Interviews lutines

La Grande Interview de l’Elficologue Pierre Dubois – extrait n°2

La Grande Interview de l’Elficologue, la suite (2)

interviewpierredubois
Richard Ely : Tu avais du fantastique chez toi ?
Pierre Dubois : Quand j’étais petit, non. Mes premiers livres c’était la Bibliothèque verte, rouge et or. Là où j’ai commencé à mendier, à essayer d’avoir de bonnes notes à l’école pour être récompensé et avoir des livres. Je me souviens de mes premiers livres que je rangeais soigneusement en rêvant de la bibliothèque que je pourrais avoir plus tard, je rêvais de beaucoup de livres. Je mettais les rouge et or les uns à côté des autres et c’est vrai que les rouge et or avaient une belle tenue, de belles illustrations, de beaux papiers. Le dos avait une apparence de vieux cuir et j’en étais très fier. Alors c’était d’abord des Fenimore Cooper, Gustave Aimard, les trappeurs de l’Arkansas… Et puis, il y a eu la Bibliothèque verte avec la découverte de l’île au trésor de Stevenson. Non seulement il y avait une histoire de pirates, de l’aventure, des galions, etc. mais il y avait aussi un côté fantastique, y avait Pew l’aveugle, les chiens noirs qui venaient rôder autour de la taverne qui allait m’amener plus tard à l’auberge de la Jamaïque, au décor d’auberges bizarres, à Mac Orlan. J’allais découvrir Mac Orlan. C’est là que j’ai découvert pour la première fois cette lande déserte avec la menace d’une taverne environnée par des ombres, des bandits qui avaient donné la marque noire au capitaine qui rôdait avec un aveugle… Et puis, on parlait d’un pirate avec une jambe unique, on ne savait pas encore que ça allait être Long John Silver. « Si tu vois un pirate à la jambe unique tu m’avertis mon gars » disait le capitaine à Jim Hawkins. ça a été mes premiers frissons, pas seulement du roman d’aventures mais aussi du fantastique. J’aimais les histoires fantastiques, j’avais lu Arthur Gordon Pym. Ce bouquin ne finissait pas. On me reproche parfois de faire des fins un peu bizarres, c’est peut-être à cause de mes premières lectures. Même dans l’île au trésor, il n’y a pas vraiment de fin. Le pirate s’en va, il n’est pas puni. Il se sauve, Jim Hawkins le laisse partir sur le canot. J’aimais bien ces fins qui n’en étaient pas. Ces fins qui disparaissaient, j’avais lu L’Homme des vallées perdues. Pareil, Shane, le héros s’en va. On ne sait pas s’il est mortellement blessé ou pas. J’aimais bien ces fins en suspens. Au bord d’une frontière… Et j’ai lu Bob Morane. Là aussi ce que j’aimais dans Bob Morane c’est qu’il y avait toujours une petite intrusion. C’était de la pure aventure , l’époque bénie des couvertures de Joubert, bibliothèque Marabout Junior, Bibliothèque verte, rouge et or, Idéal bibliothèque, le monde perdu de Conan Doyle, La guerre du feu, Capitaine Corcoran. Par contre je n’aimais pas Jules Verne, c’était trop scientifique, trop scientiste. Ça m’enquiquinait ces héros terre à terre.
bobmorane
stevenson
trappeurs
Richard Ely : Et tu y avais accès facilement ?
Pierre Dubois : Par le biais des bibliothèques, j’étais inscrit dans les bibliothèques.
Richard Ely : Tu avais quel âge à cette époque ?
Pierre Dubois : De 7 ans à 14, 15 ans… J’ai toujours été un lecteur. Evidemment c’était presque de la lecture de contrebande. Mes parents, Mon père quand il me voyait avec un livre entre les mains, déjà dans ma petite enfance, c’était : « Qu’est-ce que tu fais encore avec un livre ? Toujours la tête dans les livres, tu vas t’abîmer les yeux ! C’est du bourrage de crâne, je vais te donner du vrai travail, ! Est-ce que tu as fini tes devoirs ? ». La lecture, c’était vraiment de la contrebande. Et même pour avoir de nouveaux livres, j’en échangeais en classe avec des copains. Mes parents n’aimaient pas ça non plus. Le livre à une certaine époque, surtout chez des gens simples, ce n’était pas pour eux. Quand tu t’intéresses à ce que j’ai fait, à faire du collectage, des histoires de sorcellerie, des choses comme ça, dans les campagnes, quelqu’un qui avait des livres chez lui, était vu de manière un peu bizarre. Il avait des mauvais livres. C’était des livres, il devait y avoir des choses pas très nettes dedans. On en était encore au 19e où l’Eglise et l’Etat ne voulaient pas que les gens pensent. L’éducation, ce n’était pas pour les pauvres. Mes parents avaient certainement encore ça en tête. Y avait certainement une réminiscence, une mémoire où le livre n’était pas normal, où on avait pas accès aux livres. Chez moi, il y a eu ce besoin et au travers des livres, il y avait ces personnages flamboyants qui se révoltaient. Robin des bois… Pour moi, c’était mes héros, mes exemples… Des exemples à suivre, je me suis fait une culture parallèle avec mes lectures. L’école m’ennuyait vraiment.
