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Sur la trace des fées avec Marie-Charlotte Delmas – Interview

On se demande souvent où Marie-Charlotte Delmas puise autant d’énergie. Auteure, scénariste de bande dessinée, encyclopédiste, folkloriste, organisatrice d’un salon de l’Imaginaire, conférencière… Autant de casquettes qu’elle réussit à porter avec la même impression de facilité tout en fournissant un travail de qualité qu’on devine énorme. Si ses travaux sur Claude Seignolle nous l’avait fait remarquer, c’est avec Sur la trace des fées paru aux éditions Glénat qu’elle nous a totalement impressionné. Alors que la mode est aux encyclopédies illustrées reprenant trop souvent les mêmes créatures, se basant sur Les fées de Brian Froud et Alan Lee ou les Encyclopédies de Pierre Dubois, deux oeuvres fondarices du genre pour le public français, Marie-Charlotte Delmas propose une approche originale autant par le texte que par l’iconographie. Elle retourne à la source des fées pour nous offrir ce dont tout amoureux français rêvait: un aperçu des fées de France, région par région. Un travail colossal et fondamental qui méritait bien de revenir dessus quelques années après la parution du livre.



En lisant votre livre, on se rend compte que les fées sont présentes partout en France. Nulle région ne leur échappe même si la Bretagne semble être largement en tête. Comment expliquez-vous cette prédominance bretonne (que cette région compte autant de fées mais aussi que les français connaissent plus celles-là que les autres?)?
Je ne suis pas certaine que les fées soient plus nombreuses en Bretagne. En revanche, il se trouve que la Bretagne a bénéficié de nombreux collecteurs au XIXe siècle, et pas des moindres (Sébillot, Luzel, Orain…).

Vous vous êtes occupée de la recherche iconographique du livre. Expliquez-nous cette démarche et ce désir particulier?
J’ai effectivement souhaité réaliser l’iconographie de ce livre à partir de mes propres collections d’images. Tous les récits et les anecdotes qui servent de base à mon travail et à ce livre ont été collectés au XIXe siècle. Il me semblait important que l’iconographie appartienne à la même époque qui regorge de dessinateurs de talent, une époque où la photographie n’existait pas encore et où on illustrait les articles de presse avec des dessins. Ainsi, il y a une homogénéité entre les textes et les images. Au moment où les collecteurs parcouraient les campagnes pour relever les traditions bientôt en voie d’extinction, des artistes dessinaient les mêmes paysages

Si on imagine bien que les Fileuses, Filandières et autres Tisseuses sont attachées à la figure des Parques antiques, d’où proviennent ces fées bâtisseuses ou boulangères qui parsèment la France ?
L’origine des fées est très compliquée. Je travaille actuellement sur cette question, et plus j’avance, plus je trouve que le sujet est complexe. Les collectages sont tardifs, donc pollués par les contes de fées littéraires, les récits des almanachs et autres publications populaires. Chaque fée ou tribu de fées semble être un mélange de plusieurs êtres surnaturels. Beaucoup sont liées aux grands cultes naturalistes – pierres, eaux, arbres dont elles sont souvent la manifestation physique. La plupart des fées sauvages se rattachent à ces cultes et sont les héritières des nymphes de l’antiquité. Pour d’autres, l’influence des Parques est certaine. C’est évident pour certaines triades de fileuses, mais aussi pour les « fées marraines » qui président au destin d’une personne et pour lesquelles on prépare des mets à la naissance de l’enfant, tradition déjà relevée au moyen âge. N’oublions pas que l’étymologie du mot fée, qui vient du latin fatum, renvoie à la destinée.

On s’étonne de voir que certaines fées ont bâti des églises. Religion chrétienne et féerie faisaient-elles bon ménage dans l’imaginaire populaire ?
Non, évidemment, les fées n’ont jamais fait bon ménage avec l’église. La christianisation du terroir a tenté de balayer les divinités liées à la nature. Les fontaines, les mégalithes, les arbres où l’on venait porter des offrandes et dont le nom ancien était lié aux fées furent placées sous le patronat de saints et de saintes. Les fées, comme tous les êtres surnaturels dans lesquels croyaient les paysans (les païens, au sens propre du terme) furent placés sous la tutelle de Satan et devinrent autant de démons. A la Renaissance, l’image de la sorcière, qui s’est également trouvée rattachée au diable, est venue s’associer à celle de la fée, de la femme en général. Il est étrange que les fées construisent des églises. Elles partagent cette « occupation » avec le diable qui est aussi un grand bâtisseur. On leur attribue également la construction des mégalithes où des entassements de rochers, ce qui pourrait être le signe d’une croyance très ancienne. Mon hypothèse actuelle est que ce sont certainement les pierres et leur culte qui sont en jeu. Elles passent du paganisme au service de dieu. Mais, mes recherches sur cette question sont loin d’être achevées.

L’eau est également un thème très lié aux fées. Quelle en est la raison ?
Là encore, je pense que c’est vers les cultes naturalistes qu’il faut se diriger. Le culte des sources et des fontaines, à laquelle s’attaquera l’église pendant plusieurs siècles, était particulièrement populaire. En apportant leurs offrandes aux fontaines, c’est aux divinités qui sont censées les habiter que s’adressent les paysans. Avec le temps, ces divinités gauloises, puis romaines seront remplacées par les fées.

