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La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°2
Richard Ely : Tu avais du fantastique chez toi ?Pierre Dubois : Quand j’étais petit, non. Mes premiers livres c’était la Bibliothèque verte, rouge et or. Là où j’ai commencé à mendier, à essayer d’avoir de bonnes notes à l’école pour être récompensé et avoir des livres. Je me souviens de mes premiers livres que je rangeais soigneusement en rêvant de la bibliothèque que je pourrais avoir plus tard, je rêvais de beaucoup de livres. Je mettais les rouge et or les uns à côté des autres et c’est vrai que les rouge et or avaient une belle tenue, de belles illustrations, de beaux papiers. Le dos avait une apparence de vieux cuir et j’en étais très fier. Alors c’était d’abord des Fenimore Cooper, Gustave Aimard, les trappeurs de l’Arkansas… Et puis, il y a eu la Bibliothèque verte avec la découverte de l’île au trésor de Stevenson. Non seulement il y avait une histoire de pirates, de l’aventure, des galions, etc. mais il y avait aussi un côté fantastique, y avait Pew l’aveugle, les chiens noirs qui venaient rôder autour de la taverne qui allait m’amener plus tard à l’auberge de la Jamaïque, au décor d’auberges bizarres, à Mac Orlan. J’allais découvrir Mac Orlan. C’est là que j’ai découvert pour la première fois cette lande déserte avec la menace d’une taverne environnée par des ombres, des bandits qui avaient donné la marque noire au capitaine qui rôdait avec un aveugle… Et puis, on parlait d’un pirate avec une jambe unique, on ne savait pas encore que ça allait être Long John Silver. « Si tu vois un pirate à la jambe unique tu m’avertis mon gars » disait le capitaine à Jim Hawkins. ça a été mes premiers frissons, pas seulement du roman d’aventures mais aussi du fantastique. J’aimais les histoires fantastiques, j’avais lu Arthur Gordon Pym. Ce bouquin ne finissait pas. On me reproche parfois de faire des fins un peu bizarres, c’est peut-être à cause de mes premières lectures. Même dans l’île au trésor, il n’y a pas vraiment de fin. Le pirate s’en va, il n’est pas puni. Il se sauve, Jim Hawkins le laisse partir sur le canot. J’aimais bien ces fins qui n’en étaient pas. Ces fins qui disparaissaient, j’avais lu L’Homme des vallées perdues. Pareil, Shane, le héros s’en va. On ne sait pas s’il est mortellement blessé ou pas. J’aimais bien ces fins en suspens. Au bord d’une frontière… Et j’ai lu Bob Morane. Là aussi ce que j’aimais dans Bob Morane c’est qu’il y avait toujours une petite intrusion. C’était de la pure aventure , l’époque bénie des couvertures de Joubert, bibliothèque Marabout Junior, Bibliothèque verte, rouge et or, Idéal bibliothèque, le monde perdu de Conan Doyle, La guerre du feu, Capitaine Corcoran. Par contre je n’aimais pas Jules Verne, c’était trop scientifique, trop scientiste. Ça m’enquiquinait ces héros terre à terre.Richard Ely : Et tu y avais accès facilement ?Pierre Dubois : Par le biais des bibliothèques, j’étais inscrit dans les bibliothèques.Richard Ely : Tu avais quel âge à cette époque ?Pierre Dubois : De 7 ans à 14, 15 ans… J’ai toujours été un lecteur. Evidemment c’était presque de la lecture de contrebande. Mes parents, Mon père quand il me voyait avec un livre entre les mains, déjà dans ma petite enfance, c’était : « Qu’est-ce que tu fais encore avec un livre ? Toujours la tête dans les livres, tu vas t’abîmer les yeux ! C’est du bourrage de crâne, je vais te donner du vrai travail, ! Est-ce que tu as fini tes devoirs ? ». La lecture, c’était vraiment de la contrebande. Et même pour avoir de nouveaux livres, j’en échangeais en classe avec des copains. Mes parents n’aimaient pas ça non plus. Le livre à une certaine époque, surtout chez des gens simples, ce n’était pas pour eux. Quand tu t’intéresses à ce que j’ai fait, à faire du collectage, des histoires de sorcellerie, des choses comme ça, dans les campagnes, quelqu’un qui avait des livres chez lui, était vu de manière un peu bizarre. Il avait des mauvais livres. C’était des livres, il