée des expositions en Bretagne, a contacté une quinzaine de personnes en Bretagne (Deux artistes qui ont beaucoup travaillé sur les thèmes médiévaux et celtiques, qui exposent régulièrement en Bretagne, mais qui sont parisiens, ont été aussi associés au projet : le livre d’art Merlin, qu’ils venaient de publier chez Soleil, rendait leur présence indispensable.), tandis que Kelly Martinez faisait de même en Devon. Pratiquement tous ont été d’accord, et nous avons 26 participants au projet. Des dessinateurs, illustrateurs, peintres, sculpteurs…Certains d’entre eux, comme Alan Lee ou Brian Froud, sont aussi impliqués dans la conception artistique du film.

    Voici la liste complète des artistes : Alan Lee, Brian and Wendy Froud, Kelly Martinez, Marc Potts, Linda Ravenscroft, Ian Daniel, Jacqui Martinez, Bridget Barker, Josephine Wall, Ed Org, Terry Windling, Rima Staines en Grande-Bretagne.

    Et en France Olivier Ledroit, Severine Pineaux, Didier Graffet, Erwan Seure Le Bihan, Brucero, Virginie Ropars, Aleksi Briclot, Jean-Sebastien Rossbach, David Thiérrée, Erlé ferronnière, Yoann Lossel, Anne Smith, Jean Lemonnier. (Il existe un groupe Facebook, Légendes et féerie en Brocéliande, pour ceux qui auraient envie de soutenir ce projet et de se tenir au courant de son avancement).

    Outre l’échange, essentiel, et base même de ce projet, je trouve très excitant ce mélange de liberté et de contrainte : « faites ce que vous voulez, mais sur un sujet précis » ainsi que la chance qu’il offre de confronter ce qu’il faut bien appeler (faute de mieux) le génie propre à chaque peuple. Mon travail sur le domaine des légendes arthuriennes m’a au moins enseigné ceci : dès les premiers romans, la même histoire (le même schéma narratif) prend une couleur, un style, totalement différents en France, en Angleterre et en Allemagne.

    Un autre point fort, bien sûr, c’est d’avoir regroupé de très grands artistes, célèbres pour leur travail d’illustration des légendes, et de les confronter à des plus jeunes ou à des moins connus, en toute égalité !

    Propos recueillis par le Peuple féerique en janvier 2010

  • Encyclopédie de la féerie – Lettre A, Pierre Dubois, Aouamri, Brett, éditions Dargaud

    Encyclopédie de la féerie
    Lettre A
    Textes: Pierre Dubois
    Dessin: Mohamed Aouamri
    Photos: Lord Brett
    Editions Dargaud
    196 pages couleurs
    Date de parution: 04/12/2009
    Prix: 35 €

    Présentation de l’éditeur:

    Avez-vous déjà rencontré une affrignolette, une « fort appétissante lutine de la Haute-Marne, tout en fesses et en tétins » ? Non ? Dommage ! Et sans doute n’avez-vous jamais croisé un abbil’, ce lutin toujours pressé, nu-pieds et débraillé. Mais il n’est pas trop tard pour bien faire… L’elficologue Pierre Dubois, spécialiste des fées en tout genre, passe en revue dans une encyclopédie – illustrée de superbes dessins et de savoureuses photos – tout le petit peuple de la féerie qui vit en marge de la réalité, tapi au fond des contes et légendes qui nourrissent notre imaginaire… Auteur du best-seller L’Encyclopédie des fées, mentor de Joann Sfar qui le considère comme son « papa en littérature », grand collectionneur de tout ce qui se rapporte à la féerie, Pierre Dubois signe un livre qui invite au voyage immobile au pays de l’imaginaire. Les dessins d’Aouamri, le dessinateur de La Quête de l’oiseau du temps, illustrent à merveille les entrées de cette encyclopédie pas comme les autres, tandis que les photographies de Brett nous entraînent au cœur de l’univers quotidien de Pierre Dubois, entre vieilles maisons et campagne peuplée de créatures fantasmagoriques. Le cadeau de Noël idéal, même – et surtout – si vous ne croyez pas aux fées…

    Pierre Dubois a été journaliste et chroniqueur à France 3 pendant plusieurs années. Réalisateur de films, responsable avec Michel Le Bris de la collection « La Bibliothèque de l’elficologie » chez Hoëbeke, ce passionné des fées est aussi scénariste de bande dessinée, notamment pour Joann Sfar (Petrus Barbygère), René Hausman (Laïyna), Lucien Rollin (Le Torte) et Xavier Fourquemin (La Légende du changeling). Auteur de plusieurs ouvrages d’elficologie, Pierre Dubois est membre éminent du Centre de l’imaginaire arthurien situé à Brocéliande.