Certaines fées, dont celle du Trou-aux-Fades dans le Berry, enlèvent nos enfants pour les remplacer par des changelins. Quelle est l’origine de cette drôle de coutume ?
Les histoires de « changelin » concernent aussi bien les fées que les lutins et on en retrouve dans plusieurs pays d’Europe. Quant à savoir l’origine de cette croyance, franchement, je n’en sais rien… pour le moment.

Les fées pratiquent également partout des danses où elles entraînent souvent les hommes. Cette tradition remonte-t-elles aux bacchanales ? Quel est le lien avec les sabbats des sorcières ?
La ronde des fées peut effectivement renvoyer aux nymphes-bacchantes. D’ailleurs, en Picardie certaines fées, dites Soeurettes, dansaient au bois de « Bacchan Soeurettes ». Néanmoins, la ronde (autour d’un arbre ou d’une pierre) est un acte magique très ancien, ce qui explique peut-être qu’il soit aussi associé aux sorcières car le sabbat est une invention des démonologues.

On découvre aussi dans votre livre un nouvel animal lié aux fées, du moins dans les Vosges et le Lyonnais : la taupe. On connaissait les chèvres, les chevaux ou les serpents, mais les taupes?
La transformation des Fades en taupes est une punition divine. Il s’agit là d’un récit christianisé qui n’a pas valeur d’exemple.

Dames Blanches, Dames Vertes, deux couleurs à la symbolique particulière ?
Les Dames Vertes sont évidemment liées aux divinités de la nature. Pour les Blanches, il peut y avoir plusieurs explications. Tout d’abord, on ne faisait souvent qu’apercevoir leur silhouette vaporeuse et brumeuse, donc blanches. Ensuite, nous savons que le blanc était la couleur réservée aux Druides de la religion des Celtes ou aux Vestales de celle des Romains, donc une couleur sacrée pour le peuple.

Exception faite des Laminak du pays basque, les fées mâles ont un rôle très réduit voir inexistant. Comment l’expliquez-vous ?

Plus mon travail et mes recherches avancent, plus je suis persuadé qu’on a mis dans le même sac des êtres surnaturels qui n’appartiennent pas à la même famille. On parle aujourd’hui du « Petit peuple » dans lequel on associe fées et lutins comme s’il y avait une sorte de royaume de féerie. En fait, il n’y a quasiment aucun récit qui lie ces deux types d’êtres surnaturels. Ils ont très peu de points communs et leurs actions, leurs fonctions, sont différentes. Pour les fées, en dehors des Laminak du Pays Basque et de quelques familles de fées des Côtes-d’Armor, il est rare de trouver des tribus de fées avec mâles et enfants. Jean-François Cerquand qui a collecté les histoires de Laminak au XIXe siècle s’interrogeait d’ailleurs sur leur parenté avec les fées. Ce nom semble recouvrir un ensemble d’êtres surnaturels, plus qu’une catégorie déterminée. Quant aux mâles, il se pourrait bien qu’ils soient une invention récente des paysans, liée à la représentation qu’ils se faisaient d’une vie communautaire.

Il semblerait finalement que les fées étaient plus craintes qu’admirées comme aujourd’hui ?
Elles succédaient à des divinités païennes et je pense qu’elles étaient surtout respectées. En fait, tout ce que nous savons des rapports entre le peuple et les fées provient du XIXe siècle. A cette époque, on ne croyait plus aux fées et beaucoup de récits ont probablement été déformés avec le temps.

Dans votre livre, on y lit encore que les fées ont déserté nos contrées mais qu’elles reviendront lors d’un siècle impair. Nous sommes au XXIe siècle, un bel espoir de les voir revenir alors ?
Qui sait ! Peut-être ne nous ont-elles jamais quittés !

Depuis cette incursion dans le féerique, vous semblez vous attacher plus au fantastique, notamment dans votre carrière de scénariste de bande dessinée parsemée de fantômes ?
Mon étude du folklore, de la magie aux êtres surnaturels n’a jamais cessé, même si de temps en temps je me détends un peu en écrivant des récits de fiction. Je continue mes recherches, mais c’est un travail très long qui ne peut donner lieu à une publication que lorsqu’il est abouti. Sur la trace des fées a demandé de nombreuses années de travail.

Quels sont vos projets en cours ou à venir ?
A venir, un livre sur l’histoire et les procédés liés à la magie amoureuse que je viens de terminer et qui sortira en octobre aux éditions Fetjaine. Il sera abondamment illustré. Comme pour les fées, j’ai puisé dans mes collections et demandé à Laurie de peindre les lieux ou les objets que l’on peut encore voir de nos jours. A venir encore, une édition annotée du Dictionnaire infernal de Collin de Plancy avec une biographie et une bibliographie de l’auteur. Je prépare également un dictionnaire des êtres surnaturels de tous les temps et de tous les pays qui va encore m’occuper quelques temps et j’ai en réserve des projets pour plusieurs vies.

Propos recueillis par le Peuple féerique en février 2009

Découvrez les autres publications de Marie-Charlotte Delmas sur son site web.

Richard Ely

Né en Belgique, j'ai passé toute mon enfance à Ellezelles, village sorcier. J'ai ensuite étudié les fées, elfes et lutins à l'université tout en croisant les chemins de Pierre Dubois, Claude Seignolle, Thomas Owen... En 2007, après avoir parcouru bien des forêts et des légendes, je crée Peuple Féerique. Spécialiste du folklore féerique, auteur d'encyclopédies, de livres, d'albums, je poursuis mon exploration de ce Petit Monde de Merveilles pour le partager avec vous.

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