devait y avoir des choses pas très nettes dedans. On en était encore au 19e où l’Eglise et l’Etat ne voulaient pas que les gens pensent. L’éducation, ce n’était pas pour les pauvres. Mes parents avaient certainement encore ça en tête. Y avait certainement une réminiscence, une mémoire où le livre n’était pas normal, où on avait pas accès aux livres. Chez moi, il y a eu ce besoin et au travers des livres, il y avait ces personnages flamboyants qui se révoltaient. Robin des bois… Pour moi, c’était mes héros, mes exemples… Des exemples à suivre, je me suis fait une culture parallèle avec mes lectures. L’école m’ennuyait vraiment.J’avais aussi les livres de ma sœur, de ma grande sœur, qui allait à l’école et donc qui avait des livres d’Histoire, des livres de Français, et je les lisais, les relisais. Lorsque j’étais malade par exemple, j’adorais être malade quelque part parce que quand j’étais malade ma mère m’installait dans la buanderie, elle faisait la cuisine, et moi j’étais dans le coin près du poêle, et je lisais et je rêvassais, c’est un truc que je raconte souvent mais qui a été quand-même déterminant C’est cette buanderie qui ressemblait à une cabane, à une grotte, à la cabane que tu te fais quand tu es enfant avec ce feu qui ronflait, qui parlait avec la bouilloire, qui chantonnait, sur le feu et puis la lumière, on n’allumait pas l’électricité tout de suite, donc c’était la lueur du poêle, on soulevait le couvercle du poêle et le poêle lançait au plafond une lumière rougeâtre et selon que respirait le feu, il lançait des images différents, t’avais des jeux d’ombres et je m’imaginais en voyant ces ombres au plafond, les tas d’histoires que je venais de lire et que je prolongeais. Ce que j’aimais aussi à cette époque-là, c’est que tu avais des illustrés, ma mère m’en ramenait en cachette et là, tu n’avais donc pas le début de l’histoire et tu n’avais pas la fin. T’avais deux planches, donc t’étais obligé d’imaginer le début, tu n’avais qu’une bride, un fragment et j’ai toujours aimé les fragments… C’était des dessins pas toujours très bien faits. Si, tu avais des grands, Giffey par exemple qui dessinait Buffalo Bill et c’était marrant parce que ma sœur avait des livres d’Histoire illustrés aussi par Giffey et je reconnaissais le style, le trait de Buffalo Bill dans la tête de Colbert ou de Louis XIV. Et Calamity Jane dans la tête de la Marquise de Montespan ou je ne sais pas quoi… Et donc je pouvais me faire toute une mythologie, j’étais à côté de la fenêtre et à côté de ça, il y avait le jardin, et la pluie qui tombait sur les vitres, tout ça me chantait des histoires, je sentais des présences, je sentais qu’il y avait quelque chose.J’étais en plus un enfant solitaire. Ma mère partait faire des courses et je restais tout seul. Et tout ça vivait et ma mère me ramenait quelquefois un livre et je puisais dedans et ça a été vraiment fondateur. Tous mes héros et ceux à qui j’ai voulu ressembler, à Long John Silver, Robin des Bois, tous ces personnages frondeurs qui se battaient contre les injustices, contre le pouvoir, c’était des pirates, ils étaient libres. Ils recherchaient toujours quelque chose, comme les héros des contes… J’aimais bien aussi les contes. Les contes de Grimm. Par contre, je n’aimais pas trop Perrault, je trouvais ça un peu trop pommadé, et puis alors cette morale toujours à la fin, que je retrouvais dans Lafontaine, ça me dérangeait, ça me rappelait trop la classe. Faites ceci, pas cela. Il y avait un côté moralisateur. J’aimais les fées sauvages pas les fées de Perrault. Les vraies fées de la Nature. -
La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°1
La Grande Interview de l’Elficologue