    Aouamri a dessiné les séries Mortepierre et Sylve avec le scénariste Brice Tarvel. Émule de Régis Loisel et de sa Quête de l’oiseau du temps, il a succédé à Lidwine sur le cycle Avant la quête.

    Brett (Didier Christmann) a d’abord été journaliste avant de s’orienter vers l’édition et la bande dessinée en tant qu’éditeur (directeur éditorial de Dargaud jusqu’en 1998) et scénariste : grand admirateur de Greg, il a signé les scénarios de plusieurs albums d’Achille Talon.

    Notre avis:

    Une encyclopédie autour de la lettre A. Quel pari déjà que cette idée de ne proposer que des mots liés à Féerie et commençant par la première lettre de notre alphabet. Un pari qui ne pouvait être remporté que par l’énigmatique et fabuleux Pierre Dubois, érudit en la matière, Grand Elficologue, Ami du Petit Peuple… C’est avec grande joie qu’on se plonge dans ces dizaines de A, croisant arragousets, ânes rouges, la fée Andaine ou la déesse Arduina, les terribles auxcriniers ou rêvant aux arbres-fées…

    En matière de féerie, Pierre démontre une fois de plus l’étendue de ses connaissances et surtout, sa générosité au travers de mots soignés, d’expressions délicieuses et d’envolées lyriques qui nous font entendre le doux chant des fées. Certes, le flux de mots surgis de l’esprit de notre elficologue préféré, intarissable, a son inconvénient: l’éditeur a du imprimer en tout petit le précieux texte. Il s’agira de chausser vos lunettes !

    Pierre est un ami des fées mais aussi de l’illustration, ayant lui-même commencé par les crayons et pinceaux avant de prendre la plume. C’est donc tout naturellement que ces ouvrages sont, dans la grande majorité des cas, illustrés. C’est le dessinateur de Mortepierre et de la suite de la Quête de l’oiseau du Temps qui nous régale cette fois de ses illustrations, crayonnés, encres et couleurs. Inutile de préciser qu’Aouamri s’inscrit dans la lignée de Régis Loisel, tout le monde le sait. Si les illustrations sont de grande qualité, le côté plus fantasy que féerie détonne un peu avec ce que l’on s’imagine habituellement, ce à quoi on est habitué. Du coup, on a un peu l’impression d’avoir deux univers très différents entre texte et image. Mais pourquoi se contenter de deux univers quand un troisième est possible ? Cette fois, c’est au travers des photographies de Lord Brett que le monde de Pierre Dubois s’illustre et là, chapeau !, les photos sont très belles, les expressions saisies participent pleinement à exprimer le côté farceur, espiègle, bon vivant et mystérieux de l’elficologue. On le découvre chez lui, au milieu de ses livres et de ces petites créatures disséminées partout en sa demeure mais aussi dans des décors magiques, obscurs, médiévaux… Une idée originale et parfaitement réussie.

    Même si l’éditeur précise qu’il s’agit d’un one-shot, la lettre A laisse rêver aux 25 tomes suivants… Et une petite fée nous a murmuré à l’oreille que l’ami Pierre avait déjà entamé l’écriture de la lettre B… comme bientôt ? C’est tout ce qu’on peut lui souhaiter.

  • Rencontres de l'Imaginaire – Festival de l'illustration des mondes légendaires

    Cette année, les Rencontres de l’Imaginaire ont pur invités d’honneur Aleksi Briclot et Jean-Sébastien Rossbach. Ils seront accompagnés d’une dizaine d’autres illustrateurs de talent pour une exposition à ne pas manquer. Le tout dans un cadre de choix entouré de la belle forêt de Brocéliande en Bretagne.

    Vous pouvez désormais suivre toutes les infos sur ce festival sur son BLOG.

    Programmes Rencontres de l’Imaginaire 2009

    Expositions d’œuvres originales
    du 31 juillet au 31 août 2009,
    au château de Comper-en-Brocéliande.

