Interviews lutines

Nicolas Jarry – interview

Nicolas Jarry
Le faiseur de mondes

Partagé entre l’écriture de romans et de bandes dessinées, Nicolas Jarry s’est très rapidement hissé parmi les scénaristes les plus prolifiques. Nous l’avions rencontré en 2000 au festival fantastique de Bruxelles, au moment même où sa route croisait celle de Jean-Luc Istin et où naissait sa destinée en BD. Nous le retrouvons aujourd’hui avec une dizaine de séries à son actif. Une belle occasion pour en faire le tour.

Au moment où nos chemins se croisent à nouveau, Nicolas Jarry était accompagné de Reno, dessinateur de Valamon, série de capes et d’épées et, bien entendu, de fantasy.

ValamonComment s’est faite votre rencontre pour ce projet Valamon..
Nicolas Jarry: Thierry Joor m’a dit : « j’ai deux dessinateurs, le premier c’était Reno, le second Luigi Fettone. L’un a un style proche de Rosinski, l’autre de Marini ».
Reno: Les comparaisons, déjà, ça met tout de suite à l’aise (rires)
NJ: Je lui ai dit : « Ben ok, je suis partant, je te fais des scénarios. J’ai donc fait 3,4 pages de Valamon et Thierry a fait passer.
R: Moi, j’ai lu le scénar. J’ai de suite commencé à faire des crobards, je les ai montrés à Thierry qui m’a dit qu’il y avait sûrement un truc à faire.
NJ: Thierry a donc tout calé, tout pris en mains et nous avons commencé à bosser quand c’était ok.

L’univers capes et d’épée, la fantasy, pour toi c’était un territoire connu ?
Reno: Moi j’étais plus dans quelque chose d’alternatif. Pour moi la fantasy est quelque chose de plus soft, on peut y aller à petites touches, imaginer des choses… Mais je trouvais qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire…

Et tu connaissais déjà les œuvres de Nicolas Jarry ?
R: Pas du tout.
NJ: A l’époque, je n’avais pas grand-chose. J’avais commencé les Brumes d’Asceltis et les Chroniques de Magon, c’est tout.

C’est donc un projet qui…
NJ: …a mis longtemps à démarrer, oui.
R: Mea Culpa. En fait, j’ai mis beaucoup de temps car j’ai d’abord fait 3 tomes jeunesse chez Tchô dans un style SF humoristique. Il m’a donc fallu un temps d’adaptation.

Et pour toi, l’histoire de Valamon existait depuis quelque temps ou non ?
NJ: Non, il y avait une envie mais je ne l’avais pas écrite. Il y avait juste ce personnage, l’idée d’un cape et d’épées avec des dialogues un peu truculents. Le côté Le Bossu, quoi…

Dans ce premier tome, trois choses m’ont frappé. La première c’est l’emprise du religieux dans le politique…
NJ: Oui, ce qui m’a aussi donné l’envie d’écrire ça ce sont les Trois Mousquetaires, donc forcément le personnage emblématique du Cardinal Richelieu. Le religieux devait avoir un pouvoir. On verra dans la suite qu’il y a 3 pôles de pouvoir : l’Impératrice, ce «Richelieu» qui est le haut pontife et la chambre des chevaliers qui fait contrepoids. Le haut pontife s’appuie sur ces terres et cette religion par laquelle il a asservi tous les paysans et les culs-terreux. Le reste de l’Empire étant complètement tourné ver la mer, les habitants des terres sont méprisés par l’empire.

Votre façon de travailler ?
NJ: Très simple. Je lui ai fourni le scénario en entier et quatre ans après j’ai eu la fin (rires).
R: Pour le prochain, ce sera optimisé dans tous les sens ! Faut dire qu’il m’a fallu 3 ans pour vraiment m’y mettre et 3 mois pour l’achever. Sinon, pour ma façon de bosser le dessin, j’utilise beaucoup l’ordinateur pour les décors, la lumière… mais je voulais un aspect naturel. Il fallait que ce soit un peu granuleux, corresponde à l’idée de l’époque où cela se passe… J’ai donc pas mal bossé sur cet aspect-là.