C’était un jour d’été 2010, le voyage n’avait duré que le temps d’un battement de paupière et je me retrouvais en pays enchanté. Dans son royaume du Nord, Pierre le Barbu vit au milieu des objets et livres qu’il apprécie tant. C’est donc au cœur de son dédale, de sa caverne d’Ali Baba, de son antre de dragon, de cette ferme entourée d’un jardin sauvage où coule une rivière que nous l’avons rencontré. Il avait été accueilli en mon Pays des Collines bien des années auparavant et y avait laissé sa marque. C’était donc au collinard que je suis de venir lui rendre visite cette fois, non sans lui rappeler les bons souvenirs d’Ellezelles et sa région sous la forme d’une délicieuse tarte au maton et de quelques bières Quintine, bière des sorcières… Ce matin-là, le soleil brillait et l’Avesnois avait comme un air enchanteur et enchanté… Ce matin-là, je me trouvais devant la porte de l’Elficologue pour un long entretien autour des livres et objets qu’il affectionne tout particulièrement. Après avoir longtemps exploré ses œuvres, l’avoir interrogé sur ses productions comme dernièrement la série de La Légende du Changeling avec Xavier Fourquemin, je décidai de m’attarder sur ses coups de cœur et ses inspirations. Une journée inoubliable partagée maintenant avec vous tous. Au vu de la longueur, j’ai choisi de publier extrait par extrait, ce qui vous permettra de passer quelques semaines, voire quelques mois en compagnie de Pierre Dubois, ce qui est plutôt agréable, n’est-ce pas ?L’esprit du lieu, cher à Pierre Dubois, se devine aisément dans les paysages de l’Avesnois…
La porte d’entrée a comme un air du vieux Londres plein de mystères…
Pierre Dubois : Le goût, l’amour des livres m’est venu vraiment tout de suite. Je suis né entre les pages d’un bouquin pratiquement. J’ai tout de suite été fasciné par le livre, Il y en avait très peu à la maison… Mais dans ma petite enfance, tout de suite, je me souviens du premier que je devais avoir, cela devait être Bibiche. Bibiche Bonne nuit et je rêvais sur Bibiche sur cette espèce de petite fille, je ne me souviens plus très bien évidemment mais j’ai encore des images vagues… J’étais un embryon pratiquement. Et puis il y avait Perlette, Perlette goutte d’eau. L’histoire d’une petite goutte d’eau. Des livres d’alphabet. Certainement des illustrés, on ne disait pas bande dessinée à l’époque. Et même le dictionnaire, tout ce que je pouvais lire. J’ai donc des images comme ça… Et le poids du livre m’intéressait, j’étais fasciné par le livre. Ce qui fait que je n’ai jamais trop fait la différence avec la grande littérature avec une centaine d’lllllllll et la littérature de genre. Je crois que quand Melville a écrit Moby Dick… peut-être que s’il venait aujourd’hui avec son livre sous le bras chez un éditeur, l’éditeur, pour que cela rentre dans sa collection, lui dirait que comme c’est une chasse à la baleine, on va le faire dans la collection de la « vie quotidienne des harponneurs du Nantucket au XIXe siècle ». A ce moment-là vous me gommez toute la partie philosophique avec le capitaine Achab, les états d’âme du capitaine Achab et d’Ismaël, vous me balancez ça. Ah non, c’est un truc psychologique ? La baleine, c’est un symbole ? Alors, c’est autre chose… Alors vous me gommez toute la chasse à la baleine. On conserve les états d’âme de Starbuck et du capitaine Achab et on sort un Gallimard collection blanche.Richard Ely : Ça veut dire qu’aujourd’hui, tout te semble compartimenté ?Pierre Dubois : Oui, c’est compartimenté et ça m’emmerde ! Je peux prendre autant de plaisir à lire un policier, un thriller qu’un roman littéraire. Par exemple, j’aime beaucoup ce que fait Lapouge. Alors c’est de la littérature ? De l’aventure ? Pour moi, c’est de l’aventure littéraire, ça me passionne plus qu’un Sagan qui m’enquiquine. Comme le dit très bien Le Bris c’est de la « littérature trois pièces cuisine », à qui on va donner des prix. C’est le livre qui m’intéresse. Donc, je ne fais pas trop de différence entre le fantastique et les autres. -
Interview de Corinne Duchêne, conteuse et elficologue
Vous l’avez peut-être déjà croisée, sa vielle à roue à la main, lors d’un festival ou d’une soirée médiévale? Corinne Duchêne est elficologue, amie des fées et conteuse professionnelle. De quoi intéresser le Peuple féerique qui n’ pu s’empêcher d’en apprendre davantage…
A quand remonte ce goût pour les légendes et la féerie ?
