A chaque voyage outre-Manche, je m’étonne du caractère encore bien vivant des croyances aux fées et lutins ici. Lors de mon dernier séjour en Angleterre, dans le Devon, j’ai croisé le chemin à maintes reprises de troncs où l’on avait inséré des pièces de monnaie.
La coutume veut que l’on paye un droit de passage aux Pixies pour emprunter un chemin, demander leur protection contre les serpents monstrueux, fantômes et autres terribles créatures hantant ces lieux ou tout simplement leur permission de traverser leur territoire.
Les Money Trees comme on les appelle là-bas ne sont pas rares. Omettre de déposer une piécette, c’est prendre le risque de fâcher les Pixies et d’être pixie-led, c’est-à-dire égaré par eux pour ne plus pouvoir retrouver le bon chemin. Mais il y a pire. Si déposer une pièce vous protégera, en prendre une sur un de ces troncs entraînera inévitablement le malheur et la malédiction des Pixies. Un de leurs traits et vous voilà fichu, rendu malade ou conduit vers une mort certaine… On ne plaisante pas avec les fées !
Au gré de nos échappées dans le Dartmoor anglais, nous décidâmes un jour de nous rendre à Lydford Gorge, un site naturel protégé et géré par le National Trust et dont la chute de la dame Blanche nous avait intrigués. Arrivés sur place, une randonnée de deux heures nous attendait avec quelques surprises…
Que dire du sentier si ce n’est qu’il était plus que bien balisé et facile à suivre ! Et tout du long, de superbes vues sur l’eau s’écoulant jusqu’à la chute que j’ai oublié de photographier tellement j’étais bien à la regarder…
Mon oeil de botaniste découvrit en ce milieu boisé et humide une plante de magicienne, la délicieuse petite Circé de Paris. Et de la magie en ce lieu, il n’en manquait certainement pas !
Un peu plus tard, nous tombions sur ça :
Du coup, on se dit que des Pixies, il devait y en avoir dans le coin et les végétaux alentour prirent une toute autre allure…
La visite des lieux se termina au bord du chaudron du diable et d’une bonne pinte de cidre !
« Une sorcière est une fée que l’on a offensée », cette phrase que l’on doit à Katharine Briggs peut se lire sur les murs d’Ellezelles, village belge marqué par les bûchers. Nombreuses sont celles injustement condamnées qui reviennent chaque nuit hanter les chemins des campagnes. Fées ou fantômes, les sorcières sont avant tout les victimes de la jalousie, de l’incompréhension et de la haine des autres hommes. Du XIIe au XVIIIe siècle, chasse allait être donnée à ces suppôts du diable avec comme point culminant, toute l’horreur de l’Inquisition.
Rien ne la distinguait des autres jeunes filles du village si ce n’est la couleur orangée de sa chevelure. Et peut-être son air sauvage. Emelyne aimait passer des heures dans les champs, y récolter les herbes qui guérissent, y observer les sauts joyeux des chevreuils au petit matin et les vols des chouettes le soir tombant. Au fil des ans, son intérêt pour les beautés de la nature n’allait pas en diminuant. A seize ans à peine, elle connaissait le nom de toutes les fleurs et les trajets de toutes les abeilles. Elle passait de longs moments dans les bois, s’endormant dans l’air frais sous les ramures, se gavant de myrtilles et de mûres. La rumeur disait qu’elle détenait le secret des fées, qu’elle les côtoyait lors de ses échappées. A vingt ans, elle ouvrit un petit commerce de feuilles et de fleurs séchées. Des sirops de sureau pour soigner les maux de gorge. Des herbes à infuser pour faire partir la fièvre. Elle fut bientôt connue dans toute la région pour les soins qu’elle apportait aussi bien aux hommes qu’aux bêtes.
Cet été-là, il avait beaucoup plu. Le blé et le froment s’étaient courbés sous le poids de l’humidité et les hommes avaient eu bien du mal à récolter les grains pour les moudre et en tirer la précieuse farine. Mais ce ne fut pas là le pire des malheurs qui s’abattirent sur le village. Un mal étrange suivit les premiers pains. Les gens furent frappés de folie et d’hallucinations. Certains ressentaient un feu intérieur les brûler, une chaleur insupportable qui leur rongeait les membres. Au bout de quelques jours, les cadavres s’amoncelèrent et on en vint à crier à la malédiction. Le curé, débordé par tant de souffrance en appela à l’évêque.