Deuxième chose qui m’a particulièrement marqué, cette histoire d’albinos…
NJ: C’est un peuple issu d’un petit archipel. Des hommes qui ne sont pas considérés comme tels mais comme des sauvages. En fait, on reste très classique presque historique tout en se permettant un visuel fantasy. On va rester sur des grandes thématiques. Ce n’est pas du racisme à l’époque, c’est une réalité, c’est comme ça que les Occidentaux voyaient les autres peuples.

Cet aspect fait penser à tes chroniques d’un guerrier Sînamm, roman où il y avait déjà cet aspect tribal…
NJ: Je crois que j’ai été très marqué par L’enfant des 7 mers de Sulitzer. Avec les Ibans, qui sont sur un navire, ce sont des sauvages à moitié barjots. Ici, il n’y a pas que ça, il y a aussi la problématique de l’esclavagisme. Mais oui, j’ai tendance à insérer des «sauvages» peut-être aussi pour agir comme un miroir. Montrer aussi la société, l’évolution de la société, c’est une bonne jauge.

Pour travailler les oppositions aussi ?
NJ: Oui, c’est ça, c’est un peu un miroir inversé. Un contraste de civilisations… C’est un élément qui dans Valamon casse cette situation un peu homogène. Ça apparaît dans le tome où tout a l’air logique, de couler de source. On ne se rend même pas compte que c’est de la fantasy. Et tout à coup apparaissent ces albinos. Et du coup, on remet tout en question.

Le troisième point c’est quand le chevalier Armand brise son serment.
NJ: Il y a ça et une petite image où on voit Fassendre aussi. Ces personnages sont liés à Valamon, je ne pouvais pas les abandonner comme ça. Armand a son histoire, elle ne prendra pas le pas, forcément, mais on va avoir plusieurs destinées qui vont se dérouler parallèlement à celle de Valamon. Il n’y aura pas de quête, mais plutôt des histoires humaines.
Valamon est le personnage central, le héros ou l’anti-héros on va dire. Et à côté de ça, il y aura plusieurs destinées. On va découvrir dans le tome 2, un vieux chevalier qui a été à l’origine de pas mal de problèmes. On est dans l’historique, dans le capes et d’épées où les petits problèmes personnels se retrouvent au centre de drames se passant dans les hautes sphères. Des histoires d’amour, des trahisons, des complots…

Petit saut vers Maxime Murène. On a appris la bonne nouvelle d’une suite. Ce n’était pas ton premier projet ?
NJ: Si, Maxime Murène est mon premier scénario. Premier album signé mais pas premier album sorti. Cela a mis un peu de temps à sortir également. David (ndlr : David Nouhaud, le dessinateur du premier tome) partait un peu de zéro donc le temps de tout apprendre..

Au départ c’était un one-shot ?

NJ: Au départ, une série, mais David ayant beaucoup bossé sur le premier, il n’était pas très chaud pour une suite. On a décidé d’en faire un one-shot en gardant une ouverture vers une série. Moi, j’avais l’espoir de faire un deuxième tome, il y a matière pour des suites.

Tu disais de Valamon qu’il était un anti-héros, ici c’est le cas à 100%.

NJ: Pire que ça…. Il a quelque chose d’humain qui le rend sympathique mais c’est un vrai démon. C’est quelqu’un de fondamentalement amoral. Il a les défauts de l’être humain poussés à l’extrême.

Et les murènes, un animal que tu apprécies ? On en croise également dans Valamon…
NJ: Oui, la murène est un animal fétiche. Un animal qui attend dans les murailles avec sa mâchoire qui peut t’arracher un bras. Y a un côté «serpent des mers».

Tu disais dans une précédente interview autour des chroniques de Magon, qu’Asmo était ton personnage préféré. Là encore, c’est le mauvais garçon…
NJ: Rien ne me fait plus plaisir que lorsqu’un héros endosse le manteau de méchant. Au sens bad boy. Apparaît alors un côté incontrôlable très intéressant. Quand on est scénariste ce n’est pas le héros gentil mais celui qui se rebelle qui nous intéresse. Il nous surprend même en scénarisant.

