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Interview d'Erlé Ferronnière et Aurélie Brunel pour la sortie de Fées et Déesses – Semaine spéciale éditions Daniel Maghen

Tout amateur de féerie a un jour croisé une oeuvre d’Erlé Ferronnière. Revoici ce talentueux illustrateur des fées qui croise la route d’Aurélie Brunel pour nous offrir ensemble un très beau ouvrage, galerie de portraits, de témoignages sur la relation intime des fées et des déesses. Une belle occasion donnée de suivre la ligne du temps de l’image de la fée et de sa relation à l’homme…

Comment avez-vous procédé pour le présent ouvrage ? De nombreux échanges, discussions ou chacun de son côté ?

EF: Pour moi, ce livre est d’abord né de l’envie d’élargir l’horizon de mon travail sur les personnages féeriques, en n’évoquant plus seulement les petites fées-papillons mais aussi des figures féminines plus anciennes, mythiques.

Je voulais également que le texte qui accompagne mes illustrations soit tout à la fois poétique et rigoureux quand à la réalité de ces personnages. Mais tout en étant passionné je ne suis pas un grand spécialiste de cette matière très complexe, je me suis donc adressé à Aurélie que j’avais rencontrée lors d’une dédicace aux « Rencontres de l’Imaginaire », un salon sous l’égide du Centre de l’Imaginaire Arthurien dont elle était alors la directrice.

AB: Dès le départ nous avons beaucoup échangé pour confronter nos visions de cet univers et voir ce que nous pouvions construire ensemble. Le projet est ainsi né de mettre en lumière le lien qui court des déesses-mères de la mythologie celtique aux petites fées-papillons d’apparition plus contemporaine, en passant par les déesses guerrières, les fées (puis « enchanteresses ») arthuriennes, et les fées du folklore breton. Nous avons listé les personnages que nous voulions évoquer, les épisodes qui nous tenaient à cœur, puis nous avons travaillé chacun de notre côté. Mais le dialogue a perduré tout au long de la conception du livre. Je pouvais suivre le travail d’Erlé et lui faire part de mes remarques, et réciproquement je lui faisais lire mes textes pour qu’il me donne son avis. Ce livre a donc évolué au gré de nos causeries !

Pour quelques personnages, il nous est cependant arrivé de procéder différemment : soit Erlé illustrait un de mes textes, soit j’écrivais à partir d’une de ses images.

EF: Ces échanges ont sans doute beaucoup influencé le travail de l’un et de l’autre. En ce qui me concerne ils m’ont beaucoup apporté et permis de découvrir des subtilités que je ne soupçonnais même pas, ça m’a évité entre autre de tomber dans trop de stéréotypes, par exemple Aurélie s’est battue pour que je ne mette pas systématiquement des oreilles pointues à tous mes personnages ou encore que je n’hésite pas à les habiller de couleurs vives, comme Morgane en rouge.

L’album s’ouvre sur une Dana dans son plus simple appareil. La nudité est bien présente au fil des pages et s’en dégage une impression très naturelle, très pure, c’était le but recherché ?

AB: Dana étant la déesse-mère, le symbole de la fécondité, il nous paraissait naturel de la représenter dans toute sa féminité.

EF: Oui et puis je crois que pour moi et dans le monde de l’image la nudité est un moyen de représenter non pas uniquement la pureté, parce que le corps peut exprimer une multitude de sentiments, mais une certaine « évidence » comme pour accéder plus directement à l’essence même du personnage, sans artifice, « Voyez-moi tel que je suis ». Mais l’inverse est vrai aussi, et la nudité est là comme un leurre, tel que pour le personnage de La Morrigan, belle mais redoutable…

Quel lien y a-t-il entre les déesses et les fées ?

AB: C’est justement ce que nous dévoile Dana dès le début du livre ;-), et que nous avons ensuite cherché à mettre en valeur de manière implicite, ou parfois même en faisant intervenir les personnages eux-mêmes…

Vous avez opté pour des récits en « je », jouant ici aussi la carte de la proximité, de l’identification. Pour y arriver, vous êtes-vous « fondue » en ces différents personnages ?

AB: Oui, j’ai essayé en tout cas. Cela me paraissait indispensable puisque je voulais que les lecteurs puissent plonger directement dans la vie des personnages, qu’ils soient à leurs côtés, que les lectrices soient ces déesses, ces fées… Je voulais murmurer à chacun le souvenir d’un passé enfoui, oublié, les inciter à se pencher sur leur propre paysage intérieur… Il fallait donc que je disparaisse, ainsi que le superflu. C’est pourquoi les héros s’adressent directement au lecteur, et quand cela n’est pas possible, un témoin rapporte la scène (mais sans forcément être nommé si cela n’apporte rien de crucial au récit et risque de mettre de la distance).

On vous avait quitté sur un monde féerique très pur, très nature, aussi naïf que les rêves des enfants. On vous retrouve explorant graphiquement un univers d’une grande féminité. C’était un monde qui vous tenait à cœur d’aborder ?