Une semaine plus tard, des cavaliers noirs entraient au village suivis par un inquisiteur. Car ce mal étrange ne pouvait venir que d’un suppôt de Satan. On murmura un nom. Doucement d’abord puis, de plus en plus fort. Celle qui détenait le pouvoir de guérir possédait certainement celui de tuer. Et puis, ces cheveux roux, un signe, sans nul doute.
Un matin, la fille fut enlevée, conduite au tribunal, rouée de coups. Elle finit par avouer, en sanglots, avoir pactisé avec le diable. Sorcière ! On éleva un bûcher. Les flammes lui léchèrent le corps et elle jeta dans un dernier cri : « Sœurs, sœurs ! Que vengeance soit faite ! ». C’est alors qu’un sinistre craquement se fit entendre : l’amas de bûches enflammées s’était effondré engloutissant le corps de la jeune femme.
L’étrange mal disparut avec l’hiver. L’année suivante, tout le monde parlait encore de cette sorcière rousse, cette maudite engeance. On frissonnait de l’avoir laissée toucher son enfant. On s’effrayait qu’elle ait posé la main sur la meilleure jument. Puis, on l’oublia.
Jusqu’au soir où, bien des années plus tard, dans la brume naissante de ce pré, à la lisière de la forêt, une femme qui rentrait chez elle aperçut une ombre surgir de terre. Elle vit distinctement la couronne de cheveux de feu qui entourait un faciès plein de haine et des yeux luisant comme des braises. La sorcière était revenue et le village allait payer l’offense faite aux fées…
L’Islande est une terre d’elfes. On le sait. Et lorsque suite à des travaux, un rocher sacré se trouve submergé de pierraille, les elfes ne sont pas contents et le font savoir ! Les autorités islandaises ont dû réagir et déterrer le précieux habitat elfique afin que les troubles cessent. La nouvelle a fait le tour du monde et la radio RTBF belge en a fait un petit sujet ce jour avec interview de votre serviteur…
Les fées aiment les rencontres fortuites. Nous traversions les landes du Dartmoor pour rejoindre notre gîte lorsqu’une fois de plus, nous nous égarâmes. Cherchant à nous orienter au moyen des Tors, ces sommets de collines empierrés, notre voiture s’engouffra dans une mince route quand mon oeil fut attitré sur la droite par la fameuse Kitty Jay’s Grave ! Coup de frein et me voici devant la légendaire tombe de cette pauvre Kitty.
Kitty Jay était tombé follement amoureuse d’un jeune aristocrate de la ville qui lui avait promis monts et merveilles et, surtout, de revenir très vite la chercher alors que leur idylle prenait fin, l’homme devant regagner la ville au terme de son séjour en ces lieux. La pauvre paysanne crut les promesses du bellâtre et les jours défilèrent aussi vite que ses larmes augmentaient. Hélas, il ne revint pas. De honte ou de chagrin, la jeune fille se pendit. Le cimetière lui fut interdit en ce XVIIIe siècle chrétien mais quelque âme charitable l’enterra ici, à la croisée des chemins.
On dit que depuis lors, chaque jour des fleurs fraîchement cueillies sont déposées sur la tombe de Kitty Jay. Un petit bouquet posé là au fil des années et des siècles. Certains prétendent que c’est là l’oeuvre des Pixies prenant en pitié cette pauvre âme perdue, d’autres soupçonnent les gens d’ici de commémorer le souvenir de la pauvrette par ce geste aussi beau que simple. Depuis quelques années, les fleurs se sont vues rejoindre par de menus objets, Kitty Jay devenue le symbole de ces coeurs égarés, perdus qui ne voient pour seule issue que la mort…
… cette même mort qui prend la forme d’ombres blanches, de fantômes aperçus rôdant près de la tombe les nuits sans lune.
Avant de repartir, je glissai une petite fleur sur ce tombeau de verdure, mes pensées rejoignant celles de tous ceux qui, comme moi, croisèrent un jour, par hasard ou par envie, la dernière demeure de l’âme de Kitty Jay.