Par rapport aux lecteurs, tu ressens également une plus grande appréciation de héros bad boy ?
NJ: Je pense que Maxime Murène ou Asmo n’ont pas rebuté les lecteurs. Tout le monde le dit, il y a quelque chose d’attirant en eux. L’important, c’est de les rendre humains. À partir de là, le lecteur peut s’identifier et lui trouver des excuses atténuantes. À partir du moment où tu le rends humain, tu peux faire ce que tu veux de ton personnage.

Autre chose qu’on remarque souvent dans tes œuvres, ce sont les dialogues. Les dialogues dans Valamon, dans Maxime Murène sont parfaitement adaptés à l’histoire..
NJ: IL y a deux chose que j’adore dans l’écriture d’un scénario. Primo, le packaging, c’est-à-dire l’univers dans lequel les héros vont évoluer, et les dialogues. Quand je sais que j’ai trois pages et donc un peu de latitude pour le développer, je ne fais pas de découpage, je fais un dialogue comme pour une scène de théâtre. Et seulement ensuite, je fais mon découpage. C’est vraiment le dialogue qui guide la scène.

Tu travailles une BD à la fois ou toutes en même temps ?
NJ: J’essaie de travailler une BD à la fois. Des fois, je stoppe une bd. J’en avance une autre, puis je termine la première. Histoire aussi de prendre un peu de recul. Valamon je l’ai faite en une fois parce que le scénario était tellement imbriqué, il y a 5 ou 6 personnages qui vivent des choses imbriquées… il fallait que j’arrive au bout pour voir si tout correspondait bien.

Est-ce que tu dois te mettre dans une ambiance par univers, écouter une musique particulière ?
NJ: Non. Le simple fait d’avoir les dessins me suffit. Avant de créer, je me documente pas mal. Après ça, je n’en ai plus besoin. La seule chose c’est qu’il me faut 2 ou 3 heures avant de vraiment me plonger dans l’univers. Une fois que j’y suis, c’est un peu en roue libre…

Et d’où te viennent les idées ?
NJ: Quand je travaille avec France (ndlr : France Richemond, co-scénariste de La Rose et la Croix, Le trône d’argile), c’est elle qui me donne la matière première et je scénarise. Sinon, les idées viennent en regardant un film ou autre chose mais ensuite je me base sur rien du tout.

Le fait d’avoir travaillé avec l’historienne France Richemond, cela t’a aidé pour Valamon ?
NJ: Effectivement, ça m’a structuré pour plusieurs choses. Le côté historique, je fais des romans avec elle et son côté plus rigoureux m’a apporté quelque chose. Elle a été prof d’Histoire et m’a dévoilé en quelque sorte les mécanismes sous-jacents à l’Histoire, des trucs qu’on apprend pas en cours. Tout ça apparaît beaucoup plus logique après. Elle m’a appris également à traiter les personnages psychologiquement, en évitant les archétypes. Avec les femmes, j’étais un peu trop dans l’archétype, trop «macho»…

Les Brumes d’Asceltis

Dirigeons-nous vers les Brumes d’Asceltis avec Jean-Luc Istin… On a toujours cette impression, tu m’avais contredit à l’époque, d’un Seigneur des Anneaux…
NJ: Oui, c’est dû au côté très fantasy classique. C’est une série très classique, c’était l’objectif. Maintenant, rien n’est gratuit. Tous les éléments aperçus au fil des tomes amèneront dans le dernier à un final qui devrait assez surprendre le lecteur.

On sent au fil des tomes que cette série mûrit. Je n’étais pas convaincu au tome 1 mais au plus on avance, plus cela devient intéressant.
NJ: Oui, c’est ma première série aussi. Même si Jean-Luc m’a beaucoup aidé, il a fallu du temps pour construire les personnages, l’histoire… J’ai eu le temps d’apprendre à connaître mes personnages, de les travailler, c’est pourquoi j’ai pu aller plus loin par la suite. C’est pour ça que je pense que le tome 4 apportera vraiment quelque chose de spécial. On va se rendre compte que ce n’était pas qu’une simple quête…

C’était ton univers le plus difficile ?
NJ: Non, au contraire, c’est un univers où justement je suis en roue libre, je me laisse aller. Et puis Jean-Luc en fait beaucoup derrière, il s’est beaucoup investi dedans.