J’avais 3 ou 4 ans à l’époque où mon grand-père, coureur des bois solognot et bon conteur, m’emmenait, les soirs d’été, voir les fées qui venaient se baigner dans une source située dans un terrain en friche. Nous nous mettions à plat ventre dans les hautes herbes pour les regarder sans nous faire remarquer. Je resterai persuadée qu’il les voyait autant que moi. Il est parti trop tôt pour que nous puissions avoir une discussion d’adulte à ce sujet.Qu’est ce qui pousse une responsable qualité dans l’automobile à vouloir vivre et faire vivre le monde des légendes, à abandonner le monde de l’industrie pour celui des fées ?
La fée qui s’était penchée sur mon berceau avait dit que je ferai briller les yeux des gens assemblés autour de moi. A 15 ans, je voulais faire de l’art thérapie avec des enfants et adolescents en difficulté. A l’époque, le conseiller en orientation m’avait regardé avec des yeux ronds. Je venais d’un milieu pas très riche alors on m’a dirigée vers une valeur sûre, un bac technique chimie. J’avais simplement 20 ans d’avance sur mon époque.
Consciente que le conte était peut-être l’ultime patrimoine à sauver, j’ai entrepris, dès 1990, des recherches sur les origines des contes de ma région et restauré des récits entendus dans mon enfance. J’ai aussi un parcours personnel riche autant qu’atypique et j’ai eu la chance de rencontrer de grands maîtres sur le chemin de ma quête.
En 2004, j’étais déjà conteuse professionnelle depuis 9 ans et je menais difficilement les deux carrières ensembles. Comme la vie est bien faite, on a posté la lettre m’annonçant mon licenciement le jour où mon premier livre (Contes et légendes du Berry – aux sources des traditions orales) sortait des presses pour mon éditeur. Je me suis simplement consacrée à ma passion et suis devenue intermittente du spectacle.Vous vous déclarez « elficologue », un terme inventé par Pierre Dubois. Que représente la féerie pour vous ?
Ce terme que Pierre Dubois a inventé représente bien sa passion et l’énorme travail qu’il a pu faire en la matière. Je pense être de la même veine. Nous avons un maître et ami commun : le grand Claude Seignolle.
Pour moi, la féerie puise ses sources dans les mythologies des peuples antiques et sûrement protohistoriques. En vieille intégriste, je suis allergique à cette mode des oreilles en latex et des délires elfiques. Ceux qui fréquentent le Petit Peuple me comprendront… J’ai dévoré les romans du visionnaire Tolkien à l’adolescence, mais ça ne m’a pas emmené vers des délires.
La féerie représente pour moi tout ce qu’on interdisait de croire à un enfant né dans la deuxième moitié du 20e siècle. J’ai eu la chance d’être élevée autrement, auprès d’une maman non-voyante qui m’a enseigné le pouvoir du Verbe, au contact de la nature et de la culture rurale grâce à mon grand-père. Je me suis peut-être construite différemment.Vous avez suivi une formation de conteur et êtes une conteuse professionnelle aujourd’hui. Le conte et la féerie sont deux univers très proches ?
Peut-être pour certains conteurs, mais c’est loin d’être une majorité et c’est très bien comme ça.
Les contes merveilleux représentent une bonne partie des contes contés actuellement.
Quand j’ai commencé à me former au Centre de Littérature Orale de Vendôme, mes propos sur les fées me faisaient passer pour une illuminée. C’était pour moi un compliment, car l’illuminé est celui qui a été touché par la lumière.
Le Fada était, en langue d’Oc au Moyen Age, le fou habité par une Fade (fée) et elle pouvait prophétiser par sa bouche. Laissons le conteur être un peu fada.Les festivals et soirées de contes connaissent depuis quelques années un large succès. Comment expliquez-vous ce regain pour la transmission orale dans une société de l’écrit ?
C’est ce qu’on appelle le « renouveau du conte ».
Peut-être, pour les personnes qui vont voir des conteurs « traditionnels », le plaisir de découvrir ou de retrouver des choses qui font partie de notre patrimoine commun, faire goûter ce plaisir à leur enfants, ou le bonheur simplement d’un moment partagé de convivialité…
Pour ceux qui vont écouter des contes étrangers, une recherche d’exotisme ou de sagesse et d’enseignement qu’ils ne pensent pas trouver dans leur propre patrimoine oral (qu’ils méconnaissent souvent)…
Pour d’autres, une mode branchée…
Pour ceux qui vont voir la nouvelle lignée de conteurs qui arpentent la scène, avec des récits de vie souvent écrits pour eux par des auteurs, une mise en scène superbe et efficace, des effets… on est loin de la transmission orale et plus proche du théâtre. Je trouve ce travail artistique intéressant et parfois remarquable, mais ce n’est pas ce que je recherche quand je vais écouter (et non voir) un conteur.
