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La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°9 et FIN

La Grande Interview de l’Elficologue, suite et fin.

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Voici venu, déjà, le temps où la rencontre se termine. Après les dernières paroles de l’Elficologue, nous vous invitons à lire les anecdotes de ses filles… Quant à nous, nous ne pouvons que remercier Pierre du temps passé à échanger autour de ses précieux livres, objets, souvenirs. Le Peuple féerique ne pouvait mieux rêver comme place donnée à l’un des trois sorciers à l’origine de notre propre rêverie…

Richard Ely : Pour la dernière partie de cette interview, je te propose de changer de lieu et après le jardin et la cheminée, de nous rendre dans ton magnifique grenier…

Nous quittons l’ombre mystérieuse de cette grande cheminée de briques, témoin de tant de contes et d’histoires qui ont résonné en cette pièce pour gravir les marches d’un escalier, traverser nombre de pièces aux parois décorées de tableaux, d’affiches, de bibliothèques croulant sous des ouvrages murmurant le nom de créatures de toutes sortes. Petit coup d’œil à la plus petite pièce de la maison, le bureau de l’Elficologue où tout s’est écrit. Quelques marches de plus et nous voilà dans cet incroyable grenier, qui tient plus d’une salle au trésor que d’une pièce d’oubli. Ici, tout est vivant, on y capte des regards, curieux de notre intrusion, on y touche des souvenirs. Pierre s’assoit dans un fauteuil de bois sculpté, magnifique. Derrière lui, une bibliothèque digne des plus belles abbaye… Il prend un livre entre ses mains. Le regarde attentivement. Et dans cette pause qui précède ses prochaines paroles, on décèle une grande admiration…

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Pierre Dubois : Alors par contre là, ici c’est, l’auteur qui n’a rien à voir avec le fantastique mais pourtant oui. C’est le Sage, le père noël, celui qui sait, le sachant, le grand-père qu’on rêve d’avoir, c’est Gaston Bachelard. Alors tous les Gaston Bachelard, j’ai vraiment, euh, j’ai… vraiment, évidemment il a écrit sur Lautréamont, aussi des bouquins un peu scientifiques mais ce que je trouve extraordinaire c’est les L’Eau et les rêves, La Terre et les rêveries de la volonté, la terre et les rêveries du repos, l’air et les songes, la psychanalyse du feu

Richard Ely : Il y a une citation que tu répètes souvent de Bachelard…

Pierre Dubois : Oui, c’est « les petits êtres fuyants et cachés oublient de fuir quand on les appelle par leur vrai nom », je ne sais plus duquel c’est issu (NDLR : La terre et les rêveries du repos). Mais ça, ça remonte à mon enfance, lorsque j’étais dans ma cuisine, mon arrière-cuisine et que brusquement, j’avais conscience des petits êtres, j’avais conscience qu’il y avait quelque chose d’autre, que j’étais pas seul, que la maison vivait, que le feu me parlait, que la pluie qui tombait sur les vitres me parlait. Quand tu sens ça quelquefois tu te sens très seul car t’as l’impression d’être un peu fou surtout que beaucoup te disent que t’es pas bien lorsque tu penses comme ça, tu te sens différent. Non seulement toi tu te sens différent mais ça ne te rassure pas parce que… si tu veux, étant différent, t’es rejeté, t’es vite moqué, donc t’oses pas dire ça, tu le dis à personne. Moi, il a fallu que je mette longtemps et j’ai lu Bachelard. J’ai découvert Bachelard tard et tout ce que je pressentais dans mon enfance, il le disait. Chaque fois que je lis Bachelard, j’ai une réponse à mes problèmes. C’est un peu comme une Bible, y en a qui lisent la Bible, ils tombent sur une, sur une page, ils ont une question, ils ouvrent le Livre et boum, ils y trouvent une réponse à leur problème.

Richard Ely : Tu l’as rencontré Bachelard ?