Jean-Luc Istin est crédité comme co-scénariste au tome 3 d’ailleurs…
NJ: En fait, il y a eu un remaniement, une petite période de crise. C’est vrai que la fin, je ne l’avais pas sentie et Jean-Luc a repris les choses en main. Pour le tome 4, on a travaillé différemment. Je lui ai écrit un roman et il a carte blanche. Je lui ai donné les dialogues, la description et à lui de jouer.

Le tome 4 devrait terminer la série mais y a-t-il une envie de replonger dans cet univers ?
NJ: Avec Jean-Luc, je pense que ce sera fini car il a tellement de boulot. Peut-être que lui fera un jour un one-shot car il aime bien l’univers. De mon côté, j’ai sorti une histoire dans cet univers, les Exilés d’Asceltis, avec un italien, Deplano. Pas un remake, mais vraiment une autre histoire qui se passe 8000 avant. Je raconte l’histoire des Naabdirs.

Chemin d’Avalon

On passe au Chemin d’Avalon. Une imagerie assez enfantine mais un récit trash ? Une volonté d’accrocher un public plus jeune ?
NJ: Non, du tout. Mais c’est vrai que le dessin et l’histoire… Du coup je ne sais pas comment aborder la série. Une imagerie plus light, plus jeune… Oui, il y avait un risque mais on avait envie de le faire. On va pas aller dans le trash mais je me suis fait plaisir. Après réflexion, les Chemins d’Avalon est plus une BD pour adultes.

Les dessinateurs, tu les trouves comment ?
NJ: Certains, c’est par internet tout simplement comme pour Tokyo Ghost. Sinon, c’est pas mal par copinage. Les dessinateurs vivent souvent par bande, ils ont un instinct grégaire très fort (rires). Quelqu’un me présente un dessinateur qui a fait une école avec lui ou qui est en colloc, et puis ça accroche ou pas au niveau du dessin mais aussi au niveau feeling humain avec le dessinateur…

Avec Aves, qui sort en septembre prochain aux éditions Soleil, tu touches à la SF et au space opera. Une envie particulière de sortir du cadre « fantasy » sans toutefois s’en démarquer totalement puisqu’on y retrouve l’idée d’un enfant-élu, un thème finalement très fantasy, non ? Le space opera est-il pour toi la transcription d’une fantasy dans l’espace? Arleston l’a d’ailleurs démontré en amenant son Lanfeust dans les étoiles…
NJ: De toute façon, le space op, c’est de la fantasy avec des vaisseaux. Les fondamentaux sans être identiques, sont très proches, surtout au niveau de la liberté de création (et même dans la narration). Seulement, le space op permet de donner une autre dimension à l’histoire, plus vaste, illimitée. J’aime aussi l’idée qu’on se positionne dans un futur possible, même si improbable. On est au-delà l’anticipation, mais on reste dans le «pourquoi pas».

Quels sont tes projets?
Boucler mes séries les unes après les autres et me remettre au roman ! Je suis en train de réécrire la trilogie du Loup de Deb pour une possible ressortie en fin d’année. Et accessoirement apprendre à bricoler.

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Richard Ely

Né en Belgique, j'ai passé toute mon enfance à Ellezelles, village sorcier. J'ai ensuite étudié les fées, elfes et lutins à l'université tout en croisant les chemins de Pierre Dubois, Claude Seignolle, Thomas Owen... En 2007, après avoir parcouru bien des forêts et des légendes, je crée Peuple Féerique. Spécialiste du folklore féerique, auteur d'encyclopédies, de livres, d'albums, je poursuis mon exploration de ce Petit Monde de Merveilles pour le partager avec vous.

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