Les enseignants, les animateurs pour enfants, les centres d’accueil pour handicapés sont entrain de redécouvrir le bonheur que peut apporter le conte, et c’est très bien.Le conte n’a jamais totalement disparu puisque tous les petits enfants le vivent qu’il soit lu ou simplement inventé par leurs parents. Mais de plus en plus d’adultes se tournent vers les contes.
Une façon de s’accrocher à leur propre enfance ? Ou le besoin de vivre un temps « sans temps » ?
Détrompez-vous : Bon nombre d’enfants grandissent dans un désert culturel et émotionnel où il n’y a pas trace d’imaginaire. Vous en connaissez beaucoup, des parents qui lisent et inventent des contes pour leurs enfants ? Au mieux, ils saturent leurs gamins d’activités sans les laisser souffler. Le pire, ce sont les nouveaux grands-parents qui pensent être branchés en faisant des activités sportives avec leurs petits. Pas un moment à partager concernant l’imaginaire. Laissez-leur du temps pour rêver !
Je rencontre aussi des enfants dont les parents sont tellement attentifs à leur remplir la tête qu’ils ont un imaginaire « préfabriqué ». Leur propre imaginaire asphyxié peine à se développer.
Si autant d’adultes se tournent aujourd’hui vers le conte, c’est peut-être parce que le 20e s., qui voulait sortir de l’obscurantisme de la culture paysanne, n’a pas voulu de ces croyances qu’il considérait d’un autre âge. Les gens qui viennent au conte ressentent inconsciemment qu’ils en ont besoin à tout âge pour se construire, tout simplement.
Il ne faut pas être nostalgique : la nostalgie tue le présent et n’ouvre pas les portes de l’avenir. Le conte a été un siècle en « dormition », comme le Roi Arthur dans l’Île d’Avalon. Le voilà de retour car il est notre compagnon sur le chemin de la vie.Vous évoquez beaucoup la « mythologie française ». Quelle est-elle ?
Elle est si vaste, aussi riche que le patrimoine de chaque région. Rien que dans ma région, je peux vous citer les personnages les plus connus : Gargantua, la vaste famille des fées de langue d’Oc et de langue d’Oïl (Martes ou Marses, Fades ou Fadées, Folles ou Fées, Dame-Blanches ou Demoiselles, Fileuses ou Bonnes-Dames, Dryades et Amadryades, Ondines et Naïades…), les Fadets ou Sylvains, les Laveuses de Nuit, la Grand’bête, la Levrette, le Loup-brou, la Cocadrille, les Lupeux et Birettes, la Chasse à Baudet ou Chasse-maligne, les Follets et Flambettes, sans oublier Gorgeon (le Diable). On pourrait y passer la nuit…Vous pratiquez de nombreux spectacles dans des manifestations médiévales. Là aussi, c’est un phénomène assez récent et très populaire. Etait-ce la plus belle période des contes, le Moyen-âge ?
Je ne pratique pas l’animation médiévale mais le spectacle de rue, une évocation historique et festive, uniquement sur des sites et des fêtes de qualité. Mon intérêt pour cette époque date d’avant la mode.