Pierre Dubois : Non, non, non, non… « Comment ne pas voir que la véritable filiation des images marche dans l’ordre inverse. C’est parce qu’il a la légèreté ailée qui pèse le monde. Volant, il dit à tous les êtres de la terre pourquoi ne voles tu pas ? Quel est donc le poids qui t’empêche de voler avec moi ? Qui t’oblige à rester inerte sur la terre ? Monte dans ma balance, je te dirais si à la rigueur tu peux être mon compagnon, mon disciple. Je serai ton avenir aérien… ». Voilà, à chaque fois, je trouve… Là, il parle des esprits élémentaires… « L’idée singulière que les esprits élémentaires qui vagabondent dans l’univers, qui vivent dans les matières, viennent se loger dans le corps des oiseaux, des poissons, des mammifères, selon la détermination de leur essence, ce sont eux qui agissent sur les esprits des animaux et font se mouvoir les animaux-machines, un sylphe rêveur se niche dans la machine d’un hibou, d’un chat-huant ou d’une chouette, et, au contraire, un sylphe de gaie humeur et qui aime à chanter la petite chanson s’insinue dans un rossignol, dans une fauvette ou dans un serin de canari ». T’as tout ça, si tu veux, l’idée fondamentale de vol avec le concept d’oiseau. C’est inépuisable, il y a toujours quelque chose… « Ecoutez, les esprits parlent, les liquides réponses de leur langue aérienne résonnent encore »… « Le silence de la nuit augmente la profondeur des cieux ». Tout est là. Il te raconte ce que tu pressens, ce que tu ressens profondément en toi et que tu n’arrives pas à exprimer et que tu as l’impression d’être seul à ressentir et lui vient te prendre par la main, tu prends telle page, tu vas trouver et c’est un livre… à l’école on devrait presque… On devrait lire des contes de fées et lire Bachelard à la place de l’instruction civique et s’arrêter sur… Il t’apprend à mieux vivre, à comprendre les choses à te comprendre toi, c’est un passeur, tout est beau. « la cosmogonie dont parle l’arbre donne une impression de noblesse ». Tu vois, je peux t’en trouver sans arrêt.

 

Richard Ely : Et tu le lis comme ça ? En prenant une page au hasard ?

Pierre Dubois : Je les ai lus et relus et puis après… Tu lis énormément, tu lis beaucoup, je lis aussi utile pour alimenter mes bouquins sur les fées, les lutins… Et là je vais repiocher dedans et je suis à nouveau attiré. Et y a Yeats aussi que j’aime beaucoup. Il a parlé du Petit Peuple d’Irlande d’une manière très simple alors que lui c’était un intellectuel même sophistiqué, il avait une pensée aigue et sophistiquée. Il a essayé de retrouver la manière dont les paysans irlandais parlaient des fées. C’est vrai que lorsqu’on parle des fées, etc., est-ce qu’on les a vues, pas vues… Lui, il parle de ceux qui les voyaient. Et qui les voyaient parce que c’était normal de les voir. Le paysan allait, partait conduire ses chèvres ou ses moutons et rencontrait une femme belle, haute et pâle, il savait que c’était une fée. Il pouvait rencontrer un leprechaun avec qui partager le tabac. Par contre, y avait des choses à ne pas faire, c’était God speed ye, bienvenue à toi… À partir de là tout est possible. Il a réussi, Yeats, à parler des fées absolument normalement. Tout à fait simplement. C’est extrêmement écrit, c’est faussement simple mais il est très fort c’est un peu comme Giono qui veut écrire à la façon d’un paysan pour approcher la nature, la mettre en scène. Regain ou surtout son chef d’œuvre Le roi sans divertissement, tu vois qu’il est malin, il reprend des mots simples pour les retransfigurer. Yeats le fait aussi. « Que peut-être la mort sinon le début de la sagesse, du pouvoir et de la beauté ? Et la folie peut-être une sorte de mort. A mon avis il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un grand nombre de gens voient « dans chaque foyer des fées ». Un fou avec un vase brillant plein de sortilèges, de sagesse ou de rêves trop puissants pour l’esprit des mortels ». Et alors y a ce poème que je trouve magnifique : « Cœur épuisé, en un temps épuisé, Défais-toi des rets du mal et du bien, Reprends, Cœur, tes rires dans le soir gris, Reprends Cœur tes soupirs dans la rosée de l’aube, Ta Mère Irlande est toujours jeune, Rosée toujours brillante et soir gris, Quoique l’espoir te fuit et que l’amour pourrisse, brulant dans les feux d’une langue calomnieuse, Viens cœur dans l’amoncellement des collines. C’est là que la fraternité mystique, le soleil et la lune, la vallée et le bois, le fleuve et le ruisseau exécutent sa volonté. Et Dieu se tient là seul et fait sonner son cor. Et le temps et le monde s’enfuient toujours mais l’amour a moins de bienfaits que le soir gris et l’espoir moins de prix que la rosée de l’aube ». C’est magnifique, quoi. Et là, pareil, quand j’ai trop écrit et que j’ai l’impression d’avoir écrit une ragougnasse, que je peine sur ma phrase. Je me nettoie la tête avec un peu de Yeats. Va boire à la fontaine pour voir comment il écrit. C’était au temps de l’âge d’or où les bêtes parlaient ou tout du moins où on les entendait.