    Rencontres et dédicaces, 1er et 2 août 2009,
    au château de Comper-en-Brocéliande à Concoret (56).

    Samedi 1er août
    15 h – 18 h : Rencontres et dédicaces avec les auteurs et les illustrateurs.
    15 h 30 : Conte illustré. Un conteur et un illustrateur transmettent, chacun à sa manière, le même récit.
    16 h – 17 h : Vente aux enchères d’œuvres originales créées par les artistes invités. Les bénéfices iront aux associations Sauvegarde de Brocéliande et Diwan.
    17 h 30 : Visite guidée de l’exposition des Rencontres de l’Imaginaire.
    15 h – 17 h 30 : Dessine moi Merlin, atelier pour enfants.

    Dimanche 2 août
    11 h – 13 h  et 14 h – 17 h : Rencontres et dédicaces avec les auteurs et les illustrateurs.
    12 h : Présentation du livre Merlin, par ses auteurs Jean-Luc istin, Aleksi Briclot et jean-Sébastien Rossbach.
    15 h : Quel visage pour Merlin ? Débat avec Jean-Sébastien rossbach, Séverine Pineaux, Jacky Ealet et Nicolas Mezzalira.
    16 h – 17 h :
    Vente aux enchères d’œuvres originales créées par les artistes invités. Les bénéfices iront aux associations Sauvegarde de Brocéliande et Diwan.
    14 h et 17 h : Conte illustré. Un conteur et un illustrateur transmettent, chacun à sa manière, le même récit.
    14 h – 17 h 30 : Dessine moi Merlin, atelier pour enfants.

  • Rencontre avec Albert Moxhet, spécialiste du légendaire wallon et ardennais

    Albert Moxhet est un nom qui ne vous dira peut-être pas grand-chose si vous n’êtes pas wallon. La Wallonie étant la partie francophone et germanophone de la Belgique. Albert Moxhet y est connu pour ses études sur la sorcellerie et le légendaire. Un légendaire riche de sorcières mais aussi de lutins ou gnomes qu’on appelle les Nutons. Patrimoine partagé en grande partie avec l’Ardenne française. Alors que plusieurs ouvrages sont en voie d’édition ou de réédition (il était temps !), d’autres, comme l’excellent Ardenne et Bretagne, deux soeurs lointaines vient tout juste d’être épuisé. Nous avons posé quelques questions à cette incontournable figure de la féerie ardennaise.


    Dans Ardenne et Bretagne, les sœurs lointaines, vous comparez, voire rapprochez les deux légendaires propres à ces régions. Comment vous est venue l’idée de cette étude ?
    Ardennais baigné dès l’enfance dans les légendes de ma région, j’ai toujours été intéressé par le monde celtique (Irlande, Écosse, Bretagne,…). La connaissance de celui-ci s’est structurée en particulier par l’étude de la Matière de Bretagne à l’Université de Liège (Philologie romane). Dans les années 1970, j’étais le « gardien des légendes » d’émissions radio de Philippe Longtain à la RTB (pas encore F), émissions portant notamment sur le fantastique. Cela m’avait amené à réunir quelque 300 légendes fantastiques d’Ardenne, qui donnèrent naissance à mon Dictionnaire des Légendes de l’Ardenne fantastique. Quelque temps plus tard, lors d’une exposition à Spa, je rencontrai une ancienne élève, Nathalie Chaballe, qui achevait des études d’illustration. Comme travail de fin d’études, elle devait présenter la maquette d’un ouvrage traitant des légendes bretonnes. Elle manquait de textes ; moi, au cours de mes recherches pour le Dictionnaire, j’avais trouvé que des rapprochements étaient à faire entre les deux domaines. J’écrivis donc quelques chapitres pour que Nathalie ait une matière suffisante pour son projet. Peu après, un ami commun, Camille Bellaire, me mit en rapport avec Jean-Pierre Lambot, à qui l’éditeur Pierre Mardaga venait de demander de lancer la collection « Mythes, Légendes et Traditions ». Jean-Pierre souhaita que je termine le manuscrit et je demandai à Nathalie d’en compléter l’illustration. L’ouvrage parut en 1989. Les tout derniers exemplaires dont je disposais ont été vendus lors du Printemps des Légendes. La collection et son éditeur n’existant plus, je souhaite évidemment qu’une nouvelle édition soit réalisée, d’autant plus qu’Hervé Gourdet et Olivier Rime m’ont fait le plaisir de me dire que c’est cet ouvrage qui, pour eux, avait déclenché le mouvement dont le Printemps des Légendes est un des fleurons.

