Un automne chez les fées…
Jeudi, 10h45. Ma voiture termine son voyage devant une ferme de briques rouges. Les yeux encore remplis de ce bocage, de ces saules où j’avais deviné de lutinesques visages, de ces haies d’aubépines où virevoltent de petits êtres ailés, je me dirige vers la porte de bois peinte en vert, encore un signe ! Trois coups auxquels répondent de petits pas. Une dame-fée m’ouvre et m’invite à entrer. Je la suis dans ce petit couloir obscur débouchant sur la cuisine où une douce chaleur m’accueille. Sur la table, confortablement lové dans un panier de fruits secs, un chat. Le nouveau locataire des lieux. Soudain, quelques craquements se font entendre, j’y reconnais le cri du Latusé. Des murs, des milliers de petits regards inquisiteurs semblent s’interroger sur ma présence… Les voix me mènent jusqu’au salon, au pied de la cheminée, dans ce lieu plus rêvé que réel : l’antre de l’Elficologue ! Une voix amie s’élève alors, et Pierre Dubois, tout sourire, apparaît dans la pièce. Le feu crépite, les questions fusent autour de l’Elféméride paru en cet automne chez Hoëbeke. Une œuvre magistrale. Pour moi, petit Belge plongé dans le fantastique et la nature depuis la naissance, tenir entre les mains un livre rempli de poésie, de saveurs d’antan, d’illustrations signées René Hausman, d’envolées vers une nature vivante, habitée, c’est un peu me sentir à la maison, calé dans un fauteuil moelleux, réchauffé des crépitements d’une buche juste allumée, une bonne bière de ma région à la main… Tiens, mais c’est exactement ce ressenti lors de la lecture de ce premier tome du grand légendaire des saisons qui se revit ici, en cet instant précis, mais cette fois, j’ai l’impression que c’est bien réel. Un vrai cadeau des fées… Extraits d’une conversation au coin du feu, un jour d’automne…

Commencer par l’automne, c’est une décision personnelle ou une volonté éditoriale ?
Si tu veux, pour moi, l’automne est très proche du printemps. Même si les feuilles tombent, et c’est magnifique, l’automne, pour moi, c’est l’âge d’or qui revient. Le crépuscule est aussi beau que l’aurore. Il a même un côté plus touchant. C’est un de ces moments proches de la naissance et de la mort. Je suis vieux maintenant mais même enfant, l’automne me fascinait. Il y a une grande mélancolie dans l’automne. Le sentiment de voir naître une autre vie… L’automne c’est là où la nature avant de mourir donne ce qu’elle a de plus beau: la lumière, les fruits… C’est comme un dernier amour.
On dit aussi que septembre est le mai de l’automne… Septembre, c’était la fin des vacances, tu arrivais dans quelque chose de grave, tu prenais conscience de l’idée de fin. C’est aussi une nostalgie de l’école, de mon idée première de l’école, apprendre à lire et à écrire. J’ai été désenchanté ensuite mais mon idée de l’école tout petit c’était d’apprendre à connaître les livres et toute la magie qu’ils renferment.
Il y a aussi l’idée de commencer à l’envers, d’aller vers la mort, l’hiver pour renaître au Printemps. Et puis l’automne, c’est là où la nature se montre vraiment, où l’on voit les animaux, les prunelles, la pomme… La Nature se livre, se donne véritablement en automne. Les fantômes, les esprits de la nature sont palpables, le moment où sortent les écureuils, les lutins… Voilà pourquoi j’ai préféré commencer par cette époque là.
Tu évoques la nostalgie, les almanachs, souvent le seul livre à la maison autrefois. Est-ce qu’aujourd’hui, ce genre d’ouvrage a encore une place sur nos tables, dans nos bibliothèques ou est-ce un ouvrage qui te tenait personnellement à cœur, une envie de te faire plaisir ?
Les deux. C’est une réminiscence de ma jeunesse mais aussi de cette idée ancienne de la littérature. L’almanach entrait dans les demeures grâce aux colporteurs. C’était un genre d’ouvrage où tu avais la nature, des conseils pour soigner, des mythes, des légendes et l’écho de l’information. Aujourd’hui, on te parle du temps présent, le scoop, et du coup, tout s’oublie, s’évapore. L’almanach, c’est la parole importante, la voix des ancêtres. Ce livre entrait dans les foyers, certains ne savaient pas lire, d’autres lisaient pour les enfants, les voisins…

L’almanach était, à côté de la Bible, le seul livre dans les maisons. Est-ce une volonté pour toi de faire de l’Elféméride ce genre d’ouvrage qui accompagne les personnes tout au long de leur vie.
Y a de ça… Les fées et lutins sont rebelles, font partie de cette nature. La féerie c’est revenir à la nature. Après avoir écrit sur la féerie, cet elféméride c’est une manière de dire que si on ne revient pas à cette sagesse, à ce livre primordial qui te raconte la vie au travers des légendes, contes, faune et flore, tu vas passer à côté de l’essentiel. Dans les almanachs, tu avais les contes, les légendes à côté de ces faits naturels, historiques… Pour bien connaître la nature, il faut connaître les légendes, les contes de la nature, c’est l’âme de la nature. On ne raconte plus ces histoires là… A l’école, on dessinait une pomme, on te parlait des feuilles qui tombent… Aujourd’hui, on tape sur des claviers et on passe à côté de la vie.
On remarque d’ailleurs que les élèves de nos jours sont capables de parler des molécules d’une plante mais ne distinguent pas une feuille de chêne d’une feuille de hêtre…
Oui, voilà, et une molécule, tu ne peux pas aimer ça. Tu peux aimer une feuille, la trouver belle, mais une molécule, non. Il n’y a pas d’histoires qui s’y rapportent…