L’époque qui m’intéresse est cette renaissance médiévale qui se situe du 11e au 13e s., ces échanges et ces brassages de cultures, l’art des troubadours et trouvères, la rencontre entre la féerie de l’Orient et les croyances païennes de l’Occident Celte qui fit naître le conte merveilleux, la séduction d’une époque où l’imaginaire n’avait aucune limite…
Le mot « récité » que vous employé pour l’époque peut être juste à cette époque. Dans les différentes formes du conte au Moyen Age, on trouve :
– le texte hagiographique (récit de la vie et du martyre des saints ou des miracles de la Vierge Marie, souvent inspiré de mythes ou de contes universellement répandus en Orient comme en Occident)
– l’exemplum (permettant d’appuyer par des exemples les règles de la religion à respecter)
– le recueil édifiant (qui porte à la vertu par exemple et sert à instruire les jeunes gens)
– la chronique (récit retraçant les aventures de rois et de reines devenus mythiques, leurs faits extraordinaires ou prodigieux, en les encrant par des faits historique précis)
– la novella (ancêtre de la nouvelle, récit plus court que le roman, qui introduit parfois dans le domaine du merveilleux, les valeurs chevaleresques…)
– la chanson de geste (puissants récits narrant avec force les guerres et la geste noble et fière des héros)
Le plus intéressant pour moi est le lai féerique, à l’origine une composition musicale chantée et accompagnée à la harpe ou à la rote, qui relate une aventure, un évènement souvent merveilleux. A la fin du 12e s. le texte va se détacher de la partition musicale pour donner un genre narratif, un court poème relatant une aventure, un évènement extraordinaire. Ces lais parlent d’un monde de sortilèges, où les êtres et les choses sont libérés des lois naturelles. Les personnages sont féeriques, surnaturels, et les animaux fabuleux. C’est l’ancêtre du conte merveilleux.
Ce qui m’a toujours surprise, c’est la tolérance et la souplesse dont a fait preuve le Moyen Age chrétien à l’endroit de thèmes merveilleux, malaisément conciliables avec le strict respect de l’enseignement religieux. La matière traditionnelle du conte merveilleux est pourtant utilisée, au hasard des services qu’elle peut rendre au texte religieux ou profane qui lui offre un point d’encrage. Bien que ce genre ait existé par transmission orale depuis l’aube des temps, il faudra attendre le 16e s. pour que des clercs puisent dans cette riche matière médiévale pour écrire les premiers recueils de Contes Merveilleux. Sous le règne de François 1er, des humanistes vont y contribuer comme François Rabelais avec son Pantagruel et son Gargantua. C’est cette matière, issue de l’Occident comme de l’Orient, de l’Antiquité comme du Moyen Age, que les folkloristes du 19e s. vont recueillir dans la tradition orale.Voyez-vous une différence entre un même conte récité à l’époque et maintenant ?
Les contes du Moyen Age seraient imbuvables tels quels pour un public d’aujourd’hui. Les textes mémorisés et contés (et non récités) doivent être remaniés, mais avec le soucis de respecter l’esprit du texte d’origine. Un détail souvent incompréhensible au 21e s. peut avoir de l’importance ou peut être parfois supprimé. Le tout est de bien maîtriser le thème et de garder l’essence du conte.
Nous sommes bien loin d’avoir l’esprit superstitieux et impressionnable des hommes du Moyen Age.Vous donnez également des formations. Qu’est-ce qui pousse les gens à vouloir eux-mêmes devenir conteurs ?
La quête de quelque chose, des autres ou de soi-même, je pense. Il faudrait le demander à chacun…
Je ne forme pas que des gens qui veulent devenir conteurs. J’ai dans mon atelier conte à Déols (près de Châteauroux), des parents ou grands-parents voulant créer un lien d’intimité autour du conte avec leurs enfants, et des personnes curieuses désirant vivre harmonieusement leur rencontre avec le Conte. J’y enseigne surtout le plaisir de conter, à être honnête avec sa fonction de conteur et à prendre conscience du pouvoir des mots.
Bien des chemins mènent au conte. Pour moi conter, ce n’est pas dire des mots les uns derrière les autres : c’est faire don d’images très personnelles à des auditeurs, connus ou inconnus, en situation d’ouverture. Ce n’est pas raconter des histoires anodines : c’est transmettre des thèmes qui viennent parfois de la nuit des temps et qui répondent à l’attente inconsciente d’un public. Ce n’est pas faire sa propre psychanalyse devant un groupe : c’est prendre du plaisir à la saveur d’une histoire et communiquer ce plaisir à ceux qui l’écoute. Mais il faut pour cela que le conteur ait réglé ses comptes avec lui-même et avec les personnages du conte qu’il a choisi de transmettre. Il faut aussi qu’il trouve l’indéfinissable harmonie, qui le relie aussi bien à son récit qu’à son public, pour que la magie du conte opère.
Le conteur est pour moi un passeur.Pour revenir à la féerie. Trouvez-vous que c’est un thème qui revient à la mode ?
A mon goût, un peu trop et n’importe comment… au risque de passer complètement à côté et c’est bien dommage. On tombe dans le domaine du paraître alors que tout est dans le vécu et le ressenti.Quelle est votre créature féerique préférée et pourquoi ?