    L’Ardenne (surtout belge) semble plus axée sur la sorcellerie. D’où vient cet attachement, ce goût prononcé pour les sorcières en Wallonie ?
    L’Histoire veut que de très nombreux procès de sorcellerie aient eu la Wallonie et particulièrement l’Ardenne pour cadre, principalement durant la seconde moitié du XVIe et au XVIIe siècle. Les pouvoirs spirituel autant que temporel étaient concernés, surtout qu’une bonne (et parfois lointaine) partie du territoire dépendait de la Principauté épiscopale de Liège ou de la Principauté abbatiale de Stavelot. Le contexte de la Contre-Réforme (Concile de Trente, 1545-1563), mais aussi une économie essentiellement agricole, dans uns société fondée sur un modèle masculin hérité du droit romain relayé par le droit canon, sont des éléments importants pour comprendre combien, alors que la peur du diable était constante, on cherchait des responsables à tout événement négatif. Les femmes, surtout si elles étaient seules ou un peu marginales, étaient des proies faciles dans une procédure aussi cruelle que sommaire. C’est pourquoi je crois que nous avons un devoir de justice et de mémoire vis-à-vis de tant de victimes innocentes et que je m’insurge contre le rôle horrifique, caricatural ou comique que l’on fait jouer aujourd’hui aux sorcières à travers les médias. Je trouve tout aussi inadmissibles les « fêtes » qui consistent à traquer les sorcières et à les brûler sur un bûcher autour duquel on danse.

    Vous qui aimez les comparaisons, que pensez-vous de celle de la sorcière et de la fée ? Ont-elles des points communs, la sorcière serait-elle une « mauvaise fée » ?
    Il y a des endroits où l’on ne sait pas distinguer vraiment la fée de la sorcière. C’est le cas, par exemple, de Namousette du côté de Dohan, mais aussi d’une manière plus large en Picardie. Il faut cependant savoir que, en Ardenne particulièrement, les aires peuplées de fées et celles des nûtons, sotês et autres massotês s’excluent généralement, sauf sur leurs frontières. Ces êtres légendaires ont d’ailleurs des rôles et des tailles assez semblables. Mais les sorcières, elles, on les trouve indistinctement dans les deux aires. Les connaissances empiriques que sorciers et sorcières pouvaient avoir des plantes, par exemple, dépassant souvent le savoir des médecins reconnus, les rendaient suspects, même si ces connaissances avaient rendu des services à la communauté. Nains et fées ont souvent été diabolisés dans les mêmes circonstances, parce que différents, eux aussi. En ce qui concerne les sorciers, il n’est pas inutile de constater que, dans l’Ardenne septentrionale et le Condroz, le berger-sorcier, tel que Bellem, sait rendre de précieux services, alors qu’en Ardenne méridionale, c’est plutôt le type du sorcier méchant qui prédomine, à l’image de Cape (ou Kaap) d’Herbeumont, précurseur peut-être du Gargamel des Schtroumpfs.

    Vous avez participé au festival Printemps des Légendes, à Monthermé. Y a-t-il selon vous un regain d’intérêt pour la féerie, vu le succès de ce festival ? Comment l’expliquer ?
    Il est sûr que la féerie se porte bien à l’époque actuelle, notamment parce que, sans que le public en soit toujours conscient, elle a aujourd’hui le soutien d’une technologie des effets spéciaux extrêmement sophistiquée qui a relancé l’intérêt pour des œuvres littéraires faisant appel à l’imaginaire et au fantastique. Pour moi, il y a cependant un danger dans cette vogue, c’est qu’on y mélange tout et n’importe quoi et qu’on risque ainsi de perdre ce que le quotidien peut nous offrir de merveilleux quand on veut bien y porter un regard attentif et nullement blasé. Je crois qu’il faut tirer la leçon de ce qu’on a fait d’Halloween en le réimportant des Etats-Unis : une manœuvre commerciale mêlant dans une célébration de l’horreur et de la laideur une série d’éléments – revenants, vampires, sorcières, araignées, etc. – qui n’ont au départ rien en commun, sinon de vider complètement de son sens profond la très intéressante fête de Samain, moment capital dans l’année des Celtes.