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Tu m’avais demandé des objets. Y a donc la canne. Y a la pipe. Alors c’est terrible car j’ai plus le droit de fumer. Bon, on n’a plus le droit de fumer dans les lieux publics, moi je veux bien mais bon par contre on peut écouter le résultat du foot à fond la caisse ! Si ça pollue pas la tête, ça ! Maintenant dans un pub tu as automatiquement un grand écran avec un groupe imbécile avec la casquette en coin. La pipe, c’était aussi ma compagne. Tu es tout seul à écrire, avec tes rêveries, et tes mots. Barry avait d’ailleurs écrit un bouquin sur la pipe. Je pense comme lui, tu as l’impression de puiser… La pipe t’aide quand j’écris, tu vois, j’ai toujours eu des pipes, les Peterson, une pipe qui est bien tu l’as pas dans les yeux, j’aime beaucoup sa forme, c’était une compagne, c’était mon aide, y a un lutin, un brownie caché dedans. Quand je commençais à écrire, je mettais du tabac sur le bureau. Stevenson disait que quand il manquait d’inspiration, il mettait quelques petits cadeaux sur sa table et le lendemain matin, le travail était fait. Moi, je partageais mon tabac avec l’esprit des lieux, l’esprit du bureau, de mon bureau, tu vois y a des petits elfes, etc. Et fumer la pipe, y avait des volutes, je me racontais des trucs, et maintenant je peux plus. De temps en temps, je remets la pipe sans l’allumer par habitude, pour sentir le goût. Et là, y a un autre objet, c’est la boîte de tabac, qui est superbe, une boîte de tabac anglaise. Quand tu penses que des artistes ont fait une si belle boite. Ils ont mis tant de temps à recréer l’esprit de Dickens. Là tu vois, ça s’appelle Daily mail, Scottish Mixture. Et tu as un paysage anglais avec au fond les collines, le château. Et puis le cocher avec son tricorne et les autres, Monsieur Pickwick et tous ses amis, le Pickwick club accroché au porte bagage avec leurs pipes et leurs chapeaux haute forme. Et dans quelques temps, enfin pareille boîte, ça n’existe plus. On t’aurait mis une image de cancer. On devrait alors en mettre aussi sur les tableaux de Louis Garneret sur les abordages, attention la guerre tue, sur leurs bêtes hideuses voitures, les voitures tuent. Parce que là, la société de la voiture design, quand je vois ces imbéciles qui tournent des heures et des heures, 24h du Mans et tout le truc et qu’on me dit que ça fait marcher l’industrie de la voiture ! Alors quoi, là ça faisait marcher l’industrie du tabac. On a plus de liberté. Tu vois, j’ai tout plein d’objets autour de moi. Alors la boîte de tabac, tu as l’image, toute l’Angleterre qui se déroule et puis tu as le tabac. Tu déplisses le papier, tu sens le tabac, tu bourres ta pipe et c’est magique. Les gars qui fument là, je fume avec eux et on se raconte des histoires. Quand j’écrivais le Capitaine Trèfle, ça me racontait quelque chose ! Donc j’adore ces boites là, j’adore les boîtes avec ces images. Là par exemple, une belle boîte de bière anglaise avec ce chasseur à cour. Dans les comptines assassines, tu as une scène de chasse, c’est ça ! C’est lui ! Je fais collection de boîtes de bière anglaise, j’en ai plein. Et puis on dessinait sur les boîtes. Maintenant on dessine plus, les couvertures de bouquins, c’est des photos. Folio, terminé. Avant, en radio, tu avais des pièces radiophoniques, ça faisait vivre des comédiens. Tu avais des comédiens qui vivaient de ça, ils avaient un rôle à jouer chaque jour. Maintenant, supprimés les comédiens ! Les speakers, terminé aussi ! Et les dessinateurs, les peintres qui faisaient des couvertures, des illustrés, ces boites peintes, les affiches, terminé ! Où sont les caricaturistes à la Savignac ? Les affichistes, c’était un art. Tu as l’impression que le monde artistique s’écroule. Si c’est pas conceptuel, si c’est pas le FRAC, le fascisme réglementé de l’art conceptuel, c’est anodin. Regarde, les buvards étaient dessinés, les protèges cahiers. Les images étaient partout. Alors on dit qu’on est dans le monde de l’image aujourd’hui, mais c’est l’image artificielle, recomposée, qui n’a pas d’âme. Une image fabriquée par des ordinateurs, c’est la palette graphique avec personne derrière. Là, si tu veux, tu avais de vrais dessinateurs, tu as Calvo qui en avait fait, Alain Saint-Ogan, plein, plein et maintenant, terminé. Où est la main de l’homme ? Où est l’imaginaire ? Le vrai, le stylo, le crayon. Je trouve aberrant que maintenant on met de suite les enfants à l’ordinateur avant de leur donner un stylo pour raconter, un crayon pour dessiner. Le fameux dessine-moi un mouton de Saint-Ex, ça va être quoi ? Plus capable de dessiner un mouton… Au clair de la lune mon ami Pierrot, prête-moi quoi ? Un clavier ?
Je veux pas jouer les anti-progrès, c’est pas ça, c’est bien le progrès mais pas si c’est au détriment de l’art, des autres moyens d’expression. Ça amène une forme de paresse d’appuyer sur un bouton. Les effets spéciaux si ça aide à mieux rendre un univers, pourquoi pas mais quand ce n’est plus qu’effets spéciaux, alors, là non, je ne suis plus d’accord. Ça ne sert à rien. Si ça ne sert pas l’histoire, s’il n’y a pas une histoire derrière avec quelqu’un qui aime, bouge, souffre, ça restera superficiel. Tu vois le dernier pirate, là, avec Johnny Depp, c’est tiré d’un jeu ! Ça me fait penser à Sergio Leone qui n’a conservé que les caricatures, les stéréotypes. Du beurre avec du beurre, ça n’a jamais donné de fromage.