EF: Puisque vous m’en donnez l’occasion, je tiens à préciser que les êtres féeriques sont vraisemblablement tous des incarnations de la Nature à différents degrés, chacun de ces représentants étant sans doute comme autant d’avatars des grandes déesses-mères de l’Antiquité (à quelques générations près) et peut-être les résurgences d’anciennes religions animistes, alors « nature » oui, « pur » c’est encore une autre histoire. Et puis je ne sais pas pour vous, mais mes rêves d’enfant étaient parfois peuplés de monstres effrayants ! Tout ça pour dire que le monde de la féerie est loin d’être aussi naïf qu’il n’y parait, n’allez surtout pas contrarier un Korrigan et gare à vous si vous surprenez une fée sans qu’elle vous l’ait permis ! Sous des airs « mignardisants » (pour citer une de vos consœurs) la féerie est tout sauf ce qu’elle montre ! Dans mes livres précédents, même si ce n’était pas le message principal, tout cela était sous-entendu – pour moi en tout cas…

Dans la même idée, au travers les différents personnages de « Fées & Déesses », avec Aurélie nous voulions montrer que ces figures féminines sont loin d’être simplement jolies, elles sont à l’image de la nature, à la fois belles, sauvages et implacables. Et ce que je trouve passionnant, c’est qu’elles sont issues d’une tradition peut-être aussi vieille que l’humanité et pourtant immuable, parce que je les reconnais encore au travers de toutes ces femmes qui ont marqué mon existence – et Aurélie pourrait sans doute en dire autant. Alors oui, c’est un monde qu’il me tenait à cœur d’aborder pour leur rendre hommage, et aussi à tous ceux qui ont su apprécier la richesse et la profondeur de cette « féminité » au travers toute cette littérature, et qui nous l’ont léguée pour que nous la fassions vivre à notre tour…

Vous avez beaucoup travaillé dans ce livre les regards. Fées, femmes, déesses nous regardent et il est difficile de détacher nos yeux des leurs.  En même temps, est-ce que ça n’empêche pas le lecteur de voir le reste du dessin? Un regard, yeux dans les yeux, est-ce une invitation ou un rempart ?

EF: Oui, en matière de peinture j’ai toujours été attiré plus particulièrement par les portraits. Je me souviens enfant, j’étais en admiration devant certains portraits de Jean-Auguste-Dominique Ingres (c’est toujours le cas d’ailleurs), j’étais littéralement happé par leurs regards et je crois que c’est un ressenti qui m’a profondément marqué et qui a indubitablement influencé mes penchants artistiques (au détriment du reste sans doute – on pourrait me le reprocher – parce que je suis moins attiré par les décors et tout le reste, mais j’essaie de faire des efforts !)

Toute la vie d’un personnage et de son visage en particulier tient dans le regard, et je trouve ça passionnant quand progressivement les yeux commencent à prendre vie et deviennent suffisamment « transparents » pour laisser apparaître l’étincelle de l’âme dont vous vouliez l’incarner. C’est alors une invitation à plonger à l’intérieur de cette existence suggérée, et à essayer d’en percer ses mystères… C’est cette petite part de magie qui me plaît dans mon métier, parce qu’au fond, nous autres illustrateurs ne sommes que des illusionnistes !…

Au final, la féerie est-elle une affaire de femmes ?

AB: La question me semble se poser à plusieurs niveaux. Pour moi, les femmes sont les héritières de ces figures et ce sont elles que nous honorons en célébrant les déesses et les fées. À ce sujet, peut-être pouvez-vous jeter un œil sur le dernier billet de mon blog , il répond à plusieurs de vos questions, il me semble.

Mais tous les personnages ne sont pas féminins ! Nous avons notamment réservé une place centrale pour Tydorel, chevalier-fé. Nous croisons également Lancelot du Lac, qui porte la marque du monde des hommes, ainsi que de celui des fées…

Et la féerie ne s’adresse pas qu’aux femmes. Les femmes s’identifient-elles facilement aux fées, d’ailleurs ? Se l’autorisent-elles ? Sans doute pas ; elles n’ont pas forcément conscience de recéler tous ces « pouvoirs » en elles. En revanche les hommes voient en la fée une femme parfaite, idéale et donc effectivement, la féerie leur parle de manière plus évidente ! D’ailleurs les personnages ont évolué sous l’influence de nombreux hommes, notamment à l’époque où les récits ont été copiés par des moines qui ont cherché à valoriser une image de la femme pure en blanchissant un personnage comme La Dame du Lac – sorte de vierge à l’enfant – et en diabolisant une Morgane trop charnelle…

Propos recueillis par le Peuple féerique en novembre 2009

Fées et Déesses – Erlé Ferronnière & Aurélie Brunel // Editions Daniel Maghen

Richard Ely

Né en Belgique, j'ai passé toute mon enfance à Ellezelles, village sorcier. J'ai ensuite étudié les fées, elfes et lutins à l'université tout en croisant les chemins de Pierre Dubois, Claude Seignolle, Thomas Owen... En 2007, après avoir parcouru bien des forêts et des légendes, je crée Peuple Féerique. Spécialiste du folklore féerique, auteur d'encyclopédies, de livres, d'albums, je poursuis mon exploration de ce Petit Monde de Merveilles pour le partager avec vous.

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