Pour les animaux : la licorne car c’est un symbole universel d’initiation, de pureté et de grâce. On la retrouve représentée jusque dans la grotte de Lascaux.
Pour les personnages : la dryade, cette fée qui habite les chênes, parce que dans les contes merveilleux elle protège les enfants. Et ne suis-je pas la petite-fille du chêne ?Votre actualité ?
Un nouveau spectacle « Métamorphoses », avec la complicité d’Alexis Vacher à la vielle à roue électroacoustique. Un spectacle troublant où voix et vielle deviennent conteuses pour évoquer la quête de l’Amour il y a 2000 ans. Mêlant les légendes de l’Antiquité aux musiques inspirées d’Orient, nous invitons à un voyage dans la mythologie gréco-latine. Aèdes du 21e siècle, nous avons choisi de faire revivre de beaux contes, dits à la manière du poète latin Ovide, qui séduiront petites et grandes oreilles.
A découvrir ICIEt un calendrier pas mal chargé à consulter sur mon site www.corinne-duchene.com
Un nouveau livre de contes (normalement pour 2010) sur les personnages féeriques de ma région justement. Un gros chapitre sur le sujet figure déjà dans mon premier livre (à découvrir et à commander sur mon site Internet).
Propos recueilis par le Peuple féerique en juin 2009
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Interview de Thierry Gloris pour Souvenirs d’un elficologue (Soleil Celtic)
Sorti en mars 2009, le premier tome des Souvenirs d’un elficologue nous entraîne à la suite d’un reportage d’un jeune photographe qui plongera au coeur de Féerie. Les auteurs nous emmènent en pays breton, au Mont Saint-Michel où se trame une étrange intrigue. Enquête sur une série de meurtres spectaculaires où la féerie se teinte de noir et de rouge-sang ! Un scénario signé Thierry Gloris à qui le Peuple féerique a posé ses questions…
Votre préface mentionne que la découverte de féerie, vous la devez aux ouvrages de Pierre Dubois. Le titre de la série est-il une sorte d’hommage à ce premier elficologue français ?
Disons que lorsque Jean-Luc Istin m’a proposé de participer à sa collection « Celtic », je me suis vraiment demandé ce que j’allais pouvoir apporter comme « valeur ajoutée ». De la féerie, je n’avais en tête que quelques films et les nouvelles d’Arthur Machen. Je me suis tourné alors vers ma bibliothèque et j’ai redécouvert la « Grande encyclopédie des elfes » que l’on avait dû m’offrir à un anniversaire et que j’avais oublié sans l’ouvrir. Non pas que j’étais insensible à sa thématique, mais il y a au moins une centaine de bouquins qui attendent en permanence que je m’intéresse à eux dans mes étagères. En me plongeant dans les ouvrages de Dubois, mon imagination était en effervescence et j’ai su à ce moment que j’allais trouver mon sujet. De ce fait, il m’a semblé logique de faire résonance à Pierre Dubois dans le titre de la série mais également dans le nom du héros ! Paul Laforêt ! !Votre héros a « le don de voir par-delà la réalité des choses » … Vous avez choisi d’en faire un photographe. Un métier qui collait naturellement à l’histoire ?