Et c’est sur ces paroles, que j’ai quitté l’antre de l’elficologue, les mots se bousculant en mon esprit, ma mémoire visuelle a jamais remplie des merveilles qui se cachent entre les murs de cette vieille ferme décidément bien hantée…
Pour prolonger le voyage, j’ai laissé la parole aux filles de Pierre, Charlotte et Capucine pour deux anecdotes reproduites ci-dessous…

Richard Ely, des jours d’été 2010.

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Souvenirs, souvenirs…

« Enfant, mes vacances de Pâques rimaient avec Dartmoor et Devon et la cueillette des œufs se révélait à chaque fois pleine de découvertes. Certes, il m’arrivait de trouver des douceurs en chocolat durant mes pérégrinations dans les petits sentiers égarés anglais mais mon père (je l’ai su plus tard) me réservait bien d’autres surprises. Nous allions à la recherche des Pixies et il me demandait de leur déposer de petites offrandes ou des courriers entre deux rochers qui ressemblaient à s’y m’éprendre à des boites aux
lettres de lutins. Il sollicitait ma sœur pour qu’elle confectionne des petits vêtements en feutrine. J’ai donc eu la chance incroyable de découvrir un petit bonnet orné de perles de toutes les couleurs, une veste brodée et un soulier égaré. Il m’avait aussi glissé une toute petite tabatière remplie de son fameux” Kentucky Bird” enivrant au creux d’un vieil arbre croulant. Etant tellement nourrie de croyance magique, à un âge où le rêve créateur est à portée de main, que par la force des choses, j’ai passé toute ma primaire à parler aux lutins à la récréation. » – Charlotte Dubois

« J’ai passé toute mon adolescence avec mon père et j’ai eu la chance de partager avec lui des moments de complicité shopping. Eh oui, nous allions tous les deux chiner dans les friperies ou au “kilo shop” qui a à l’époque fourmillait de merveilles à dentelles noires, redingotes, chapeaux à voilettes , des manteaux “Beattles”, bottines de Mary Poppins et tout un tas de trouvailles qui me paraient à la manière de Lydia dans Beetlejuice… Que de bons souvenirs entre un père et sa fille avec un soupçon d’originalité en plus peut-être? » – Capucine Dubois

 

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Richard Ely

Né en Belgique, j'ai passé toute mon enfance à Ellezelles, village sorcier. J'ai ensuite étudié les fées, elfes et lutins à l'université tout en croisant les chemins de Pierre Dubois, Claude Seignolle, Thomas Owen... En 2007, après avoir parcouru bien des forêts et des légendes, je crée Peuple Féerique. Spécialiste du folklore féerique, auteur d'encyclopédies, de livres, d'albums, je poursuis mon exploration de ce Petit Monde de Merveilles pour le partager avec vous.

3 réflexions sur “La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°9 et FIN

  • Véronique

    Un grand Merci , j’ai Adoré cette interview (les 9 extraits) de Pierre Dubois! Ce fut comme une longue veillée au coin du feu à écouter un merveilleux Conteur. A quand la prochaine veillée?
    Véronique

    Répondre
  • Quelle délice cette interview ! Oui c’ est tout à fait ça le sentiment d’ une veillée ! Merci de nous permettre de mieux vous connaître !

    Répondre
  • L'Hospitalier Annie

    J’ai adoré aussi ce témoignage, et souhaite retrouver cette « vraie vie ».

    Répondre

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