    Lors du débat-conférence qui s’y est tenu, vous avez fait part de vos rencontres avec Indiens et chamanes. Peut-on parler d’une universalité des mythes, légendes ?
    Il y a, me semble-t-il, au-delà de thèmes propres à telle ou telle région, une réelle convergence de mythes qui s’expriment par des légendes à travers de l’humanité.
    Pourquoi ? Eh bien, parce que l’être humain, où qu’il se trouve, a rencontré des situations semblables, que ce soit pour sa survie physique ou mentale. Les réactions sont fondamentalement identiques, parce que forcément humaines, les différences s’inscrivent alors dans la forme, en fonction de la culture – climat, géographie, ressources, mode de vie, etc. – de chaque société. On touche donc là ce qui est le fond commun de l’Humanité. Cela peut aller loin, sinon comment expliquer que l’on retrouve, par exemple, dans les légendes d’origine des Indiens Hopis, l’équivalent du déluge ou de Babel ?

    Pour notre propos qui est le Petit Peuple, la féerie, avez-vous rencontré lors de vos voyages des êtres proches du peuple féerique celte que l’on connaît mieux ici que tout autre ?
    Il faut bien se rendre compte que, dans notre Europe occidentale, il n’y a plus guère de lieux qui n’aient été exploités par l’homme. Nos forêts sont des jardins en comparaison de ce qu’était la forêt primaire, qu’on peut sans doute encore retrouver partiellement en République tchèque. Mais il reste des lieux « chargés ». J’ai éprouvé la même vibration au centre du labyrinthe de la cathédrale de Chartres et dans le village indien de Betatakin, abandonné depuis 1300 dans une arche de falaise en Arizona. Dans la forêt de Brocéliande et en d’autres lieux de Bretagne, de telles « présences » sont sensibles également. Et j’apprécie beaucoup le témoignage de José Gualinga, Indien kichwa d’Amazonie équatorienne, fils d’un très grand chamane de Sarayaku, qui, dans la forêt d’Ardenne, a encore ressenti de lointaines présences, même si cette forêt a été largement travaillée par l’homme. Y a-t-il là un héritage des Celtes ? On peut l’espérer. Un élément légendaire d’origine celtique resté vivace est assurément la Bête de Staneux. Je crois aussi que le caractère ardennais et wallon, volontiers rebelle et fier de sa « tribu », relève aussi de ce héritage.

    Vous êtes également l’auteur d’un Dictionnaire des légendes de l’Ardenne fantastique aujourd’hui épuisé. Cet ouvrage sera-t-il bientôt réédité ?
    Il est paru en 1984, avec des rééditions et 1985 et 1986 et est donc épuisé depuis longtemps. Un éditeur est prêt à le publier à nouveau, mais j’estime que je dois le refondre et le compléter largement, car, bien évidemment, beaucoup de choses sont venues à ma connaissance depuis lors et méritent d’être diffusées. Il faut que je trouve le temps de mettre tout cela au point.

    Quelle est votre créature féerique préférée et pourquoi ?
    Les êtres légendaires ne manquent pas dans la région de Theux, où j’habite : les Sotês, le Verbouc du château de Franchimont, la Chèvre rouge, …, mais ce qui l’emporte, pour moi, j’y reviens, c’est le Bête de Staneux, un centaure femelle, qui pourrait être Arduina, romanisée en Diane chasseresse (elle porte un arc et des flèches). Elle vivait dans le Bois de Staneux, entre Theux, Polleur et Spa, derrière chez moi, et diabolisée, elle fut rendue responsable de tous les événements malheureux qui se produisaient dans les environs, à part peut-être les incendies, provoqués, eux, par la Chèvre rouge. Un jugement de 1476 fait encore allusion à la Bête et sa légende est toujours extrêmement vivante dans les pratiques folkloriques locales.

