Norbert était pressé. Un dernier reportage et il pourrait rentrer pour le dîner. Cela faisait un moment qu’il rêvait de ce restaurant dont on lui avait tant vanté les plats succulents. Ce soir, il y dinerait avec son patron et quelques collègues. Ah, il allait vite l’emballer ce dernier reportage. A tout casser, cela lui prendrait dix minutes, quinze tout au plus… Il pianota sur son GPS l’adresse rigolote de sa destination, une rue au nom de légume, ça ne s’invente pas ! Allez, go, plus vite il y serait, plus rapidement il en repartirait.
La Peugeot se gara devant une petite chaumière insignifiante. Norbert remarqua de suite les nains dans le parterre devant la porte. « Encore un illuminé ! », pensa-t-il. Il tira la cloche et la porte s’ouvrit sur un vieux monsieur tout gris.
– « Entrez, entrez jeune homme, je vous attendais avec impatience. C’est gentil à vous de vous intéresser à mon livre »
– « Euh, oui, bonjour… Je suis assez pressé, si on pouvait boucler en cinq minutes… Car, voyez-vous, l’actualité n’attend pas ! »
– « Ah, mon cher Monsieur, mais les fées n’attachent que peu d’importance à votre actualité. N’est-il pas plus important de faire connaître à vos lecteurs toute cette magie, cette féerie ? »
– « Moui, moui… Enfin, téléspectateurs en réalité, vous voyez, là c’est une caméra, c’est la télévision régionale, pas le journal, cher Monsieur »
Norbert s’installa dans le salon, régla le pied de sa caméra.
– « Alors, euh, vous avez donc écrit une fantaisie sur les fées? C’est bien ça. Attendez, je cherche mes notes… »
– « Un recueil de légendes régionales sur les lutins, plus précisément les gnomes habitant nos foyers. Car voyez-vous, depuis que l’homme a construit… »
– « Oui, oui, attendez un instant, je dois brancher la caméra. Vous savez, moi, les nains de jardin et autres balivernes, je ne m’y intéresse pas trop en réalité, mais bon, ça fera sourire notre audience… »
– « Malheureux, ne dites pas tout haut ce que vous pensez tout bas, ils nous écoutent et pourraient s’en offusquer vous savez. »
Norbert éclata de rire. « Vous parlez de vos nains de jardin, ahah, eh bien qu’ils s’offusquent les bougres ! Ah bon, voilà que cette foutue caméra ne veut pas démarrer. La batterie sans doute… »
– « Vous voyez… ça commence… », murmura le vieil homme.
Norbert se lève, fouille dans ses poches. « Ah zut, il me faut une batterie, où ais-je mis ces clés de voiture? ». Il fouille et fouille encore. Un grand crac se fait entendre « Ah non, ma veste toute neuve ! ». Norbert échange un regard dépité avec le vieil homme. « Ce n’est pas vrai ! La poche est déchirée, les clés ont dû tomber en entrant ». Norbert se dirige vers le couloir. Dans sa précipitation, il glisse sur quelque-chose, se prend le coin de la porte et chute bruyamment.
Le vieil homme se dirige vers lui pour l’aider à se relever.
– « Vous allez bien, mon ami ? Tenez, relevez-vous en vous appuyant sur ce meuble. Si vous désirez que l’interview se déroule plus tranquillement, je vous suggère de leur demander pardon. Vous les avez bien énervés… »
Norbert, se relève, mais il est maintenant rouge de colère. « Enervés ! Vous parlez encore de vos lutins ridicules ? Vous n’allez pas me faire croire qu’ils existent maintenant ! Ecoutez, je pense qu’on va arrêter les frais de suite. On n’en a rien à faire de vos légendes et de vos nains de jardin. Il y a des choses bien plus importantes dans la vie. D’ailleurs, j’ai un autre reportage du plus haut intérêt et déjà que mon costume est déchiré… Enfin soit, voilà mes clés, tiens, à terre, vous voyez, elles étaient tombées. »
Le journaliste s’empresse de récupérer sa caméra, ouvre la porte, et, sans saluer le vieil homme, monte dans sa voiture. Il met le contact et quitte les lieux sans un signe de politesse. Ce n’est qu’en arrivant devant ce fameux restaurant où l’attendaient ses collègues qu’il éprouve une drôle de sensation. Une moiteur l’incommode sous les fesses… et cette odeur désagréable… Une fois sorti du véhicule, il aperçoit sur le siège, un camembert des plus faits, bien écrasé comme il se doit. Et bien sûr, il en a plein le derrière ! Au même moment, son patron lui fait signe par la fenêtre du restaurant…
On ne se moque pas impunément des gnomes de nos foyers. Voilà un rustre qui l’apprit à ses dépends !
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