L’utilisation de la photographie comme révélateur du fantastique vient d’un fait divers qui avait enflammé l’Angleterre du début du XXème siècle et connu sous le nom de : « Les fées de Cottingley ». En 1917, deux « innocentes » jeune filles, Elsie Wright (16 ans) et Frances Griffith (10 ans) ont montré des photos, prises à Cottingley, de fées et de gnomes avec lesquelles elles avaient l’habitude de jouer ! Il y a fort à parier qu’il s’agissait d’un des plus beaux canulars du siècle, mais toujours est-il, que l’idée en elle même, est merveilleuse ! Même Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes se laissa entraîner dans cette farce à laquelle il fait si bon croire. Le second intérêt de faire du héros un photographe, c’est que cette technologie correspond, à cette époque, au futur. Il m’a paru bon d’opposer Modernité et Tradition pour les faire accoucher de : l’Imaginaire.Beaucoup d’auteurs semblent choisir naturellement le XIXe ou le début XXe siècle comme cadre temporel à une histoire féerique. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense personnellement que lorsque l’on parle des fées, c’est la clochette de Disney qui apparaît à l’esprit. C’est à dire un gentil petit personnage ailé qui vous entraîne vers l’imaginaire perdu de l’enfance. Le XIXème est le siècle du romantisme. Cette représentation un peu niaiseuse de la féerie cadre bien avec l’idée contemporaine de l’amour absolu. De mon côté, je suis plus proche de la conception d’Arthur Machen. Si la féerie existe, elle est peuplée d’êtres bons et mauvais qui partagent tous une même défiance envers l’Homme qui leur a volé leurs terres millénaires. Pour moi le XIXème en France correspond au moment où l’industrialisation et le modernisme ont pénétré au plus profond des campagnes hexagonales. Les rails métalliques du train à vapeur sont autant de flèches empoisonnées qui mettent à mort la Féerie. Le XIXème représente donc pour moi une époque tragique et magnifique où la Féerie peut encore tisser ses derniers actes de bravoure… La suite reste à inventer !Géographiquement, vous situez votre histoire au Mont Saint-Michel. Une zone très marquée des fées ?
J’avais été marqué par la beauté du site du Mont Saint-Michel lors d’une visite d’enfance. Le fait que ce gros caillou était en constant mariage avec la mer dans un sac et ressac quasi immuable m’avait énormément marqué. En faire le lieu d’une rencontre entre l’Homme et la féerie m’a semblé opportun.Vos fées sont liées aux éléments… Une représentation logique pour vous ?
A mon sens, les feys sont des « élémentaires » d’air. C’est à dire les représentations métaphoriques ou réalistes (en fonction du degré personnel de perméabilité à l’imaginaire) des éléments météorologiques (vents, tempêtes…) qui ont terrorisé l’Humanité depuis la nuit des temps. Ils n’ont aucune notion personnelle du bien ou de mal… Ils sont !
Les créatures féeriques dans votre histoire font partie d’un monde invisible. Mais elles apparaissent et dirigent également les rêves. Est-ce l’idée dun subconscient plus réceptif ?
Exactement, je pense que les rêves sont des portes vers une autre perception de la réalité. Que derrière l’onirisme, il y ait une manifestation de l’inconscient ou d’un monde imaginaire, cela m’importe peu. Toujours est il que c’est un magnifique biais pour amener un lecteur sur des chemins de traverse où tout peut arriver.Vous nommez le grand ennemi Balor comme le roi mythologique des Fomoires. Physiquement, il est très diférent. Comment avez-vous décidé de sa représentation ?
Pour le Balor, je voulais un monstre « original », qui ait une double apparence, à la fois féerique et bestiale. Dans sa forme féerique, il est assez proche des feys. Dans sa forme animale, l’idée d’une chevelure mouvante s’est imposée graphiquement. Comme dans le mythe, le Balor est lié au chaos, il m’a semblé intéressant de lui donner un aspect proche des êtres immondes et tentaculaires qui vivent au plus profonds des fosses océanes…Finalement, le titre donné à ce premier album, l’Herbe aux Feys, ne représente pas beaucoup ce qui s’y passe… Pourquoi une telle importance à cette « herbe aux feys » ?
Comme je ne voulais pas amener la fantaisie trop rapidement, je me suis appuyé sur un triple artifice : Premièrement la photographie qui permet de voir l’invisible. Secundo, les rêves qui permettent de percevoir un monde parallèle et tertio, l’herbe aux feys qui permet au « fumeur » d’interagir avec le monde féerique. Bien sûr, il y aura également tout un travail narratif sur Gigi, la jeune fille qui a offert « l’herbe » à Paul. Elle ne peut être qu’une simple gitane…Combien de tomes pouvons-nous espérer pour cette série et quand pensez-vous que le prochain sortira ?
Nous travaillons en diptyque. Le second tome devrait sortir au printemps 2010. L’histoire « réaliste » sera close. Dans un second diptyque, j’aimerais développer les tenants fantastiques de notre histoire. Nous verrons cela en fonction du nombre de lecteurs que nous embarquerons avec nous sur les sentiers de nos légendes celtiques re-visitées.Votre créature féerique préférée et pourquoi ?
Le Phénix est à mon sens le symbole du combat permanent de la vie sur la mort. Tant qu’il renaîtra, tout sera possible !Propos recueillis par le Peuple féerique en mai 2009