    D’autres projets, actualités à signaler à nos lecteurs ?
    J’ai deux bouquins qui vont bientôt sortir. Le premier, prévu en mai à L’Enseigne du Chat Volant (Verviers), s’intitule Traditions légendaires et croyances populaires en Haute Ardenne. C’est l’adaptation française d’une thèse présentée en 1938 à l’Université de Bonn par Willy Marichal sur base d’un impressionnant collectage que, en 1936-1937, il avait réalisé en wallon dans les villages situés de Sourbrodt à Vielsalm. On est là devant un travail remarquable autant par la matière du collectage restée dans son aspect spontané que par la thèse proprement dite qui établit des comparaisons non seulement avec les travaux de Sébillot, par exemple, mais aussi avec les traditions de nombreux terroirs allemands qu’en général les francophones ignorent. L’autre livre doit sortir un peu plus tard chez Noir Dessin Production ; il s’agit de Nûtons, Sotês et autres Sarrasins de Wallonie et d’Ardenne, une étude que j’ai pris grand plaisir à réaliser en m’attachant au rôle social et historique de ces petits personnages. J’ai essayé d’en faire un ouvrage original et truffé d’anecdotes dans la mesure où, sans entrer dans la fantaisie et en restant très accessible, j’y fais le portrait de notre Petit Peuple sur la base des collectages et recherches effectués depuis le XIXe siècle, mais aussi en étudiant les origines mythologiques et historiques des nains de nos légendes en qui se combinent des influences antiques, celtiques, romanes, germaniques et nordiques.

    Propos recueillis par le Peuple féerique en avril 2009.

  • Artesia – Llydaw – Prikosnovénie

    Artesia
    Llydaw
    Prikosnovénie,
    Artwork by ScarletGothica
    Recorded autumn 2008 by Loïc C.

    Présentation du label:
    Style : Dark Atmospheric heavenly voices
    Ref : Dark Sanctuary, Arcana, Elend, B.O du seigneur des Anneaux…
    Fevrier 2009- 8 Titres – 41’04

    Entrez dans les légendes d’Artesia.

    Avec des chœurs féminins aériens et une violoniste celte, Artesia ré-invente tout un univers féerique et gothique façon B.O du ‘Seigneur des Anneaux’. ‘Llydaw’ est le nom gallois de la Bretagne. Artesia nous invite à découvrir les mystères et légendes de cette contrée féerique et de la région de Brocéliande. ‘Llydaw’ annonce un nouveau line-up avec l’arrivée du guitariste du groupe de Black metal ‘Belenos’ et d’une nouvelle violoniste. Préparez-vous à une plongée au cœur du folklore breton, à la découverte de la Dame Blanche de Trecesson, la forêt de Huel-Goat, le menhir de Locmariaquer, le haut plateau mégalithique de Saint-Just…
    Dans ce 3e album, on retrouve le style atmosphérique heavenly d’Artesia, ses ambiances héroïc fantasy, mais également des chœurs masculins, des percussions plus rythmées, un violon et une guitare acoustique.

    8 TITRES:
    1- Irree Seose
    2- Le Haut-Bois
    3- Y Ladi Wen
    4- Lande Sauvage
    5- Tempus est Iocundum
    6- Le Voyageur
    7- Sous la Pierre Brisée
    8- Vers l’Ouest

    Notre avis:

    C’est certain, voilà bien le genre de musique qu’écouterait un elfe tolkienien. Tout y est aérien, léger, planant au-dessus de notre monde telle cette étrange force que l’on ressent lorsqu’on contemple une forêt aussi immense qu’ancienne. Rien d’étonnant car cette oeuvre est en effet due à quelques fées de Brocéliande puisqu’il s’agit d’une sorte d’hommage à cette forêt aussi belle que mystérieuse. Le titre est d’ailleurs le nom gallois de la Bretagne. Certes, ceux d’entre vous qui préfèrent les choses un peu plus rythmées passeront leur chemin. Ceux que les longues traînées vaporeuses des synthés irritent également. On trouvera peut-être également un peu dommage que les voix semblent si éloignées mais cela participe sans nul doute au résultat privilégiant l’atmosphère. Difficile également de faire ressortir l’un ou l’autre titre tant tous se ressemblent. Le Peuple féerique a bien aimé le titre « Sous la Pierre brisée » avec sa guitare un peu plus présente qu’ailleurs et son beau son de violon… Bref, on ne saurait mieux vous conseiller d’écouter les extraits présents sur le site de Prikosnovénie pour vous faire une meilleure idée de l’oeuvre. Noter que le livret est très joli et très dark féérique…

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