Ta vision de la nature rejoint bien les idées de Terrasson dans son livre La Peur de la Nature. Ton jardin est sauvage, tu laisses pousser… et cette nature tu la désires enchantée, habitée…
Oui, voilà c’est ça. C’est une manière de sauver la nature d’ailleurs. Les anciens avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête, de l’hiver tout simplement. Tout était symbolique, mythique, mythologique. C’était leur façon de comprendre les choses.
Est-ce que c’est nécessaire ? Pourquoi a-t-on besoin de cette dimension magique, racontée ?
La nature est présente mais il faut une explication. L’explication scientifique ne suffit pas. Les scientifiques t’expliquent les choses froidement. Regarde le typhon, l’ouragan terrible. Pour toucher les gens, il faut des images. Si tu menaces Dame Nature, cette déesse, elle se vengera. Quantifier, mesurer la nature, c’est abominable. Regarde les indiens quand les blancs sont venus acheter leurs terres, ils étaient très étonnés. Pour eux, la terre ne se vend ni ne s’achète. Le fait qu’il y avait des esprits était une manière d’appréhender la nature, de craindre sa colère et donc on la respectait.
C’est ce que tu veux dire dans ton introduction qui se termine sur cette phrase : « Il serait déraisonnable de perdre les mythes » ?
Les mythes ont une fonction primordiale sinon ils n’auraient pas existé. L’homme a besoin de rêve, son inconscient s’en nourrit et a besoin de raconter des histoires. L’enfant regarde le feu et ne pense pas au phénomène de combustion, le feu s’anime, est vivant avec son lot d’histoires, de dragons. Si on veut que le monde change, il faut redonner à l’imagination toute son importance. L’imaginaire te donne une façon de te dépasser, d’aller plus loin, d’avancer.

Hausman pour faire l’Elféméride, c’est un désir de collaboration qui remonte à longtemps ?
René, c’est un compagnon des premières heures. La Nature, il l’adore, c’est un homme des bois. Il a passé énormément de temps à l’observer… Je l’ai rencontré quand je travaillais à France 3, j’avais vu ses dessins dans Spirou. Il reproduisait les animaux mais on avait l’impression qu’il les avait captés. Ce n’était pas qu’une reproduction, on aurait dit qu’il était entré dans l’animal. Il avait été ours, il est souris. Cela allait au-delà de la physionomie, il arrivait à dessiner l’esprit aussi. On est devenu ami car j’avais un grand respect du dessinateur mais aussi de l’observateur. C’est quelqu’un de rationnel mais qui spontanément dépasse la réalité, il dessine à la fois le contenant et le contenu. On a beaucoup de points communs, il joue de la cornemuse, mon instrument préféré. On a travaillé sur le Grand Fabulaire du Petit Peuple pour Spirou. Les agendas ne se sont pas accordés pour la Grande Encyclopédie des fées, lutins, elfes… Comme René ne pouvait pas le faire, il a fallu trouver quelqu’un d’autre. Faut dire aussi qu’à l’époque, les fées, les lutins, ça n’intéressait personne. Pour René, c’était aussi prendre un risque. Personne ne voulait de ce sujet…
Alors ces retrouvailles, cela donne un côté rendez-vous manqué…
Oui, c’est vrai, dans notre automne… C’est la même génération avec nos références, les vieilles histoires de sa grand-mère, on était encore dans les contes… On a vu les mêmes films… On a évolué parallèlement mais l’Elféméride je ne le concevais pas sans Hausman. Il a une approche plus matérialiste de la Nature que moi, mais cette connivence existe. Se retrouver sur cet Elféméride c’est très symbolique. Y a l’idée de transmission, le monde était comme ça, essayer de pas trop le changer… L’idée aussi c’est que le f de la fée, le l de l’elfe soient inscrits dans cette Nature, dans ce quotidien, ce calendrier de la nature.
Une dernière question, plus pragmatique, la suite est prévue pour ce printemps ?
Non, non. Là, on a fait l’automne, l’hiver… Mais je vais m’y remettre bientôt puis René va devoir s’y remettre aussi. On ne va pas trop tarder à faire la suite mais pas pour le printemps prochain. Tout reste à écrire. Et puis, on travaille en harmonie, on s’adapte l’un à l’autre. Je ne sais pas vers quoi ça évolue, des sujets s’imposent au fil des mois. On avance ensemble donc je préfère travailler lentement, me poser sur un sujet. Un livre ça ne se fabrique pas.
Le temps des fées n’est pas le nôtre. Je regarde ma montre : 17h20 ! Une journée passe si vite de l’Autre Côté… Mais un rendez-vous avec Pierre ne se termine jamais, notre inconscient, nourri de ses paroles, de ses écrits, poursuit lui, son chemin, au travers de nos songes, au fil de nos regards portés vers cette Nature dépeinte avec tant d’enchantement par l’Elféméride… Un regard qui, une fois allumé, ne peut plus jamais s’éteindre…

Propos recueillis par le Peuple féerique en novembre 2013.
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