J’avais aussi les livres de ma sœur, de ma grande sœur, qui allait à l’école et donc qui avait des livres d’Histoire, des livres de Français, et je les lisais, les relisais. Lorsque j’étais malade par exemple, j’adorais être malade quelque part parce que quand j’étais malade ma mère m’installait dans la buanderie, elle faisait la cuisine, et moi j’étais dans le coin près du poêle, et je lisais et je rêvassais, c’est un truc que je raconte souvent mais qui a été quand-même déterminant C’est cette buanderie qui ressemblait à une cabane, à une grotte, à la cabane que tu te fais quand tu es enfant avec ce feu qui ronflait, qui parlait avec la bouilloire, qui chantonnait, sur le feu et puis la lumière, on n’allumait pas l’électricité tout de suite, donc c’était la lueur du poêle, on soulevait le couvercle du poêle et le poêle lançait au plafond une lumière rougeâtre et selon que respirait le feu, il lançait des images différents, t’avais des jeux d’ombres et je m’imaginais en voyant ces ombres au plafond, les tas d’histoires que je venais de lire et que je prolongeais. Ce que j’aimais aussi à cette époque-là, c’est que tu avais des illustrés, ma mère m’en ramenait en cachette et là, tu n’avais donc pas le début de l’histoire et tu n’avais pas la fin. T’avais deux planches, donc t’étais obligé d’imaginer le début, tu n’avais qu’une bride, un fragment et j’ai toujours aimé les fragments… C’était des dessins pas toujours très bien faits. Si, tu avais des grands, Giffey par exemple qui dessinait Buffalo Bill et c’était marrant parce que ma sœur avait des livres d’Histoire illustrés aussi par Giffey et je reconnaissais le style, le trait de Buffalo Bill dans la tête de Colbert ou de Louis XIV. Et Calamity Jane dans la tête de la Marquise de Montespan ou je ne sais pas quoi… Et donc je pouvais me faire toute une mythologie, j’étais à côté de la fenêtre et à côté de ça, il y avait le jardin, et la pluie qui tombait sur les vitres, tout ça me chantait des histoires, je sentais des présences, je sentais qu’il y avait quelque chose.
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J’étais en plus un enfant solitaire. Ma mère partait faire des courses et je restais tout seul. Et tout ça vivait et ma mère me ramenait quelquefois un livre et je puisais dedans et ça a été vraiment fondateur. Tous mes héros et ceux à qui j’ai voulu ressembler, à Long John Silver, Robin des Bois, tous ces personnages frondeurs qui se battaient contre les injustices, contre le pouvoir, c’était des pirates, ils étaient libres. Ils recherchaient toujours quelque chose, comme les héros des contes… J’aimais bien aussi les contes. Les contes de Grimm. Par contre, je n’aimais pas trop Perrault, je trouvais ça un peu trop pommadé, et puis alors cette morale toujours à la fin, que je retrouvais dans Lafontaine, ça me dérangeait, ça me rappelait trop la classe. Faites ceci, pas cela. Il y avait un côté moralisateur. J’aimais les fées sauvages pas les fées de Perrault. Les vraies fées de la Nature.
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Il en rêvait petit, voici un coin infime de la gigantesque maison-bibliothèque de Pierre Dubois…
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On n’y trouve pas que des fées… voici une collection autour de Jack l’éventreur !

Richard Ely

Né en Belgique, j'ai passé toute mon enfance à Ellezelles, village sorcier. J'ai ensuite étudié les fées, elfes et lutins à l'université tout en croisant les chemins de Pierre Dubois, Claude Seignolle, Thomas Owen... En 2007, après avoir parcouru bien des forêts et des légendes, je crée Peuple Féerique. Spécialiste du folklore féerique, auteur d'encyclopédies, de livres, d'albums, je poursuis mon exploration de ce Petit Monde de Merveilles pour le partager avec vous.

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